2. Le Code des droits de la personne de l’Ontario

Bon nombre d’immigrants qui ont choisi de s’établir au Canada se sont installés en Ontario. Statistique Canada constate qu’à Toronto, « près de la moitié de la population (47,3 %) est née à l’étranger; il s’agit de la plus forte proportion observée dans les grandes villes des pays développés, y compris New York, Miami et Sydney[18] ».

L’article 5 du Code stipule que toute personne en Ontario a droit à un traitement égal en matière d’emploi, sans discrimination fondée sur la race, l’ascendance, la couleur, le lieu d’origine et l’origine ethnique. Personne ne doit faire face à des obstacles à l’emploi fondés sur des caractéristiques qui sont associées à ces motifs.

L’article 6 du Code stipule que toute personne en Ontario a droit à un traitement égal en matière d’adhésion à un syndicat ou à une association professionnelle, ou en matière d’inscription à l’exercice d’une profession autonome, sans discrimination fondée sur la race, l’ascendance, la couleur, le lieu d’origine et l’origine ethnique. En conséquence, les organismes qui régissent les professions réglementées et les métiers à certificat obligatoire doivent éviter d’adopter des critères d’adhésion ou de délivrance de permis qui sont susceptibles d’établir une discrimination fondée sur ces motifs.

La discrimination en vertu du Code peut être directe, par exemple quand un employeur refuse de recruter une personne en raison de préjugés liés à son lieu d’origine. Toutefois, le Code interdit également la discrimination résultant d’exigences, de qualités requises ou de critères qui peuvent sembler neutres, mais dont l’effet est négatif pour les personnes désignées dans le Code. On parle souvent d’« effet préjudiciable » ou de discrimination « indirecte[19] ». Une annonce d’emploi ou une procédure de recrutement ou d’accréditation qui est réservée aux personnes ayant une expérience canadienne peut avoir un effet préjudiciable sur les nouveaux immigrants. La plupart des nouveaux arrivants au Canada n’ont pas encore d’expérience de travail canadienne, alors même qu’ils peuvent avoir acquis une expérience pertinente à l’étranger et être qualifiés pour obtenir un poste ou une accréditation professionnelle. Voici les propos d’un répondant à l’enquête de la CODP :

L’expérience particulière demandée dans les annonces d’emploi ne peut pas être acquise à l’extérieur du Canada. Par exemple, la plupart des postes dans mon domaine exigent de connaître les règlements bancaires canadiens, ce qui est bien sûr impossible puisque je n’ai pas travaillé ou fait mes études ici.

Toute distinction fondée sur le lieu d’acquisition de l’expérience professionnelle est susceptible d’établir indirectement une discrimination fondée sur des motifs prévus au Code, tels que la race, l’ascendance, la couleur, le lieu d’origine et l’origine ethnique.

Les obstacles en matière de recrutement, de sélection et d’embauche des employés ou dans le cadre des processus d’accréditation des organismes de réglementation sont susceptibles d’entraîner une discrimination systémique. On entend par discrimination systémique ou institutionnelle des formes de comportement, des politiques ou des pratiques en vigueur au sein d’un organisme qui créent ou qui perpétuent une situation de désavantage relatif pour les personnes désignées dans le Code[20]. Bien que ces attitudes, ces politiques et ces pratiques semblent neutres en apparence, elles peuvent avoir pour effet d’exclure les personnes visées par les motifs prévus au Code. La discrimination systémique ou institutionnelle peut constituer un obstacle important pour les nouveaux arrivants en Ontario qui essaient de décrocher un emploi convenable ou d’obtenir une accréditation dans leur profession.

Exemple : Un organisme de réglementation exige que tous les candidats effectuent un stage d’une durée de 10 mois au Canada dans le cadre du processus d’obtention de permis. Bien que tous les candidats doivent satisfaire à cette condition, nombreux sont les nouveaux arrivants au Canada qui éprouvent plus de difficultés à trouver un stage en raison de caractéristiques associées à la race, à l’ascendance, à la couleur, au lieu d’origine et à l’origine ethnique. En conséquence, il est probable que cette exigence aura un effet préjudiciable sur les nouveaux arrivants.

Les tribunaux ont souligné qu’il est important de garantir l’« égalité matérielle » dans la législation sur les droits de la personne. L’égalité matérielle recouvre l’impact des lois, des politiques ou des stratégies d’action sur les groupes défavorisés et a pour objectif de faire en sorte que les règles, les exigences ou les modes de traitement n’établissent pas indirectement de distinctions fondées sur des motifs illicites.

Le paragraphe 23(1) du Code interdit aux employeurs de publier ou d’afficher des annonces en matière d’emploi ou des invitations à poser sa candidature qui, directement ou indirectement, établissent des catégories ou indiquent des qualités requises fondées sur un motif illicite de discrimination. Les références à l’expérience canadienne dans les annonces d’emploi sont susceptibles de décourager les nouveaux arrivants de soumettre leur candidature, alors même qu’ils ont les qualités requises pour occuper le poste. Un employeur qui publie des annonces incluant des exigences d’expérience canadienne court le risque de contrevenir au Code.

Le paragraphe 23(2) du Code interdit d’utiliser un formulaire de demande d’emploi ou de poser au candidat des questions écrites ou orales ayant pour effet direct ou indirect d’établir des catégories fondées sur un motif illicite de discrimination. À l’étape de la candidature, les employeurs ne doivent pas demander aux candidats s’ils possèdent une expérience canadienne, afin d’éviter que des caractéristiques prévues au Code leur soient révélées. Les employeurs doivent uniquement demander aux candidats quelles sont leurs qualifications et leurs expériences antérieures pertinentes en fonction de la profession ou du métier visé(e), quel que soit leur lieu d’acquisition.

Aux termes du paragraphe 23(3) du Code, un employeur peut poser des questions concernant l’expérience canadienne lors d’une entrevue d’emploi ou préciser qu’il accorde une préférence à l’expérience canadienne, mais uniquement s’il peut prouver que l’expérience de travail au Canada est une exigence légitime et que toute adaptation lui causerait un préjudice injustifié. Les critères juridiques élevés qui visent ce type d’exigences sont détaillés ci-dessous. Dans le cas contraire, l’employeur ne doit pas demander au candidat où il a acquis son expérience.

Le paragraphe 23(4) du Code interdit aux employeurs de faire appel à une agence de placement pour recruter des personnes en fonction de préférences fondées sur les motifs prévus au Code. Certains répondants à l’enquête de la CODP ont déclaré que les obstacles rencontrés ont été érigés par des agences de placement. À titre d’exemple, une personne a indiqué : « un certain nombre de postes pour lesquels j’ai présenté directement ma candidature figuraient également sur les portails de certaines agences qui n’hésitaient pas à préciser que l’employeur recherchait des personnes ayant une expérience de travail canadienne ». Le paragraphe 23(4) interdit aux employeurs de faire appel à une agence de placement pour recruter, sélectionner, présélectionner ou embaucher des personnes en se fondant sur l’existence d’une expérience professionnelle antérieure au Canada.

Les employeurs et les organismes de réglementation doivent évaluer toute l’expérience professionnelle antérieure, quel que soit le lieu où elle a été acquise. Très souvent, il est facile d’évaluer les compétences et les capacités d’une personne sans pour autant communiquer avec une référence professionnelle canadienne ou exiger une expérience professionnelle antérieure au Canada.

Exemple : Un employeur recherche un(e) dactylographe/réceptionniste. Même si la personne a reçu sa formation dans un pays étranger, il existe plusieurs moyens permettant de vérifier ses compétences, comme des tests normalisés (par exemple des tests de dactylographie), des lettres de recommandation ou des périodes d’essai.

Les exigences et les responsabilités en matière d’emploi doivent être raisonnables, authentiques et directement liées à l’exercice du métier. De même, dans le cas des organismes de réglementation, les exigences en matière d’accréditation doivent être raisonnables, authentiques et directement liées à la compétence du candidat. La CODP estime qu’une exigence stricte liée à l’« expérience canadienne » constitue une discrimination à première vue et qu’on peut l’imposer uniquement dans de rares circonstances. Il incombe aux employeurs et aux organismes de réglementation d’apporter la preuve qu’une exigence d’expérience canadienne est établie de bonne foi, en fonction des critères juridiques énoncés ci-dessous.


[18] Garnett Picot, « Situation économique et sociale des immigrants au Canada : recherche et élaboration de données à Statistique Canada », Statistique Canada, 2008, disponible en ligne à : www.publications.gc.ca/collections/collection_2008/statcan/11F0019M/11f0019m2008319-fra.pdf
(date de consultation : 24 mai 2012).

[19] L’article 11 du Code autorise le particulier ou l’organisme auquel il incombe de tenir compte des besoins du groupe dont il fait partie de démontrer que « l’exigence, la qualité requise ou le critère est établi de façon raisonnable et de bonne foi », car il ne peut le faire sans subir lui-même un préjudice injustifié. Pour une analyse plus approfondie, consultez la section intitulée « Exigences légitimes en matière d’emploi ».

[20] Adapté de C. Agocs, « Racisme émergeant en milieu de travail : Preuves qualitatives et quantitatives d’une discrimination systémique », (2004) 3:3, Diversité canadienne, p. 25. D’autres définitions ont été proposées, par exemple :

…la discrimination s’entend des pratiques ou des attitudes qui, de par leur conception ou par voie de conséquence, gênent l’accès des particuliers ou des groupes à des possibilités d’emplois, en raison de caractéristiques qui leur sont prêtées à tort… [Extrait, Action Travail des Femmes c. Canadien National (1984), 5 C.H.R.R. D/2327 (C.H.R.T.), conf. (1987), 8 C.H.R.R. D/4210 (CSC)].

…la discrimination systémique [...] est issue des conséquences involontaires de systèmes et de pratiques d’emploi établis. Elle a pour effet de gêner l’accès à des possibilités d’emploi et à des avantages pour les membres de certains groupes. Puisque la discrimination n’est pas motivée par un acte conscient, elle est plus difficile à déceler et l’on doit se pencher sur les conséquences ou les résultats du système d’emploi en cause. [Extrait de Alliance de la Capitale nationale sur les relations inter-raciales c. Santé et Bien-être social Canada (1997), 28 C.H.R.R. D/179 (C.H.R.T.), paragr. 164].