V. Accommodement des croyances et conception inclusive

Questions clés

  • Quels éléments, le cas échéant, sont uniques et spécifiques à l’accommodement des croyances et ses analyses?
  • Quels aspects de l’accommodement des croyances doivent être examinés davantage et clarifiés?
  • Quelle est l’étendue de l’obligation d’accommodement des croyances et pratiques religieuses et de l’obligation connexe de conception inclusive?
  • Dans quelles circonstances peut-on limiter les mesures d’adaptation à la croyance, ou refuser d’en offrir?

1. Contexte

L’accommodement de la religion et de la croyance n’est pas un concept nouveau en Ontario ou au Canada. Et ce n’est pas un concept attribuable aux demandes et aspirations d’une population immigrante multiculturelle, en expansion depuis les années 1970. Le droit canadien accorde depuis longtemps une certaine reconnaissance à la liberté et au pluralisme religieux, ainsi qu’aux compromis que cela nécessite inévitablement. Ce qui a changé dans les dernières années est sans doute le fait d’appliquer et d’adapter cette approche de l’accommodement à des différences de plus en plus grandes et profondes sur le plan de la religion et de la croyance au sein de la société ontarienne[377], différences qui peuvent gêner les normes établies et compliquer la façon de faire les choses.

1.1 Objet et but de l’accommodement

Il n’est pas rare d’entendre que les personnes en quête d’accommodement de leurs croyances cherchent à obtenir des « privilèges spéciaux » de la société et de ses institutions[378]. Dans ce contexte, il convient de clarifier les buts et objectifs sous-jacents de l’accommodement[379]. Loin d’accorder des privilèges et avantages spéciaux, l’accommodement cherche à faire l’inverse. Son but est de favoriser le traitement équitable de membres de groupes minoritaires de la société en abordant et en tentant d’éliminer les désavantages (en matière de pratiques dans le cas de la croyance) auxquels ils se heurtent en raison de la structure des institutions et services, qui (souvent par inadvertance) répond davantage aux besoins des groupes dominants[380]. On désigne cette notion par les expressions « discrimination indirecte » ou « discrimination par suite d’un effet préjudiciable »[381].

Une grande part de la résistance de la société contemporaine envers l’accommodement semble provenir d’une incapacité à :

  1. reconnaître l’iniquité parfois inhérente au statu quo (ce qui, comme nous en discutions précédemment, ajoute à la nécessité d’élaborer un cadre contextuel permettant de comprendre la discrimination fondée sur la croyance)
  2. saisir que l’égalité (réelle par opposition à formelle) nécessite parfois qu’on prenne des mesures pour rendre les règles de jeu équitables[382].

Plutôt que de promouvoir « des valeurs ou pratiques étrangères en terre canadienne », comme certains le laissent entendre en situation d’accommodement des croyances, les personnes qui demandent ou offrent des mesures d’adaptation (liées ou non à la religion) réaffirment plutôt les valeurs canadiennes les plus profondes d’égalité et de non-discrimination enchâssées dans la Charte et dans les lois provinciales en matière de droits de la personne, et en favorisent l’expression. De l’avis de certains, le fait de rediriger le débat de l’« accommodement » vers les valeurs sous-jacentes d’« équité » peut remettre le débat public de ces questions sur le bon chemin. Comme l’explique un auteur : « Bien qu’il soit facile de parler de "trop d’accommodement", "trop d’égalité" est moins compréhensible [ou acceptable] dans nos contextes constitutionnels et sociaux actuels »[383].


[377] Seljak (2012) fait cette observation.

[378] Un participant au dialogue stratégique a fait l’observation suivante qui reprend les propos de Bromberg (2012) :

L’année dernière, j’ai travaillé pour une grande [compagnie] et on m’a déconseillé d’utiliser le mot accommodement en raison de la réaction des employées. Aux yeux de certains, cela donnait des « privilèges spéciaux » aux uns, au détriment des autres. Par conséquent, le concept des droits de la personne et la Commission sont devenus de « mauvais mots ». La direction n’a pas bien composé avec la situation [...] La population réagit à la notion d’accommodement et nous devons en être conscients.

[379] Consciente de la montée récente de ce genre de sentiments, Anita Bromberg (2012) souligne l’importance de clarifier les buts et objectifs sous-jacents de l’accommodement.

[380] Faisal Bhabha (2012) évoque le contexte des handicaps pour montrer que la reconnaissance par les tribunaux du fait que le « monde conceptualisé », plutôt que d’être neutre, privilégie les personnes non handicapées « entraîne une obligation d’accommodement en tant que mesure de protection fondamentale contre un préjudice indu ».

[381] La Politique sur la croyance (1996) définit la « discrimination indirecte », appelée aussi « discrimination par suite d’un effet préjudiciable » ou « discrimination constructive » :

Il y a discrimination constructive lorsqu’une exigence, une qualification ou un facteur qui semble « neutre » a néanmoins un effet négatif sur les membres d’un groupe auquel s’applique un motif illicite de discrimination en vertu du Code. Parce que cette exigence a un effet différent sur les personnes selon l’appartenance ou non à un groupe, on peut dire qu’elle donne lieu à une « discrimination constructive » (CODP, 2006, p. 6).

[382] Comme Brodsky et coll. (2012, p. 36) l’expliquent dans leur ouvrage Les accommodements au XXIe siècle en parlant de l’accommodement et des droits de la personne relatifs aux handicaps :

L’accommodement n’a pas pour visée le traitement égal. Elle vise l’inclusion de personnes [...] à qui la participation pleine et entière à la société a historiquement été refusée. Dans les affaires d’accommodement, la question n’est pas de savoir si le plaignant a bénéficié d’une égalité formelle, mais si l’on a composé avec ses caractéristiques réelles de manière à ce qu’il puisse obtenir un avantage autrement inaccessible. Comme l’expliquait le juge McIntyre dans l’arrêt Andrews, « le respect des différences [...] est l’essence d’une véritable égalité » (citant Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 RCS 143 au par. 31 [italiques ajoutés].

[383] Beaman (2012, p. 18).

 

2. Cadre législatif

Comme l’indiquent l’arrêt O’Malley[384] et d’autres décisions judiciaires, les organisations régies par le Code ont une obligation d’accommodement des observances liées à la croyance jusqu’au point de préjudice injustifié, sans égard au fait que les normes, règles ou exigences de l’organisation nuisent de par leur conception, leur intention ou leur effet, à la capacité d’adeptes de suivre les principes de leur croyance. Les tribunaux ont aussi affirmé qu’il incombe avant tout au requérant d’établir qu’il y a eu discrimination à première vue. Le fardeau de la preuve passe ensuite à l’intimé, qui doit démontrer qu’il a pris les mesures d’adaptation nécessaires, jusqu’au point de préjudice injustifié.

L’obligation d’accommodement des droits relatifs à la croyance se manifeste en contexte de « discrimination indirecte », aussi connue sous le nom de « discrimination par suite d’effet préjudiciable ». Sous la rubrique Discrimination indirecte, le paragraphe 11(1) du Code indique ce qui suit :

Constitue une atteinte à un droit d’une personne reconnu dans la partie I[385] l’existence d’une exigence, d’une qualité requise ou d’un critère qui ne constitue pas une discrimination fondée sur un motif illicite, mais qui entraîne l’exclusion ou la préférence d’un groupe de personnes identifié par un motif illicite de discrimination et dont la personne est membre, ou l’imposition d’une restriction à ce groupe, sauf dans l’un des cas suivants :

(a) l’exigence, la qualité requise ou le critère est établi de façon raisonnable et de bonne foi dans les circonstances [caractères gras ajoutés].

Le paragraphe 11(2) qualifie immédiatement la défense fondée sur une « exigence de bonne foi »  applicable à la discrimination indirecte en indiquant ce qui suit :

La Commission, le Tribunal ou un tribunal ne doit pas conclure qu’une exigence, une qualité requise ou un critère est établi de façon raisonnable et de bonne foi dans les circonstances, à moins d’être convaincu que la personne à laquelle il incombe de tenir compte des besoins du groupe dont le demandeur est membre ne peut le faire sans subir elle-même un préjudice injustifié, compte tenu du coût, des sources extérieures de financement, s’il en est, et des exigences en matière de santé et de sécurité, le cas échéant [caractères gras ajoutés].

Pour qu’une exigence soit qualifiée de raisonnable et de bonne foi, l’organisation doit démontrer qu’elle a pris des mesures d’adaptation des observances relatives à la croyance jusqu’au point de préjudice injustifié.

Les analyses de l’accommodement de la croyance continuent tout de même de soulever des questions et des tensions, dont nous discutons à la prochaine section.

2.1 Preuve de discrimination à première vue et analyse de la pertinence

Avant de déterminer s’il est bel et bien nécessaire de fournir des mesures d’adaptation et si ces mesures d’adaptation entraîneraient un préjudice injustifié pour l’organisation, il convient de vérifier l’existence d’une discrimination à première vue.

Les tribunaux ont affirmé qu’il revient aux personnes en quête d’accommodement d’établir avant tout l’existence d’une situation de discrimination à première vue et de montrer :

  1. qu’elles possèdent une caractéristique ne pouvant pas constituer un motif de discrimination aux termes du Code
  2. qu’elles ont subi un effet préjudiciable en matière de service, d’emploi ou autre
  3. que la caractéristique protégée a joué un rôle dans l’effet préjudiciable [386].

Une fois la discrimination établie à première vue, l’intimé a alors le fardeau de justifier la conduite ou la pratique suivant le régime d’exemptions prévu par les lois relatives aux droits de la personne. Par exemple, une organisation peut avancer qu’elle a tenu compte des besoins d’un requérant jusqu’au point de préjudice injustifié. En Ontario, le Code stipule que l’évaluation du préjudice injustifié doit reposer sur les facteurs suivants : coûts, sources extérieures de financement (le cas échéant) et santé et sécurité.

Si l’on met de côté la question du préjudice injustifié, est-il toujours « approprié » pour un service dont la clientèle est de passage, comme un service de restauration ou de transport en commun, de tenir compte de la grande variété potentielle d’observances liées à la croyance de ces usagers? Le préjudice injustifié constitue-t-il la seule ligne de défense contre l’accommodement d’observances de bonne foi liées à la croyance lorsqu’on peut faire la preuve d’effets préjudiciables? Ou existe-t-il d’autres pistes d’analyse préliminaires ayant trait à la « pertinence » de l’accommodement des croyances dans des contextes de services particuliers, compte tenu de la nature essentielle du service offert? 

Par exemple, pourrait-on plaider qu’il est raisonnable et non discriminatoire, dans certains contextes précis, de ne pas tenir compte des observances des usagers en matière de croyance (selon la nature de ces observances) en raison du caractère passager des ces usagers et, en partie, de leur capacité éventuelle à mettre en pratique les règles associées à leur croyance ailleurs (sans que cela ne cause de fardeau indu)?

Si c’est le cas, il pourrait être utile d’élaborer des lignes directrices indiquant dans quelles circonstances il pourrait convenir de mener une « analyse de la pertinence » et quels seraient les ingrédients d’une telle analyse. On pourrait devoir envisager cette question dans le cadre de la mise à jour de la politique.

Cependant, les analyses actuelles de la discrimination à première vue et du préjudice injustifié pourraient déjà inclure des outils suffisants pour traiter de ces situations.

Par exemple, dans le cas de requêtes aux termes du paragraphe 2(a) de la Charte, les tribunaux ont conclu que même lorsque des droits religieux sont en jeu, les gestes qui entravent ces droits ne constituent pas nécessairement de la discrimination ou une violation de droits protégés par la Charte. Dans ses décisions relatives au paragraphe 2(a) de la Charte,  la Cour suprême du Canada a établi qu’une atteinte aux droits religieux doit aller au-delà « du négligeable ou de l’insignifiant ». Une atteinte « négligeable ou insignifiante » est une atteinte qui ne menace pas véritablement des convictions ou un comportement religieux[387]. Bien que les analyses de la discrimination et des mesures de protection des droits de la personne prévues par le Code soient différentes de celles qui découlent de la Charte, les décisions prises en application du Code ont aussi établi une distinction entre les éléments fondamentaux et périphériques des droits dignes de protection.

L’Examen de la jurisprudence relative à la croyance offre plusieurs exemples de pratiques précises, liées à une religion ou une croyance, qui ne font pas l’objet de protection juridique ou d’obligation d’accommodement selon des décisions prises en application de la Charte ou du Code, ou des deux. Parmi ces exemples figurent :

  • activités bénévoles à l’église, dans ce cas-ci la dotation en personnel d’une activité de financement d’un camp de jour (non protégées selon l’arrêt Eldary v. Songbirds Montessori School Inc. du TDPO)[388]
  • activités sociales et communautaires liées à la religion (Hendrickson)[389]
  • installation d’une soucoupe, interdite par le règlement de la copropriété, afin capter des émissions religieuses et culturelles de sources internationales (lien à la croyance jugé insuffisant selon Assal v. Halifax Condominium Corp. No. 4)[390]
  • distribution de cadeaux à caractère religieux (stylos comprenant des inscriptions religieuses)[391]
  • congé spécial pour assister à une réunion de sélection de revendications territoriales dans le cadre de devoirs ancestraux et religieux[392].

Au moment de déterminer si un droit a été bafoué et doit être protégé, les organisations peuvent devoir évaluer dans quelle mesure les convictions d’une personne peuvent donner lieu à des exceptions[393]. À ce chapitre, l’affaire Saadi v. Audmax[394] s’avère intéressante : pour en arriver à sa décision, le tribunal a établi une distinction entre ce qu’exigeait la foi du requérant (en matière de vêtements religieux) et ce qui constituait des préférences de style « subjectives » et individuelles[395].

2.2. Critiques du cadre et discours de l’« accommodement »

« Les gens ne veulent pas que l’on tienne compte de leurs besoins et les tolère. Ils veulent être respectés. »
– Participant au dialogue stratégique de janvier 2012

« Le terme accommodement renvoie en soi à une dynamique de pouvoir. Nous parlons d’une politique qui tente de donner aux gens la liberté de s’épanouir pleinement, mais demeure fondée sur un déséquilibre de pouvoir. Je n’ai que des observations, aucune solution. Mais j’y pense chaque fois que j’entends le mot « accommodement ».
– Participant au dialogue stratégique de janvier 2012

L’accommodement peut être perçu comme le fait de « consentir une exception »

à une personne ou à un groupe de personnes sur qui une règle universelle (à première vue neutre) aurait autrement un effet discriminatoire fondé sur un des motifs interdits aux termes de la Charte, du Code ou des deux. Des partisans d’une égalité encore plus grande critiquent cette notion de l’accommodement qui, selon eux, ne va pas assez loin parce qu’elle ne fait que consentir des exceptions au lieu de remettre en question la « norme de privilèges » qui, avant tout, place les minorités en situation de désavantage[396]. Certains penseurs mettent en opposition les approches « d’accommodement »/« de tolérance » et les approches « d‘égalité » pluralistes plus radicales qui, selon eux, constituent des cadres concurrents d’analyse de la diversité religieuse au Canada[397].

Par exemple, Lori Beaman insiste sur les hiérarchies implicites d’appartenance et de « normalité » que crée inévitablement le discours de la « tolérance » et de l’« accommodement », « dans le cadre duquel les majorités confèrent des avantages aux minorités » et déterminent unilatéralement les limites (raisonnables) de cette tolérance[398]. « Ce qui me préoccupe, explique-t-elle, c’est que ces termes nous figent à un endroit qui s’approche de l’égalité, mais ne l’atteignent jamais vraiment. Ils ne nous forcent pas à repenser les inégalités structurelles, comme le rendrait possible la mise à nu des différences et l’obligation d’en arriver à une égalité réelle[399]. »

2.3 Continuum de l’accommodement : de systémique à individuel

Les lois relatives aux droits de la personne actuelles et les précédents jurisprudentiels connexes ouvrent néanmoins la porte à l’adoption d’un concept plus exhaustif et transformatif de l’accommodement qui va au-delà de l’application d’exceptions pour examiner plutôt la norme établie. Le paragraphe 11(2) du Code fait explicitement appel à la conception de milieux exclusifs fondés sur les « besoins du groupe » en tant que solution de première instance la plus appropriée à la discrimination indirecte, à moins que cela n’entraîne de préjudice injustifié. Les décisions de la Cour suprême du Canada appuient cette approche.[400]

Dans un article de 2012 intitulé Les accommodements au XXIe siècle et publié par la Commission canadienne des droits de la personne,  Brodsky, Day et Peters retracent jusqu’à la décision historique de 1999 de la Cour suprême du Canada dans Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU (Meiorin) l’évolution sur le plan judiciaire d’une approche d’élimination de la discrimination indirecte plus dynamique (et non « réactionnaire »), systémique (et non « individuelle ») et transformatrice (et non « fondée sur des exceptions »)[401]. Avant Meiorin, les intimés étaient uniquement tenus d’effectuer des rajustements individuels ou de consentir des exceptions à la règle en cas de discrimination par suite d’un effet préjudiciable. Il ne leur incombait pas de justifier la règle ou norme universelle. Consciente des façons dont cette approche gênait et minait « la promesse d’égalité réelle » au sein de la société, tel que prévu par les lois relatives aux droits de la personne, la juge McLachlin (nommée depuis juge en chef) citait en l’approuvant le passage suivant, au nom de la cour unanime :

La difficulté que pose ce paradigme est qu’il ne met en question ni l’inégalité du rapport de force ni les discours de domination, comme le racisme, la prétention de la supériorité des personnes non handicapées et le sexisme, qui font qu’une société est bien conçue pour certains, mais pas pour d’autres. Il permet à ceux qui se considèrent comme « normaux » de continuer à établir des institutions et des rapports à leur image, pourvu « qu’ils composent » avec ceux qui en contestent l’établissement.

Sous cet angle, l’accommodement paraît ancré dans le modèle de l’égalité formelle. En tant que formule, le traitement différent réservé à des personnes « différentes » ne constitue que l’inverse du traitement semblable réservé aux personnes semblables. L’accommodement ne va pas au cœur de la question de l’égalité, n’a pas la transformation pour objectif, n’examine pas la façon dont les institutions et les rapports doivent être modifiés pour les rendre disponibles, accessibles, significatifs et gratifiants pour la multitude de groupes qui composent notre société. L’accommodement semble signifier que nous ne modifions ni les procédures ni les services; nous nous contentons d’offrir des « mesures d’adaptation » à ceux et celles à qui ils ne conviennent pas tout à fait. Nous faisons certaines concessions à ceux qui sont « différents », plutôt que d’abandonner l’idée de la « normalité » et d’œuvrer à la véritable inclusion.

Conçu ainsi, l’accommodement semble permettre à l’égalité formelle d’être le paradigme dominant, pourvu que des adaptations soient parfois accordées pour remédier à des effets inégaux. Il ne met pas en doute les croyances profondes relatives à la supériorité intrinsèque de caractéristiques comme la mobilité et la vue. Bref, l’accommodement favorise l’assimilation. Son objectif est de tenter de faire cadrer les personnes « différentes » dans les systèmes existants.[402]

De poursuivre la juge, « [l]e droit de ne pas faire l’objet de discrimination est ramené à la question de savoir si le "courant dominant" peut, dans le cadre de sa norme formelle existante, se permettre d’accorder un traitement approprié aux personnes lésées. Dans la négative, l’édifice de la discrimination systémique reçoit l’approbation de la loi. Cela n’est pas acceptable. »[403]

La Cour suprême du Canada a élaboré une nouvelle[404] analyse pour justifier l’établissement d’une exigence de bonne foi obligeant les intimés à passer en revue et à modifier, pour les rendre inclusives, les règles, exigences et normes causant préjudice, jusqu’au point de préjudice injustifié. Le tribunal a poussé les organisations à elles-mêmes « intégrer des notions d’égalité dans les normes du milieu de travail » (et par extension les normes de services)[405]. Ce faisant, il a radicalement modifié la visée initiale de l’accommodement, mettant en cause non plus la personne faisant l’objet du préjudice, mais la norme causant le préjudice[406]. En résumé, la décision Meiorin a eu les répercussions suivantes sur le plan judiciaire : une fois que l’existence d’un cas à première vue de discrimination (par suite d’un effet préjudiciable) a pu être démontrée, l’organisation a la responsabilité, aux termes de la loi, d’explorer une variété de mesures d’adaptation, y compris la possibilité de commencer par ce que certains ont nommé l’« accommodement systémique »[407] (modification de la norme au bénéfice de tous). L’organisation peut passer à l’examen des mesures d’adaptation individuelles possibles jusqu’au point de préjudice injustifié seulement après avoir fait la démonstration que l’accommodement systémique créerait un préjudice injustifié.

Les politiques et directives de la CODP recommandent également aux organisations de concevoir leurs programmes, services et milieux de travail de façon inclusive. Comme l’accommodement systémique, l’idéal de « conception inclusive » du secteur des droits de la personne peut obliger les organisations à examiner minutieusement et réorganiser leurs façons de faire les choses (normes et règles actuelles). La conception inclusive n’a pas besoin d’être (et idéalement ne devrait pas être) le résultat de plaintes, de demandes d’accommodement ou de requêtes fondées sur un cas de discrimination (par suite d’un effet préjudiciable) à première vue.

2.4 Accommodement et droits contradictoires

L’examen des droits d’autrui fait souvent partie intégrante de l’accommodement de la croyance (p. ex. droits des autres groupes protégés par le Code ou intérêt général de la société en matière d’ordre public, de santé, de sécurité ou de démocratie). Comme l’examinent les documents de la CODP intitulés Politique sur les droits de la personne contradictoires et L’ombre de la loi : Survol de la jurisprudence relative à la conciliation de droits contradictoires, il peut arriver, et arrive souvent, que des droits entrent en conflits les uns avec les autres, surtout dans le contexte de la croyance. À tous les paliers de législation relative aux droits de la personne, la reconnaissance du fait que la liberté de croyance est plus large que la liberté d’agir sur la foi d’une croyance (religieuse ou autre) provient en grande partie d’une compréhension des répercussions possibles de nos actions sur autrui[408].

Certaines des affaires de droits contradictoires les plus complexes de l’ère contemporaine ont eu trait au refus de fournir certains services au motif de la croyance (p. ex. avortement, célébration du mariage de personnes du même sexe, coupe de cheveux de femme) ou d’exécuter des tâches liées à l’emploi (p. ex. acheminement de patients vers des services d’avortement, service d’alcool, installation d’étalages de Noël), ou les deux. Pour savoir comment aborder et régler le plus convenablement possible de telles situations, la CODP recommande aux lecteurs de se reporter à sa Politique sur les droits de la personne contradictoires, qui présente les grandes lignes d’un cadre de résolution de ce genre de situations. La politique met de l’avant plusieurs principes importants, dont les suivants : 

  • il n’existe aucune hiérarchie entre les droits
  • aucun droit n’est absolu
  • l’examen doit prendre en compte le contexte
  • les droits comprennent des éléments fondamentaux et périphériques, et la conciliation des droits penchera vers le respect des éléments qui forment le cœur du droit
  • il importe de chercher des « compromis constructifs », ainsi que des « mesures d’adaptation » et autres qui atténueront le préjudice pouvant être causé à chaque droit.

 

[384] Supra, note 282.

[385] L.R.O. 1990, chap. H.19, par. 11(1). La Partie 1 du Code (Égalité des droits) énonce les motifs de discrimination interdits et les domaines sociaux (services et installations, logement, contrats, emploi, association professionnelle) où la discrimination fondée sur ces motifs est interdite.

[386] Moore c. ColombieBritannique (Éducation), 2012, supra, note 317.

[387] Hutterian Brethren, supra, note 235. Dans sa récente décision dans l’affaire R. v. Badesha, 2011 ONCJ 284 (CanLII) (Badesha), la Cour de justice de l’Ontario a observé que le degré d’ingérence qui doit être démontré avant que l’on considère que les effets sur les droits religieux sont plus que « négligeables » ou « insignifiants » peut varier selon les circonstances particulières.

[388] Eldary v. Songbirds Montessori School Inc., 2011 OHRT 1026 (CanLII). Dans cette décision du TDPO, le tribunal a conclu que le fait de gérer un camp de jour organisé par l’église de la partie requérante à titre d’activité de financement n’était pas de nature religieuse ni considéré comme une obligation selon les préceptes de sa foi. Le fait que ces activités se déroulaient à l’église ne suffisait pas à conclure qu’elles avaient droit à des protections au motif de la croyance.

[389] Hendrickson Spring, supra, note 304.

[390] Assal v. Halifax Condominium Corp. No. 4 (2007), 60 C.H.R.R. D/101 (N.S. Bd. Inq.). Dans cette affaire, la commission d’enquête de la Nouvelle-Écosse a rejeté la requête voulant qu’un condominium soit tenu de prendre des mesures pour satisfaire à une demande d’installation d’une soucoupe, à l’encontre de ses propres règlements internes, pour permettre au requérant de capter des émissions religieuses et culturelles musulmanes de sources internationales. La commission a déclaré que pour pouvoir établir qu’il y a eu discrimination, il faut faire plus que montrer un lien quelconque avec la religion. Au contraire de l’affaire Amselem (supra, note 137), rien n’indiquait que l’accès au service par satellite constituait une pratique, une croyance, une obligation ou une coutume religieuse, ou que cela faisait partie des préceptes de la foi ou de la culture de la famille. Bien que le requérant ait voulu avoir accès à une technologie permettant d’exposer davantage les membres de sa famille à leur culture, leur langue et leur religion, rien n’indiquait que son absence compromettrait de quelque façon que ce soit l’observance de leur foi.

[391] Hendrickson Springsupra, note 304, a été cité dans cette décision selon laquelle le fait de distribuer des cadeaux à caractère religieux (p. ex. des stylos comprenant des inscriptions religieuses) en milieu de travail ne constitue pas un droit protégé, même si la capacité de le faire était extrêmement importante pour la plaignante. Aucune preuve n’indiquait que cette activité faisait partie de sa religion en tant que chrétienne régénérée; Ontario Public Service Employees Union v. Ontario (Ministry of Community and Social Services) (Barillari Grievance), [2006] O.G.S.B.A. No. 176, 155 L.A.C. (4th) 292).

[392] Whitehouse v. Yukon [2001], 48 C.H.R.R. D/497 (Y.T.Bd.Adj.). Dans cette décision, une commission d’arbitrage du Yukon n’a pas reconnu à un membre des Premières nations le droit à un congé spécial pour assister à une réunion de sélection de revendications territoriales en raison de ses devoirs ancestraux et religieux.

[393] R. v. N.S., 2010 CA ON 670au par. 69.

[394] Saadi v. Audmax, 2009 OHRT 1627 (CanLII).

[395] Dans Audmax Inc. v. Ontario Human Rights Tribunal, 2011 ONSC 315 (CanLII), la Cour divisionnaire de l’Ontario qui a procédé à la révision judiciaire de l’affaire a exprimé son désaccord avec la conclusion du TDPO dans Saadi v. Audmax, selon laquelle la façon dont l’employeur appliquait le code vestimentaire constituait une discrimination intersectionnelle à l’endroit de la plaignante, fondée à la fois sur les motifs de sexe et de croyance. Le tribunal a conclu que le TDPO aurait dû se demander s’il aurait été possible pour Mme Saadi de respecter le code vestimentaire de l’employeur sans compromettre ses croyances religieuses vis-à-vis du port de vêtements religieux appropriés. Le tribunal indiquait (au par. 86) :

Rien dans la religion de Mme Saadi ne l’obligeait à porter la forme particulière de hijab qu’elle portait ce jour-là. S’il lui était possible de porter une forme de hijab conforme à la fois à sa religion et au code vestimentaire de l’entreprise (comme elle l’avait fait tous les jours pendant six semaines), il n’y avait pas atteinte à ses droits religieux. Seul son sens de l’esthétique, apparemment contraire à celui de son employeur, avait été atteint.

[396] Voir Beaman (2012).

[397] Voir Beaman (2012). Lorne Sossin (2009) met en lumière des tensions semblables au sein du régime et du discours judiciaires qui régit la religion en milieu de travail canadien. Elle fait état de cadres d’action contradictoires dont, d’un côté, un discours de pluralisme, d’inclusion et de reconnaissance mutuelle et, de l’autre, un discours d’« exceptionnalisme » qui voit le Canada comme « une société majoritairement chrétienne dans laquelle les autres minorités religieuses sont tolérées dans un contexte de déviation par rapport à la norme » (p. 485).

[398] Beaman (2012, p.16). Attirant l’attention sur les origines et répercussions du discours de l’« accommodement » dans le contexte des déséquilibres de pouvoir employeurs-employés relatifs au droit du travail et à l’emploi, Beaman (2012, p.16-17) considère que le discours et la pratique de l’accommodement ne répondent pas suffisamment aux objectifs et à la promesse d’une égalité réelle en tant que valeur constitutionnelle canadienne centrale. Cependant, elle souligne le caractère relativement nouveau et, par conséquent, transformable, du concept de l’accommodement qui domine maintenant le discours et le droit.

[399] ibidem, p. 17.

[400] Sous la rubrique Discrimination indirecte, le paragraphe 11(2) du Code stipule :

La Commission, le Tribunal ou un tribunal ne doit pas conclure qu’une exigence, une qualité requise ou un critère est établi de façon raisonnable et de bonne foi dans les circonstances, à moins d’être convaincu que la personne à laquelle il incombe de tenir compte des besoins du groupe dont la personne est membre ne peut le faire sans subir elle-même un préjudice injustifié, compte tenu du coût, des sources extérieures de financement, s’il en est, et des exigences en matière de santé et de sécurité, le cas échéant (cité dans la Politique sur la croyance de la CODP, 1996, p. 8).

La Politique sur la croyance de 1996 évoque cette composante de « conception inclusive » | e l’analyse de l’accommodement en affirmant ce qui suit : « Une adaptation peut se faire en modifiant une règle ou en prévoyant une exception partielle ou totale à la règle pour la personne demandant l'adaptation » (p. 7).

[401] Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 RCS 3 (Meiorin).

[402] ibidem, par. 41 citant Day, Shelagh, et Gwen Brodsky. « The Duty to Accommodate : Who Will Benefit? » 1996, 75 Can. Bar Rev., 1996, p. 433.

[403] Iidem, par. 42.

[404] Les « exigences de bonne foi » constituent la principale défense applicable à la discrimination par suite d’un effet préjudiciable, comme l’indique l’article 11 du Code. Selon la Cour suprême du Canada, pour être considéré comme une exigence de travail de bonne foi, l’employeur doit démontrer que la norme, le facteur, l’exigence ou la règle : 

  • a été adopté dans un but ou un objectif rationnellement lié aux fonctions exercées
  • a été adopté de bonne foi, en croyant qu’il était nécessaire pour réaliser ce but ou cet objectif
  • est raisonnablement nécessaire à la réalisation du but ou de l’objectif de l’employeur, en ce sens que ce dernier ne peut pas composer avec la ou les personnes subissant l’effet préjudiciable sans que cela impose de préjudice injustifié.

Ce dernier critère provient de Meiorin (supra, note 401) et est essentiel puisqu’il oblige les employeurs à élaborer dès le départ leurs normes, règles et exigences d’une façon qui prend en considération la diversité des membres de l’organisation et cherche à tenir compte de cette diversité
et la favoriser, jusqu’au point de préjudice injustifié.

[405] Meiorin, supra, note 401, au par. 68.

[406] À propos des « profonds changements opérés à la conception de l’accommodement dans le domaine juridique » par suite de la décision Meiorin, Melina Buckley et Alision Brewin affirment :

Avant cette décision, les employeurs étaient uniquement tenus d’envisager des mesures d’adaptation individuelles en aidant ceux qui ne satisfaisaient pas à la norme existante. L’obligation comporte à présent deux volets. Les employeurs doivent tout d’abord se demander si la norme elle-même peut être modifiée de façon à être plus inclusive et à favoriser une égalité réelle sur le lieu de travail. Si cela n’est pas possible ou si la norme se justifie pleinement en regard du nouveau critère juridique plus strict, les employeurs sont toujours tenus de déployer d’importants efforts en vue d’un accommodement individuel (Buckley et Brewin, 2004, p. 22; cité dans Brodsky et coll., 2012, p. 10, italiques ajoutés).

[407] Karen Schucher décrit l’idée de l’« accommodement systémique » dans son commentaire sur
la nouvelle approche adoptée dans Meiorin en matière de « discrimination par suite d’un effet préjudiciable » : « Cette approche plus vaste étend la portée du concept de l’accommodement en exigeant l’apport de changements systémiques aux normes des milieux de travail. Ces changements incluent aussi bien une reconnaissance des réalités distinctives entre groupes et individus, que l’adoption de mesures de réparation et d’exception axées sur les individus. L’accommodement systémique requiert une transformation effective des normes liées au lieu de travail [...] » (Schucher, 2000, p. 9-10; cité dans Broskey et coll., 2012, p.10).

[408] Le droit international relatif aux droits de la personne établit une distinction importante, confirmée dans la jurisprudence canadienne, entre la dimension intérieure de la croyance ou conviction de la personne (forum internum), qui « bénéficie d’une protection absolue » sans limites, et sa « manifestation extérieure » qui « peut être soumise à certaines restrictions » dans le but de garantir la reconnaissance adéquate et le respect des droits et libertés d’autrui et de satisfaire aux exigences de la moralité, de l’ordre public et du bien-être général dans une société démocratique [DUDH, par. 29(2); pour en savoir davantage, consulter le Rapport d’activité du Rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction (2012) de l’Assemblée générale des Nations unies [A/67/303] (aux par. 17-21)].

 

3. Questions propres à l’accommodement des croyances

Bien que la notion d’accommodement ait surtout été développée dans le contexte des handicaps, son application au contexte de la croyance n’est pas nouvelle. La croyance soulève des questions particulières en matière d’accommodement, en partie en raison de la nature spécifique de la religion et de la croyance en tant que forme et source de différences sociales. Par exemple, les pratiques et observances liées à la croyance, et surtout à la religion, incluent typiquement des dimensions et formes d’expression collectives pouvant aller à l’encontre des normes et principes d’accommodement généralement acceptés (p. ex. l’accommodement repose sur une évaluation individuelle), adoptés dans le contexte des handicaps (voir la section V. 3.2 pour en savoir davantage sur cette question).

Cette dernière section du document présente des questions d’accommodement et formes d’analyse propres au contexte de la croyance, ainsi que des ambiguïtés et sources de tension parfois associées à des questions comme l’évaluation de la sincérité de la croyance et l’existence d’une croyance ou de pratiques liées à la croyance dignes de protection. On y examine aussi les questions et défis inhérents à l’accommodement des modes d’expression collective de la croyance.

3.1. Dimensions particulières de la croyance : points de vue sur le motif

Un des caractères distinctifs de la croyance réside dans son potentiel de mutabilité, c’est-à-dire son enracinement dans des convictions et identités subjectives qui la distinguent des autres motifs de discrimination interdits, moins variables (voire immuables). Pour certaines personnes, cette mutabilité de la croyance et de la religion, c’est-à-dire leur dimension de choix conscient par opposition à un caractère involontaire, fait que l’intolérance à leur égard est de bonne guerre. En attirant plus spécifiquement l’attention sur la façon dont la dimension de choix de la conviction religieuse peut miner la volonté de fournir des mesures d’adaptation à la croyance, un participant au dialogue stratégique de la CODP a émis le commentaire suivant :

L’accommodement religieux est perçu différemment des autres types d’accommodement parce que les gens pensent que la croyance est un « choix », plutôt que d’un besoin. Ou, je « choisis » de faire les choses de cette façon, mais j’ai aussi « besoin » de faire les choses de cette façon[409].

Certains poussent cette logique plus loin en affirmant que la religion et la croyance ne devraient pas bénéficier du même degré de protection juridique que d’autres motifs comme le sexe, la race ou l’orientation sexuelle, précisément parce que ces dernières formes de différences sociales sont largement prescrites et involontaires plutôt que le résultat d’un choix[410], comme c’est le cas pour la croyance. Il est important de noter que les tribunaux ont clairement rejeté, comme justification des comportements discriminatoires, l’argument selon lequel une personne peut éviter de faire l’objet de discrimination ou d’intolérance en modifiant ses comportements et en effectuant des choix différents (voir la décision récente de la Cour suprême du Canada dans Québec (Procureur général) c. A[411]. Consulter également la Politique sur les droits de la personne contradictoires de la CODP pour obtenir plus de renseignements sur la position opposée, et en grande partie retenue par les tribunaux, selon laquelle il n’existe « aucune hiérarchie des droits » au Canada).

Un autre participant au dialogue stratégique de 2012 faisait remarquer que les convictions religieuses et croyances peuvent se heurter à plus d’opposition et d’hostilité que les autres motifs de discrimination interdits et entrer davantage en conflit avec les identités et convictions d’autrui, ou du moins causer plus de difficultés à cet égard. Rappelant l’importance de tenir compte des différences clés entre l’accommodement de la religion et celle du handicap, il affirmait : 

En contexte social, il n’est pas toujours possible de comparer le handicap et la religion étant donné que la religion de certains met ouvertement en question le mode de vie d’autres personnes, par exemple leur orientation sexuelle […] De plus, nous ne pouvons pas faire fi du fait que certaines personnes détestent la religion d’autrui […] Les autres catégories de motifs ne soulèvent pas toujours ces questions. Par exemple, la population s’entend généralement sur le fait qu’il faille rendre la société accessible aux personnes handicapées. En revanche, la religion bouscule les convictions des gens, qui ne sont pas toujours prêts à faire ce genre d’accommodement[412].

3.2. Accommodement des croyances collectives : accommodement des besoins du groupe

La croyance a aussi pour aspects particuliers sa dimension collective et le fait qu’elle constitue une forme éventuelle d’expression[413]. Cela est particulièrement vrai dans le cas des croyances religieuses. Or, un principe des droits de la personne largement accepté, surtout dans le contexte du handicap, veut qu’on doive parfois personnaliser les mesures d’adaptation pour assurer un traitement équitable, c’est-à-dire procéder à une évaluation individuelle (au cas par cas) des besoins de la personne en matière d’accommodement. Ce principe général peut être difficile à respecter dans le contexte de l’accommodement de la croyance, lorsqu’on doit prévoir des mesures d’adaptation aux actes d’adoration et observances rituelles qui répondent aux « besoins du groupe ». L’accommodement des actes d’adoration collectifs, comme on a pu le voir récemment dans une école intermédiaire de Toronto, en est un exemple[414].

Certains participants aux consultations soutenaient que, par définition, l’accommodement est nécessairement de nature individuelle et ne devrait pas s’étendre aux observances de groupes ou actes d’adoration collectifs (en raison du risque de contrevenir aux droits et besoins individuels). Cependant, l’analyse sur l’« accommodement systémique » selon les besoins du groupe présentée plus tôt montre qu’il n’est pas nécessaire d’envisager l’accommodement seulement du point de vue des besoins individuels. Même dans le contexte du handicap, il existe de nombreux exemples de mesures d’adaptation individuelles pouvant bénéficier à l’ensemble d’un groupe (par exemple, l’annonce verbale des arrêts des transports en commun pour les personnes ayant des handicaps visuels).

Malgré tout, les efforts déployés pour assurer une conception inclusive qui ne privilégie ou ne désavantage pas un membre quelconque de la communauté de croyance peuvent soulever des questions difficiles. La mise à jour de la Politique sur la croyance de la CODP devra fournir des directives aux organisations qui devront assurer l’accommodement d’une observance collective liée à la croyance.

Les organisations tenues de concevoir et de fournir une mesure d’adaptation
à une croyance collective doivent prendre en compte plusieurs éléments et principes, comme :

  • le maintien d’un environnement libre de contraintes en matière de religion et de convictions[415]
  • le respect et l’accommodement équitables de différentes convictions (sans en privilégier ou désavantager, ni sanctionner ou condamner aucune)
  • l’application du processus le plus inclusif possible en consultant le plus de parties touchées possible au moment de procéder à la conception inclusive ou à l’accommodement systématique des « besoins du groupe »
  • la prise en compte et la conciliation de tout droit contradictoire (conformément à la Politique sur les droits de la personne contradictoires de la CODP)
  • la prise en compte des différences internes du groupe en matière de besoins d’accommodement
  • la prise en compte des facteurs, lois et politiques propres au secteur/contexte.

La question suivante peut également être soulevée et devra être prise en considération dans le cadre de la mise à jour de la politique du CODP :

  • Dans quelle mesure les fournisseurs de mesures d’adaptation peuvent ou devraient-ils réglementer et surveiller les pratiques internes et observances collectives des communautés de croyance, et intervenir à ce chapitre, le cas échéant, s’il y a une possibilité que ces pratiques et observances contreviennent aux principes des droits de la personne ou idéaux d’égalité? 

Les membres individuels des communautés de croyance ont le droit de s’associer et de pratiquer un culte en groupe, généralement de la manière qu’ils jugent convenable, pourvu qu’ils puissent librement adhérer à la communauté en question et la quitter, conformément aux droits et mesures de protection de la liberté de religion et d’association prévus dans la Constitution. La jurisprudence actuelle laisse généralement entendre que les organisations ne devraient pas porter atteinte aux observances collectives des communautés de croyance. Cependant, dans le cas des observances collectives faisant l’objet d’un accommodement dans l’espace public, les organisations pourraient devoir garder un œil sur les droits contradictoires éventuels et mettre en place les mesures d’adaptation les plus susceptibles de respecter et promouvoir les droits de toutes les parties (pour en savoir davantage sur la conciliation des droits contradictoires, consulter la Politique sur les droits de la personne contradictoires de la CODP).

De plus, la Politique sur la croyance contient une disposition qui, dans les faits, annulerait les mesures de protection juridiques accordées aux « religions qui incitent à la haine ou à la violence », et (ou) aux « pratiques et observances qui prétendent avoir un fondement religieux, mais qui contreviennent aux normes internationales en matière de droits de la personne ou même au code criminel ». Les effets de cette disposition devront être examinés dans le contexte de la mise à jour actuelle de la politique.

3.3 Établir l’existence d’une croyance

Dans la plupart des cas, il ne sera pas nécessaire ou raisonnable de s’interroger sur l’existence d’une croyance entraînant une obligation d’accommodement[416]. Cependant, si un doute demeure au moment du dépôt d’une demande d’accommodement, le fournisseur éventuel des mesures d’adaptation pourrait devoir déterminer s’il existe bel et bien une conviction ou une pratique sincère digne d’accommodement aux termes de la loi.

Bien qu’il n’existe aucune formule prédéterminée indiquant si l’on devrait établir l’existence d’une croyance avant ou après l’établissement de la sincérité de la conviction, la question peut devoir être posée : La personne revendiquant des droits adhère-t-elle à une croyance protégée aux termes du Code?

La jurisprudence indique clairement que la perception subjective et personnelle de tout demandeur à l’égard de ses croyances est ce qui importe, par opposition aux obligations réelles de la foi ou aux convictions et pratiques de ses autres adeptes. La Politique sur la croyance de 1996 de la CODP affirme ce point à plusieurs reprises, en indiquant par exemple que « des personnes peuvent [de façon légitime] demander des mesures d’adaptation pour des pratiques ou observances religieuses qui ne correspondent pas à des doctrines établies, ou elles peuvent demander une adaptation pour observer une pratique qui n’est pas observée par tous les membres de la croyance »[417]. Même si elle n’a aucune valeur exécutoire devant les tribunaux judiciaires ou le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario, la définition que la CODP donne à la croyance dans sa politique mise à jour aura une influence sur ce qui pourrait être qualifié de croyance au sens du Code. Il existe également d’autres critères « objectifs » que peuvent utiliser les organisations au moment de chercher à établir l’existence d’une croyance (p. ex. son lien avec un système de convictions exhaustif et tout englobant), comme l’indique la section sur la définition de la croyance (voir en particulier la section IV 1.1, tout en gardant à l’esprit que la CODP n’a pas terminé d’établir et de clarifier les critères possibles).

3.4. Observances par opposition à pratiques

L’établissement d’une distinction entre les éléments fondamentaux et périphériques d’une religion ou d’une croyance peut être d’autant plus complexe que la jurisprudence canadienne affirme généralement qu’une pratique peut faire l’objet de mesures d’adaptation malgré le fait qu’elle ne constitue pas une « obligation », un « acte d’adoration » ou une « exigence de la foi », contrairement aux tendances observées en Europe, où l’on maintient une plus grande distinction entre les « observances » et les « pratiques »[418]. Compte tenu des distinctions observées sur la scène internationale entre les pratiques et les observances[419], la CODP pourrait vouloir réexaminer son maintien de la terminologie existante et du recours au terme « observances » dans le titre de sa politique actuelle de 1996 (Politique sur la croyance et les mesures d’adaptation relatives aux observances religieuses). La politique ne définit pas le terme « observances » et ne fait aucune distinction notable entre les observances et les pratiques. Une des seules mentions du mot se trouve dans la définition de croyance, soit « un système reconnu et une confession de foi, comprenant à la fois des convictions et des observances ou un culte » (p. 4; italiques ajoutés).

Cependant, la distinction entre les pratiques associées à une croyance et les observances imposées par une croyance peut ne pas être particulièrement significative devant les tribunaux du pays en raison de l’approche subjective adoptée dans la décision Amselem (selon laquelle il n’est pas nécessaire qu’une pratique soit imposée « officiellement » pour être digne de protection aux termes de la loi).

3.5 Application des analyses de la Charte au contexte du Code

On trouve dans la jurisprudence, et plus particulièrement la jurisprudence prise en application de l’article 1 et du paragraphe 2(a) de la Charte, des appuis à l’idée de restreindre plus étroitement les pratiques religieuses dignes de protection juridique aux seules observances religieuses fondamentales. Comme nous l’indiquions précédemment, les décisions jurisprudentielles prises en application du paragraphe 2(a) indiquent que les atteintes « négligeables ou insignifiantes » au droit à la liberté de religion constituent des atteintes ne menaçant pas véritablement une croyance ou un comportement religieux[420]. De façon similaire, selon les critères Oakes établis aux termes de l’article 1 de la Charte, la limitation d’une liberté ou d’un droit constitutionnel (comme la liberté de religion) peut être jugée appropriée si on peut montrer : (i) que la restriction d’un droit a pour but d’atteindre un objectif urgent et réel; (ii) qu’il y a un lien rationnel entre la mesure juridique choisie et l’objectif visé et, enfin, (iii) que l’atteinte au droit ou à la liberté en cause est minimale (italiques ajoutés)[421].

Les penseurs du milieu juridique soulignent que les tribunaux supérieurs font de plus en plus appel aux restrictions prévues à l’article 1 dans les causes relatives aux droits religieux[422]. Certains y voient le résultat de la définition hautement subjective de la religion établie dans Amselem, qui réduit considérablement la portée éventuelle des limites internes (« objectives ») applicables à ce droit. Beaucoup soutiennent que les critères Oakes de restriction des droits aux termes de l’article 1 de la Charte ouvrent la porte à une interprétation large et, du moins dans leur application aux affaires de liberté de religion traitées jusqu’à présent, n’ont pas opéré la même force de promotion de l’égalité réelle que les analyses de l’accommodement menées dans le contexte des lois relatives aux droits de la personne. Selon certains analystes, les tribunaux appelés à présider des causes relatives aux droits religieux comme Wilson Colony[423] et R. v. Badesha [424] ont « adopté dans la pratique une norme de justification très faible aux termes de l’article 1 de sorte que le droit ne protège que des formes limitées de libertés »[425]. Ces deux décisions semblent donner à penser qu’aux termes de la Charte, une atteinte aux droits religieux d’une personne ne sera jugée importante que dans la mesure où la personne se trouvait obligée de choisir entre la participation à une activité (p. ex. conduire une voiture ou une motocyclette) et sa religion[426]. Dans de telles décisions, l’apparente absence de toute exigence d’examen des façons d’assurer une conception plus inclusive ou d’atteindre les objectifs législatifs[427], dans le but de promouvoir l’égalité réelle, illustre les tensions et inconvénients éventuels d’une simple importation des analyses sur l’atteinte minimale effectuées aux termes de la Charte dans la jurisprudence relative aux droits de la personne en matière de croyance (voir la section IV 2.1.4 pour en savoir davantage sur la relation Code-Charte).

Si les analyses menées aux termes de la Charte ont tendance à mettre l’accent sur les libertés individuelles et à permettre une interprétation plus large de ce qui constitue une atteinte minimale, l’approche axée sur les droits de la personne, en revanche, met l’accent sur les objectifs de l’égalité, de l’accès équitable aux biens, avantages et services de la société, et à leur pleine jouissance en imposant une obligation d’accommodement jusqu’au point de préjudice injustifié[428].

3.6 Religions qui incitent à la haine ou à la violence ou contreviennent au droit international en matière de droits de la personne

Une autre des restrictions aux droits liés à la croyance provient de la limite établie dans la Politique sur la croyance de 1996 de la CODP à la portée de la croyance. Selon la politique, la croyance ne s’étend pas :

  • aux religions qui incitent à la haine ou à la violence contre d’autres groupes ou personnes
  • aux pratiques et observances qui prétendent avoir un fondement religieux, mais qui contreviennent aux normes internationales en matière de droits de la personne ou même au code criminel (p.5).

Cette question pourrait devoir être éclaircie dans la politique mise à jour.

Dans l’affaire Huang[429], le TDPO a rejeté l’argument selon lequel un système de croyances qui ne se conforme pas à la Charte devrait être rejeté. Le TDPO a fait une distinction entre le fait d’exclure la religion dans son ensemble et celui d’imposer des limites à la pratique de la religion lorsque cela peut causer des torts à autrui (aux par. 31-32) :

Autrement dit, les valeurs de la Charte sont pertinentes lorsqu’il s’agit de déterminer la portée de la liberté de religion protégée aux termes de lois constitutionnelles ou quasi constitutionnelles. Il n’est cependant pas approprié d’exclure de la portée du Code un système de croyances qui pourrait ne pas se conformer à la Charte.

À mes yeux, il existe une différence entre l’établissement de limites sur l’exercice d’une liberté de religion parce qu’elle porte atteinte aux droits d’autrui et le refus d’étendre la notion de « croyance » à un mouvement religieux parce que certaines des convictions qu’il véhicule peuvent ne pas cadrer avec les valeurs exprimées dans la Charte.

3.7. Établir le niveau de sincérité de la croyance

« Dans la pratique, les gens sont souvent obligés d’obtenir la confirmation de leurs besoins en matière d’accommodement spirituel auprès d’autorités quelconques. Dans un de mes cas récents par exemple, une entreprise de limousines exigeait d’un chauffeur qu’il se rase la barbe. Quand l’employé a refusé, l’entreprise lui a montré du doigt d’autres chauffeurs sikhs ayant acquiescé à sa demande. Elle l’a aussi sommé d’obtenir une lettre d’un prêtre s’il voulait avoir gain de cause. Ce genre de situations survient aussi en milieu scolaire, où les enfants qui veulent porter le kirpan se font encore prier d’apporter une lettre d’un prêtre. Nous devons faire en sorte que la nouvelle politique sur la croyance indique clairement que ce sont les convictions spirituelles individuelles et la sincérité de la croyance qui importent. Ce n’est pas comme cela que ça marche sur le terrain. »

– Balpreet Singh Bopari, présentation effectuée lors du dialogue stratégique sur la croyance de 2012

En ce qui concerne les requêtes relatives à la liberté de religion déposées aux termes du paragraphe 2(a) de la Charte, la Cour suprême a confirmé que la perception subjective et personnelle de tout demandeur à l’égard de sa religion est ce qui importe, et pas les obligations réelles de la foi ni les croyances et les pratiques des autres membres de la même confession. D’expliquer le tribunal, il a adopté cette définition subjective de la religion afin de ne pas ouvrir la porte à des débats théologiques. Les décisions prises en application du Code ont aussi confirmé l’approche subjective adoptée en matière de croyance, et l’attention correspondante portée à la sincérité de la croyance[430].

Au moment d’évaluer la sincérité de la croyance d’une personne, les organisations peuvent chercher à établir « que la croyance religieuse invoquée est avancée de bonne foi, qu’elle n’est ni fictive ni arbitraire et qu’elle ne constitue pas un artifice »[431]. Un des principes généralement reconnus dans la jurisprudence relative à l’accommodement du handicap veut que l’on présume que la revendication est sincère et effectuée de bonne foi, à moins qu’on ait une raison de croire le contraire (par exemple, historique d’allégations fausses ou vexatoires). Il reste à examiner comment et dans quelle mesure, le cas échéant, cette norme de « bonne foi » par défaut s’applique dans le contexte de l’accommodement de la croyance.

Selon les décisions rendues jusqu’à présent, les organisations pourraient être en droit d’examiner la sincérité et la crédibilité des revendications d’un requérant relativement à ses besoins en matière d’accommodement[432]. Ce faisant cependant, il n’est pas convenable de présumer qu’une personne n’ayant pas suivi les règles de sa croyance par le passé, ou ayant fait certaines exceptions à ce chapitre, n’a pas aujourd’hui de croyance valide ou sincère. Comme l’indique la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans R. c. N.S. : « [l]a perfection passée n’est pas une condition préalable à l’exercice du droit constitutionnel à la liberté de religion »[433]. La décision de la Cour suprême du Canada dans R. c. N.S. confirmait ce point, en ajoutant que la « force de la croyance » et la « sincérité de la croyance » sont deux questions distinctes[434]. Et bien que la « constance de la pratique religieuse » puisse servir de critère de détermination de la sincérité de la pratique, comme l’établit la jurisprudence, les organisations doivent tenir compte de la place croissante qu’occupent l’éclectisme, l’individualisme et le syncrétisme dans la conduite de la société contemporaine en matière de croyance et de religion (dans la section III. 1.2 sur l’historique de la croyance)[435]. Bien qu’il ne s’agisse pas, en soi, d’un facteur déterminant suffisant, il pourrait être possible de confirmer partiellement la sincérité de la croyance et établissant l’existence objective de la croyance et d’une communauté correspondante d’adeptes, à laquelle le requérant appartient de toute évidence. 

Compte tenu du critère central d’affirmation de l’existence d’un droit relatif à la croyance que constitue la sincérité de la croyance, le processus de mise à jour de la politique devra inclure l’examen des principes et des lignes directrices d’évaluation de la sincérité de la croyance, comme le réclament souvent les organisations.

3.8 Congés pour observances religieuses

Lorsqu’une personne demande un congé à son employeur pour observer une fête religieuse, ce dernier doit tenir compte de ses besoins. Si l’obligation de l’employeur de fournir des mesures d’adaptation sous forme de congés pour l’observance de la prière, du sabbat et des fêtes religieuses a été confirmée à maintes reprises, il a été plus difficile de déterminer si ces congés doivent être payés. La portée de la mesure d’adaptation exigée est une question qui revient souvent : dont-on offrir un congé payé? Jusqu’à quel point? Pourrait-on offrir un congé sans solde?

La Politique sur la croyance de 1996 de la CODP a établi les principes généraux suivants, fondés sur la jurisprudence qui existait à l’époque (et reposait principalement sur Chambly)[436] :

  1. Un employeur a le devoir de considérer et d’accepter les demandes de congés pour observances religieuses, y compris les congés payés, à moins qu’une telle mesure lui cause un préjudice injustifié.
  2. Le principe de l’égalité de traitement exige, à tout le moins, que les employés aient droit à des congés payés pour observances religieuses, jusqu’à concurrence du nombre de jours de congé chrétiens qui sont considérés comme jours fériés, soit deux jours (Noël et le Vendredi saint).
  3. Le nombre de congés payés peut être de trois en vertu de certaines conventions collectives qui reconnaissent aussi le lundi de Pâques comme un congé payé.
  4. Au-delà de ces mesures, soit l’octroi de deux ou de trois jours, les personnes concernées peuvent demander d’autres mesures d’adaptation. Par exemple, ces mesures peuvent inclure des congés payés additionnels comme les congés mobiles ou des congés pour raisons personnelles, si de telles dispositions existent dans la convention collective ou la politique de la compagnie, ou des congés non payés.
  5. Le critère de préjudice injustifié s’applique à toutes les demandes d’adaptation, et c’est à l’employeur qu’il incombe de montrer les effets du préjudice causé et de prouver à quel point le préjudice est injustifié[437].

Ces principes reposent en grande partie sur l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Chambly [438]. Dans cette affaire, le tribunal a examiné la demande d’enseignants juifs voulant se prévaloir d’une disposition de la convention collective prévoyant des congés spéciaux payés qui leur aurait donné droit à un congé payé pour Yom Kippur. L’employeur leur a dit qu’ils pouvaient prendre le congé sans rémunération[439]. La Cour a observé que les fêtes religieuses chrétiennes de Noël et du Vendredi saint étaient prévues au calendrier scolaire. Les employés chrétiens pouvaient donc observer leurs fêtes religieuses avec rémunération. Les enseignants juifs, dont ce n’était pas le cas, subiraient en revanche un effet discriminatoire à moins qu’une mesure d’adaptation ne soit offerte par l’employeur.[440] Dans ce cas précis, il n’était pas possible d’offrir une adaptation en modifiant l’horaire de travail puisque les enseignants ne peuvent travailler que lorsque les écoles sont ouvertes et que les élèves sont en classe. Par conséquent, l’employeur était tenu d’offrir des congés payés.

Les décisions subséquentes n’ont pas conclu que l’arrêt Chambly obligeait tous les employeurs à fournir aux autres employés le même nombre de congés payés qu’aux employés chrétiens. Dans l’affaire Ontario (Ministry of Community and Social Services) v. Grievance Settlement Board[441], la Cour d’appel de l’Ontario a examiné le grief d’un membre de l’Église universelle de Dieu qui demandait 11 jours de congé payés par année pour des fêtes religieuses. La politique de l’employeur accordait deux jours de congés payés aux employés et leur permettait d’honorer le reste de leurs obligations religieuses en modifiant leur horaire de travail. L’employeur a fait à l’employé diverses propositions d’accommodement de ses besoins en matière d’observance religieuse, mais ce dernier les a toutes refusées sous prétexte qu’il avait droit à 11 jours de congé payés.

La Cour d’appel a conclu que la politique de l’employeur respectait bien son obligation d’accommodement. Les options de réaménagement de l’horaire prévues dans la politique constituaient « une mesure d’adaptation viable pour les employés qui avaient besoin de congés supplémentaires au-delà des deux jours déjà prévus. Elles leur permettaient d’aménager leurs heures de travail de manière à leur éviter d’avoir à choisir entre la perte de salaire ou l’utilisation d’avantages déjà gagnés [soit les jours de vacances accumulés], d’une part, et l’observance de leurs fêtes religieuses, d’autre part. »

La Cour d’appel a souligné que dans l’affaire Chambly[442], la Cour suprême avait trouvé important le fait qu’il était impossible pour un enseignant de reprendre un congé pris pour une fête religieuse en travaillant un autre jour. Elle a donc conclu que les employeurs pouvaient satisfaire à leur obligation d’accommodement en offrant un réaménagement approprié de l’horaire de travail, sans devoir au préalable prouver que le fait d’accorder un congé payé entraînerait un préjudice injustifié de nature économique ou autre.

Dans l’affaire Markovic v. Autocom Manufacturing Ltd.[443], le TDPO s’est penché sur le cas d’un employeur n’ayant pas offert à un employé le nombre (2) de jours de congé payés correspondant à ceux prévus pour les fêtes religieuses chrétiennes. La politique de l’employeur offrait plutôt une gamme de mesures d’adaptation, comprenant la possibilité de reprendre le temps, de changer de quart avec un autre employé, de travailler un jour férié laïque lorsque l’entreprise est ouverte (sous réserve de la Loi sur les normes de travail), de réaménager l’horaire des quarts, d’utiliser des jours de vacances ou de prendre un congé sans solde. Selon M. Markovic le refus d’Autocom de lui accorder un congé payé pour célébrer la fête de Noël selon le rite de l’Église orthodoxe serbe était discriminatoire.

Le TDPO a conclu qu’en offrant un processus permettant aux employés de prendre des dispositions pour avoir congé afin d’observer des fêtes religieuses au moyen d’options d’aménagement de leur horaire, sans perte de salaire, l’employeur avait établi une politique appropriée et non discriminatoire. Le TDPO a conclu que les circonstances étaient différentes de celles de l’affaire Chambly (arrêt de la Cour suprême), qui ne permettaient pas la modification de l’horaire en raison de la nature du milieu de travail [école] et qui mettait en scène un employeur d’avis que les trois jours de congé spéciaux payés prévus par la convention collective ne pouvaient pas être utilisés à des fins d’observance religieuse.

Cependant, le TDPO a observé dans Markovic[444] que les options d’aménagement de l’horaire prévues pourraient ne pas convenir à certaines personnes et qu’il faudrait, en pareil cas, explorer d’autres mesures d’adaptation. Ce faisant, il a laissé ouverte la possibilité que l’on doive prévoir un congé payé dans certaines circonstances.

Dans Koroll v. Automodular Corp, le TDPO a également affirmé le bien-fondé de permettre aux employeurs de remplir leur obligation d’accommodement au moyen d’une variété de mesures autres que des congés payés, surtout dans les milieux de travail disposant d’horaires souples[445]. Dans ces affaires, le TDPO semble avoir laissé entendre qu’il ne jugera pas qu’il y a eu discrimination par suite d’un effet préjudiciable tant que la recherche de solutions permet à l’employé touché de prendre un congé à des fins d’observance d’une fête religieuse sans subir de conséquences défavorables importantes sur le plan de l’emploi (y compris une perte de salaire). Cependant, la détermination de ce qui constitue une conséquence défavorable sur le plan de l’emploi (équivalente à de la discrimination par suite d’un effet préjudiciable) est très peu circonscrite.[446] Cette question devra être examinée et clarifiée dans le cadre de la mise à jour de la politique.


 

[409] Présentation de Balpreet Singh effectuée le 13 janvier 2012 dans le cadre du dialogue stratégique de la CODP sur la croyance.

[410] À l’opposé, Meer et Modood (2010, p. 82) affirment ce qui suit, en s’appuyant sur l’exemple spécifique des musulmans au Royaume-Uni : «  [Cette position] fait cependant fi [...] du fait que les gens ne choisissent pas de naître ou non dans une famille musulmane. De façon similaire, personne ne choisit de naître au sein d’une société où le fait d’être musulman ou de ressembler à un musulman occasionne des soupçons ou de l’hostilité, qui s’apparentent logiquement au genre de discrimination raciale dont font l’objet d’autres minorités. »

[411] Québec (Procureur général) c. A., 2013 CSC 5.

[412] Présentation de Nadir Shirazi effectuée le 13 janvier 2012 dans le cadre du dialogue stratégique de la CODP sur la croyance.

[413] La Cour suprême du Canada a reconnu l’aspect communal et collectif des droits religieux dans plusieurs décisions, y compris Hutterian Brethren, supra, note 235. Dans cette note, le juge LeBel, en position minoritaire, affirme aux par. 181-2 :

« [La liberté de religion, c’est] d’établir et de maintenir une communauté, liée par une même foi, qui partage une vision commune [...] La religion a trait aux croyances religieuses, mais aussi des rapports religieux [...] [cette cause] soulève des questions sur [...] le maintien des communautés organisées autour d’une même foi (non souligné dans l’original; cité dans Schutten, 2012).

[414] Fréquentée par une majorité d’élèves musulmans, l’école en question avait pris des mesures pour assurer la prière collective du vendredi dans sa cafétéria pour une variété de raisons ayant trait à la sécurité, à l’inclusion et à la prévention de l’absentéisme.

[415] Les tribunaux ont reconnu un continuum de ce qui peut constituer de la « pression » dans les milieux scolaires et autres fréquentés par les enfants et les jeunes, qui sont plus impressionnables et vulnérables à la pression sociale. La pression exercée en matière de religion, dans ce contexte, peut prendre des formes plus indirectes. 

[416] L’obligation d’accommodement comporte à la fois des dimensions procédurale et de fond. Bien que l’obligation matérielle fasse référence à la mesure d’adaptation demandée ou fournie, qui doit satisfaire de façon appropriée les besoins réels de la personne, l’obligation procédurale d’accommodement est tout aussi importante. Elle oblige les fournisseurs et demandeurs de mesures d’adaptation à participer à un processus visant à déterminer ce qui est approprié. Une organisation peut manquer à son obligation d’accommodement uniquement pour avoir fait fi de son obligation procédurale d’explorer, de bonne foi, la demande et les possibilités connexes, même lorsque l’accommodement matériel est jugé non approprié. En outre, un demandeur de mesures d’adaptation peut voir sa requête rejetée pour n’avoir pas pris part au processus d’accommodement (conformément à l’obligation procédurale), même lorsque l’accommodement matériel est jugé approprié. Par exemple, consulter l’affaire Daginawala v. SCM Supply Chain Management Inc., (2010 OHRT 205 (CanLII)), mettant en scène un employé n’ayant pas donné de préavis suffisant de sa demande de congé à des fins religieuses. Dans cette affaire, le TDPO a conclu que le requérant n’avait pas informé son employeur qu’il avait besoin de quatre heures de congé non payé en lui donnant un préavis suffisant pour lui permettre de trouver quelqu’un pour le remplacer. L’employé avait donné un préavis d’environ 72 heures et l’employeur avait ordinairement autorisé le congé lorsqu’il avait reçu un avis suffisant.

[417] Page 18 (note de bas de page 20).

[418] Cela se reflète dans des causes controversées traitées par des tribunaux européens (y compris en Angleterre, en Italie et dans le reste de l’UE) et dans le cadre desquelles des chrétiens ont appris que la protection juridique du droit à la liberté de religion ne leur donnait pas le droit de porter une croix en milieu de travail étant donné qu’il ne s’agissait pas d’une « observance » exigée par leur religion (mais plutôt une simple pratique en lien avec cette religion) (voir Donald, 2012). Cependant, dans sa récente décision judiciaire potentiellement jurisprudentielle portant sur le cas d’une employée d’accueil de la British Airways à qui l’on avait empêché de porter une croix au travail, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a conclu que le transporteur avait indûment restreint le droit de l’employée d’exprimer sa religion (consulter l’article sur cette affaire paru dans les médias et intitulé Cross ban did infringe BA worker's rights, Strasbourg court ruleswww.guardian.co.uk/law/2013/jan/15/ba-rights-cross-european-court).

[419] À propos des « symboles religieux », un rapport (2006) de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies intitulé Report on Civil and Political Rights Including the Question of Religious Intolerance et soumis par la Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion ou de conviction, Asma Jahangir, fait état d’une distinction établie par certains entre une observance, qui fait référence aux « prescriptions inévitablement liées à la religion ou aux convictions et protègent à la fois le droit de poser certains gestes et le droit de s’abstenir d’en poser d’autres » et une pratique, qui fait référence à une manifestation « non pas prescrite, mais seulement autorisée par une religion ou une conviction » (E/CN.4/2006/5). Bien que certains États n’étendent leur protection qu’aux observances, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies (et plus précisément Rosalind Higgins) a indiqué qu’il n’incombait ni au comité ni à ses États membres de déterminer ce qui représentait ou non une manifestation de la religion ou une conviction religieuse véritable (discussion du Comité des droits de l’homme des Nations Unies du 24 juillet 1992, Summary Records of the 1166th meeting of the forty-fifth session, au par. 48).

[420] R v. Badesha, supra, note 387.

[421] Haboucha (2010). L’article 1 de la Charte, connu aussi sous le nom de « clause des limites raisonnables », prévoit restreindre les droits constitutionnels (y compris les droits à la liberté de religion et de conscience prévus au paragraphe 2(a) et droits à l’égalité religieuse prévus à l’article 15) à ce qui est jugé « raisonnable » et dont la « justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ». Le libellé exact des critères utilisés pour déterminer
de telles « limites raisonnables » a été mis de l’avant dans R. c. Oakes. Pour justifier une telle contravention de la Charte, le gouvernement doit démontrer :

  1. qu’il existe un objectif gouvernemental urgent et réel
  2. que les moyens utilisés pour atteindre l’objectif sont proportionnels, ce qui signifie :
    1. qu’il doit exister un lien logique entre l’objectif visé et les moyens
    2. que l’atteinte aux droits doit être minimale
    3. qu’il doit y avoir proportionnalité entre les effets préjudiciables des mesures et l’objectif

(R. c. Oakes, supra, note 176).

[422] Voir par exemple Bhabha (2012) et Moon (2012a).

[423] Dans Hutterian Brethren, supra, note 235, la Cour suprême du Canada a conclu que les huttérites
qui ne croient pas, pour des motifs d’ordre religieux, que leurs photos doivent servir à des fins d’identification, doivent néanmoins respecter une loi provinciale pour des raisons en lien avec l’importance, pour l’intérêt public, de confirmer l’identité sur les permis de conduire. L’arrêt a été rendu par une faible majorité, trois juges sur sept étant dissidents. (Benson, 2012, p.23). Dans cette affaire, la Cour suprême a conclu que les huttérites demeuraient « libres » de mettre en pratique les principes fondamentaux de leur religion par suite de la décision du tribunal. Ils n’ont tout simplement pas (« à juste titre » selon l’analyse du tribunal prise en application de l’article 1 de la Charte) un accès égal à la conduite d’un véhicule et, par conséquent une mobilité égale, puisqu’ils se verraient refuser, dans la pratique, le permis de conduire en raison de leur objection de conscience à caractère religieux à la prise de photos à des fins d’obtention du permis.

[424] Supra, note 387. R. v. Badesha portait sur la contestation, par un homme sikh, d’une loi ontarienne qui oblige le port du casque de protection pour conduire une motocyclette. M. Badesha soutenait qu’il ne pouvait pas porter de casque en raison de ses croyances religieuses profondes en la nécessité de porter le turban. Le tribunal a conclu que l’atteinte aux droits religieux de M. Badesha découlant du fait qu’il ne pouvait pas conduire une motocyclette était négligeable et insignifiante, et qu’elle n’enfreignait donc pas le paragraphe 2 (a) de la Charte. Le tribunal a souligné que la limite imposée avait un effet sur sa capacité de conduire une motocyclette de la façon dont il voulait, non sur son droit de s’adonner au culte ou de mettre en pratique les croyances liées à sa religion. Conduire tout type de véhicule est un privilège et non un droit. Le juge a également pris en compte une analyse menée aux termes de l’article 1 de la Charte pour conclure que la loi sur le port obligatoire du casque protecteur était justifiée.

[425] Moon (2012a). Par exemple, dans R. v. Badesha, supra, note 387, le tribunal a conclu que le plaignant conservait la liberté de pratiquer sa religion sikhe, mais n’avait pas « à juste titre » droit d’accès à la grande variété d’options en matière de transport offertes aux autres citoyens, étant donné que cela constituait un privilège et non un droit. Cette détermination, effectuée dans le présent cas et dans Hutterian Brethren, supra, note 235, semble reposer en partie sur l’argument selon lequel les personnes visées disposaient d’autres options en matière de transport et conservaient la liberté de pratiquer leur religion, ce qui rendait l’atteinte non substantielle. Par exemple, M. Badesha pouvait conduire une voiture (ce qui n’exige pas le port d’un casque) tandis que les huttérites pouvaient recourir à des modes de transport autres que la voiture, qui ne nécessitent pas de permis de conduire (voir Moon, 2012a pour obtenir une analyse critique de la faible norme de justification adoptée par les tribunaux dans ces affaires au moment d’interpréter l’article 1).

[426] “D’affirmer un participant au dialogue stratégique de janvier 2012 à propos des décisions Badesha (supra, note 387) et Hutterian Brethren (supra, note 235) : « Jusqu’où voulons-nous pousser ce genre d’analyse? C’est-à-dire qu’une personne peut toujours aller ailleurs si on lui refuse un service pour des raisons en lien avec un motif du Code. » Il a ensuite conclu en disant : « Je trouve ce genre d’analyse troublant ». 

[427] Par exemple, certains ont indiqué que l’on aurait pu relativement facilement atteindre les objectifs législatifs d’identification et de sécurité dans Hutterian Brethren (supra, note 235), et de santé et de sécurité dans Badesha (supra, note 387) à l’aide d’autres moyens (p. ex. empreintes digitales dans le cas de Hutterian Brethren) (voir Benson, 2012).

[428] Dans l’arrêt Hutterian Brethren, supra, note 235, la Cour suprême a explicitement rejeté la pertinence de l’« analyse de l’accommodement raisonnable » des droits de la personne effectuée dans le cadre des analyses prises en application de l’article 1 de la Charte sur la légitimité des lois portant atteinte à une pratique religieuse. Cette position a été reprise plus tard dans l’arrêt Badesha, (supra, note 387) de la Cour de justice de l’Ontario (consulter l’analyse plus poussée de l’arrêt Hutterian Brethren effectuée par Moon, 2012a). Selon l’exposé raisonné de la juge en chef McLachlin dans Hutterian Brethren : « La constitutionnalité d’une mesure législative au regard de l’article premier de la Charte dépend, non pas de la question de savoir si elle répond aux besoins de chacun des plaignants, mais plutôt de celle de savoir si la restriction aux droits garantis par la Charte vise un objectif important et si l’effet global de cette restriction est proportionné (Hutterian Brethren, au par. 69; cité dans Moon, 2012a). Dans R. v. Badesha, la Cour de justice de l’Ontario a noté que les analyses prises en application du Code de droits de la personne et portant sur l’accommodement et le préjudice injustifié ne s’appliquent pas à une analyse prise en application de l’article 1 et portant sur l’allégation qu’une loi contrevient à la Charte.

[429]Huang, supra, note 14.

[430] Voir R.C. v. Niagara District School Boardsupra, note 8, pour un article plus récent. Dans cette affaire, le TDPO a conclu que la politique (2010) du conseil scolaire du district de Niagara était discriminatoire parce qu’elle permettait uniquement la distribution, dans certaines circonstances, de « textes sacrés reconnus et adoptés à l’échelle mondiale » :

La tentative de restriction de la politique aux seuls « textes sacrés reconnus et adoptés à l’échelle mondiale » et non à du matériel secondaire était discriminatoire [...] La politique était discriminatoire parce que sa définition de « matériel acceptable » contrevenait au principe de l’égalité réelle en excluant le type de matériel qui est central à de nombreuses croyances. Le fait de restreindre la distribution à des textes sacrés ou fondamentaux exclut certaines croyances et, par conséquent, est discriminatoire. L’exigence portant sur la reconnaissance « à l’échelle mondiale » peut aussi avec pour effet d’exclure les croyances émergentes et non traditionnelles (au par. 68).

[431] Amselem, supra, note 15, par. 52.

[432] ibidem, par. 53.

[433] R. v. N.S. (2010), supra, note 393

[434] R. c. N.S. (2012), supra, note 183.

[435] Des recherches laissent entendre que bon nombre de personnes expriment maintenant leur religion ou croyance de façon très individuelle et sélective, en fondant leurs convictions et pratiques davantage sur des interprétations et expériences personnelles que sur des expressions institutionnelles ou des exigences de la foi. Cette personnalisation des convictions et pratiques a également contribué à une forme croissante d’éclectisme, dont l’appellation anglaise « Sheilaism » a été rendue célèbre par un sociologue américain. Cela signifie que les gens « se façonnent » un système de croyances personnalisé, pouvant varier selon le contexte, à partir de convictions et de pratiques issues de sources et de traditions de plus en plus diverses. Dans son article intitulé Dimorphs and Cobblers : Ways of Being Religious in Canada, William Closson James cite l’exemple de plus en plus courant d’un ami qui, faisant partie d’un couple juif-chrétien, fréquente à la fois la synagogue réformiste (où il était jadis coordonnateur de l’éducation aux adultes) et l’Église unie (où il est membre du comité d’approche). Le syncrétisme des croyances est particulièrement courant chez les adeptes de diverses religions asiatiques et les peuples autrefois colonisés, y compris les peuples autochtones du Canada, dont beaucoup ont développé des pratiques religieuses syncrétiques pouvant prendre des formes axées sur l’alternance situationnelle plutôt que la synthèse. Les personnes chargées d’évaluer la sincérité de la croyance selon les normes (judéo-chrétiennes) occidentales de la cohérence devront tenir compte de cette diversité afin de ne pas juger les gens en fonction de normes, comme l’exclusivisme, pouvant être spécifiques aux versions dominantes des religions monothéistes abrahamiques.

[436] Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] 2 RCS 525.

[437] ibidem, par. 14.

[438] ibidem

[439] ibidem. Le conseil scolaire a fondé son argument en partie sur le fait que les jours fériés payés qui coïncidaient avec Noël et le Vendredi saint n’étaient pas de nature expressément religieuse, mais plutôt laïque et, par conséquent, qu’il n’y avait pas de discrimination (étant donné qu’aucune distinction n’était faite et qu’aucun avantage ou congé n’était accordé en fonction directe de la religion). La Cour suprême a rejeté cette justification et conclu qu’il s’agissait de discrimination indirecte, nommée aussi discrimination constructive (ou par suite d’un effet préjudiciable).

[440] L’analyse suivante effectuée dans Chambly a mené le tribunal à conclure qu’il y avait eu discrimination par suite d’un effet préjudiciable (c’est-à-dire indirecte) (au par. 541) :

[...] le calendrier scolaire prévoit déjà les jours de fête chrétienne de Noël et du Vendredi saint. Cependant, les adeptes de la religion juive doivent prendre une journée de congé pour célébrer le Yom Kippour. Il s’ensuit inévitablement que le calendrier a un effet différent sur les enseignants de religion juive. À cause de leurs croyances religieuses, ces enseignants doivent prendre une journée de congé, alors que la majorité de leurs collègues ont leurs jours de fête religieuse reconnus comme jours de congé. En l’absence d’accommodement de la part de leur employeur, les enseignants de religion juive doivent perdre une journée de salaire pour observer leur jour de fête. Il s’ensuit que le calendrier scolaire a pour effet de faire preuve de discrimination envers les membres d’un groupe identifiable à cause de leurs croyances religieuses. Le calendrier ou l’horaire de travail a donc un effet discriminatoire.

Le tribunal a ensuite examiné la nature de la mesure d’adaptation qui serait nécessaire pour contrer ces effets négatifs. Il a rejeté l’opinion voulant que l’offre du conseil scolaire d’offrir un congé non payé était une adaptation suffisante. Monsieur le juge Cory a écrit :

S’il existait une condition de travail qui niait à tous les professeurs asiatiques une journée de salaire, on conclurait qu’il y a discrimination [...] Manifestement, la discrimination directe résultant en une perte de salaire serait intolérable et défierait les mesures législatives relatives aux droits de la personne. Les effets négatifs semblables découlant de cette discrimination et donnant lieu à la même perte ne peuvent être tolérés à moins que l’employeur ne prenne des mesures raisonnables pour répondre aux besoins des employés touchés. ibidem, au par. 542).

Le tribunal a conclu que le conseil aurait dû offrir des congés pour observances religieuses en vertu des dispositions de la convention collective relatives aux congés pour raisons spéciales puisque cela ne lui aurait pas causé de préjudice injustifié.

[441] 2000 CanLII 16854 (ON CA).

[442] Chambly, supra, note 436.

[443] 2008 OHRT 64 (CanLII).

[444] ibidem

[445] Koroll v. Automodular Corp. [114], 2011 OHRT 774 (CanLII). Dans cette affaire, un membre de l’Église du Dieu vivant a allégué que son employeur avait porté atteinte à ses droits en ne lui donnant pas de congé payé pour observer les sabbats annuels. Il a aussi allégué que le programme de reconnaissance de l’assiduité établi par l’employeur était discriminatoire à son endroit. Les employés ayant une parfaite assiduité recevaient une prime, à laquelle il ne pouvait avoir droit même si son assiduité était parfaite à l’exception des jours de sabbat où il ne pouvait travailler en raison de ses croyances religieuses. Le TDPO a adopté la même position que dans l’affaire Markovic et a rejeté la prétention du requérant selon laquelle il avait droit à des congés payés pour les fêtes religieuses. Cependant, le tribunal a conclu que le fait que l’employeur exige qu’il soit présent tous les jours de travail prévus pour avoir une parfaite assiduité et recevoir une prime constituait une discrimination fondée sur la croyance. L’intimé n’a pas démontré qu’il ne pouvait fournir de mesure d’adaptation à l’égard des besoins religieux de l’employé sans subir de préjudice injustifié. Le TDPO a accordé 2 000 $ en dommages-intérêts pour atteinte à la dignité et à la fierté, et a ordonné à l’intimé de réviser son programme de reconnaissance de l’assiduité pour enlever l’effet discriminatoire qu’il a sur les employés qui ont des croyances religieuses exigeant qu’ils s’absentent du travail.

[446] Certains soutiennent du point de vue de l’égalité réelle que le fait d’exiger que les employés non chrétiens utilisent les heures supplémentaires ou compensatoires accumulées pour l’observance des fêtes religieuses pourrait constituer un manque d’équité, même si cela n’entraîne pas de perte de revenu, en imposant un fardeau supplémentaire aux employés non chrétiens qui doivent utiliser leurs « heures accumulées » pour satisfaire des besoins en matière de religion qui, chez les employés chrétiens, sont satisfaits par l’entremise des jours fériés.