Conclusions préliminaires : Commission d'enquête sur les agressions contre des pêcheurs canadiens d'origine asiatique

Contexte

Au cours de l’été et de l’automne 2007, plusieurs incidents ont été signalés dans le sud et le centre de l’Ontario au cours desquels des pêcheurs canadiens d’origine asiatique ont été agressés physiquement ou verbalement. Dans plusieurs de ces incidents, des insultes racistes ont été proférées. La Commission ontarienne des droits de la personne (ci après « la Commission ») s’est montrée très préoccupée par ces rapports.

Conformément au mandat qui lui a été assigné en vertu du Code des droits de la personne de l’Ontario (ci-après « le Code ») et aux termes duquel elle se doit d’enquêter relativement aux incidents ou aux situations entraînant des tensions ou des conflits et de mettre en œuvre des programmes destinés à aborder ces problèmes, la Commission a créé, le 2 novembre 2007, une Commission d’enquête sur les agressions contre des pêcheurs canadiens d’origine asiatique. Les objectifs de cette commission d’enquête sont les suivants :

  • en apprendre davantage sur la nature de ces incidents afin de déterminer s’ils constituent ou non des actes de nature systémique;
  • aider les personnes concernées et les orienter vers des ressources appropriées;
  • encourager les collectivités et les organismes gouvernementaux responsables à trouver un moyen de résorber la tension et les conflits;
  • chercher des solutions possibles; et
  • sensibiliser le public au racisme et au profilage racial.

En partenariat avec la Metro Toronto Chinese and Southeast Asian Legal Clinic (MTCSALC), la Commission a mis en place une ligne téléphonique d’urgence et un sondage en ligne afin de recueillir des renseignements de la part de victimes ou de témoins d’incidents et d’orienter les personnes concernées vers les ressources communautaires et gouvernementales appropriées afin qu’elles reçoivent un soutien accru. Des services d’interprétation étaient disponibles en mandarin, cantonais, vietnamien et coréen. La ligne téléphonique d’urgence et le sondage en ligne étaient accessibles du 7 novembre au 6 décembre 2007.

Ces conclusions préliminaires ont pour but de rendre compte des résultats obtenus suite à la mise en place de la ligne téléphonique d’urgence et du sondage en ligne. Elles formeront la base des actions qu’entreprendra la Commission relativement aux enjeux mis en évidence.

La Commission d’enquête a reçu 34 dépositions en provenance du sud et du centre de l’Ontario, notamment de collectivités situées dans les régions d’Aurora et de Richmond Hill, d’Ottawa et du Lac Huron. Cela étant, la majorité des dépositions provenaient des trois régions suivantes : Lac Simcoe, Peterborough et les écluses du canal Rideau, qui sont toutes des régions populaires pour les gens du pays comme pour les touristes qui affectionnent les sports aquatiques et notamment la pêche. Certaines dépositions émanaient de Canadiens d’origine asiatique victimes de harcèlement et d’agressions à caractère raciste alors qu’ils pêchaient ou étaient occupés à d’autres activités. Plusieurs dépositions émanaient de personnes habitant dans les collectivités où des incidents ont été signalés; certaines de ces personnes s’inquiétaient d’une recrudescence du racisme dans leur collectivité, tandis que d’autres mettaient l’accent sur des questions relatives à la protection de l’environnement. Un grand nombre d’entre elles exprimaient des sentiments désobligeants et discriminatoires à l’égard des Canadiens d’origine asiatique.

La Commission n’a pas enquêté sur les dépositions reçues. Ces constatations préliminaires n’ont pas pour but de tirer des conclusions quant à la fréquence avec laquelle les pêcheurs canadiens d’origine asiatique font face à une certaine hostilité ou sont victimes d’agressions. Elles ne devraient donc pas être lues comme cela. Elles ne devraient pas non plus servir de point de départ pour élaborer des hypothèses concernant les caractéristiques ou l’attitude d’une collectivité en particulier, quelle qu’elle soit. Du point de vue de la Commission, une seule agression à caractère raciste contre un pêcheur canadien d’origine asiatique constituerait une grande source d’inquiétude. Au vu de la gravité de certaines des agressions signalées, et de leur effet sur la communauté canadienne d’origine asiatique, la Commission accorde la plus haute importance à ces événements.

La Commission aimerait remercier les personnes qui l’ont aidée dans le cadre de cette commission d’enquête, que ce soit en faisant une déposition ou en faisant profiter la Commission des renseignements et des conseils qu’elles étaient en mesure de donner. La Commission aimerait remercier tout particulièrement la MTCSALC pour sa contribution inestimable à cette commission d’enquête.

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Le contexte en matière de droits de la personne

L’objectif du Code, comme cela a été expliqué dans le préambule, est de parvenir à créer une province dans laquelle règne un « climat de compréhension et de respect mutuel de la dignité et de la valeur de toute personne, de façon que chacun se sente partie intégrante de la collectivité et apte à contribuer pleinement à l'avancement et au bien-être de la collectivité et de la province ». Des problèmes relatifs aux droits de la personne émergent dès que des individus font l’objet de regards insistants ou sont traités de manière désobligeante du fait de leur race.

La Politique et les Directives sur le Racisme et la Discrimination Raciale de la Commission définissent un cadre qui permet de comprendre ce qu’est le racisme, la discrimination raciale et le harcèlement racial. L’existence du racisme au Canada est fréquemment niée. Il existe un mythe selon lequel les Canadiennes et les Canadiens sont « daltoniens » et selon lequel les personnes racialisées sont trop sensibles et ont tendance à réagir de manière excessive. Une méthode fréquente de déni consiste à blâmer les personnes racialisées elles-mêmes pour les désavantages auxquels elles sont confrontées ou pour la manière désobligeante avec laquelle elles sont traitées. Contrairement à tous ces mythes, le racisme et la discrimination raciale sont présents depuis longtemps au Canada. Les Canadiens d’origine asiatique ont été victimes pendant longtemps de préjudices, de stéréotypes et de discrimination systémique. Bien que des progrès aient été réalisés, le racisme, la discrimination raciale et le harcèlement racial restent des réalités qu’il convient de prendre en compte, et qui ont un effet profond sur les collectivités racialisées et sur les Canadiennes et les Canadiens dans leur ensemble.

Le racisme et la discrimination raciale opèrent à de nombreux niveaux : individuel, institutionnel, systémique et social. Ils peuvent se présenter sous la forme de préjugés manifestes ou d’attitudes et de valeurs inconscientes profondément ancrées dans les systèmes et les institutions. De ce fait, les actes de racisme peuvent fort bien ne pas être reconnus comme tels, même par leurs auteurs.

Il est un principe reconnu de la législation en matière de droits de la personne selon lequel, lorsque plusieurs facteurs ou éléments entrent en jeu dans la façon dont une personne racialisée a été traitée, la seule présence de discrimination raciale parmi les facteurs en question suffit pour établir qu’il y a eu violation des droits de la personne.

Tous les actes de racisme ne peuvent pas faire l’objet d’une plainte en vertu du Code; certains d’entre eux sortent du cadre de sa juridiction. Les comportements motivés par des raisons racistes qui sont constatés en dehors des raisons sociales que sont l’emploi, le logement, les associations professionnelles, les contrats ou les services, les biens et les installations, sortent du cadre du Code et ne peuvent faire l’objet d’une plainte au titre des droits de la personne. Un grand nombre des incidents visant des pêcheurs canadiens d’origine asiatique échappent aux protections spécifiques du Code, de par le fait qu’il s’agit de rencontres entre individus se déroulant en dehors du cadre des raisons sociales évoquées plus haut. Lorsque la race est l’un des facteurs de ces incidents, ces derniers sont une manifestation de stéréotypes, de préjudices et de racisme. De tels incidents peuvent cependant constituer une infraction criminelle. De plus, lorsqu’ils sont motivés, en tout ou en partie, par des préjugés reposant sur les bases du Code, ils peuvent constituer des crimes haineux.

Ces événements soulèvent de très graves questions relativement aux droits de la personne. Ils engagent la responsabilité de la Commission en matière d’éducation, d’enquête et de prise d’initiatives, qu’ils aient donné lieu ou non à une plainte au titre des droits de la personne. Ils nous rappellent que le racisme et la discrimination raciale existent en Ontario. Ils peuvent par ailleurs avoir un effet extrêmement important sur la vie des personnes ciblées. Les pêcheurs racialisés ont eu le sentiment que leur sécurité et leur intégrité physique et psychologique étaient menacées et, dans certains des cas qui font l’objet d’une enquête des services de police, les pêcheurs ont été victimes d’actes de violence physique. Cela a un impact énorme sur la collectivité dans son ensemble.

Ces événements nous rappellent également à quel point il est important de prendre des mesures proactives pour aborder le problème du racisme au sein de notre société et de nos institutions, afin de prévenir les actes de discrimination et de harcèlement. Les municipalités, les forces de police, les systèmes éducatifs, les ministères gouvernementaux, les organismes communautaires et la Commission elle-même sont tous tenus de se pencher sur les causes et les conséquences de ces événements et de veiller à ce que de tels incidents ne se reproduisent pas.

Les pêcheurs qui ont pris contact avec la Commission d’enquête afin de lui faire part des expériences négatives et effrayantes qu’ils ont vécues alors qu’ils pêchaient n’avaient généralement pas contacté les autorités auparavant, par sentiment d’impuissance, par peur de représailles ou pour d’autres raisons. Cela prouve que les institutions responsables, y compris la Commission, doivent s’efforcer davantage de se rapprocher des communautés racialisées et à risque, afin qu’elles connaissent leurs droits et qu’elles fassent suffisamment confiance aux autorités pour communiquer avec elles afin de les exercer.

Discrimination Type: 

Agressions contre des pêcheurs canadiens d’origine asiatique

Au cours de l’été et de l’automne 2007, plusieurs incidents sérieux ont été signalés aux autorités relativement à des agressions contre des pêcheurs canadiens d’origine asiatique dans le sud et le centre de l’Ontario :

  • le 27 avril, à Georgina : un homme et son fils de 13 ans étaient en train de pêcher sur l’avenue Malone lorsque deux hommes se sont approchés d’eux et ont poussé le fils dans l’eau. Un homme de 72 ans a également été poussé et son matériel de pêche a été endommagé.
  • Le 22 juillet, à Georgina : un groupe de pêcheurs a été approché par un autre groupe qui a poussé l’un des pêcheurs dans l’eau.
  • Le 5 août, à Georgina : un groupe de pêcheurs se trouvant sur le pont Mossington a été approché par un homme qui a poussé un pêcheur dans l’eau.
  • Le 6 août, à Georgina : un groupe de personnes en train de pêcher sur le pont Mossington a été approché par un homme qui a poussé un pêcheur dans l’eau.
  • Le 18 août, à Georgina : un homme en train de pêcher sur le pont Mossington a été approché par deux personnes et a été poussé dans l’eau par derrière.
  • Le 28 août, sur le pont du passage Gannon : un pêcheur a été poussé dans l’eau.
  • Le 15 septembre, à Westport : trois pêcheurs ont été agressés par cinq hommes sur un pont situé sur la County Road 36 et ont été légèrement blessés.
  • Le 16 septembre, à Georgina : des pêcheurs se trouvant sur le pont Mossington ont été approchés par un groupe d’hommes qui a poussé deux des pêcheurs dans l’eau. Dans les événements qui ont suivi, un des pêcheurs a été très grièvement blessé.
  • Le 29 septembre, à Westport : trois pêcheurs ont été menacés par quatre hommes.
  • Le 30 septembre, à Coboconk : un pêcheur a été agressé.
  • Le 25 octobre, à Hastings : des insultes racistes visant les Canadiens d’origine asiatique qui avaient été peintes sous un pont de la Trent Severn Waterway ont été découvertes.

À la suite de plusieurs de ces incidents, des plaintes ont été déposées.

En plus de ces incidents, la commission d’enquête a reçu six rapports faisant état d’agressions contre des pêcheurs, y compris la déposition d’une personne impliquée dans l’un des incidents signalés aux autorités. Certaines dépositions faisaient état d’incidents multiples. La commission d’enquête a également reçu des dépositions de personnes racialisées habitant dans les régions où les incidents se sont produits et qui souhaitaient faire part de leur inquiétude en ce qui a trait aux comportements et incidents à caractère discriminatoire constatés dans ces régions.

À partir à la fois du récit des incidents visant des pêcheurs canadiens d’origine asiatique et des dépositions faites par des personnes exprimant leur frustration face à de mauvaises habitudes de pêche, il est clair que de nombreux conflits voient le jour relativement aux activités de pêche autour des quais, des ponts et des jetées. Relativement peu de récits/de dépositions ont fait état de problèmes entourant la pêche en bateau. Les espaces publics entourant les quais, les ponts et les jetées font l’objet de plus de rivalités. Les personnes qui pêchent à ces endroits ne sont pas seulement plus visibles, elles sont également plus susceptibles d’être harcelées et agressées.

La nature de ces incidents variait de l’agression verbale à la destruction de matériel de pêche, en passant par le jet de pierres et l’agression physique. À titre d’exemple, un individu a expliqué comment, alors qu’il était en train de pêcher seul sur l’île Petre, à Orleans, près d’Ottawa, quatre jeunes hommes ont proféré des injures racistes à son encontre, telles que « fxxking back to xxx » (« va te faire fxxx, retourne en xxx ») et ont jeté une pierre dans l’eau en face de lui.

Cela fait plusieurs années que je pêche en bateau sur le lac Rice, du début d’octobre à la mi-novembre. Au cours de ce mois et demi, à deux reprises en moyenne, un homme... sort de sa maison et crie qu’un exxx de Chinois (parfois un exxx de Vietnamien ou un exxx de Coréen) envahit son jardin. (n°9)

Un autre incident a eu lieu dans une petite ville du nom de Bewdley, sur le lac Rice; il y a un parc avec un quai accessible au public, à côté du magasin LCBO. Un jour, j’ai vu un homme âgé d’origine chinoise qui pleurait. Je me suis approché pour lui demander ce qui s’était passé. Le vieil homme m’a expliqué que deux adolescents blancs s’étaient approchés de lui et avaient donné un coup de pied dans sa boîte d’appâts, la faisant tomber dans le lac, et qu’il ne pouvait par conséquent plus pêcher. (n° 9)

Certains des récits d’agressions contre des pêcheurs canadiens d’origine asiatique ont été racontés par des témoins ou des amis blancs.

En août dernier, mon ami, qui est d’origine chinoise, et moi-même étions en train de pêcher près du canal, ici, sur le terrain accessible au public. Nous avons été chassés par des résidents de la localité... Lorsque je leur ai dit que nous nous trouvions sur un terrain accessible au public, [l’un d’eux] a menacé de nous pousser dans le lac et nous a dit : « Si vous ne partez pas maintenant, vous finirez dans l’eau ». Nous sommes partis car nous ne voulons pas avoir de problèmes. (n° 7)

L’été dernier, mon collègue de travail a été approché par un groupe d’hommes non asiatiques dans un petit bateau de pêche alors qu’il pêchait à partir d’une jetée, à proximité du port de Goderich. Cela faisait pas mal de temps qu’il pêchait là seul lorsque le bateau s’est approché de lui et a jeté une ancre. Les hommes ont alors commencé à l’agresser verbalement en proférant des menaces qui étaient visiblement à connotation raciste... Au vu de la personnalité de mon collègue de travail et sachant que j’ai travaillé avec lui pendant bien plus de 10 ans, il est clair que ce qu’il m’a décrit était une agression à caractère raciste. (n°6)

Un homme d’origine turque a raconté comment une confrontation tout à fait bénigne a commencé à mal tourner lorsque son accent a révélé qu’il était un « étranger ».

Chacun des dépositaires a insisté sur le fait que les agressions avaient, selon lui, une connotation raciste. Dans la majorité des incidents, des insultes à caractère raciste ont été proférées.

Les excuses invoquées par les agresseurs, telles que « la protection des ressources », sont complètement risibles et profondément malhonnêtes. Ces personnes agressent des pêcheurs munis d’un permis et respectueux des lois. La vérité est que les personnes qu’ils visent ont une certaine couleur de peau et une forme du visage caractéristique. Si ce n’est pas une agression à caractère raciste, de quoi s’agit-il alors? (n° 8)

Dans la plupart des cas, les personnes qui signalent des cas d’agression à caractère raciste n’ont pas effectué de démarches pour communiquer avec les autorités. Un homme a fait part de son impuissance : « il n’y avait rien que je puisse faire ». Une femme a expliqué qu’elle n’avait pas communiqué avec les autorités car elle avait peur de subir des représailles. Un homme en direction duquel des pierres ont été jetées et à l’encontre duquel des insultes à connotation raciste ont été proférées a déclaré :

Ayant peur d’être agressé encore davantage, j’ai choisi de ne pas répliquer et ils sont partis visiblement très satisfaits. (n° 8)

Ces incidents affectent certaines des personnes visées de manière importante. Certaines personnes ont indiqué qu’elles ne pêcheraient plus jamais dans les collectivités où elles ont été agressées :

Je ne suis jamais retourné pêcher à Peterborough depuis. J’ai peur que certains d’entre eux me poussent dans le lac. (n°5)

D’autres personnes ont envisagé de modifier leurs habitudes de pêche; elles évitent par exemple de pêcher seules ou veillent à avoir un téléphone cellulaire en leur possession :

J’ai peur d’aller pêcher seul. Je veillerai à ce que mes amis soient à mes côtés avant d’aller pêcher à Rice Lake et dans les environs. (n°9)

En plus du traumatisme immédiat qu’elles causent, ces agressions sont une source de grande inquiétude pour les victimes directes, mais aussi pour leurs amis et les membres de leurs familles :

Lorsque j’ai entendu cette histoire, j’étais très troublé. J’ai peur qu’il puisse être blessé un jour. En particulier si cela se produit alors que sa petite fille l’accompagne. (n°6)

L’incident a durement affecté mon fils psychologiquement, la personne hospitalisée étant son ami d’enfance... À cause du traumatisme qu’il a subi, il n’arrive pas à dormir la nuit, quoiqu’il soit traité par des professionnels de la santé. Ma femme fait également de nombreux cauchemars à cause de cela. Elle se réveille souvent la nuit en criant le nom de mon fils. (n°4)

Certaines des dépositions ont souligné l’impact que ces agressions avaient eu sur la collectivité des pêcheurs canadiens d’origine asiatique dans son ensemble.

Aucune personne d’origine asiatique ne se sent en sécurité lorsqu’elle va faire de la pêche sportive. Ce n’est pas la première fois que des incidents de cette nature se produisent. Pourquoi la police n’a-t-elle pas agi avant qu’une personne ne perde presque la vie? (n°4)

Il y a désormais un climat de peur à cause de ces incidents. Dans les faits, les minorités visibles d’origine asiatique ne sont pas libres de vivre en tant que citoyens égaux et de profiter des avantages offerts par la collectivité. (n° 15)

Plus fondamentalement, la foi que plaçaient certaines personnes dans la capacité du Canada à honorer les valeurs qu’il défend a été ébranlée :

Le Canada, en tant que pays ayant adopté la politique du « multiculturalisme », devrait s’efforcer davantage de protéger les droits de la personne et de surveiller les criminels coupables de délits à caractère raciste. (n° 8)

Jusqu’à présent, et même si je constate que des progrès très positifs ont été réalisés, il me semble que les enjeux les plus importants ne sont pas abordés – on a le sentiment que le problème se situe du côté des victimes, un point de vue très inquiétant... Je peux vous dire que si ces actes ne sont pas condamnés rapidement et avec sévérité, la haine va véritablement gagner du terrain, à cause du silence de la société. (n°15)

Le sentiment profond de vulnérabilité et de préjudice qui peut résulter de ce type d’événements ne tombe pas rapidement dans l’oubli et peut avoir un impact à long terme sur le sentiment de sécurité et d’intégration de la communauté touchée.

Comportements désobligeants à l’égard des pêcheurs canadiens d’origine asiatique

L’histoire des Canadiennes et Canadiens d’origine asiatique est marquée du sceau du racisme. Des lois ont été adoptées en vue de limiter l’immigration chinoise. La Chinese Immigration Act de 1885 imposait une taxe de 50 $ « par personne » à tous les Chinois arrivant au Canada. Cette somme a, par la suite, été augmentée, en 1903, pour atteindre le montant exorbitant de 500 $. En 1872, les Canadiens d’origine chinoise se sont vu retirer leur droit de vote aux élections provinciales et municipales en Colombie-Britannique; les Canadiennes et Canadiens d’origine japonaise et originaires d’Asie du sud ont, de la même façon, été privés du droit électoral en 1895 et 1907 respectivement. Toute une série de lois et de politiques discriminatoires interdisaient aux Canadiennes et Canadiens d’origine chinoise de détenir une propriété, de servir le public et d’exercer certains métiers. Comme le savent bien des gens, pendant la Deuxième guerre mondiale, les Canadiennes et Canadiens d’origine japonaise vivant sur la côte ouest du Canada ont été dépossédés de leurs propriétés, déplacés de force et détenus. Les Canadiennes et Canadiens d’origine asiatique étaient sujets à des stéréotypes racistes, un « Péril jaune » non assimilable, et étaient considérés comme manquant d’hygiène et comme étant fourbes et sournois. Les comportements désobligeants à l’égard des Canadiennes et Canadiens d’origine chinoise subsistent aujourd’hui, ces derniers étant considérés par certains comme des « étrangers » dont les valeurs et la culture sont incompatibles avec le mode de vie canadien. Ces inquiétudes ont refait surface à l’occasion de l’épidémie du SRAS de 2003, lorsque des comportements désobligeants à l’égard des Canadiennes et Canadiens d’origine chinoise et originaires d’Asie du sud ont été signalés. Les médias ont récemment annoncé que deux jeunes hommes se faisant appeler les « Aryens de Port City » avaient été condamnés par un tribunal du Nouveau-Brunswick pour avoir agressé physiquement des étudiants universitaires d’origine chinoise.

La Commission a reçu 14 dépositions de membres non-racialisés des collectivités où des pêcheurs canadiens d’origine asiatique ont été agressés. La plupart d’entre elles, mais pas toutes, mettaient l’accent sur les pratiques des Canadiens d’origine chinoise en matière de pêche, tout en niant que la race ait été un facteur des incidents qui se sont produits.

Quelques personnes ont fait remarquer, dans leur déposition, que les pêcheurs canadiens d’origine chinoise sont très visibles au sein des collectivités homogènes qu’ils visitent. Selon les données du recensement 2006 publiées récemment, dans les régions où des incidents se sont produits, comme dans les environs de Peterborough et du lac Simcoe, les immigrants arrivés récemment représentent entre 0 et 3,8 % de la population totale; par comparaison, dans certains secteurs de la Région du Grand Toronto, ce chiffre est de 47 %.

Une partie des conflits sociaux existants résulte clairement du fait qu’un plus grand nombre de citoyens appartenant à une minorité visible utilise une région qui n’est pas très diversifiée. (n°2)

La région du lac Simcoe est - et a été - une collectivité essentiellement blanche; pendant longtemps, le racisme a aussi été une réalité dans le milieu scolaire. (n°14)

Il m’apparait assez clairement que le parc où j’emmène mes enfants est fréquenté par des personnes qui ne sont pas originaires de mon quartier... La première rencontre qui m’a amené à faire cette constatation s’est produite lorsque j’ai vu une famille d’origine asiatique en train de creuser des trous dans notre parc pour y trouver des vers en vue de leur excursion de pêche. (n°17)

Étant particulièrement visibles et présumés « étrangers », les Canadiennes et Canadiens d’origine asiatique peuvent également faire l’objet d’un degré de surveillance plus élevé comparativement à d’autres personnes. À titre d’exemple, les personnes faisant part, dans leur déposition, de leurs inquiétudes relativement aux pratiques des pêcheurs canadiens d’origine asiatique se servaient fréquemment d’un incident s’étant produit bien souvent de nombreuses années auparavant pour énoncer des affirmations désobligeantes à l’égard de la communauté des pêcheurs canadiens d’origine asiatique dans son ensemble. Un individu a évoqué un incident au cours duquel il avait vu des pêcheurs canadiens d’origine asiatique conserver des perches trop petites. Il s’est par la suite servi de cet incident pour en conclure que « de plus en plus d’Asiatiques sont en train de violer nos lacs ». Un autre individu a déclaré que les « Asiatiques n’avaient aucun respect pour le pays » sur la base d’un seul incident au cours duquel des Canadiens d’origine asiatique en train de camper sur un lieu de pêche particulièrement populaire avaient été négligents et avaient abandonné leurs déchets derrière eux.

Il vaut la peine d’insister sur le fait que rien ne prouve qu’une collectivité en particulier est plus susceptible qu’une autre de violer la législation en matière de protection de l’environnement.

Un certain nombre de personnes ont eu tendance, dans leurs dépositions, à généraliser en affirmant que les pêcheurs canadiens d’origine asiatique étaient trop bruyants ou prenaient trop de place sur les quais, les jetées ou les ponts.

Certaines personnes ont, dans leur déposition, fait état d’une franche hostilité à l’égard des Canadiennes et des Canadiens d’origine asiatique; ils faisaient par exemple une distinction entre les « Asiatiques » et les « Canadiennes et Canadiens », et affirmaient que les « Asiatiques » « conservent tout ce qu’ils pêchent », « n’ont aucun respect pour le pays », « ont la réputation de tricher » et « ne respectent pas les lois et les normes du Canada en matière de bienséance ». Il apparait, dans certaines dépositions, que la langue et l’accent constituent des facteurs déclencheurs d’hostilité, leurs auteurs décrivant les Asiatiques comme « prétendant ne pas parler anglais » ou ridiculisant les structures linguistiques stéréotypées de personnes pour qui l’anglais est une deuxième langue. Dans leurs dépositions, certaines personnes sont allées jusqu’à blâmer les pêcheurs canadiens d’origine asiatique pour les agressions dont ils avaient été victimes; un individu a par exemple déclaré :

Juste un mot concernant les articles que j’ai pu lire à propos du « racisme a l’égard des Asiatiques ». Je crois que ce n’est que l’aboutissement final. Lorsque les droits de gens comme moi sont bafoués, encore et encore, au bout d’un certain temps, on en arrive au point où certains d’entre nous craquent et se déchaînent. (n°19)

La Commission d’enquête a également reçu des appels à caractère haineux. Des menaces de mort et des insultes racistes ont été proférées à l’égard de certains membres du MTCSALC.

Clairement, les inquiétudes soulevées par les mauvaises habitudes de pêche ne portent pas toutes le sceau du racisme. Dans chaque collectivité, il y a des personnes qui ne respectent pas les règlements, qui manquent de respect envers les autres ou qui enfreignent les lois. De plus, comme cela est évoqué dans la section qui suit, La pêche sportive en Ontario, il semble y avoir actuellement des tensions et des difficultés importantes autour de l’accès à ce qui est, après tout, une ressource limitée.

Ce qui est inquiétant, c’est que des pêcheurs canadiens d’origine asiatique, du fait de leur non-appartenance visible à des collectivités relativement homogènes, fassent l’objet de regards insistants, de manière tout à fait disproportionnée, et soient considérés comme étant plus susceptibles que les autres Canadiennes et Canadiens d’enfreindre la loi, le résultat étant que l’ensemble des pêcheurs canadiens d’origine asiatique est considéré ou traité avec hostilité.

Une enseignante blanche exerçant dans la région du lac Simcoe a insisté sur l’importance qu’il y a à éduquer les jeunes en matière de lutte contre le racisme. Elle a notamment évoqué plusieurs incidents auxquels elle a assisté en tant qu’éducatrice :

Certaines familles prônent des sentiments d’intolérance. Malheureuse-ment, il arrive parfois que l’adage « tel père, tel fils » se vérifie. En tant qu’éducatrice, j’ai assisté à de nombreux incidents dans les couloirs, la cafétéria et à l’extérieur, des incidents que je trouve inacceptables et parfois même éminemment désagréables... Il est tout à fait primordial que la collectivité, à tous les niveaux, et les écoles apportent un soutien continu et constant. Le perfectionnement professionnel du personnel et des élèves doit être rendu obligatoire. (n°14)

La pêche sportive en Ontario

La pêche sportive peut être une activité communautaire ou familiale appréciée. C’est aussi une façon d’apprécier la nature dans toute sa splendeur. Le tourisme associé à la pêche offre également d’importants débouchés économiques à de nombreuses collectivités ontariennes. La pêche sportive n’est bien entendu que l’un des nombreux sports aquatiques qu’apprécient les Ontariennes et les Ontariens. Les résidents de la localité, les résidents saisonniers et les excursionnistes se partagent tous l’utilisation des lacs, rivières et autres voies d’eau du sud et du centre de l’Ontario.


La déposition d’un individu en charge, à titre officiel, de l’une des voies d’eau à proximité de laquelle de nombreuses agressions ont été signalées donne une perspective assez large des conflits entourant l’accès aux sports aquatiques. Cette personne a fait remarquer qu’il y a eu une augmentation du niveau de stress et des rivalités autour de l’utilisation des voies d’eau accessibles aux excursionnistes en provenance de la Région du Grand Toronto. Ces derniers sont de plus en plus nombreux et la demande en matière d’accès à l’eau excède l’offre. Cela est accentué par la tendance actuelle qui veut que les établissements destinés aux familles soient remplacés par des lieux de vacances et des chalets plus luxueux. Certains des conflits sociaux sont liés à l’incompatibilité de certaines activités récréatives - par exemple, entre la pêche nocturne, le mouillage des bateaux la nuit et le camping. Cette personne a insisté sur le fait que bien que le racisme soit clairement un facteur des événements qui se sont produits, il voit le jour dans le contexte plus large des conflits sociaux entourant l’accès aux ressources. Ces enjeux sous-jacents doivent être résolus pour qu’il puisse y avoir un apaisement des tensions.


Ces observations sont corroborées par l’accent qui est mis dans de nombreuses dépositions, non pas sur la protection de l’environnement, mais sur les difficultés auxquelles les résidents de la localité, les résidents saisonniers et les excursionnistes font face en matière de partage de l’espace disponible, en particulier sur les quais, les jetées et les ponts.


Certaines personnes ont, dans leur déposition, fait part de leur inquiétude en ce qui a trait à la protection de l’environnement et des stocks de poissons. La protection de l’environnement et des zones de pêche de l’Ontario ne constitue pas seulement un impératif d’ordre moral et environnemental, elle permet également de protéger la source de revenu d’un grand nombre d’Ontariennes et d’Ontariens.


Dans les « régions de chalets », le maintien des stocks de poisson est un enjeu à la fois alimentaire et récréatif. Si l’on ne fait pas respecter les règlements destinés à la conservation des stocks de poisson, c’est le gagne-pain de tout le monde qui en pâtit. (n°21)


En Ontario, la pêche sportive est régie par un ensemble de lois et de règlements complexes pour équilibrer les intérêts récréatifs et économiques avec la conservation à long terme et la gestion des stocks de poisson. La Loi sur la pêche fédérale protège et conserve les poissons et leur habitat. La Loi sur la protection du poisson et de la faune de l’Ontario régit l’émission des permis de pêche. Les pêcheurs doivent s’assurer qu’ils ont obtenu les permis appropriés. Ils doivent également respecter plusieurs règlements relatifs aux dates auxquelles ils sont autorisés à pêcher (début et fin de la période de pêche), aux lieux dans lesquels ils sont autorisés à pêcher; au nombre de poissons d’une espèce donnée qu’ils sont autorisés à attraper et à garder; à la taille des poissons qu’ils sont autorisés à attraper; et au type de matériel et d’appâts qu’ils sont autorisés à utiliser.


Plusieurs personnes ont, dans la déposition qu’ils ont faite auprès de la Commission d’enquête, fait part de leurs inquiétudes relativement à un manque de connaissance et de conscience des lois en matière de pêche, et ont insisté sur le fait qu’il est primordial de mener des campagnes d’éducation et de sensibilisation auprès de l’ensemble des pêcheurs, afin d’assurer la conservation des stocks de poisson. Ces personnes ont par ailleurs exprimé leur énorme frustration vis-à-vis du manque de moyens mis en œuvre pour faire respecter les règlements de pêche. Certaines des personnes ayant effectué une déposition auprès de la Commission d’enquête avaient elles-mêmes contacté dans le passé le ministère des Richesses naturelles (MRN) ou la Police provinciale de l’Ontario (PPO) relativement à plusieurs violations des règlements en matière de pêche, mais en vain.


Je connais personnellement des citoyens ici qui ont essayé de demander au MRN et à la PPO de vérifier les permis sur le terrain, pas seulement ceux des Asiatiques, mais ceux de toutes les personnes qui viennent pêcher ici. Étant moi-même un grand pêcheur agréé, j’estime qu’il est normal que tout le monde paye pour bénéficier de ce privilège. Aucun des organismes n’a véritablement coopéré avec nous. (n°20)


Bien que la conservation et la protection des stocks de poisson soient des objectifs importants à atteindre, il est clair que de nombreuses dépositions invoquant des questions liées à la protection de l’environnement ont des connotations racistes. La Commission s’inquiète du fait que certaines personnes tentent d’invoquer de telles questions pour justifier ou expliquer des agressions ou des marques d’hostilité à l’égard des Canadiennes et Canadiens d’origine asiatique. Encore une fois, il n’existe aucun élément permettant de penser que les Canadiennes et Canadiens d’origine asiatique sont plus susceptibles que les autres de violer les lois en vigueur en matière de protection de l’environnement.

Conclusions et prochaines étapes

Il y a aujourd’hui tant de haine raciale dans notre province, et que fait notre gouvernement pour y remédier? (n°4)

Les agressions contre des pêcheurs canadiens d’origine asiatique ont entraîné une détresse importante aussi bien au sein de la communauté canadienne d’origine asiatique que chez les résidents des collectivités où les incidents se sont produits. Il ne sera possible de résoudre ces problèmes que si l’on reconnaît que ces incidents revêtaient un caractère raciste. Les Canadiennes et Canadiens racialisés sont la cible d’une certaine hostilité et d’un certain ressentiment et ont, de ce fait, été les victimes d’agressions à caractère raciste.

La gravité de ces incidents ne doit pas être sous-estimée. Ils ont parfois eu de lourdes conséquences. Les victimes d’agressions à caractère raciste ont été traumatisées et certaines d’entre elles ont été grièvement blessées. La communauté canadienne d’origine asiatique dans son ensemble a ressenti de la peur, de l’anxiété et a senti sa sécurité menacée. Ces incidents ont également eu un impact important sur les collectivités dans lesquelles les agressions se sont produites.

Il importe que des mesures soient prises rapidement pour veiller à ce qu’il n’y ait plus d’agressions et pour restaurer le sentiment de sécurité des Canadiennes et Canadiens d’origine asiatique. L’existence de comportements racistes dans certaines des collectivités où des incidents se sont produits doit être reconnue, prise en compte et combattue. Il semble par ailleurs évident que des efforts plus importants doivent être faits pour veiller à ce que les collectivités racialisées soient conscientes des ressources à leur disposition, dans l’éventualité d’un harcèlement ou d’une agression à caractère raciste, et qu’elles sachent que ces ressources sont en mesure de répondre efficacement à leurs besoins.

Bien que la Commission ne soit pas compétente pour commenter les enjeux liés à la gestion des ressources en eau de l’Ontario, il semble clair, dans les dépositions qui ont été faites auprès de la Commission d’enquête, que les rivalités qui existent en matière d’accès aux ressources aquatiques revêtent une connotation raciste très inquiétante dans certaines collectivités. La Commission recommande par conséquent vivement aux autorités en charge de la protection de l’environnement et des voies navigables d’agir pour aborder ces problèmes.

Sur la base de ces conclusions préliminaires, la Commission a l’intention de communiquer immédiatement avec des organismes et institutions responsables afin de chercher des solutions et d’obtenir des mesures d’action concrètes. Parmi ces organismes et institutions, figurent :

  1. les ministères gouvernementaux pertinents, dont le ministère des Richesses naturelles, le ministère des Affaires civiques, le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels et le procureur général;
  2. les forces de police, en particulier celles qui opèrent dans les collectivités où les incidents se sont produits;
  3. les municipalités où les incidents se sont produits, ainsi que l’Association des municipalités de l’Ontario;
  4. des éducateurs; et
  5. des organismes communautaires et notamment des organismes au service des pêcheurs, des organismes offrant leurs services à la communauté canadienne d’origine asiatique et des organismes de lutte contre le racisme.

Au printemps 2008, la Commission publiera un Rapport final à l’intention du public dans lequel elle présentera ses conclusions ainsi que les garanties qu’elle aura obtenues.

L’intégration de tous et l’égalité sont des principes élémentaires des droits de la personne. Ce sont ces principes qui nous permettront de vivre dans une province où tous peuvent partager les ressources et profiter des cadeaux que l’Ontario a à nous offrir. L’objectif de la Commission est que ces conclusions préliminaires constituent le point de départ d’un processus qui nous permettra d’atteindre ensemble cet objectif.