Annexe – La discrimination systémique et les politiques, pratiques et processus décisionnels en milieu de travail

Une foule d’outils ont été mis au point pour aider les employeurs à faire l’examen de leur système de recrutement et d’emploi et à y relever, le cas échéant, l’existence de barrières systémiques à l’endroit des personnes racialisées et d’autres obstacles identifiés par les motifs énumérés par le Code, tels que le sexe et un handicap.

Nous donnons ci-dessous un résumé non exhaustif des politiques, pratiques et processus décisionnels qui peuvent mener à la discrimination systémique en milieu de travail[163] :


Recrutement, sélection et embauchage

Idéalement, il faudrait embaucher les personnes racialisées à un taux qui reflète leur représentation au sein de la main-d’œuvre qualifiée à l’extérieur de l’organisation. Or, dans maintes situations, c’est loin d’être le cas. Les employeurs dont la main-d’œuvre n’est pas représentative peuvent donner comme prétexte le défaut de candidatures de personnes racialisées ou le fait qu’on a embauché les candidats les plus qualifiés, qui se trouvaient ne pas être des personnes racialisées. Dans certains cas, ces explications sont véridiques. Dans bien d’autres, toutefois, c’est le processus même de recrutement, de sélection et d’embauchage qui barre l’accès aux opportunités d’emploi. Les méthodes de recrutement influent fortement sur le bassin de candidats qui est à la disposition de l’employeur. De plus, certaines politiques et pratiques ont tendance à écarter les personnes racialisées de façon inappropriée, en les faisant paraître non qualifiées au regard des emplois en cause. Voici une liste de barrières courantes pouvant donner lieu à une discrimination systémique ainsi que des pratiques exemplaires permettant d’éviter ce type de discrimination raciale.

Barrières

Pratiques exemplaires 

Le recours, à des fins de recrutement, à des réseaux personnels (p. ex. l’équipe de hockey de l’agent recruteur), aux relations sociales (p. ex. les amis) et au bouche à oreille. Ces types de processus informels ont tendance à exclure les personnes qui ne partagent pas les caractéristiques ethnoraciales de l’agent recruteur.

Des affichages formels, qui décrivent clairement le poste et les exigences et ont une large diffusion, p. ex. par le biais d’annonces de journaux, de sites Internet et d’agences de placement, font que les personnes racialisées peuvent facilement en prendre connaissance.

 

Certains employeurs qui cherchent activement à accroître la diversité dans leur organisation ont soin d’annoncer dans les journaux des groupes ethnoraciaux. D’autres mettent sur pied des initiatives de diffusion et se rendent dans les milieux à forte représentation de personnes racialisées afin d’inciter ces dernières à poser leur candidature.

Les décisions en dotation de personnel qui sont fondées sur des processus informels sont beaucoup plus susceptibles de mener à la prise de décisions inconsciemment empreintes de préjugés. Par exemple, une entrevue où l’on bavarde avec le postulant pour voir s’il manifeste des intérêts analogues et saura « s’intégrer » à la culture de l’organisation peut présenter une barrière pour les personnes qui s’écartent ou semblent s’écarter de la norme dominante du milieu.

Des entrevues formelles, menées par des comités composés de plusieurs personnes, qui posent des questions préétablies et notent les réponses obtenues selon un guide prédéterminé, constituent un processus équitable, axé sur la capacité d’accomplir les tâches essentielles du poste. Idéalement, le comité d’entrevue devrait refléter la diversité présente au sein de l’organisation. Les questions posées devraient être conçues selon les exigences objectives du poste et non sur des considérations subjectives, ainsi à savoir si la personne manifeste de « l’assurance » ou si elle est « convenable ». L’employeur devrait être disposé à expliquer pourquoi tel ou tel candidat a été choisi. Des notes écrites sur l’entrevue et l’ensemble du concours pour le poste devraient être conservées, au moins pendant six mois si l’on ne reçoit aucune plainte au sujet du processus, et plus longtemps s’il y a plainte (jusqu’au règlement final).

Des exigences trop élevées (p. ex. une maîtrise alors qu’un baccalauréat est en réalité tout ce que demande le poste), des années d’expérience « canadienne » et certains traits de personnalité (p. ex. « la compétitivité ») peuvent avoir pour effet d’écarter les personnes racialisées ou les dissuader de postuler.

Les qualifications requises devraient être raisonnables et de bonne foi (voir l’exposé des exigences de bonne foi). Tous les types d’expérience antérieure devraient être pris en compte, peu importe le lieu où cette expérience a été acquise. Il faut rechercher des compétences neutres au plan culturel, p. ex. la capacité de planifier un projet et de l’exécuter dans les délais fixés.

Les tests et simulations devraient être raisonnables et de bonne foi, de façon à constituer des indicateurs fiables du rendement professionnel. Or, les tests psychologiques et psychométriques peuvent favoriser les membres de la culture dominante. L’administration d’un test écrit pour l’obtention d’un poste qui n’exige aucune compétence au plan de l’écrit peut avoir pour effet d’écarter les personnes pour lesquelles le français ou l’anglais est une langue seconde.

On ne devrait administrer de tests qu’après avoir présenté une offre d’emploi conditionnelle. On ne devrait faire appel à ce procédé que si l’employeur peut démontrer qu’un certain test constitue une méthode raisonnable et de bonne foi d’évaluer la capacité du postulant à s’acquitter des tâches en cause. Il faudrait éviter complètement les tests fondés sur les valeurs, attitudes et intérêts personnels; ou encore, s’ils sont véritablement nécessaires pour évaluer la capacité du candidat à s’acquitter d’une fonction, il faudrait les administrer avec grand soin, afin de ne pas favoriser certaines cultures.


Formation et perfectionnement

La formation et le perfectionnement font partie intégrante du rendement d’un employé en poste et contribuent à qualifier l’employé à l’égard d’opportunités futures. La possibilité de prendre part à un apprentissage continu est aussi un facteur important pour le moral de l’employé.


Certaines pratiques de formation et de perfectionnement peuvent exclure les employés racialisés, ayant ainsi un impact direct sur leur carrière, particulièrement sur leur mobilité au sein de l’organisation. Les organisations veilleront à ce que les personnes racialisées participent aux opportunités de formation et de perfectionnement à un taux équivalant à celui des autres employés et, le cas échéant, auront soin de remédier aux écarts.

Barrières

Pratiques exemplaires 

Des opportunités de formation restreintes aux employés de niveau supérieur peuvent exclure les personnes racialisées, qui occupent généralement des postes subalternes. Dans d’autres cas, la formation destinée aux titulaires des postes de niveau inférieur peut être concentrée sur des compétences liées à la tâche courante, alors que la formation destinée aux employés de niveau supérieur prépare à des promotions.

Les organisations devraient offrir une formation appropriée à tous les employés. La formation devrait améliorer les compétences liées à la tâche courante, mais aussi préparer les employés à occuper des postes différents ou de niveau supérieur.

Le fait de renseigner les employés sur les opportunités de formation de manière informelle, par le bouche à oreille ou en laissant le choix des employés admissibles à la discrétion des superviseurs peut aboutir à la discrimination[164].

L’information sur les possibilités de formation doit être largement diffusée à l’aide de moyens formels, tels que courriels, notes de service et affichages, de façon à mettre tout le personnel au courant. Au lieu de faire une sélection d’emblée, les employeurs devraient permettre aux employés de s’inscrire eux-mêmes à la formation et encourager tous les employés à y poser leur candidature. Il faudrait adopter des critères objectifs, équitables et clairement articulés d’admissibilité à la formation avant de choisir ceux qui pourront en bénéficier.

On a noté le manque d’un mentorat approprié comme étant une barrière majeure à la formation et au perfectionnement professionnel en cours d’emploi. Un mentorat informel, où les gestionnaires sélectionnent certains employés et les « prennent sous leur aile », peut avoir pour effet d’écarter les personnes racialisées.

Les programmes formels de mentorat sont un bon moyen de s’assurer que tous les employés bénéficient de cet avantage. En outre, la participation aux programmes de mentorat de personnes racialisées qui sont cadres devrait être encouragée, afin que ces personnes puissent servir de modèles de rôle.

Lorsque l’organisation n’offre pas de formation sur la lutte contre le racisme et les droits de la personne, les gestionnaires peuvent ignorer ce qui constitue du harcèlement ou de la discrimination et comment les barrières agissent de façon à exclure certaines personnes.

Une formation continue sur la lutte contre le racisme et les droits de la personne devrait faire partie intégrante de la formation de tous les employés, particulièrement de ceux qui ont des fonctions de supervision. Il faudrait faire savoir clairement que les droits de la personne font partie de la culture et des objectifs de l’organisation, et que la formation n’est pas là simplement pour « jeter de la poudre aux yeux » et se conformer aux lois sur les droits de la personne.



Promotion et avancement

Des études sur l’équité d’emploi démontrent régulièrement que les personnes racialisées sont encore concentrées aux échelons inférieurs des organisations et que la mobilité continue de leur poser problème. Ce fait se reflète dans le nombre de plaintes qui se rapportent à la promotion et à l’avancement.


Il est donc important pour les organisations de savoir comment les systèmes de promotion et d’avancement peuvent entraver le cheminement professionnel. Certaines des barrières et des pratiques exemplaires en matière d’embauchage, par exemple le processus d’entrevue, valent aussi en matière de promotion. Comme pour toute autre prise de décisions, l’utilisation de directives informelles plutôt que de politiques écrites ou diffusées est susceptible de soulever des inquiétudes, et d’autant plus si ces approches informelles sont utilisées de façon irrégulière[165].

Barrières

Pratiques exemplaires 

Les affectations intérimaires, qui servent de « tremplin » vers la promotion, peuvent dresser des barrières importantes si le processus de nomination à ces affectations est informel, comme c’est souvent le cas. Même lorsqu’il existe un processus formel pour l’octroi des affectations intérimaires, l’employeur doit veiller à ce que tous les employés soient également au courant de ces possibilités[166].

Les affectations intérimaires sont octroyées par le biais d’un processus formel, qui comprend la diffusion de l’information sur le sujet auprès de tous les employés admissibles, et d’une procédure de sélection clairement définie, fondée sur des critères objectifs tels qu’un test écrit, une entrevue formelle et des évaluations écrites du rendement.

Certaines organisations courent le risque de recevoir des plaintes pour atteinte aux droits de la personne. Ce sont celles où l’on se fie à la direction pour sélectionner les personnes « aptes à la promotion », où l’on incite certains employés à postuler à un niveau supérieur et où l’on aide des employés « bien vus » à se préparer au processus de sélection.

Il faudrait annoncer publiquement les possibilités de promotion au sein de l’organisation et faire savoir clairement quelles sont les conditions d’admissibilité et comment se déroule le processus de sélection. De plus, comme les employés sont attentifs aux marques d’approbation et aux signes de la part de la direction leur indiquant que s’ils postulent à un niveau supérieur, leur candidature sera équitablement étudiée, il est prudent de ne pas réserver les encouragements à un petit nombre de favoris. Bien entendu, toute aide préparant au processus, par exemple des simulations d’entrevue, des lectures de fond, etc., devrait être offerte également à tous les candidats.

Les évaluations et la gestion progressive du rendement constituent un outil important, qui permet d’éviter les problèmes de discrimination. Cependant, les organisations doivent savoir que, dans certains cas, cet outil peut constituer une barrière. Par exemple, certains systèmes d’évaluation du rendement demandent à l’employé de s’autoévaluer, puis d’en discuter avec le gestionnaire. Cette façon de faire peut desservir certaines personnes racialisées, qui ont subi de la discrimination par le passé ou qui, désavantagées par des différences culturelles, hésitent à se faire valoir. Également, certaines évaluations peuvent involontairement désavantager un employé dans son cheminement ultérieur. Ainsi, insister sur « la capacité de suivre les directives » d’un employé peut l’empêcher d’obtenir une promotion exigeant « la capacité de prendre des initiatives ».

Tous les employés devraient être jaugés d’après les mêmes critères. Les gestionnaires devraient être conscients qu’une méthode d’évaluation du rendement ou qu’une évaluation donnée pourrait avoir un impact involontairement nuisible.

Le regroupement ou la concentration des personnes racialisées dans certains emplois ou catégories d’emploi, tels que des postes techniques, peut aboutir à l’impasse en matière d’avancement, particulièrement en gestion. Ce fait peut être aggravé si l’on met l’accent sur des critères subjectifs, tels que les « compétences en communication », dans l’évaluation des aptitudes d’un candidat à une promotion.

Les personnes dotées de compétences techniques supérieures devraient avoir des possibilités égales de démontrer leurs qualifications pour d’autres types d’emploi. Si nécessaire, il faudrait offrir une formation d’appoint comme passerelle entre les postes techniques et d’autres. L’organisation devrait reconnaître qu’il y a plusieurs façons de bien s’acquitter d’une fonction et que certaines exigences, dont les « compétences en communication », peuvent représenter l’application de critères non neutres au plan culturel.


Conservation de l’effectif et licenciement

En milieu de travail, l’absence de barrières contribue à réduire le taux de rotation des employés racialisés. De plus, des procédures appropriées abaissent le nombre des plaintes pour atteinte aux droits de la personne qui découlent des mises à pied, des mesures disciplinaires et du licenciement.

Barrières

Pratiques exemplaires 

Les employés racialisés peuvent quitter leur poste pour des motifs liés au harcèlement, à la discrimination ou à la perception d’injustices.

Les organisations devraient mettre en place des politiques de lutte contre le harcèlement et la discrimination, y compris un mécanisme de règlement des plaintes. Les entrevues de fin d’emploi peuvent aider à déterminer si des considérations liées aux droits de la personne ont contribué au départ des intéressés.

Des politiques incertaines en matière de mesures disciplinaires ou l’application irrégulière de ces mêmes mesures constituent un motif courant de plainte pour atteinte aux droits de la personne. De même, les décisions de mises à pied ou de licenciements qui ne sont pas fondées sur des critères objectifs, liés au poste et clairement définis, sont sources de problèmes.

Une organisation dotée d’un processus de gestion progressive du rendement bien documenté et qui applique ce processus uniformément à tous les employés adopte de bonnes pratiques en matière de ressources humaines tout en évitant les problèmes relatifs aux droits de la personne. Si un licenciement s’impose, cette organisation est mieux placée pour démontrer que la décision a été prise sur une base légitime.


[163] Voir également la publication de la Commission intitulée Les droits de la personne au travail, où sont exposés les types de questions qui sont ou non permises à divers stades du processus de recrutement, Human Resources Professionals of Ontario et Commission ontarienne des droits de la personne, Les droits de la personne au travail (Toronto, Gouvernement de l’Ontario, 2004), 44-56.
[164] Dans ACNRI, supra, note 121, un questionnaire administré en milieu de travail révélait que les membres de minorités raciales bénéficiaient moins souvent que les Blancs de possibilités de formation et de perfectionnement professionnel. On constatait également une différence quant aux façons dont les employés avaient appris l’existence de ces possibilités. Les Blancs étaient souvent renseignés sur ces possibilités par des gestionnaires, alors que les membres de minorités devaient généralement à leurs propres démarches d’apprendre leur existence [par. 55-56]. Dans Nelson, supra, note 85, le Tribunal a estimé que les fonctionnaires du conseil de l’éducation avaient subjectivement choisi l’enseignant qui serait autorisé à suivre les cours du directeur. Le plaignant avait dû demander l’autorisation de suivre ces cours, et le conseil la lui avait refusée, sous prétexte que l’approbation était réservée à ceux susceptibles de réussir. Il y avait donc eu discrimination à son endroit.
[165] Dans ACNRI, ibid., le Tribunal expliquait :

[traduction]
Les décisions en matière de dotation de personnel qui sont fondées sur un processus informel peuvent présenter une barrière à la promotion parce que, selon D. Weiner, moins le processus est formel, moins il est probable que les qualifications exigées pour le poste aient été fixées à l’avance, qu’elles seront évaluées de manière uniforme pour tous les candidats et qu’on pourra les reconnaître chez les candidats qui sont d’une manière ou d’une autre différents de ceux qui s’acquittent généralement de la fonction [par. 142].

[166] Certaines décisions rendues au chapitre des droits de la personne ont relevé les pratiques informelles d’octroi des affectations intérimaires comme constituant une barrière à l’égard des employés racialisés, qui sont ainsi moins susceptibles d’être pressentis quant à ces possibilités. Voir, par exemple, ACNRI, ibid.

[traduction]
Ce caractère informel peut susciter des barrières, puisqu’on n’aura pas nécessairement mis au courant tous les employés qualifiés qui auraient pu postuler. De plus, l’affectation intérimaire est l’occasion d’une expérience de gestion précieuse et elle impartit à la personne qui en fait l’objet l’apparence tout au moins de « convenir » à ces types de fonctions [par. 147].

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