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Délégation à la Commission de services policiers d’Ottawa sur le Projet de collecte de données fondées sur la race aux contrôles routiers

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Novembre 28, 2016

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Délégation à la Commission de services policiers d’Ottawa
sur le Projet de collecte de données fondées sur la race aux contrôles routiers

Renu Mandhane
Commissaire en chef, Commission ontarienne des droits de la personne

 

Merci de m’avoir donné l’occasion de parler du Projet de collecte de données fondées sur la race aux contrôles routiers du Service de police d’Ottawa (SPO). Ma délégation sera publiée en ligne cet après-midi, tandis que le rapport complet de la Commission ontarienne des droits de la personne, qui inclut une analyse des conclusions du rapport du SPO, sera publié sur notre site Web demain. Ce projet était le fruit d’une entente de règlement conclue en 2012 par la Commission de services policiers d’Ottawa et la CODP après que Chad Aiken, un jeune homme noir, a déposé une plainte relative aux droits de la personne pour profilage racial.

Dans le cadre de l’entente de règlement intervenu, le SPO a accepté que ses agents de police recueillent pendant deux ans à compter de 2013 des données relatives à la race sur les contrôles routiers effectués. Le SPO a respecté pleinement et a même surpassé ses obligations aux termes de l’entente, ce qui a mené à l’exécution d’un projet exhaustif de collecte de données sur les services policiers.

Mais la collecte de données n’est qu’un aspect de la situation, lequel ne se compare en rien aux expériences personnelles dévastatrices de personnes comme Chad Aiken qui voient souvent leurs droits bafoués et se heurtent à des risques énormes sur le plan personnel en raison de la couleur de leur peau ou de leur religion.  

Le profilage racial peut causer des traumatismes et des dommages persistants…

  • Le simple fait de se rendre à l’épicerie du coin en voiture ou de se promener dans la rue n’est pas agréable lorsqu’on court le risque de se faire interpeller par la police, même quand on n’a rien fait de mal.
  • Le fait d’éveiller les soupçons de la police créé un sentiment généralisé de peur et d’anxiété, même quand on n’a rien fait de mal.
  • Et on hésite à contester le traitement que l’on nous réserve, ou même à dénoncer des actes criminels, en raison du pouvoir que la police exerce sur soi.

Trop souvent, quand des personnes comme M. Aiken dénoncent la discrimination raciale, on les accuse d’être trop sensibles ou de n’avoir pas assez de preuves du caractère systémique de leur vécu, c’est-à-dire qu’on blâme quelques « pommes pourries ». Ce déni ou rejet rapide de l’expérience de vie des communautés racialisées et autochtones s’est traduit par un intérêt renouvelé pour la collecte de données relatives aux droits de la personne comme moyen de prouver que « le racisme est bien réel ».

Voilà pourquoi la CODP et les communautés racialisées sont si déçues lorsque des institutions continuent de nier l’existence de racisme systémique malgré l’obtention de données quantitatives claires à l’appui des données qualitatives comme le récit personnel de M. Aiken.

Résultats à l’appui de l’existence de profilage racial

Voilà pourquoi les commentaires récents voulant que les données du SPO ne constituent pas une « preuve » de profilage racial nous déçoivent tant. Les conclusions du rapport sont alarmantes et pleinement compatibles avec le profilage racial, surtout lorsqu’on les combine aux récits d’expérience personnelle comme ceux qui ont mené à la collecte des données. Ces conclusions ne peuvent pas et ne devraient pas être prises à la légère.

Les chercheurs ont constaté que les personnes noires et d’origine moyen-orientale étaient soumises à nombre démesurément élevé de contrôles routiers, comme l’alléguait M. Aiken dans sa requête relative aux droits de la personne. Les conducteurs noirs étaient interpellés 2,3 fois plus souvent que l’on pourrait s’y attendre compte tenu de leur nombre sur les routes, tandis que les conducteurs d’origine moyen-orientale étaient interpellés 3,3 fois plus souvent que l’on pourrait s’y attendre. D’ailleurs, même les conductrices « d’origine moyen-orientale » étaient interpellées près de trois fois plus souvent que la moyenne compte tenu de leur nombre sur les routes. Parmi les femmes incluses à l’examen, il s’agissait de la disproportion la plus élevée.

Les jeunes conducteurs noirs de sexe masculin âgés de 16 à 24 ans étaient interpellés 8,3 fois plus souvent que l’on pourrait s’y attendre compte tenu de leur nombre sur les routes. Enfin, les jeunes hommes conducteurs d’origine moyen-orientale étaient interpellés 12 fois plus souvent que l’on pourrait s’y attendre.

Les résultats des contrôles routiers de conducteurs noirs, autochtones, moyen-orientaux et autrement racialisés était aussi source de préoccupations. Selon les chercheurs, « comparativement au groupe de Blancs, les membres de ces quatre groupes minoritaires racialisés étaient plus susceptibles d’être interpellés sans qu’il y ait de motif assez sérieux pour entraîner un avertissement ou une arrestation ».

Nous voyons en cela un autre indicateur possible de profilage racial systémique.

Les données constituent-elles une « preuve » de profilage racial?

Le SPO et d’autres parties ont affirmé que les conclusions des chercheurs ne constituaient pas une « preuve » de profilage racial.  Or, l’étude n’a jamais eu pour objectif d’établir de lien de causalité. D’ailleurs, à elle seule, une recherche quantitative ne pourrait généralement pas prouver que le racisme systémique est la cause de disparités particulières. Mais des facteurs non discriminatoires à eux seuls ne peuvent expliquer les disproportions considérables ressorties des données, surtout lorsqu’on combine ces disproportions aux récits d’expérience de M. Aiken et de nombreuses autres personnes racialisées.

Les conclusions du projet de collecte de données du SPO doivent être examinées à la lumière des relations historiques entre les forces de l’ordre et les communautés racialisées et autochtones à Ottawa et dans l’ensemble du Canada. Dans de nombreuses causes récentes, des tribunaux judiciaires et administratifs ont déterminé que des interactions d’apparence neutre entre les forces de l’ordre et des personnes racialisées ou autochtones cachaient en vérité du profilage racial. Ces tribunaux ont reconnu que le profilage racial peut rarement être établi au moyen de preuves directes, et que sa démonstration se fait plus souvent par déduction, au moyen de preuve circonstancielles.

Les grandes disproportions qui sont ressorties de ce rapport constituent justement le type de preuves circonstancielles éloquentes auxquels les décideurs font référence dans le contexte du profilage racial.

Qu’entend-on par « compatible avec le profilage racial systémique »?

Dans certains cas, les partis pris personnels, implicites ou explicites, d’agents de police pourraient expliquer la disproportion raciale observée lors des contrôles routiers. Les partis pris personnels implicites d’agents de police proviennent de stéréotypes inconscients, tandis que les partis pris explicites proviennent de stéréotypes conscients. Les tribunaux judiciaires et administratifs reconnaissent que le stéréotypage racial est habituellement le résultat de croyances, de partis pris et de préjugés subtils et inconscients.

Fait davantage méconnu, la discrimination systémique ou institutionnalisée peut souvent entraîner du profilage racial. Le profilage racial systémique est plus susceptible d’être à l’origine des résultats obtenus.

Quand la CODP parle de profilage racial systémique, nous faisons référence aux politiques, aux pratiques et à la culture organisationnelle qui font partie de la structure sociale et administrative d’une organisation. Celles-ci peuvent sembler neutres, en même temps que de créer des situations où on a tendance à accorder une attention plus grande aux personnes racialisées ou autochtones.

Ces politiques ou pratiques peuvent reposer sur des partis pris raciaux inconscients. Bien que ces pratiques puissent ne pas avoir été conçues dans le but de cibler tout particulièrement les groupes racialisés, les données montrent qu’elles ont eu cet effetParmi les exemples d’activités policières courantes ou « normales » où pourraient se manifester des partis pris figurent le déploiement d’effectif, le renseignement et le contrôle des personnes donnant l’impression de « ne pas être à leur place » dans un quartier.

Par exemple, l’évocation du besoin d’affecter des agents additionnels aux secteurs « à forte criminalité » ou le désir de résidents de quartiers prioritaires d’obtenir une présence policière accrue ne peuvent justifier l’adoption de pratiques d’interpellation qui ont un effet disproportionné sur les personnes racialisées. En bref, le fait que des communautés sollicitent votre présence dans leur quartier ne signifie pas que vous puissiez effectuer un contrôle excessif de personnes innocentes ou vous mettre à ratisser à l’aveuglette.

D’ailleurs, toute stratégie de déploiement d’effectifs qui fait augmenter les contrôles routiers de personnes racialisées dans des zones « à forte criminalité » est elle-même susceptible de constituer une forme de profilage racial systémique. L’accroissement du nombre de patrouilles dans les quartiers à forte proportion de personnes racialisées signifie que les personnes racialisées seront plus susceptibles d’êtres ciblées pour des infractions mineures, comme des infractions au Code de la route, que les personnes blanches d’autres quartiers qui commettent les mêmes infractions.

Ces mesures peuvent avoir des répercussions troublantes sur la dignité des personnes racialisées, comme le démontre l’expérience de M. Aiken, surtout lorsque la situation se répète à intervalles réguliers. Nous ne pouvons tout simplement pas laisser certaines des personnes les plus marginalisées de notre société vivre dans la peur et le désespoir.

Idées fausses sur le profilage racial et le racisme systémique

Notre opinion sur les données repose sur notre profonde expérience de travail de plus d’une décennie dans le domaine du profilage racial en contexte de maintien de l’ordre. Durant toute cette période, beaucoup d’idées fausses ont été véhiculées quant à ce qui constitue réellement du profilage racial. Lorsque nous parlons de « profilage racial systémique », les dirigeants des forces policières pensent parfois que nous disons que les agents de police sont racistes. Ce n’est pas le cas.

La CODP définit le profilage racial comme toute action prise pour des raisons de sûreté, de sécurité ou de protection du public qui repose sur des stéréotypes fondés sur la race, la couleur, l’ethnie, la religion ou le lieu d’origine plutôt que sur un soupçon raisonnable, dans le but d’isoler une personne à des fins d’examen ou de traitement particulier. Le profilage racial est une forme de discrimination raciale particulièrement néfaste qui mine les relations entre les forces policières et les personnes, familles et communautés racialisées et autochtones, comme il a miné la confiance de M. Aiken.

Le manque de confiance en les forces policières a des conséquences négatives sur le système pénal, y compris celui d’accroître le risque que la population ne dénonce pas les actes criminels et ne coopère pas avec la police. En bref, le potentiel du profilage racial de miner la sécurité publique est énorme.

Planification stratégique

Dans le cadre de notre propre processus de planification stratégique, la CODP a récemment consulté près de 300 personnes représentant plus de 80 communautés et groupes de défense des droits d’un bout à l’autre de l’Ontario, des fonctionnaires indépendants de l’Assemblée législative et d’autres parties prenantes. Tout au long du processus, on nous a fait part de préoccupations relatives à la discrimination systémique dans le contexte du maintien de l’ordre, particulièrement en ce qu’elle touche les Canadiennes et Canadiens d’origine africaine et arabe et de religion musulmane, d’autres communautés racialisées, les peuples autochtones et les personnes aux prises avec des troubles mentaux.

L’élimination de la discrimination systémique au sein du système de justice pénale est donc devenue l’une de nos priorités.

Autres parties préoccupées par le profilage racial : Nations Unies

Nous ne sommes pas la seule organisation qui se préoccupe du profilage racial au sein des services de police et du système de justice pénale en général. Je vois que la Clinique juridique africaine canadienne est également ici aujourd’hui pour parler du racisme systémique dans le contexte du maintien de l’ordre. Le Groupe de travail d’experts sur les personnes d’ascendance africaine des Nations Unies, qui s’est rendu à Ottawa le mois dernier, a également trouvé « des preuves claires du caractère endémique du profilage racial dans les stratégies et pratiques des forces de l’ordre ».

Ce groupe de travail a exhorté le gouvernement à « élaborer et mettre en œuvre une stratégie de justice canadienne visant à enrayer le racisme à l’endroit des personnes noires au sein du système de justice pénale ».

Examen Tulloch

Le gouvernement de l’Ontario se préoccupe également de la situation dans nos collectivités et a donné au juge Tulloch de la Cour d’appel de l’Ontario le mandat d’examiner le Bureau du directeur indépendant de l'examen de la police, l’Unité des enquêtes spéciales et la Commission civile de l'Ontario sur la police. Le juge Tulloch a été nommé en partie pour donner suite aux préoccupations croissantes à l’égard des tensions de plus en plus grandes qui s’installent entre les services de police et les membres de la collectivité. Ces préoccupations se font clairement entendre à Ottawa compte tenu des récents incidents très médiatisés qui y sont survenus.

Importance d’agir maintenant

Bien que les autres décideurs en soi à des stades variés de leurs travaux en matière de profilage racial systémique, le Service de police d’Ottawa doit prendre certaines mesures importantes dès maintenant. Les conclusions du rapport sur la collecte de données soulignent l’importance de mettre en œuvre, dans tous les corps policiers de l’Ontario, y compris le SPO, des mesures significatives et efficaces de prévention et d’élimination de toutes les formes de profilage racial. Et le SPO a besoin de faire preuve de leadership, de reconnaître qu’il y a un problème et de s’engager à le régler. Un changement positif doit émaner du service de police lui-même, du chef et de la commission aux agents de police.

  • Les chefs de police et commissions de services policiers doivent…
    • reconnaître l’existence de discrimination systémique au sein des forces de l’ordre
    • recueillir des données afin de cerner les activités empreintes de profilage racial
    • adopter des politiques et procédures pour éliminer le profilage racial
    • encourager la surveillance indépendante et la responsabilisation
    • prendre des mesures disciplinaires contre les agents qui font de la discrimination.

Ce sont les mesures que je vous exhorte à prendre dès aujourd’hui. Je vous encourage à repenser la nature des services policiers communautaires. La tenue de réunions n’est pas suffisante. Il faut entamer des discussions continues, fréquentes et significatives entre les agents affectés à des secteurs spécifiques et les résidents de ces secteurs. Idéalement, ces agents seraient représentatifs des communautés qu’ils desservent.

Cela nécessitera le recrutement ciblé d’agents racialisés et autochtones. De cette façon, la prévention du crime s’articulerait autour de partenariats avec la collectivité et d’objectifs communs. Bien que la consultation communautaire soit importante, elle ne remplace pas la réévaluation active des activités centrales de maintien de l’ordre qui créent le type de disproportions dont fait état le rapport sur la collecte de données.

Donc, le SPO doit pousser la réflexion au-delà des mesures qu’il propose déjà, afin de faire son auto-examen et de réévaluer ses activités.

Pour que se produisent les changements systémiques requis, les services de police ne doivent pas s’employer à nier l’existence du profilage racial et à gérer les attentes de la collectivité. Ils doivent plutôt s’engager publiquement à modifier leurs pratiques, à élaborer un plan de changement organisationnel axé sur les droits de la personne et à déployer les efforts requis pour apporter les modifications prévues.

Responsabilisation de l’ensemble du système

Les services de police peuvent uniquement avoir du succès s’ils bénéficient du soutien et de la confiance de la collectivité qu’ils desservent. Le projet de collecte de données fournit des preuves de pratiques inéquitables qui minent probablement cette confiance. En tant que membres de la Commission de services policiers d’Ottawa, vous êtes bien placés pour créer une vision de respect des droits de la personne et tenir responsables les agents qui ne respectent pas cette vision.

À l’échelle de la Commission, je vous exhorte à exiger la collecte de données relatives aux droits de la personne, comme celles touchant les contrôles routiers, pour mesurer et évaluer dans quelle mesure le SPO satisfait à ses obligations en matière de droits de la personne. Il est essentiel que la Commission forme un comité de surveillance indépendant chargé de déterminer si le SPO se conforme à sa politique sur le profilage racial et d’évaluer ses progrès au fil du temps.

Je vous exhorte à prendre les mesures correctives requises pour éliminer la discrimination systémique. La responsabilisation des parties n’a rien avoir avec le fait de blâmer les gens.

Quand des dérapages surviennent, les institutions puissantes doivent accepter leur responsabilité. Il s’agit d’une des principales façons de regagner la confiance des gens et d’accroître la sécurité communautaire.

Responsabilisation – Sjaarda

Je ne demande rien de nouveau ici. En sa qualité de chef de file, ce n’est pas la première fois que le SPO recueille des données relatives aux droits de la personne pour accroître sa responsabilisation. Par exemple, l’ordre du jour de la journée contient également une discussion sur la collecte de renseignements dans le cadre du règlement d’une affaire de droits de la personne portant sur l’égalité des sexes au sein du SPO.

Nous avons été heureux d’apprendre que le SPO avait mené un examen de la représentation hommes-femmes qui avait confirmé qu’il restait du travail à faire pour assurer l’égalité des femmes au sein du SPO et cerné des sources de préoccupation particulières. Les examens de la représentation hommes-femmes et autres initiatives du genre permettent aux organisations de déterminer s’il existe des obstacles systémiques nuisant aux groupes protégés par le Code, et de cerner ces obstacles.

Le fait que le SPO a reconnu avoir un problème systémique qu’il devait régler pour assurer l’égalité des sexes est probablement ce qui nous rend le plus heureux. Le SPO a rempli ses engagements relativement à la première date butoir du procès verbal de règlement, et s’est clairement engagé à satisfaire aux exigences qu’il lui reste.

Nous exhortons le SPO à prendre les mêmes mesures à l’égard du rapport sur la collecte de données relatives aux contrôles routiers. Nous vous exhortons à pousser la réflexion au-delà des chiffres pour y inclure les questions systémiques qui contribuent clairement à la situation. Nous vous exhortons à cerner les politiques, procédures et activités qui rendent le profilage racial possible, et à en accepter la responsabilité. Et nous vous exhortons à examiner votre culture organisationnelle pour vous assurer qu’elle favorise l’inclusion et non l’exclusion par inadvertance.

La Commission surveille activement les mesures que prend le Service de police d’Ottawa pour composer avec les questions de profilage racial. Comme toujours, nous serions heureux de vous fournir des conseils stratégiques pour vous aider à satisfaire à votre obligation juridique d’offrir des services policiers non discriminatoires dans les communautés diversifiées que vous desservez.

C’est le moins que nous puissions faire pour Chad Aiken et toutes les autres personnes qui n’ont pas pu jouir des droits qu’elles possèdent en tant qu’Ontariennes et Ontariens.

Merci.