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Mémoire présenté par la CODP au ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels

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Décembre 11, 2015

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Résumé

La Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) est heureuse d'avoir l'occasion de présenter ses observations sur le projet de règlement publié par le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels (ci-après le « Ministère ») sur les contrôles de routine. La CODP soutient pleinement les objectifs de ce projet de règlement, et notamment celui qui consiste à garantir que les interactions avec le public sont « uniformes et exemptes de préjugés ou de discrimination, favorisent la confiance du public et assurent la sécurité des collectivités »[1].

La CODP a axé ses observations sur le profilage racial, qui constitue une infraction évidente au Code des droits de la personne (ci-après le « Code »). De nombreuses personnes racialisées vivant en Ontario, en particulier des Afro-Canadiens et des peuples autochtones, ont ainsi fait l’objet d’un « fichage », qui représente une autre forme de profilage racial.

Le projet de règlement constitue un pas dans la bonne direction. Il prévoit, en effet, un certain nombre de mesures utiles en matière de responsabilisation, de protection des droits et d'interdiction afin de prévenir le profilage racial lors des contrôles de routine. Toutefois, il ne va pas assez loin. Son application reste limitée et il ne fournit pas de cadre suffisant pour empêcher le profilage racial lors des contrôles de routine autorisés (c.-à-d. lorsqu'un agent de police recueille des informations aux fins du renseignement en matière criminelle ou obtient des renseignements sur des « activités suspectes »[2]). 

Les contrôles de routine peuvent donner lieu, et donnent parfois lieu, à un profilage racial lorsqu'un agent de police enquête sur une infraction particulière. Or, les mécanismes de responsabilisation, de protection et d'interdiction prévus par le projet de règlement ne s'appliquent pas dans ce cas précis.

Si le Code interdit aux forces de police d’élargir le champ de leurs enquêtes aux personnes racialisées dans leur ensemble lorsqu’elles disposent d’une vague description de suspect fondée sur la race, tel n'est pas le cas dans le projet de règlement. Ce dernier permet, en effet, l'utilisation inappropriée de la race d'une personne lors d'un contrôle de routine si cette caractéristique s'inscrit dans le cadre d'une description peu précise du suspect, telle qu'un « Noir avec une capuche ».

Le lien nécessaire entre un particulier et un contrôle de routine autorisé apparaît ténu dans le projet de règlement. Les dispositions qu'il contient autorisent des tactiques policières qui risquent d'avoir une incidence disproportionnée sur les Afro-Canadiens, les peuples autochtones et d'autres communautés racialisées. Or, les Afro-Canadiens sont déjà surreprésentés dans les contrôles de routine visant des « activités suspectes », ce qui est un signe de profilage racial. Cette catégorie de contrôles n'encadre pas suffisamment le pouvoir discrétionnaire des agents de police pour permettre de prévenir le profilage racial. 

En raison de leur situation et de leur vécu, de nombreux Ontariens racialisés, en particulier des jeunes, n’osent pas revendiquer leur droit de ne pas répondre aux questions qui leur sont posées par la police, de ne pas présenter une pièce d’identité ou de mettre un terme au contrôle de routine. Bien que le projet de règlement exige des services de police qu'ils informent les personnes interpellées de leur droit de circuler sans se soumettre au contrôle de routine, il ne fait pas état de leur devoir de notification concernant les autres droits essentiels précités. 

La remise de reçus suffisamment détaillés aux personnes faisant l’objet d’un contrôle de routine constitue un mécanisme de suivi efficace. Toutefois, le projet de règlement n'exige pas d'un agent de police qu'il indique la raison du contrôle de routine qu'il sollicite sur un reçu. Il confère, en outre, à l'agent un vaste pouvoir discrétionnaire quant au choix de remettre, ou non, ce reçu.

Pour limiter les effets préjudiciables des contrôles de routine, les données recueillies lors de ces contrôles et conservées à des fins de renseignement ou d’enquête, sans qu’il y ait de raison non discriminatoire à cela, doivent être supprimées. Or, le projet de règlement autorise les services de police à conserver indéfiniment de telles données. 

À des fins de responsabilisation, la collecte de données lors d'un contrôle de routine doit garantir la comparabilité et permettre de s'attaquer à tout profilage racial. Le projet de règlement prévoit que l'agent de police puisse recueillir des données relatives à la race, au groupe d'âge et au sexe d'une personne en se fiant à sa propre perception et il ne garantit aucune comparabilité, ni responsabilisation qui permettrait d'identifier des tendances à l'échelle de la province et de déceler toute donnée procédant d'un profilage racial. Une uniformisation accrue est donc nécessaire dans ce domaine.

Il faudrait, par ailleurs, imposer aux nouvelles recrues, aux agents actuellement en exercice, aux enquêteurs, aux superviseurs et aux responsables de la police de suivre une formation poussée sur le profilage racial. Le projet de règlement exige uniquement une formation pour les agents de police qui tentent de recueillir des renseignements personnels et il ne précise pas que cette formation doit porter sur le profilage racial. Le règlement provisoire ne définit pas non plus les principes et questions connexes.

Les commissions de services policiers doivent assurer une surveillance et une responsabilisation systématiques et efficaces relativement au profilage racial. Dans ce domaine, le projet de règlement formule d'importantes orientations à l'intention des chefs de police sans tenir compte du pouvoir, ni de la responsabilité qui incombe aux commissions de services policiers de demander des comptes à leurs services en matière de profilage racial. Les commissions devraient, en effet, effectuer des vérifications de conformité avec le règlement et leurs politiques et un contrôleur indépendant devrait veiller au respect du règlement.

La CODP recommande au Ministère d'apporter les changements nécessaires à son projet de règlement afin de protéger le droit de tout Ontarien à des contrôles de routine sans profilage racial. Les préoccupations de la CODP concernant ce projet de règlement et les modifications qu'elle recommande d'adopter sont présentées ci-après. Pour tout renseignement complémentaire à ce sujet, veuillez consulter la Position commune[3]. Cette dernière, co-rédigée par la CODP, reflète les points de vue d'un réseau de juristes, d'activistes communautaires et d'universitaires.

Introduction

La Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) est l’organisme provincial créé en vertu d’une loi qui est chargé d’assurer la promotion et l’avancement des droits de la personne et de prévenir la discrimination systémique en Ontario. La CODP remplit un certain nombre de fonctions en vertu du Code des droits de la personne de l’Ontario, notamment en matière d’élaboration de politiques, d’éducation du public, d’enquêtes, de présentation de requêtes auprès du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (TDPO) et d’interventions dans des procédures judiciaires. De plus, la CODP a le pouvoir de surveiller et de signaler n’importe quelle situation qui se rapporte à l’état des droits de la personne dans la province de l’Ontario. Ce pouvoir inclut l’examen des lois, règlements et politiques afin d’assurer leur compatibilité avec les finalités du Code[4].  

La CODP est heureuse d'avoir l'occasion de présenter ses observations sur le projet de règlement publié par le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels (ci-après le « Ministère ») sur les contrôles de routine. Elle soutient pleinement les objectifs de ce projet de règlement, et notamment celui qui consiste à garantir que les interactions avec le public sont « uniformes et exemptes de préjugés ou de discrimination, favorisent la confiance du public et assurent la sécurité des collectivités »[5].

Le Code établit nos responsabilités et nos droits les plus fondamentaux et bénéficie d’un statut quasi constitutionnel[6]. En vertu de l’article 1 du Code, toute personne a droit à un traitement égal en matière de services policiers, « sans discrimination fondée sur la race, l’ascendance, le lieu d’origine, la couleur, l’origine ethnique, la citoyenneté, la croyance, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité sexuelle, l’expression de l’identité sexuelle, l’âge, l’état matrimonial, l’état familial ou un handicap[7].

Le profilage racial par la police en Ontario constitue une infraction à l’article 1 du Code[8]. La CODP a axé sa contribution sur cette forme de discrimination raciale[9]. Cette contribution est largement influencée par son expertise quant aux mesures nécessaires pour s’attaquer au profilage racial.

La CODP définit le profilage racial comme toute action prise pour des raisons de sûreté, de sécurité ou de protection du public qui repose sur des stéréotypes fondés sur la race, la couleur, l’ethnie, l'ascendance, la religion ou le lieu d’origine plutôt que sur un soupçon raisonnable, dans le but d’isoler une personne à des fins d’examen ou de traitement particulier. La combinaison des facteurs susmentionnés avec d’autres motifs, comme l’âge et/ou le sexe, peut également donner lieu à un profilage racial[10].

Lien entre la Loi sur les services policiers et le Code des droits de la personne

En règle générale, le Code prévaut sur les autres lois de l’Ontario[11]. Il incombe au Ministère de tenir compte du Code pour interpréter, appliquer ou créer des règlements en vertu de la Loi sur les services policiers[12], ainsi que pour élaborer des politiques d’interprétation et des lignes directrices.

La déclaration de principes de la Loi sur les services policiers inclut notamment les principes suivants :

  1. L’importance de préserver les droits fondamentaux garantis par la Charte canadienne des droits et libertés et le Code des droits de la personne
  2. Le besoin d’être sensible au caractère pluraliste, multiracial et multiculturel de la société ontarienne[13].

Dans son rapport sur les services policiers lors du Sommet du G20, le juge Morden examine ces principes et affirme ce qui suit :

On pourrait penser qu’il n’est pas nécessaire de faire référence à la Charte et au Code des droits de la personne car ceux-ci s’appliquent naturellement et directement à tous les cas incluant des faits qui les rendent applicables. L’objectif du paragraphe 1(2) n’est toutefois pas de prévoir l’application de ces deux textes de loi, mais plutôt de rappeler aux personnes exerçant leurs fonctions aux termes de la Loi sur les services policiers les principes qu’elles doivent constamment respecter dans le cadre de leur mission. Ceci est d’une importance cruciale car l’exercice d’un grand nombre de pouvoirs policiers, par exemple en matière d’arrestations, de détention, de perquisitions et saisies, ainsi que de dépôts d’accusations, concernent des droits qui sont protégés par la Charte ou le Code des droits de la personne. En conséquence, il est important que la Loi sur les services policiers mette en évidence ces protections juridiques relatives aux droits fondamentaux qui sont si précieux au sein de notre société et qui risquent d’être enfreints dans le cadre de l’action policière[14]. [Traduction libre]

Dans l’arrêt Shaw v. Phipps, la Cour divisionnaire a examiné ces principes et a déterminé que « les agents de police ont de fait l’obligation légale de respecter le Code »[15] [traduction libre].

Enfin, l’importance des droits de la personne est soulignée dans le code de conduite prescrit par la Loi sur les services policiers, qui interdit la discrimination et le harcèlement fondés sur des motifs prévus au Code[16].

Fichage et profilage racial

De nombreuses personnes racialisées vivant en Ontario, en particulier des Afro-Canadiens et des peuples autochtones, ont déjà fait l’objet d’un « fichage », qui constitue une autre forme de profilage racial. La CODP a rappelé plusieurs fois les points suivants :

  1. Dans la majorité des cas, des agents du Service de police de Toronto (SPT) ont interpellé des civils afin de leur demander des renseignements personnels et des informations sur leur situation personnelle, qu’ils ont consignés et conservés, sans justification autre que la tenue d’une « enquête générale »[17].
  2. Ces interpellations peuvent conduire à des détentions arbitraires, à des interrogatoires déraisonnables, à des demandes d’identification, à des actes d’intimidation, à des fouilles et à des voies de fait[18].
  3. Il existe une nette surreprésentation des Afro-Canadiens recevant des cartes de contact dans tous les quartiers de Toronto, y compris dans les zones de patrouille où se trouve leur lieu de résidence, dans la catégorie des « enquêtes générales », ce qui est un signe de profilage racial[19].

En ce qui concerne le fichage, les préoccupations liées au profilage racial dépassent largement les limites de la ville de Toronto. En effet, il existe également une surreprésentation des Afro-Canadiens dans les contrôles de routine menés à Peel[20], Hamilton[21], Ottawa[22] et London[23], tandis que les peuples autochtones sont surreprésentés dans les contrôles de routine réalisés à London[24] et les Moyen-Orientaux dans ceux d'Ottawa[25]. En 2012, à Hamilton, un Autochtone a ainsi fait l'objet de 14 cartes de contact[26].

L'affaire McKay v. Toronto Police Services Board est un exemple de contrôle de routine entaché par le profilage racial d'un Autochtone. M. McKay, le plaignant, et son ami sont interpellés par l'agent Fitkin, aux environs de 4 h 30 du matin, dans une allée de Little Italy à Toronto. Cette interpellation intervient dans un quartier en proie à un climat de craintes d'introductions par effraction. Au moment des faits, M. McKay et son ami distribuaient des prospectus. Le TDPO admet que la décision de suivre M. McKay et son ami dans l'allée, de leur demander leur pièce d'identité et de procéder à une vérification auprès du CIPC n'est pas discriminatoire. En revanche, il juge que la décision prise par l'agent Fitkin de mener une enquête plus approfondie est discriminatoire puisqu'elle procède très certainement de stéréotypes négatifs selon lesquels les peuples autochtones manquent de crédibilité et sont plus enclins à la criminalité. M. McKay s'est, en effet, montré coopératif avec l'agent de police et son ami, ainsi que les prospectus, ont corroboré son explication quant à la raison de sa présence dans l'allée. De plus, après vérification auprès du CIPC, son identité a été confirmée. M. McKay ne fait, par ailleurs, l'objet d'aucune accusation en instance et il n'a aucunement manifesté de comportement suspect. En dépit de ce qui précède, l'agent Fitkin a cherché à savoir si la bicyclette de M. McKay avait été volée, a refusé de tenir compte de son explication sur l'achat de la bicyclette, a arrêté M. McKay pour le mauvais vélo, en se basant sur des renseignements incomplets et douteux, a exigé de M. McKay qu'il se soumette à un contrôle plus approfondi pour s'assurer qu'il était bien le propriétaire de la bicyclette et a multiplié les vérifications judiciaires le concernant, une fois le contrôle de routine terminé. En conséquence, le TDPO conclut que M. McKay a été victime de discrimination raciale[27].

Nature systémique du profilage racial

Le profilage racial dans la police va au-delà de la pratique du fichage[28]. Il ne se limite pas aux décisions d’interpeller, d’interroger ou de détenir quelqu’un, mais peut influencer les interactions entre les personnes après la première prise de contact[29]. À titre d’exemple, il peut y avoir profilage racial lors de contrôles routiers[30], de fouilles[31], de prélèvements d’échantillons d’ADN[32], de décisions d’arrestation[33] et d’incidents de recours à la force[34]

Les cours et les tribunaux ont reconnu à de multiples reprises que le profilage racial est un problème systémique au sein de la police.

Dans l’arrêt Nassiah, le TDPO affirme ce qui suit :

Ce qui est nouveau (depuis les vingt dernières années), ce sont les preuves croissantes indiquant que cette forme de discrimination raciale ne constitue pas seulement le résultat d’actes isolés de quelques « mauvaises graines », mais bien la manifestation d’un préjugé d’ordre systémique que l’on retrouve dans de nombreux corps de police. Autre fait récent : l’acceptation croissante par les tribunaux canadiens de l’existence du profilage racial au sein des forces de police du Canada et leur volonté d’examiner ces comportements policiers en apparence « neutres » pour déterminer s’ils constituent une manifestation du phénomène de profilage racial[35].

[…]

Dans l’ensemble, les recherches en sciences sociales apportent la preuve que, sur le plan statistique, les minorités raciales, en particulier les Noirs, font l’objet d’un degré de suspicion plus élevé de la part de la police, et ce, en raison de leur race, motif souvent associé à d’autres facteurs[36]. [Traduction libre]

Dans l’arrêt Peart, la Cour d’appel de l’Ontario statue ce qui suit :

La collectivité dans son ensemble et les tribunaux en particulier reconnaissent désormais – d’aucuns diraient « enfin » – que le racisme existe au sein du système de justice pénale. [...] Cette reconnaissance s’accompagne d’une acceptation de la part des tribunaux de l’existence du profilage racial, qui constitue une réalité quotidienne des minorités touchées[37]. [Traduction libre]

Pour s’attaquer à la pratique du profilage racial par la police, le gouvernement de l’Ontario doit apporter une réponse systémique aux préoccupations des communautés concernées[38]. Bien que le mémoire de la CODP porte uniquement sur le problème du profilage racial lors des contrôles de routine, ces contrôles doivent malgré tout être envisagés dans le contexte plus large du racisme à l'égard des Noirs et des Autochtones.

Dans l'affaire R. c. R.D.S., la Cour suprême cite l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario dans Parks et déclare que :

Le racisme, en particulier le racisme anti-noir, est partie intégrante de la mentalité de notre société. Une couche importante de la société professe ouvertement des vues racistes. Une couche plus large encore est inconsciemment influencée par des stéréotypes raciaux négatifs.[39]

Dans l'affaire R. v. Williams, la Cour suprême reconnaît l’existence d'un racisme largement répandu à l'encontre des peuples autochtones et conclut que :

Le racisme dont sont victimes les Autochtones comprend des stéréotypes en matière de crédibilité, de respectabilité et de propension à la criminalité. Comme l’a affirmé l’Association du Barreau canadien dans Locking up Natives in Canada: A Report of the Committee of the Canadian Bar Association on Imprisonment and Release (1988), à la page 5 :

Tout simplement, être ivre, Indien et en prison sont les termes d’une même équation. À l’instar de nombreux stéréotypes, celui-là a un côté sombre. Il reflète une perception des Autochtones comme formant un peuple non civilisé, dépourvu d’ordre social ou moral cohérent. Ce stéréotype nous empêche de considérer les Autochtones comme des égaux.[40]

Application restreinte du projet de règlement (articles 1 à 3)

Les contrôles de routine peuvent donner lieu, et donnent parfois lieu, à un profilage racial lorsqu'un agent de police enquête sur une infraction particulière. Or, les mécanismes de responsabilisation, de protection et d'interdiction prévus par le projet de règlement ne s'appliquent pas dans ce cas précis.

Alors qu'il existe une surreprésentation des Afro-Canadiens dans les contrôles de routine menés à Peel, des milliers d'entre eux dépassent le cadre du projet de règlement. En 2014, 21,3% des contrôles de routine réalisés, soit 3 013 contrôles, étaient « motivés par la recherche d'un ou plusieurs suspects à la suite d'une infraction, pour laquelle l'identification des coupables pouvait être facilitée par un contrôle de routine ».[41] [Traduction libre]

L'affaire Phipps v. Toronto Police Services Board est un exemple de profilage racial exercé lors d'un contrôle de routine, qui dépasse le champ d'application du projet de règlement car il intervient dans le cadre d'une enquête sur une infraction particulière. L'agent Shaw enquête, en effet, sur une infraction liée à des coupures de lignes téléphoniques dans le quartier de Bridle Path, à Toronto, quand il interpelle M. Phipps, un employé noir de Postes Canada, puis lui demande de présenter une pièce d'identité. Il procède ensuite à une vérification des pièces produites, qui ne révèle rien d'anormal.[42] La Cour d'appel de l'Ontario statue finalement que la conclusion du TDPO, selon laquelle M. Phipps a subi un profilage racial, est raisonnable et étayée par les constatations de faits suivantes :[43]

  • L'agent Shaw a interpellé et questionné M. Phipps en dépit du fait qu'il ne correspondait pas à la description physique des suspects (des hommes blancs, originaires d’Europe de l’Est, qui se déplaçaient en voiture).
  • L'agent Shaw n'a interpellé et questionné aucun des travailleurs blancs du secteur tertiaire ou de la construction qui se trouvaient dans le quartier de Bridle Path, au moment des faits.
  • L'agent Shaw a ensuite abordé un facteur de race blanche présent sur les lieux, pour se renseigner sur la bonne foi de M. Phipps.

Dans sa lettre du 21 septembre 2015 au ministre Naqvi, le chef De Caire du Service de police de Hamilton rapporte un autre exemple inquiétant de profilage racial lors d'un contrôle de routine. La situation qu'il décrit dépasse le champ d'application du projet de règlement car elle intervient dans le cadre d'une enquête sur une infraction particulière. À propos d'un échange de coups de feu impliquant deux jeunes noirs à Hamilton, en mai dernier, M. De Caire écrit ceci :

Lorsque nos agents sont envoyés dans la zone des tirs, leur objectif est d'interpeller, de questionner et d'enquêter sur des jeunes hommes noirs. Nous avons l'intention d'interpeller et de parler avec autant de personnes que possible car nous ignorons qui pourrait être un suspect, une personne d'intérêt, une victime, un témoin ou un particulier susceptible de vouloir jouer le rôle d'informateur honorable dans l'enquête. Nous l'ignorons tant que nous ne recueillons pas de renseignements.[44]

D'après l'exemple fourni par le chef De Caire, tout particulier qui se trouve être un jeune homme noir sera interpellé et questionné et les renseignements recueillis le concernant seront enregistrés dans une base de données policière sans qu'il y ait de soupçon d'acte répréhensible en son endroit. Il s'agit d'un parfait exemple de profilage racial pratiqué lors d'un contrôle de routine, mais la situation décrite dépasse le cadre du projet de règlement. 

La politique sur les contacts communautaires rédigée par la Commission de services policiers de Toronto (CSPT) répond à cette problématique. Elle s'applique, en effet, lorsque la police « enquête sur une infraction particulière ou une série d'infractions » [traduction libre].[45] La CODP recommande donc au Ministère de modifier son projet de règlement pour qu'il s'applique aux interactions entre la police et la communauté, y compris dans le cadre d'une enquête sur une infraction particulière, sous réserve des exceptions précisées dans la Position commune. 

Interdiction de pratiquer le fichage (article 4)

Généralités

Le projet de règlement interdit toute tentative par un agent de police de recueillir des renseignements personnels auprès d'un particulier si cet agent :[46]

  1. mène une enquête générale sur des infractions qui pourraient être commises dans l'avenir en l'absence de données précises sur ces infractions, ou
  2. met en œuvre des programmes de sensibilisation à la présence de la police dans la collectivité.

Ces interdictions contribueront à prévenir le profilage racial lors de toute tentative de collecte de renseignements personnels par un agent de police auprès d'un particulier.

Le projet de règlement fournit, en outre, quelques orientations visant à lutter contre le profilage racial dans les situations où un agent de police:

  1. recueille des informations, aux fins du renseignement en matière criminelle, au sujet de particuliers dont on sait ou soupçonne raisonnablement qu’ils se livrent à des activités illégales, ou
  2. obtient des renseignements sur des activités suspectes dans le but de déceler des activités illégales. 

À cette fin, le projet de règlement exige que l'agent de police qui tente de recueillir des renseignements identificatoires auprès d'un particulier ait un motif clairement formulable qui comprend des précisions concernant le particulier qui lui font croire que l’identification du particulier peut être pertinente pour la réalisation d’une des fins précitées. Le motif de cette tentative de collecte ne saurait se limiter au seul fait que le particulier se trouve dans un quartier à forte criminalité.[47] 

Le lien requis par le projet de règlement entre un particulier et un contrôle de routine autorisé apparaît, toutefois, ténu. Les dispositions que ce règlement contient autorisent des tactiques policières qui risquent d'avoir une incidence disproportionnée sur les Afro-Canadiens, les peuples autochtones et d'autres communautés racialisées. Par exemple, le simple fait de vivre ou de se rendre dans un bâtiment visé par des soupçons d'activités liées à la drogue ou à des bandes de rue fournirait un lien suffisant pour justifier la collecte de renseignements personnels auprès d'un résident ou d'un visiteur, tout en satisfaisant aux dispositions du projet de règlement. De plus, les Afro-Canadiens sont déjà surreprésentés dans les contrôles de routine impliquant des « activités suspectes », ce qui est un signe de profilage racial.[48] Cette catégorie de contrôles n'encadre pas suffisamment le pouvoir discrétionnaire des agents de police pour permettre de prévenir le profilage racial.

Race

Si le Code interdit aux forces de police d’élargir le champ de leurs enquêtes aux personnes racialisées dans leur ensemble lorsqu’elles disposent d’une vague description de suspect fondée sur la race, tel n'est pas le cas dans le projet de règlement. Ce dernier permet, en effet, l'utilisation inappropriée de la race d'une personne lors d'un contrôle de routine si cette caractéristique s'inscrit dans le cadre d'une description peu précise du suspect, telle qu'un « Noir avec une capuche ».

L'utilisation inappropriée de la race d'une personne dans les descriptions de suspects soulève d'importantes inquiétudes quant au respect des droits de la personne. La CODP a recueilli les préoccupations d'un certain nombre de membres de la communauté noire de Toronto à qui la police avait souvent indiqué, lors des contrôles de routine, qu'ils correspondaient à la description d'un suspect. 

Dans l'affaire Maynard v. Toronto Police Services Board, un agent de police qui enquêtait sur un incident impliquant une arme à feu dont le suspect était décrit comme un homme noir conduisant une voiture de sport noire a décidé de suivre le plaignant parce qu’il s’agissait d’un jeune noir seul au volant d’une BMW noire. Le TDPO a souligné que l’agent ne disposait d’aucune indication quant à l’âge du suspect et a estimé que l’explication la plus raisonnable de la décision de l’agent résidait dans le fait que le plaignant était un « homme noir, plus spécifiquement un jeune noir, conduisant un véhicule noir […], si bien qu’il a été stéréotypé comme une personne susceptible d’être impliquée dans un incident en lien avec une arme à feu » [traduction libre]. Le TDPO a expliqué que cela correspondait à un profilage racial en vertu duquel tous les hommes noirs conduisant seuls une voiture noire dans ce quartier devenaient des suspects potentiels. Le TDPO a conclu que si le suspect avait été blanc, dans les mêmes circonstances, sans autre caractéristique qui le définisse et avec aussi peu de renseignements sur la voiture et sa destination, l'agent n'aurait certainement pas choisi de suivre le premier homme blanc aperçu au volant d'une voiture noire, à proximité du Malvern Town Centre.[49]

Le TDPO reconnaît que l'utilisation non discriminatoire de la race d'une personne pour identifier un suspect, une victime ou un témoin dépend du contexte. Il recommande donc d'interdire, sauf en cas d'urgence, toute utilisation de la race d'une personne par la police pour identifier un suspect, une victime ou un témoin, à moins qu'elle dispose d'une description détaillée du particulier en question. En outre, comme indiqué ci-après, « la description d’un suspect, d’une victime ou d’un témoin n’incluant pas suffisamment de détails autres que la race » ne devrait pas satisfaire aux critères requis pour justifier un contrôle de routine. Pour de plus amples précisions à ce sujet, le TDPO invite le Ministère à consulter la politique déposée par le Service de police d'Ottawa sur le profilage racial, selon laquelle[50] :

En l'absence d'une explication raisonnable et neutre d'un point de vue racial, un agent de police ne doit pas affirmer qu'une personne racialisée correspond à la description d'un suspect connu :

  1. s'il existe des traits clairement distinctifs entre les deux particuliers, ou
  2. s'il n'est pas en mesure de formuler clairement sur quels autres éléments de la description il s'est appuyé (p. ex. la taille, le poids, l'âge, le lieu des faits ou toute autre caractéristique).  

Activités policières légitimes, non arbitraires et non discriminatoires

Pour permettre aux agents de police d'exercer leurs activités de façon légitime, non arbitraire et non discriminatoire tout en encadrant suffisamment leur pouvoir discrétionnaire pour prévenir les contrôles de routine discriminatoires et arbitraires, la CODP préconise de modifier le projet de règlement afin d'adopter les critères suivants :

  1. Un agent de police ne peut pas interpeller une personne dans un contexte autre que l’arrestation impliquant et/ou ayant pour but de demander et/ou d’obtenir des données d’identification, des renseignements personnels et/ou des informations sur sa situation, sauf dans le cadre des activités policières légitimes, non arbitraires et non discriminatoires précisées au point 2 ci-dessous (clause 2).
  2. Un agent de police peut uniquement interpeller une personne dans un contexte autre que l’arrestation impliquant et/ou ayant pour but de demander et/ou d’obtenir des données d’identification, des renseignements personnels et/ou des informations sur sa situation, dans les cas suivants :
  1. L’interpellation a uniquement pour objectif d’enquêter sur une infraction criminelle particulière ou sur une série d’infractions criminelles particulières et l’agent a un motif raisonnable de soupçonner que la personne est impliquée dans l’activité criminelle faisant l’objet de l’enquête et/ou de penser qu'elle est liée à l'infraction en tant que victime et/ou témoin.
  1. L’interpellation a uniquement pour objectif d’empêcher qu’une infraction particulière soit commise et l’agent a un motif raisonnable de soupçonner que la personne est impliquée dans l’activité criminelle faisant l’objet de l’enquête et/ou de penser qu'elle est liée à l'infraction en tant que victime et/ou témoin.
  2. L’agent pense que l’interpellation et la demande de données d’identification, de renseignements personnels ou d’informations sur la situation d’une personne sont immédiatement nécessaires pour protéger ladite personne ou un tiers identifié contre tout risque ou préjudice imminent ou évident.
  3. L'agent sait que l'interpellation est nécessaire car la personne a l’obligation légale de présenter un permis ou une pièce d’identité, comme dans le cas où un particulier conduit un véhicule automobile.
  4. L'agent sait que l’interpellation est nécessaire pour faire respecter une loi provinciale ou un règlement municipal.
  5. L’agent sécurise une scène de crime potentielle, participe à une opération de sécurité ou répond à une situation d’urgence, et demande à une personne se trouvant dans une zone d’accès restreint, ou cherchant à y pénétrer, de s’identifier afin de déterminer si ladite personne est autorisée à accéder à cette zone et dans quelles conditions.
  1. Les motifs suivants ne sauraient justifier un contrôle de routine et ils ne satisfont pas à la clause 2 précédente :
  1. Une future infraction ou enquête criminelle non spécifiée ou une « enquête générale ».
  2. Un profilage ou des stéréotypes fondés sur la race, l'identité sexuelle, l'expression de l'identité sexuelle, la sexualité, la santé mentale, le statut socioéconomique et/ou d'autres motifs de discrimination interdits par la Charte ou le Code des droits de la personne.
  3. L'exercice, par un particulier, de son droit à garder le silence, à contester son interpellation ou à circuler sans s'y soumettre.
  4. Un « pressentiment », une suspicion ou une conviction, qu’il s’agisse d’une intuition fondée sur l’expérience ou sur un autre élément.
  5. La simple présence dans un quartier particulier, à fort taux de criminalité ou dit « chaud ».
  6. La description d’un suspect, d’une victime ou d’un témoin n’incluant pas suffisamment de détails autres que la race.
  7. L’atteinte d’un quota ou d’un objectif de rendement relativement au nombre de contrôles de routine.
  8. L’accroissement de la sensibilisation à la présence policière dans la collectivité.
  1. Il est également entendu que :
  1. Une interpellation sans soupçon ni motif raisonnable tel qu'énoncé au point 2(a) ou 2(b), qui est effectuée dans le but d’acquérir éventuellement un tel soupçon ou motif raisonnable, ne satisfait pas au point 2(a) ou 2(b) précité.
  2. La prolongation d'une interaction dans l'intention d'acquérir un soupçon ou un motif raisonnable tel qu'énoncé au point 2(a) ou 2(b) ne satisfait pas au point 2(a) ou 2(b) précité.

Notification des droits (article 5)

De nombreux Ontariens racialisés, en particulier des jeunes, n’osent pas revendiquer leur droit de ne pas répondre aux questions qui leur sont posées par la police, de ne pas présenter une pièce d’identité ou de mettre un terme à un contrôle de routine. Or, comme l'a établi le TDPO dans l’arrêt Abbott, le rapport de force inégal entre un agent de police et un particulier peut être « exacerbé de façon inappropriée lorsqu’il s’ajoute à une dynamique de pouvoir axée sur la race et le genre » [traduction libre][51]. De même, à travers les motifs partiellement concordants qu’il avance dans l’arrêt Grant, le juge Binnie soutient qu’un membre d’une minorité visible, « en raison de sa situation et de son vécu, est davantage susceptible d'hésiter à désobéir aux directives de la police et que toute affirmation de son droit de quitter les lieux risque d’être considérée en soi comme une esquive » [traduction libre][52]. Dans l’arrêt Fountain, la Cour de justice de l’Ontario est prête à reconnaître que cela puisse être particulièrement vrai pour les jeunes hommes noirs vivant dans certains quartiers de Toronto où la présence policière est plus forte. Selon la Cour, les jeunes hommes noirs « semblent être très souvent la cible d’interpellations proactives de la part des services de police communautaires » [traduction libre][53].

Bien que le projet de règlement exige des policiers qu'ils informent les personnes interpellées de leur droit de circuler librement, il ne prévoit aucune notification du droit de ne pas répondre aux questions de la police ou de ne pas présenter une pièce d'identité. Ce projet de règlement devrait donc être modifié pour inclure la notification des droits précités parmi les devoirs de la police.

Reçus (article 6)

La remise de reçus suffisamment détaillés aux personnes faisant l’objet d’un contrôle de routine constitue un mécanisme de suivi efficace. Toutefois, le projet de règlement n'exige pas d'un agent de police qu'il indique la raison du contrôle de routine qu'il sollicite sur un reçu. Il confère, en outre, à l'agent un vaste pouvoir discrétionnaire quant au choix de remettre, ou non, ce reçu.

Le motif d'un contrôle de routine doit être précisé et décrit, de façon suffisamment détaillée, sur un reçu, où figureront également les coordonnées du Tribunal des droits de la personne de l'Ontario. De plus, il faut renforcer les conditions relatives à l'exception générale qui autorise un agent à ne pas remettre de reçu en raison de « circonstances déraisonnables ». 

Collecte et conservation des données (articles 7 et 8)

Après le 1er juillet 2016

Compte tenu des préoccupations relatives au champ d'application restreint du projet de règlement et à l'absence de directives suffisantes sur les contrôles de routine autorisés pour prévenir le profilage racial, les agents de police auront un accès non sécurisé à certains renseignements personnels recueillis par le biais d'un profilage racial, même si ces données satisfont au projet de règlement, ce qui accentuera les effets préjudiciables du profilage racial. C'est la raison pour laquelle les données recueillies lors d'un contrôle de routine, sans qu'il y ait d'explication non discriminatoire à cette collecte, ne doivent pas être consignées dans une base de données. Si elles le sont, la durée de leur conservation devra être aussi brève que possible et ne pourra, en aucun cas, dépasser une année.

Avant le 1er juillet 2016

Il incombe aux commissions de services policiers et au ministre d'élaborer des politiques et aux chefs de police d'établir des marches à suivre concernant la conservation des renseignements personnels recueillis avant le 1er juillet 2016 comme si le projet de règlement s'était appliqué, l'accès à ces données ainsi que leur divulgation[54]. Là encore, les agents de police auront un accès non sécurisé à certains renseignements personnels recueillis par le biais d'un profilage racial, ce qui accentuera les effets préjudiciables du profilage racial. Les données historiques recueillies sans motif non discriminatoire lors d'un contrôle de routine doivent donc être supprimées dans les plus brefs délais, et au plus tard un an après leur collecte.

Collecte de données à des fins de responsabilisation (article 13)

Le projet de règlement exige la collecte de données à des fins de responsabilisation lors de toute tentative de collecte de renseignements identificatoires par la police entrant dans le cadre du projet de règlement. Les données que l'agent doit ainsi recueillir au sujet d'un particulier, en se fiant à sa propre perception, concernent[55] :

  1. le sexe du particulier;
  2. son groupe d'âge;
  3. son appartenance à un groupe racialisé.

La CODP est préoccupée par le fait que le projet de règlement ne garantit aucune comparabilité, ni responsabilisation qui permettrait d'identifier des tendances à l'échelle de la province et de déceler toute donnée procédant d'un profilage racial. Une uniformisation accrue est donc nécessaire dans ce domaine.

En conséquence, la CODP recommande :

  1. à chaque service de police de recueillir les données en se référant, au moins, aux catégories raciales suivantes[56] :
  1. les peuples autochtones
  2. les Blancs
  3. les Noirs
  4. les Asiatiques de l'Est et du Sud-Est
  5. les Asiatiques du Sud
  6. les Moyen-Orientaux
  7. d'autres groupes racialisés;
  1. une tabulation particulière des données susceptibles de procéder d'un profilage racial, dans le rapport annuel (p. ex. la représentation des jeunes hommes noirs dans les tentatives de collecte de renseignements identificatoires en fonction de la raison associée);
  2. la collecte de renseignements sur la date, l'heure, le lieu, le motif et le résultat de la tentative de collecte de renseignements identificatoires. 

La CODP s'inquiète également de l'accès aux données recueillies à des fins de responsabilisation et non de collecte de renseignements, dans le but de déceler, de contrôler et de gérer le profilage racial. Il faut donc que ce type de données soient conservées séparément des données recueillies à des fins de renseignement ou d'enquête et qu'elles ne puissent pas être consultées à d'autres fins que celles de la responsabilisation. Enfin, la collecte de ces données doit être conforme aux principes des droits de la personne énoncés dans le guide Comptez-moi! de la CODP, qui porte sur la collecte de données relatives aux droits de la personne[57].

Formation (article 10)

Dans l'arrêt Nassiah, le TDPO affirme que « si les agents ne sont pas formés de manière appropriée sur ce qui peut constituer un profilage ou une enquête fondé(e) sur des préjugés raciaux, ils risquent d’avoir ce genre de comportement discriminatoire, consciemment ou non » [traduction libre]. Compte tenu des fortes inquiétudes communautaires sur le profilage racial lors des contrôles de routine, le projet de règlement doit prévoir une formation poussée sur le profilage racial. Or, il ne précise pas que la formation doit porter sur ce thème et il ne définit pas les principes et questions connexes.

Il faut donc imposer aux nouvelles recrues, aux agents actuellement en exercice, aux enquêteurs, aux superviseurs et aux responsables de la police de suivre une formation poussée sur le profilage racial. En effet, l'ensemble de ces personnes doivent faire respecter le Code et assumer certains rôles et responsabilités au titre du projet de règlement. Sur ce point, le projet de règlement exige uniquement une formation pour les agents de police qui tentent de recueillir des renseignements personnels.

La formation sur le profilage racial doit :

  • être conçue et dispensée par des formateurs ayant une expertise en matière de profilage racial;
  • mobiliser les communautés racialisées et marginalisées au plan local durant les phases d’élaboration, de prestation et d’évaluation, en particulier pour dégager des scénarios de profilage racial pertinents;
  • souligner l’importance des bonnes relations communautaires;
  • décrire la nature du racisme, notamment son incidence particulière sur les communautés noires et autochtones;
  • expliquer que le profilage racial enfreint le Code, la Charte et la Loi sur les services policiers, en citant des références pertinentes dans la jurisprudence;
  • expliquer de façon détaillée les exigences du règlement relativement aux contrôles de routine;
  • expliquer les principes qui s’appliquent pour déceler le profilage racial, par exemple le fait qu’un cas de profilage racial peut être établi sans qu’il y ait eu intention d’adopter un tel comportement;
  • inclure des modules d’apprentissage axés sur des jeux de rôle et des scénarios pour améliorer son « application et son articulation sur le terrain »[58] [traduction libre], notamment des scénarios relatifs aux contrôles de routine;
  • expliquer comment les personnes qui ont l’impression de faire l’objet d’un profilage racial peuvent être troublées ou en colère, et s’assurer que cette situation n’entraîne pas la poursuite d’un traitement préjudiciable[59];
  • faire savoir que le profilage racial est inacceptable et aura des conséquences disciplinaires pouvant aller jusqu’au renvoi;
  • expliquer la nature des préjugés inconscients et leur influence sur les prises de décision par les forces de police.

Responsabilisation (articles 14 – 16)

Les commissions de services policiers doivent assurer une surveillance et une responsabilisation systématiques et efficaces relativement au profilage racial. Dans ce domaine, le projet de règlement formule d'importantes orientations à l'intention des chefs de police sans tenir compte du pouvoir, ni de la responsabilité qui incombe aux commissions de services policiers de demander des comptes à leurs services en matière de profilage racial. Les commissions devraient, en effet, effectuer des vérifications de conformité avec le règlement et leurs politiques et un contrôleur indépendant devrait veiller au respect du règlement.

 

[1] Ontario, Aperçu des règlements provisoires relatifs à la collecte de renseignements identificatoires et aux contrôles de routine (28 octobre 2015), disponible en ligne sur le site Web du gouvernement de l'Ontario à : www.ontariocanada.com/registry/view.do?language=fr&postingId=20202.

[2] Projet de règlement de l'Ontario, Collecte de renseignements identificatoires dans certaines circonstances - interdiction et obligations (28 octobre 2015), art. 4(2)(1) [Projet de règlement].

[4] Code des droits de la personne, L.R.O. 1990, chap. H.19, art. 29.

[5] Aperçu des règlements provisoires relatifs à la collecte de renseignements identificatoires et aux contrôles de routine, voir plus haut à la note 1

[6] Snow v. Honda of Canada Manufacturing, 2007 HRTO 45 (CanLII), paragr. 19 [Snow].

[7] Code des droits de la personne, voir plus haut à la note 4, art. 1.

[8] Nassiah v. Peel (Regional Municipality) Services Board, 2007 HRTO 14 (CanLII), paragr. 112 [Nassiah].

[9] Ibid.

[10] Commission ontarienne des droits de la personne (CODP), Un prix trop élevé : Les coûts humains du profilage racial (2003), p. 6, disponible en ligne sur le site Web de la CODP à : www.ohrc.on.ca/sites/default/files/attachments/Paying_the_price%3A_The_human_cost_of_racial_profiling_fr.pdf [Un prix trop élevé]; CODP, Politique et directives sur le racisme et la discrimination raciale (2005); p. 19, disponible en ligne sur le site Web de la CODP à : www.ohrc.on.ca/sites/default/files/attachments/Policy_and_guidelines_on_racism_and_racial_discrimination_fr.pdf [Politique sur le racisme]   

Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de Formation), 2015 CSC 39, paragr. 33.

[11] Code des droits de la personne, voir plus haut à la note 4, art. 47(2); Snow, voir plus haut à la note 6, paragr. 19 et 20.

[12] Loi sur les services policiers, L.R.O. 1990, chap. P.15.

[13] Ibid, art.1.

[14] L’honorable John W. Morden, Independent Civilian Review into Matters Relating to the G20 Summit (Toronto, 2012), p. 49.

[15] Shaw v. Phipps, 2010 ONSC 3884, paragr. 91; Shaw v. Phipps, 2012 ONCA 155, paragr. 42.

[16] Loi sur les services policiers, voir plus haut à la note 12, art. 80; Règl. de l’Ont. 268/10, annexe, sous-alinéas 2(1)(a)(i) et (ii).

[17] En 2008, 55 p. 100 des cartes de contact remplies entraient dans la catégorie des « enquêtes générales » (« General Investigation »). Voir : Toronto Star, Toronto Star Analysis of Toronto Police Service Data - 2010: Advanced Findings (2010), p. 8 et 9. Entre 2008 et 2012, 79,1 p. 100 des cartes de contact remplies entraient dans la catégorie des « enquêtes générales ». Voir : Advanced Star analysis package (7 août 2013), p. 5 et 16.

[18] Présentation de l’Association canadienne des libertés civiles à la Commission de services policiers de Toronto, 21 mars 2012; présentation de la Law Union of Ontario à la Commission de services policiers de Toronto, 23 janvier 2013.

[19] Même s’ils ne représentaient que 8 p. 100 de la population de Toronto, les Noirs ont été la cible de près de 25 p. 100 de toute les cartes de contact remplies entre 2003 et 2008. De plus, entre 2008 et la mi-2011, le nombre de jeunes Noirs qui ont fait l’objet d’une carte de contact était 3,4 fois plus élevé que la population des jeunes Noirs de sexe masculin. Les données révèlent que les Noirs ont fait l’objet d’un nombre disproportionné de cartes de contact dans tous les quartiers de Toronto. Voir : Toronto Star, Toronto Star Analysis of Toronto Police Service Data - 2010: Advanced Findings (2010); Jim Rankin, « When good people are swept up with the bad », publication de la série « Race Matters », Toronto Star A1 (6 février 2010); Jim Rankin, « CARDED: Probing a Racial Disparity », Toronto Star IN1 (6 février 2010); Jim Rankin et Patty Winsa, « Known to police: Toronto police stop and document black and brown people far more than whites », Toronto Star (9 mars 2012); présentation de l’Association canadienne des libertés civiles (ACLC), 5 avril 2012; procès-verbal de la Commission de services policiers de Toronto (25 avril 2013), #P121, annexe A (« Summary of Deputations »); Toronto Police Accountability Coalition; Advanced Star analysis package (7 août 2013), p. 5, 7 et 15-17; Jim Rankin et Patty Winsa, « ‘Devastating. Unacceptable’; Toronto police board chair appalled by Star findings that show a stubborn rise in the number of citizens stopped and documented by our police officers - with black males heavily overrepresented », Toronto Star A1 (28 septembre 2013).

Entre le 1er janvier et le 13 novembre 2013, les Noirs restaient plus susceptibles de faire l’objet d’une carte de contact dans chacune des zones de patrouille de la ville. Le nombre de cartes de contact remplies a chuté de 75 p. 100 en juillet 2013, c’est-à-dire à la période où le Service de police de Toronto (SPT) a demandé aux agents de police de remettre un reçu aux personnes faisant l’objet d’une carte de contact. Toutefois, la proportion de cartes de contact remplies pour des Noirs a augmenté. Avant la chute enregistrée en 2013, 23,3 p. 100 des contacts visaient des Noirs. Après cette date, la proportion est passée à 27,4 p. 100. Preliminary Toronto Star analysis of updated Toronto Police Service carding data (23 juillet 2014).

[20] Rapport du chef Evans à la Commission des services policiers de Peel, Street Checks Process (23 septembre 2015) [Report of Chief Evans].

[22] Rapport du chef Bordeleau à la Commission des services policiers d'Ottawa, Ottawa Police Service Plan for Participation in Provincial Street Check Review (27 juillet 2015) [Bordeleau Report].

[24] Ibid.

[25] Bordeleau Report, voir plus haut à la note 22.

[27] McKay v. Toronto Police Services Board, 2011 HRTO 499 [McKay]

[28] R. v. Laforme and Martin, 2014 ONSC 1457, paragr. 173.

[29] Nassiah, voir plus haut à la note 8, paragr. 134; Peel Law Association v. Pieters, 2013 ONCA 396, paragr. 134.

[30] R. v. Brown, [2003] O.J. No. 1251 (C.A.) [Brown]; Johnson v. Halifax (Regional Municipality) Police Service, [2003] N.S.H.R.B.I.D. No. 2.

[31] Nassiah, voir plus haut à la note 8, paragr. 124 et 166; McKay, voir plus haut à la note 27, paragr. 143-149 et 159.

[32] CODP, Mémoire de la Commission ontarienne des droits de la personne présenté dans le cadre de l’examen systémique des pratiques de la Police provinciale de l’Ontario en matière de prélèvement d’échantillons d’ADN réalisé par le Bureau du directeur indépendant de l’examen de la police (2014), disponible en ligne sur le site Web de la CODP à :

www.ohrc.on.ca/fr/m%C3%A9moire-de-la-codp-pr%C3%A9sent%C3%A9-dans-le-cadre-de-lexamen-syst%C3%A9mique-des-pratiques-de-la-police

[33] McKay, voir plus haut à la note 27, paragr. 150-153.

[34] Maynard v. Toronto Police Services Board, 2012 HRTO 1220, paragr. 177-190 [Maynard].

[35] Nassiah, voir plus haut à la note 8, paragr. 113.

[36] Ibid, paragr. 126.

[37] Peart v. Peel Regional Police Services, 2006 CanLII 37566 (ON. C.A.), paragr. 94. 

[38] Pour obtenir de plus amples renseignements sur les stratégies visant à prévenir le profilage racial dans la police, consulter le Mémoire de la Commission ontarienne des droits de la personne présenté dans le cadre de l’examen systémique des pratiques de la Police provinciale de l’Ontario en matière de prélèvement d’échantillons d’ADN réalisé par le Bureau du directeur indépendant de l’examen de la police, voir plus haut à la note 32.

[39] R. c. R.D.S.., [1997] 3 S.C.R. 484, paragr. 46.

[40] R. v. Williams, [1998] 1 S.C.R. 1128, paragr. 58.

[41] Report of Chief Evans, voir plus haut à la note 20

[42] Phipps c. Commission de services policiers de Toronto, 2009 TDPO 877, paragr. 8-13.

[43] Shaw v. Phipps, 2012 ONCA 155, paragr. 22-24.

[44] Lettre du chef De Caire du Service de police de Hamilton au ministre Naqvi (21 septembre 2015).

[45] Commission de services policiers de Toronto, Politique sur les contacts communautaires (18 juin 2015)

[46] Projet de règlement, voir plus haut à la note 2, art. 1(1) et 4(2).

[47] Ibid, art. 4(2)

[48] Toronto Star Analysis of Toronto Police Service – 2010: Advanced Findings (2010), p. 9.

[49] Maynard, voir plus haut à la note 34.

[50] Service de police d'Ottawa, Policy on Racial Profiling (Politique No. 5.39, 27 juin 2011) www.ottawapolice.ca/en/news-and-community/resources/Racial_Profiling_Policy27Jun11_FINALpdf.pdf

[51] Abbott v. Toronto Police Services Board, 2009 HRTO 1909, paragr. 42.

[52] R. c. Grant, 2009 CSC 32, paragr. 169.

[53] R. v. Fountain, 2013 ONCJ 434, paragr. 52 et 53.

[54] Projet de règlement, voir plus haut à la note 2, art. 11(1)7, 11(3), 11(4) et 12.

[55] Projet de règlement, voir plus haut à la note 2, art. 13.

[56] Voir, par exemple, les catégories raciales énoncées dans le Projet de collecte de données fondées sur la race aux contrôles routiers mené par le Service de police d'Ottawa : www.ottawapolice.ca/en/news-and-community/resources/Racial_Categories_1.pdf

[57] CODP, Comptez-moi! Collecte de données relatives aux droits de la personne (2009), disponible en ligne sur le site Web de la CODP à : www.ohrc.on.ca/fr/comptez-moi-collecte-de-données-relatives-aux-droits-de-la-personne

[58] Service de police de Toronto, The Police and Community Engagement Review (The PACER Report) Phase II – Internal Report and Recommendations (2013), p. 14, disponible en ligne sur le site Web du Service de police de Toronto à : www.torontopolice.on.ca/publications/files/reports/2013pacerreport.pdf.

[59] Politique sur le racisme, voir plus haut à la note 10, p. 20; Maynard, voir plus haut à la note 34, paragr. 154.