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2. Arguments à l’appui d’une définition large de la croyance qui va au-delà de la religion et inclut les croyances laïques,morales ou éthiques

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2. 1. Principes d’édification et d’interprétation des mesures législatives

Certains des principaux arguments contre la restriction de la notion de croyance aux seules religions dans la politique de la CODP puisent leurs sources dans les principes d’interprétation législative. Parmi les principes invoqués ci-après figurent :

  • la présomption d’absence de tautologie
  • la présomption de cohérence
  • l’absence d’absurdités de logique
  • le statut égal des versions française et anglaise du Code
  • l’interprétation conforme à la Charte.

2.1.1 Présomption d’absence de tautologie et de cohérence

La « présomption d’absence de tautologie » est un outil clé d’interprétation législative du terme croyance au sens du Code. Cette présomption part du principe que l’Assemblée législative a choisi avec soin tous les mots utilisés dans les lois de façon à ce qu’ils ne soient pas redondants ou superflus, ou qu’on ne puisse les confondre avec des mots semblables[240]. De façon similaire, la « présomption de cohérence » part du principe que l’Assemblée législative utilise le langage de façon soignée et cohérente afin qu’un même mot conserve le même sens tout au long d’une même loi, sans jamais prendre le sens d’un autre mot utilisé dans cette loi[241].

Il y a toutefois des exceptions à ces règles, à la fois dans le cas de la présomption de cohérence que dans celui de la présomption d’absence de tautologie[242].

Les lois d’autres administrations canadiennes traitant de sujets semblables peuvent aussi servir d’outils d’interprétation législative[243]. Par exemple, dans B. c. Ontario (Commission des droits de la personne), la Cour suprême a indiqué ce qui suit, en ce qui a trait à l’interprétation du motif de l’état matrimonial en Ontario : « nous [admettons] que le texte d’une loi d’un autre ressort puisse servir à l’interprétation d’une disposition litigieuse […] »[244]. Le tribunal examinait l’impact de la définition de l’état matrimonial dans la loi relative aux droits de la personne de la Saskatchewan, qui excluait expressément l’identité particulière du conjoint ou de la conjointe du motif de l’état matrimonial (contrairement au Code de l’Ontario). Selon le tribunal, « l’exclusion expresse de la notion d’identité particulière dans le code de la Saskatchewan et sa non exclusion dans le Code de l’Ontario incitent davantage à conclure que le législateur ontarien a en fait voulu que la définition d’état soit extensive »[245]. Autrement dit, le fait que le code de la Saskatchewan définissait l’état matrimonial différemment que le Code de l’Ontario pouvait donner à penser que les législateurs de l’Ontario avaient une intention différente de celle des législateurs de la Saskatchewan.

Le Code de l’Ontario interdit la discrimination fondée sur la croyance, mais n’inclut pas la religion au nombre des motifs de discrimination interdits. Le mot « religion » ne figure pas dans le Code. Les articles qui traitent des défenses légales dont peuvent se prévaloir les groupements sélectifs (art. 18) et des emplois particuliers (art. 24) utilisent l’adjectif « religieux ». Outre la croyance, les termes « religion », « croyance religieuse » et « conviction politique » figurent dans d’autres lois canadiennes sur les droits de la personne (voir la Figure 3 ci-après qui dresse la liste des termes associés à la croyance utilisés dans les lois et (ou) décisions jurisprudentielles relatives aux droits de la personne de l’ensemble du pays).

Figure 3 : Motifs de discrimination interdits associés à la croyance prévus dans les lois et décisions jurisprudentielles relatives aux droits de la personne

Loi

Motifs de discrimination interdits

Loi canadienne sur les droits de la personne (1977)

religion

Human Rights Code de la Colombie-Britannique (1969)

religion et conviction politique

Human Rights Act de l’Alberta (1966)

religion et conviction politique

Human Rights Code de la Saskatchewan (1979)

croyance religieuse et conviction politique

Code des droits de la personne du Manitoba (1970) (version française codifiée non officielle)

religion ou croyance, ou croyances religieuses, association ou activité religieuse

Code des droits de la personne de l’Ontario (1962)

croyance

La Charte des droits et libertés de la personne du Québec (1975)

religion, conviction politique

nota : le chap. 1.3 de la Charte reconnaît aussi la liberté de conscience, la liberté de religion [246] et la liberté d’opinion, entre autres

Loi sur les droits de la personne de la Nouvelle-Écosse (1963) (version française codifiée non officielle)

Religion et croyance, affiliation et activité politique

Loi sur les droits de la personne du Nouveau-Brunswick (1967)

religion et conviction et activité politiques

Human Rights Act de Terre-Neuve (1969)

croyance religieuse, religion et opinion politique

Human Rights Act de l’Île-du-Prince-Édouard (1968)

religion, croyance et conviction politique

Loi sur les droits de la personne du Yukon (1987)

religion ou croyance, ou croyances religieuses, association ou activité religieuse et conviction politique

Loi sur les droits de la personne du Nunavut (2003)

croyance, religion

Remarque : Les dates renvoient à l’année d’adoption originale de la loi et non aux termes utilisés à l’époque.

Les recherches menées en vue d’interpréter la variété des termes en usage d’un bout à l’autre du pays ont révélé que les lois, politiques et décisions jurisprudentielles offrent peu de définitions, comme c’est le cas en Ontario. La définition du terme « religion » (tirée de l’affaire Syndicat Northcrest c. Amselem[247]) et la définition de « conviction politique » qui a été établie par l’Île-du-Prince-Édouard et renvoie aux seules croyances des partis conformément à la loi électorale de la province sont les deux exceptions. Dans Wali v. Jace Holdings Ltd.[248], le tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique a tenté de définir le terme « conviction politique ». Il a laissé entendre que la loi ne s’appliquerait pas à toutes les convictions politiques, mais plutôt à celles qui concernent un système de « coopération sociale », et a conclu que le requérant avait fait l’objet de discrimination fondée sur ses convictions politiques parce qu’il avait été licencié en partie à cause de sa position politique à l’égard de la réglementation des techniciens en pharmacie par l’ordre des pharmaciens[249].

En appliquant les outils d’interprétation législative présentés précédemment, il est possible de soutenir que les termes religion et croyance désignent des notions différentes dans la législation ontarienne et canadienne relative aux droits de la personne, pour les raisons suivantes :

  1. le Code de l’Ontario utilise le terme croyance plutôt que religion
  2. au moment de l’élaboration du Code de l’Ontario, les termes croyance et religion étaient tous les deux connus de l’Assemblée législative de la province, qui a opté pour le terme croyance
  3. d’autres lois relatives aux droits de la personne utilisent les termes « religion », « croyance religieuse » et parfois à la fois « religion » et « croyance ».

2.1.2 Absence d’absurdités de logique

Le principe de la prévention des absurdités de logique et des conséquences absurdes peut, selon certains, constituer un autre outil d’interprétation pertinent au moment de tenter de résoudre des cas d’ambiguïté législative[250]. Bien que certains penseurs aient noté le potentiel d’absurdité, il n’est pas du tout clair que ce principe d’interprétation puisse aider à interpréter le sens du terme croyance.

Selon Labchuck (2012) et Szytbel (2012), la restriction de la protection des croyances aux seules convictions religieuses pourrait avoir comme conséquence absurde d’assurer des mesures de protection différentes aux adeptes du véganisme éthique selon que leurs croyances, bien que quasi identiques, puisent ou non leurs sources dans la religion[251]. Labchuck donne en exemple quatre différents types d’adeptes du véganisme éthique :

  1. adepte du jaïnisme qui est végétalien pour des motifs religieux
  2. chrétien pratiquant pour qui le véganisme constitue un devoir religieux
  3. chrétien végétalien, qui pratique le véganisme pour des motifs moraux laïques en lien avec le bien-être animal
  4. athée qui pratique le véganisme éthique pour des motifs strictement moraux et laïques.

De soutenir Labchuck, le fait d’exclure les croyances laïques de l’interprétation donnée au terme croyance créerait une absurdité de logique en offrant uniquement des protections relatives aux droits de la personne aux deux premières catégories d’adeptes du véganisme au détriment des autres, bien que ces dernières puissent avoir un engagement équivalent envers les mêmes convictions en matière de véganisme éthique (ou même faire partie de la même organisation).

Des analystes du milieu juridique ont mis en lumière d’autres absurdités de logique, incohérences et exclusions pouvant inévitablement découler de toute tentative de définition et de délimitation universelles de ce qui constitue une religion au sens de la loi[252]. D’autres ont fait remarquer que la définition de croyance de la Politique sur la croyance de 1996 de la CODP, qui exclut « les convictions profanes, morales ou éthiques », contenait aussi des contradictions d’ordre logique. Cette définition semble indiquer que les convictions laïques et les convictions morales ou éthiques ne bénéficient pas de protection. Selon eux, le fait d’isoler les convictions religieuses (qui bénéficient de protection) des « convictions morales ou éthiques » ou même des « convictions politiques » (qui ne bénéficient pas de protection selon le libellé de la politique) n’est pas logique puisque les convictions morales et éthiques ont souvent leurs origines dans la religion, entre autres sources (y compris des sources laïques)[253].

2.1.3 Statut égal des versions française et anglaise du Code

Un autre principe d’interprétation législative veut que l’on donne aux versions française et anglaise du Code les mêmes statut et égard au moment d’interpréter le Code. La première étape de l’interprétation de toute loi bilingue consiste à vérifier les équivalences de sens des versions française et anglaise de la loi, par exemple « croyance » et « creed » dans le présent cas. En second lieu, il est essentiel de déterminer si un sens commun est conforme aux intentions du Parlement.[254]. Si l’une des deux versions donne plus de poids à l’objet du Code, cette version doit être retenue même si les deux versions du Code ont en commun un sens plus restreint[255].

La version française du Code des droits de la personne de l’Ontario emploie le terme « croyance », que l’on traduit souvent par « belief » en anglais plutôt que par le terme « religion », plus restrictif. Cela donne à penser qu’on pourrait donner au mot « creed » une interprétation allant au-delà de la simple notion de « religion », comme le reconnaît le TDPO dans l’affaire R.C. v. District School Board of Niagara[256].

2.1.4 Interprétation du Code conforme à la Charte

Les partisans d’une interprétation large du terme « croyance » allant au-delà de la notion de religion soutiennent qu’on devrait donner au Code une interprétation conforme au paragraphe 2(a) de la Charte, qui garantie à la fois la liberté de religion et la liberté de conscience. L’examen de la jurisprudence relative à la liberté de conscience mené par la CODP révèle que les tribunaux accordent généralement au terme conscience un sens qui englobe les convictions non religieuses dictées par la conscience, qu’elles puisent leur source dans une « morale laïque »[257], des positions « d’athées, d’agnostiques, de sceptiques ou d’indifférents »[258], ou des « croyances intimes profondes qui régissent la perception qu’on a de soi, de l’humanité, de la nature et, dans certains cas, d’un être supérieur ou différent »[259], et ce, malgré le fait que la Cour suprême n’ait jamais rendu de décision majoritaire qui donnait à la « liberté de conscience » une interprétation différente de la « liberté de religion ».

Par exemple, dans Roach c. Canada (Ministre d’État au Multiculturalisme et à la Citoyenneté) [260], l’appelant Charles Roach a contesté en vain l’exigence qui lui était imposée, en tant que nouveau citoyen, de jurer ou d’affirmer solennellement son allégeance au monarque, au motif que cela contrevenait à sa liberté de conscience au sens du paragraphe  2(a) de la Charte. Dans sa décision, le juge Linden a établi la distinction suivante entre la liberté de conscience et la liberté de religion :

Il semble [...] que la liberté de conscience ait une portée plus large que la liberté de religion. Cette dernière se rattache davantage à des opinions religieuses transmises par des institutions religieuses établies alors que la première vise à protéger les opinions, fondées sur une conception morale très profondément ancrée du bien et du mal, qui ne reposent pas nécessairement sur des principes religieux organisés. Ce sont de graves questions de conscience. Par conséquent, l’appelant peut contester le serment ou l’affirmation solennelle en se fondant sur la liberté de conscience garantie par l’alinéa 2a) de la Charte, sans faire appel à des moyens découlant de ses croyances religieuses [...]Toutefois, comme l’a exprimé Mme la juge Wilson, les termes « conscience » et « religion » ont des sens apparentés du fait qu’ils décrivent tous les deux le domaine des croyances éthiques et morales profondes, par opposition aux autres croyances et notamment à celles à caractère politique qui sont protégées par le par. 2b) [liberté d’expression]. (italiques ajoutés; voir aussi la décision concordante du juge Wilson dans R. c. Morgentaler[261]).

Compte tenu des recoupements entre les objectifs de la Charte et du Code et le statut pleinement (et non quasi) constitutionnel de la Charte, certains s’appuient sur des décisions du TDPO et d’autres tribunaux[262] pour soutenir que l’interprétation du Code devrait être fidèle aux interprétations, valeurs et modalités de la Charte, surtout en cas d’ambiguïté législative. Dans la décision rendue par le TDPO le 9 octobre 2012 dans l’affaire McKenzie v. Isla, le vice-président du tribunal affirme ce qui suit :

Le Tribunal a souligné que toute ambiguïté de la portée des droits protégés par le Code devrait être résolue d’une manière qui protège les éléments fondamentaux des droits et libertés prévus dans la Charte canadienne des droits et libertés, Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), chap. 11 (Charte)[263].

Selon Labchuck et Chiodo, l’inclusion des convictions laïques, morales ou éthiques à la « croyance » au sens du Code va dans le sens de donner plein effet aux éléments fondamentaux du droit à la liberté de religion et de conscience prévu au paragraphe  2(a) de la Charte[264].

En même temps, le degré de correspondance qui existe ou devrait exister entre les visées et objectifs de la jurisprudence relative à l’« égalité » aux termes du Code et les visées et objectifs de la jurisprudence relative à la liberté aux termes du paragraphe 2(a) de la Charte demeure matière à discussion. Certains penseurs mettent en garde contre l’« impérialisme de la Charte »[265] et le chevauchement de ces analyses et objectifs distincts dans de récentes décisions judiciaires. Dans Freitag v.Penetanguishene (Town) 2013 TDPO 893 (CanLII), la décision du Tribunal établie une distinction claire entre les mesures de protection garanties par la Charte et le Code en matière de religion et de croyance[266].

Il n’est pas déraisonnable de penser qu’on devrait plutôt comparer et harmoniser les dispositions du Code en matière de discrimination fondée sur la croyance avec le paragraphe 15(1) de la Charte (« tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur […] la religion […] »), auquel ces dispositions s’apparentent davantage[267]. Aucune mention n’étant faite à l’article 15 de la Charte des questions de conscience et de conviction sans fondement religieux certains diront que les interprétations du Code devraient aller dans le même sens[268]. La CODP n’a pas connaissance de cas de reconnaissance de la conscience à titre de motif analogue.

Selon la Politique sur la croyance de la CODP de 1996 « [l]a liberté religieuse est le principe de base qui sous-tend le droit à un traitement égal en vertu du Code en matière de croyance » (p. 5). D’indiquer une note de fin d’ouvrage, la CODP en arrive à cette interprétation à la lecture du Préambule du Code[269]. Beaucoup semble dépendre de la façon dont on interprète l’objet du Code, et plus particulièrement de la façon dont on compose avec le recoupement des objectifs de protection de la dignité individuelle et des visées sociales plus générales comme la création d’un « climat de respect mutuel » et la promotion de l’« égalité des droits et des chances sans discrimination »[270]. Si le libellé du Préambule est nettement au cœur de cette question, les tribunaux ont clairement affirmé l’importance de tenir également compte de la manière dont les tribunaux supérieurs des différentes compétences ont interprété les lois relatives aux droits de la personne dans leurs décisions.[271]

2.1.5 Interprétation libérale et téléologique du Code

Certains analystes et penseurs du milieu juridique soutiennent que l’inclusion des convictions laïques, morales et éthiques aux croyances protégées par le Code répond principalement à une interprétation libérale et téléologique du Code, comme l’exige son statut « quasi constitutionnel »[272]. Ils s’appuient sur des décisions judiciaires indiquant que :

  1. les lois relatives aux droits de la personne devraient être interprétées de façon libérale et téléologique conformément à leur statut quasi constitutionnel[273]
  2. les ambiguïtés perçues (comme la portée de la définition du terme croyance) devraient être interprétées de façon à promouvoir les objectifs de la loi, soit prévenir la discrimination[274].

Conscients de la fonction et du mandat progressifs de la CODP[275], certains analystes soutiennent que « la protection au même titre des croyances similaires, sans égard à leur fondement religieux ou laïque », cadre tout à fait avec l’esprit et le mandat du Code et de la CODP[276].

Ce point de vue trouve des appuis dans une décision de 2013 du TDPO, qui portait sur l’inclusion de l’athéisme au nombre des croyances protégées par le Code des droits de la personne. Dans cette affaire, l’arbitre et président associé du Tribunal, David Wright, a tranché de façon décisive en faveur du requérant, affirmant qu’« une interprétation libérale et téléologique de l’interdiction de la discrimination fondée sur la croyance s’étend à l’athéisme et, par conséquent, qu’il est interdit, au sens du Code, d’exposer une personne à de la discrimination parce qu’elle est athée »[277].

2.2 Tendances sociales : Laïcisation et nature changeante des convictions

« Je pense qu’il existe un argument de taille en faveur d’étendre la croyance au-delà de la religion lorsque des convictions similaires ont une importance similaire pour une personne non croyante. »
– Participant à l’atelier juridique de mars 2012

 « [L]a distinction établie [entre les croyances religieuses, qui sont pleinement protégées aux termes du Code, et les systèmes de convictions laïques, morales ou éthiques, qui ne le sont pas] semble arbitraire aux yeux de bien des observateurs, et laisse entendre que les croyances familières ou privilégiées constituent de “vraies” convictions, tandis que les croyances nouvelles ou différentes ne constituent pas des convictions ou constituent des pseudo-convictions[278]. »

Les transformations qu’ont subies la société et ses convictions à l’ère contemporaine offrent un autre argument central à l’appui de l’inclusion des convictions laïques, morales et éthiques à la définition de la croyance. Le sens que les gens donnent à leur vie et au monde[279] a considérablement changé durant l’époque moderne, et plus particulièrement depuis les années 1960. De soutenir certains observateurs, la religion n’est plus l’unique ou principale autorité en matière de morale et d’identité en cette ère contemporaine, mais plutôt une parmi tant d’autres. Selon ces observateurs, il est particulièrement important de reconnaître au même titre les motivations religieuses et non religieuses à l’origine des convictions et de l’action morale dans l’environnement social actuel, caractérisé par la diversification et la personnalisation des systèmes de croyances, la décentralisation de la religion et le déclin de son importance, et la croissance du nombre de personnes professant des convictions non religieuses profondes (comme l’explique précédemment la section III, Historique et contexte).

L’idée que seules les religions ont des bases sociales et communales profondes, ou reposent sur des relations sociales inéquitables (et, par conséquent, qu’elles
sont les seules à mériter des protections et remèdes particuliers aux termes du Code) a également été contestée. Soulignant les similitudes entre les convictions laïques et religieuses profondes, et les questions de conscience, un participant à l’atelier juridique affirmait :

Si l’on pense aux éléments qui se chevauchent sans être identiques, on en arrive aux convictions profondes qu’on ne peut changer, ou qu’on peut uniquement changer à grand coût personnel. Nous ne sommes pas ici pour protéger les frivolités. Nous sommes ici pour protéger les personnes marginalisées, et les athées et pacifistes ont toujours été marginalisés au sein de la société.

D’autres, y compris certains penseurs du milieu des sciences des religions, soutiennent que les distinctions entre les convictions/pratiques religieuses et laïques s’estompent rapidement, comme l’illustre l’individualisme grandissant, la fluidité croissante des convictions, de l’identité et de l’appartenance religieuses et non religieuses, et le déclin de l’importance et du sens accordés aux formes de communautés stables de longue date. « Les convictions laïques peuvent jouer dans la vie de certaines personnes un rôle fondamental presque identique à celui que joue la religion dans la vie d’autres personnes », affirme également Labchuck en soulignant qu’il est difficile de tirer « un trait définitif entre les convictions religieuses et autres ». Selon elle :

Les deux types de convictions renvoient à des engagements directionnels qui contribuent à donner un sens et une orientation à la vie. Les convictions laïques pourraient bien constituer les équivalents éthiques et moraux des convictions religieuses. Elles pourraient jouer un rôle équivalent ou encore plus grand dans la vie des personnes qui y adhèrent que ne le joue la religion dans la vie des personnes qui vont à l’église, mais parfois ne respecte que du bout des lèvres les idéaux prêchés à leur lieu de culte.[280]

D’après Chiodo, « [l]e fait de reconnaître que les points de vue sans fondement religieux peuvent aussi constituer des prétentions exhaustives à la vérité », et fonctionner de façon similaire à la religion, pourrait aider à « changer notre façon d’envisager de nombreuses visions du monde [laïques] considérées à tort comme étant neutres »[281].

Si certains sont d’avis qu’il est tout simplement sage et raisonnable d’étendre les protections prévues par le Code aux convictions non religieuses compte tenu des tendances sociales actuelles, d’autres présentent des arguments en ce sens encore plus forts, reposant sur des considérations juridiques. Selon eux, le principe de l’interprétation libérale et téléologique du Code, conformément à son statut quasi constitutionnel, repose sur une interprétation organique et progressive des droits de la personne par les tribunaux, en accord avec l’évolution des tendances sociales, valeurs et conceptions de la société[282].

2.2.1 L’adoption d’une définition extensive de la croyance permet d’adapter les mesures législatives anti-discrimination à l’évolution des tendances au sein de la société

« Il est odieux d’entamer des procédures judiciaires en établissant une distinction entre des convictions légitimes et illégitimes. »
– Participant au dialogue stratégique de la CODP de janvier 2012

La CODP a entendu beaucoup d’arguments en faveur d’une définition extensive de la croyance qui ne se limiterait plus aux croyances religieuses, sans pour autant affirmer explicitement quels autres types de convictions (sans fondement religieux) pourraient bénéficier de mesures de protection relatives aux droits de la personne. De l’avis de certains, l’adoption d’une définition extensive de la croyance, soumise aux critères minimaux déjà établis par les tribunaux, permettra aux mesures de protection des droits de s’adapter et d’évoluer au rythme des développements sociaux émergents, des tendances en matière d’iniquité et de discrimination, et de la nature changeante et dynamique de la croyance et de sa pratique à l’ère moderne. D’autres soutiennent que l’absence d’une définition figée de la croyance fera en sorte que les adeptes de diverses croyances et fois minoritaires, comme la spiritualité autochtone, n’auront pas forcément à faire correspondre leurs convictions et pratiques à un quelconque modèle catégorique occidental prédéfini (p. ex. une religion) qui leur est, dans certains cas, étranger[283].

Dans son mémoire de janvier 2012 présenté dans le cadre du dialogue stratégique de la CODP, Tenter de verser un océan dans un gobelet en carton : Un argument pour la « dé-définition » de la religionHoward Kislowicz soutien que « parce que les expériences religieuses vécues des individus et des communautés sont tellement diverses », et en constante évolution, « une réponse plus appropriée peut être de refuser d’adopter une approche globale, une définition a priori de toute religion » dans le but d’éviter de réprimer la liberté de religion au nom, ironiquement, de la religion[284].

Le même argument pourrait s’appliquer à la croyance. En fin de compte, Kislowicz plaide en faveur de l’approche de la common law visant à traiter les cas à mesure qu’ils se présentent[285], selon un raisonnement analogique contextuel (« si cela ressemble à un canard, marche comme un canard et fait coin-coin, cela doit être un canard »)  plutôt qu’une définition abstraite de la notion de croyance. Selon l’auteur, le raisonnement analogique constitue déjà un principe fondamental du droit et, à ce titre, ne devrait pas susciter de crainte.

2.3. Cohérence par rapport aux lois et à la jurisprudence canadiennes et internationales

2.3.1 Droits de la personne sur la scène internationale

Pour appuyer leur position, les partisans d’une définition élargie de la croyance, qui inclurait les convictions laïques, éthiques et morales, citent la jurisprudence canadienne et internationale en matière de droits de la personne. Bien qu’ils n’aient pas force de loi chez nous à moins d’avoir été inclus à la législation du pays, les lois et instruments internationaux en matière de droit de la personne établissent les normes applicables aux lois et politiques internes en matière de droits de la personne. Les tribunaux canadiens peuvent citer explicitement ces lois et instruments internationaux au moment de rendre des décisions judiciaires, ce qu’ils ont d’ailleurs fait par le passé, particulièrement en cas d’ambiguïté quant à l’interprétation des lois canadiennes en matière de droits de la personne[286].

L’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme indique ce qui suit :

Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

Ce regroupement des droits afférents à la liberté de pensée, de conscience, de religion et de conviction dans le contexte du droit international, y compris dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIRDCP) de1966[287] et la Déclaration sur l’élimination de toutes les formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction de 1981[288], dont le Canada est signataire, peut être interprété comme un appel à l‘inclusion de l’ensemble de ces droits dans la législation nationale (comme l’exige l’article 7 de la Déclaration)[289] et dans les lois sur les droits de la personne des provinces[290]. Le droit international en matière de droits de la personne et les résolutions connexes témoignent également d’une réticence envers l’établissement de distinctions entre les systèmes de croyances dignes ou non de protection et envers le rejet des définitions subjectives de ces systèmes[291].

Dans R.C. v. District School Board of Niagara, le TDPO a explicitement affirmé la pertinence, à ce chapitre, de la jurisprudence et du droit internationaux en matière de droits de la personne[292].

En plus de souligner ces tendances du droit international, les partisans de l’inclusion des convictions non religieuses aux croyances protégées aux termes du Code donnent en exemple les lois d’autorités compétentes étrangères. Par exemple, l’Angleterre inclut la « religion et les convictions » au nombre des motifs de discrimination interdits aux termes de l’Equality Act de 2010 du pays, conformément à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH, articles 9 et 14) et au droit international (voir la section 4.1 ci-après)[293]. La Nouvelle-Zélande et certains États américains étendent aussi leurs mesures de protection aux systèmes de croyances sans fondement religieux, comme
le véganisme éthique[294].

2.3.2 Jurisprudence canadienne

Bien qu’une bonne part de la jurisprudence relative au Code continue d’assimiler la croyance à la religion (comme il en a été question précédemment), il existe des exceptions notables à cette tendance. Une variété de causes ont mené à la conclusion que les croyances non religieuses peuvent constituer une croyance au sens où l’entend le Code, ou ont ouvert la voie à cette possibilité. En effet, les tribunaux semblent en général réticents à fournir une définition finale, faisant autorité, définitive ou fermée du terme « croyance ». Au lieu de cela, ils préfèrent procéder à une évaluation organique, analogique[295] et au cas par cas, ce qui a donné une variété de résultats (voir l’Examen de la jurisprudence relative à la croyance).

Les tribunaux judiciaires et administratifs n’ont pas eu de difficulté à reconnaître une grande variété de convictions religieuses et spirituelles définies de façon subjective à des fins d’application du Code, y compris des pratiques spirituelles autochtones[296], la Wicca[297], l’huttérisme[298], le mouvement raëlien[299], le Falun Gong [300], l’Église universelle de Dieu [301] et la Rocky Mountain Mystery School[302]. Plus important encore, rien dans la jurisprudence n’interdirait l’élargissement de la définition de la « croyance » pour y inclure les convictions laïques, morales et éthiques. Il existe cependant des lignes directrices relatives aux limites que les tribunaux sont prêts à imposer à la portée de la notion de « croyance » (voir la section sur les critères minimaux, ci-après).

Parmi les exemples notables de décisions jurisprudentielles ayant envisagé une définition élargie de la croyance figurent R.C. v. District School Board of Niagara[303] et Hendrickson Spring Stratford Operations v. USWA, Local 8773. Dans ce dernier cas, l’arbitre a affirmé ce qui suit :

Le terme « croyance » au sens du Code a un sens large et peut être interprété comme comprenant presque tout système de croyances qui englobe un ensemble particulier de croyances religieuses, mais également nombre d’autres croyances philosophiques, profanes et personnelles – les « ismes » (dans la terminaison des mots comme « environnementalisme », « conservatisme », « libéralisme » ou « socialisme »)[304].

Dans Rand v. Sealy Eastern Ltd., le Tribunal a aussi envisagé la possibilité d’inclure les convictions non religieuses, citant à l’appui la définition du terme anglais « creed » figurant dans le Webster’s New International Dictionary, soit « parfois un sommaire de principes ou un ensemble d’opinions professées ou adoptées, et relevant de la science ou de la politique »[305].

Dans une autre décision de 1998 faisant autorité, Jazairi v. Ontario (Human Rights Commission)[306]la Cour divisionnaire de l’Ontario a confirmé la décision de la CODP de ne pas soumettre une plainte à une commission d’enquête au motif que « les opinions politiques relatives à une question particulière, dans le présent cas le point de vue du requérant à propos du conflit israélo-palestinien, ne constituent pas une croyance au sens du Code ». La Cour a cependant reconnu que la définition de la croyance varie d’un dictionnaire à l’autre, et que certains lui donnent le sens de systèmes de croyances laïques[307]. Selon la Cour divisionnaire, le terme « croyance » pourrait inclure un ensemble exhaustif de principes, mais son sens comprend d’ordinaire une dimension religieuse. La Cour a ensuite explicitement affirmé la possibilité qu’une « perspective politique comme le communisme, composée d’une structure ou d’un système cohésif et reconnu de convictions » puisse constituer une croyance, mais qu’il n’était pas nécessaire de résoudre cette question dans le cadre de cette affaire[308]. La Cour d’appel de l’Ontario a confirmé la décision de la Cour divisionnaire. Elle a confirmé l’importance d’évaluer chaque affaire relative à la croyance sur les faits qui lui sont propres et a souligné que la question de savoir si d’autres perspectives politiques fondées sur un système cohésif de convictions pouvaient ou non constituer une « croyance » n’était pas une question sur laquelle elle devait trancher en l’instance. La Cour d’appel a observé que ce serait une erreur de traiter de questions aussi importantes dans l’abstrait.[309]

La tendance de plusieurs décisions à ne pas se prononcer sur la définition de la croyance, pour plutôt s’en tenir à une analyse à première vue de l’existence de discrimination au motif que la conviction ou pratique en cause pourrait constituer une croyance, peut être une indication de la réticence qu’ont les tribunaux à définir officiellement la notion de croyance[310].

La jurisprudence canadienne définit plus clairement la notion de religion. L’arrêt de principe de la Cour suprême du Canada qui interprète le terme « religion » est la décision Amselem. Dans cette affaire, la Cour a adopté une définition large de la religion, en affirmant ce qui suit : 

Une religion s’entend typiquement d’un système particulier et complet de croyances et de pratiques. En outre, une religion comporte généralement une croyance dans l’existence d’une puissance divine, surhumaine ou dominante. Essentiellement, la religion s’entend de profondes croyances ou convictions volontaires, qui se rattachent à la foi spirituelle de l’individu et qui sont intégralement liées à la façon dont celui-ci se définit et s’épanouit spirituellement, et les pratiques de cette religion permettent à l’individu de communiquer avec l’être divin ou avec le sujet ou l’objet de cette foi spirituelle[311].

La décision Amselem indique clairement que lorsqu’il s’agit de liberté de religion, seules les croyances, convictions et pratiques ayant un fondement religieux, par opposition à celles qui possèdent une source laïque ou sociale ou sont dictées par la conscience, sont protégées aux termes des chartes du Québec ou du Canada[312].

Dans Amselem, la Cour a également souligné que la teneur du droit à la liberté de religion reconnu à toute personne aux termes de la Charte est extensive et repose sur les notions de choix personnel, d’autonomie et de liberté individuelle. Compte tenu de l’importance accordée par le tribunal aux choix personnels et à l’autonomie en tant que valeurs sous-jacentes et raison d’être des droits religieux, certains soutiennent qu’il n’y a pas de raison de ne pas étendre ces droits à d’autres types de convictions (y compris les convictions de son choix), et ce, au nom de ces mêmes valeurs. D’autres font valoir que l’importance accordée dans Amselem et dans des décisions subséquentes à la nature individuelle et subjective de la religion, par opposition à ses aspects communaux et associationnels distinctifs, ont brouillé les frontières entre la religion, la croyance et la conscience individuelle, rendant les distinctions entre les convictions religieuses et non religieuses « de plus en plus difficile à justifier »[313]. Selon Moon, « [l]’importance accordée à la conviction personnelle nous porte à nous interroger sur la raison pour laquelle on devrait traiter les convictions religieuses et autres convictions de façon différente »[314].


[240] Voir Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes (2002, p. 158-161), citant un bon nombre de décisions de la Cour suprême du Canada. Dans Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général) 2011 CSC 53, la Cour suprême du Canada affirme cette « présomption d’absence de tautologie » et, citant des décisions à l’appui, indique, au par. 38 :

[...]La professeure Sullivan signale d’ailleurs à la p. 210 de son ouvrage que « [l]e législateur est présumé ne pas utiliser de mots superflus ou dénués de sens, ne pas se répéter inutilement ni s’exprimer en vain. Chaque mot d’une loi est présumé avoir un sens et jouer un rôle précis dans la réalisation de l’objectif du législateur. » Comme l’explique l’ancien juge en chef Lamer dans l’arrêt R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61, au par. 28, « [s]uivant un principe d’interprétation législative reconnu, une disposition législative ne devrait jamais être interprétée de façon telle qu’elle devienne superfétatoire ». Voir également l’arrêt Procureur général du Québec c. Carrières Ste-Thérèse Ltée, [1985] 1 R.C.S. 831, au par. 838.

[241] La « présomption de cohérence » s’applique aussi à l’ensemble des lois et suppose que les mesures législatives ne seront pas interprétées de manière à contrevenir les unes aux autres (pour en savoir davantage sur la prise en compte des mesures législatives parallèles, voir la note de fin de texte 243). Par conséquent, quand deux lois traitant du même sujet ou de sujets analogues emploient les mêmes termes ou des termes semblables, les tribunaux concluent habituellement que les mots ont les mêmes sens. À l’opposé, quand un mot différent est utilisé par des lois qui sont en d’autres points semblables, on peut supposer que l’Assemblée législative voulait donner au mot un sens ou un objet différent (Voir Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes).

[242] Comme la présomption de cohérence, la « présomption d’absence de tautologie » peut être réfutée en attribuant un sens possible à un mot potentiellement tautologique pour lui donner une signification et éviter qu’il ne soit redondant, ou en expliquant pourquoi, en choisissant ce mot, l’Assemblée législative pourrait avoir voulu créer une redondance ou inclure des mots superflus. Quand le tribunal a des raisons de croire que l’Assemblée législative inclut intentionnellement des mots tautologiques, la présomption est plus facile à réfuter. Par exemple, le tribunal peut laisser entendre que l’Assemblée législative a choisi de créer la répétition pour se prémunir contre la confusion et la mauvaise application de la loi. La répétition peut également s’avérer nécessaire pour rendre la loi plus facile à comprendre pour les non-initiés. Voir Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes.

[243] L’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général) 2011 CSC 53 affirme la pertinence de la prise en compte des lois parallèles d’autres provinces et territoires au moment de tenter de déterminer et d’interpréter l’intention de la loi et le sens de ses éléments. Dans cette décision, le tribunal cite d’autres décisions à l’appui de ce principe, indiquant aux par. 57 et 58 :

L’intimé nous incite [...] à tenir compte des dispositions législatives parallèles des provinces et des territoires et nous convenons qu’il s’agit d’une entreprise utile en l’espèce. Évidemment, nous ne laissons pas entendre que la consultation des lois provinciales et territoriales s’avère toujours pertinente pour discerner l’intention du législateur fédéral. La professeure Sullivan confirme toutefois que la comparaison des lois fédérales, provinciales et territoriales portant sur un même sujet peut se révéler instructive (p. 419-420).

La Cour a déjà examiné en parallèle les dispositions législatives de différents ressorts. Ainsi, dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1991] 1 R.C.S. 614, le juge Sopinka étudie quelques lois provinciales comparables afin de déterminer si la loi fédérale considérée permet à la Commission des relations de travail dans la Fonction publique de décider qui est un employé en application de sa loi habilitante (p. 631-632). De même, dans l’arrêt Morguard Properties Ltd. c. Ville de Winnipeg, [1983] 2 R.C.S. 493, le juge Estey recourt à une analyse comparative de la loi manitobaine et de celles d’autres provinces pour décider si la ville de Winnipeg entendait geler des évaluations foncières (p. 504-505).

Les tribunaux ont fait preuve d’un désir assez profond d’assurer l’uniformité des lois relatives
aux droits de la personne du Canada. Par conséquent, ils ont semblé imposer aux assemblées législatives le fardeau d’envoyer, s’il en est, un message clair de leur désir de s’éloigner de l’approche nationale en matière de droits de la personne au moyen du langage utilisé dans la loi. Le juge en chef Lamer, s’exprimant pour la majorité de la Cour suprême du Canada dans Université de la Colombie-Britannique c. Berg, [1993] 2 RCS 353 en a fait la démonstration en indiquant,
au par. 372 :

Si les lois en matière de droits de la personne doivent être interprétées en fonction de l’objet visé, les différences de formulation entre les provinces ne devraient pas masquer les fins essentiellement semblables de ces dispositions, à moins que la formulation n’indique la poursuite d’une fin différente de la part d’une législature provinciale particulière.

Par conséquent, on pourrait soutenir dans certains cas, plus particulièrement lorsque l’assemblée législative l’a signalé de façon explicite, que l’emploi de mots différents par des lois dont l’objet est similaire montre que l’Assemblée législative voulait donner à ces mots des sens différents, conformément à la « présomption d’absence de tautologie ».

[244] B. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [2002] 3 RCS 403, au par. 42.

[245] ibidem

[246] Amselem, supra, note 137, par. 39, indique que lorsqu’il s’agit de liberté religieuse, seules les croyances, convictions et pratiques tirant leur source d’une religion, par opposition à celles qui soit possèdent une source séculière ou sociale, soit sont une manifestation de la conscience de l’intéressé, sont protégées aux termes des chartes du Québec ou du Canada.

[247] Supra, note 137.

[248] Wali v. Jace Holdings Ltd. [2012], CHRR Doc. 12-0389, 2012 BCHRT 389.

[249] Dans cette affaire (ibidem), l’arbitre du tribunal, Enid Marion, a fait remarquer au par. 106 : Le Code ne définit pas la « conviction politique » et le tribunal n’a pas formulé d’observations complètes sur le sujet. Cependant, dans Croxall c. West Fraser Timber Co., 2009 BCHRT 436 [CHRR Doc. 09-2826], le tribunal a indiqué que :

Le motif de la conviction politique n’est pas défini dans le code et le tribunal n’a pas eu maintes occasions d’établir un argument juridique exhaustif et d’élaborer sa définition.

Dans Prokopetz and Talkkari v. Burnaby Firefighters' Union and City of Burnaby, 2006 BCHRT 462 [CHRR Doc. 06-621], au par. 31 (Prokopetz), le tribunal a résumé les quelques causes qui traitaient de la conviction politique en tant que motif et en a ressorti deux principes sous-jacents. Le tribunal a conclu que la conviction politique au sens du code
doit être définie de manière libérale et sa portée ne doit pas être restreinte, d’un côté, aux convictions politiques partisanes ni étendue, de l’autre, de façon illimitée (aux par. 19-20).

Dans sa décision de conclure à la légitimité de la requête des requérants au motif de la conviction politique aux termes du code de la Colombie-Britannique, le tribunal a déclaré, aux par. 117 et 119 :

À mes yeux, la libre expression des membres de l’ordre en matière de réglementation de leur profession s’inscrit dans la portée de la conviction politique compte tenu du cadre législatif régissant les activités de l’ordre et du mandat réglementaire exprès donné à l’ordre par le gouvernement relativement aux techniciens en pharmacie. Il s’agissait d’une nouvelle initiative légiférée qui concernait le bien-être de la population et était source de discussion
au sein du milieu de la pharmacie. 

J’accepte que l’expression de la conviction de M. Wali ait trait à un système de « coopération sociale », c’est-à-dire le contrat social entre le gouvernement, l’ordre et la population relativement à la distribution sûre de médicament pharmaceutique.

Thrifty admet que la position adoptée par M. Wali auprès de l’ordre avait joué un rôle dans son licenciement. Puisque j’ai conclu que la position de M. Wali s’inscrit dans la portée de la conviction politique au sens du code, je conclus que cet aspect de la plainte de M. Wali était également justifié.   

[250] Labchuck (2012) s’inspire de l’ouvrage de Ruth Sullivan intitulé Driedger on the Construction of Statutes [Butterworth Canada Ltd, 3e éd. (1994), Chapitre 3 : « Avoiding Absurd Consequences »]. Elle attire aussi l’attention sur les justifications du recours à des interprétations extensibles de dispositions législatives par les tribunaux pour éviter de telles absurdités. Elle donne en exemple Campbell (G.T.) & Associates Ltd. v Hugh Carson Co.,[1979] 99 DLR (3d) 529 (CA ON).

[251] Voir Labchuck (2012) et Szytbel (2012).

[252] Voir Sztybel (2012) et Kislowicz (2012). Dans le discours-programme qu’elle a prononcé le 12 janvier 2012 dans le cadre du dialogue stratégique, la professeure de droit Winnifred Sullivan a parlé de la difficulté de définir la religion en droit de manière à protéger la liberté religieuse tout en délimitant, du même coup, cette liberté (au moyen de la définition préventive).

[253] « Bien qu’il y ait peut-être un argument à faire pour exclure le terme "laïque", on peut difficilement rendre compte de l’exclusion des croyances morales ou éthiques, puisque la religion n’est que l’un des arbitres de la morale et l’éthique (McCabe et coll., 2012). » Benson (2012b) attire l’attention de façon similaire sur le problème logique que constitue toute tentative de départir les considérations non seulement morales et éthiques, mais également politiques (sauf de la définition de la croyance) des préoccupations proprement religieuses. Selon lui, la dimension politique doit englober les considérations morales et éthiques.

[254] Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 5e édition, Markham, LexisNexis Canada Inc., 2008, p. 101-102.

[255] R. c. Turpin, [1989] 1 RCS 1296 aux par. 1313 et 1314.

[256] Supra, note 8, au par. 42. Le président associé David Wright a affirmé : « Je me fie à la traduction française "croyance" que l’on retrouve dans le Code, laquelle reflète une conception plus large de la croyance qui tient compte des convictions plutôt que de la seule identification à un ensemble structuré d’opinions religieuses ».  

[257] R c. Morgentaler, [1988] 1 RCS 30, au par.179. Voir aussi R. c. Little, 2009 NBCA 53 (CanLII), au par. 6, indiquant de façon incidente : « Bien sûr, le paragraphe 2(a) ne se limite pas à protéger les convictions religieuses. Il ouvre la porte aux objecteurs de conscience dont le jugement s’inspire d’autres sources. »

[258] Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, supra, note 235, au par. 90. Voir Simoneau c. Tremblay, 2011 QCTDP 1 aux par. 208 et 209.

[259] R. c. Edwards Books and Art Ltd., 1986 CanLII 12 (CSC) [1986] 2 R.C.S. 713, par. 759. Voir Chiodo (2012a); Chiodo (2012b).

[260] [1994] 2 F.C. 406, 1994 CanLII 3453 (CAF).

[261] R. c. Morgentaler, [1988] 1 RCS 30. Dans cette affaire, la Cour suprême a aboli une disposition du Code criminel qui limitait l’accès à l’avortement, parce qu’elle portait atteinte, de façon injustifiable, à l’art. 7 de la Charte. Dans son opinion concordante, la juge Wilson indiquait :

[D]ans une société libre et démocratique, la « liberté de conscience et de religion » devrait être interprétée largement et s’étendre aux croyances dictées par la conscience, qu’elles soient fondées sur la religion ou sur une morale laïque. D’ailleurs, sur le plan de l’interprétation législative, les termes « conscience » et « religion » ne devraient pas être considérés comme tautologiques quand ils peuvent avoir un sens distinct, quoique relié.

[262] Chiodo (2012a) cite Mortillaro v. Ontario (Minister of Transportation), 2011 OHRT 310 (CanLII), au par. 61; Ontario (Director, Disability Support Program) v. Tranchemontagne, 2010 CA ON 593. Cependant, étant donné que ces deux causes ont trait à des interprétations congruentes de l’analyse de la discrimination au sens du Code et de l’art. 15 de la Charte, elles sont peut-être peu applicables au par. 2(a) de la Charte. Labchuk cite la décision de la juge McLachlin dans R. v. Zundel, [1992] 2 RCS 731 qui établissait que lorsqu’on peut tirer de la législation deux interprétations tout aussi convaincantes, le tribunal devrait privilégier une interprétation qui fait la promotion des principes et valeurs de la Charte, plutôt qu’une qui ne la fait pas.

[263] Dans McKenzie v. Isla, 2012 OHRT 1908 (CanLII), le vice-président Ken Bhattacharjee cite les affaires ci-après qui affirment ce principe (au par. 33) : Taylor-Baptiste v. Ontario Public Service Employees Union, 2012 OHRT 1393 (CanLII); Dallaire v. Les Chevaliers de Colomb, 2011 OHRT 639 (CanLII); et Whiteley v. Osprey Media Publishing, 2010 OHRT 2152 (CanLII).

[264] Voir Labchuck (2012) et Chiodo (2012a).

[265] Ce terme a été employé par un participant durant une séance de consultation de la CODP. Consulter Ryder (2012b) pour en apprendre davantage sur les liens entre les analyses de la discrimination au sens du Code et au sens de la Charte. Voir aussi Huang v. 1233065 Ontario, supra, note 14, au par. 28, dans lequel sont citées quelques décisions portant sur les liens entre le Code et la Charte, et R. v. Badesha, 2011 ONCJ 284 (CanLII). Dans la décision de 2010 de la cour d’appel de la Colombie-Britannique British Columbia (Ministry of Education) v. Moore, 2010 (CanLII) BCCA 478, au par. 51, la juge Rowles affirmait dans son opinion dissidente (que la Cour suprême a largement suivi en appel)  que la jurisprudence prise en application de la Charte devrait « informer de façon appropriée l’analyse législative, sans la dominer ». À l’appui de son opinion, la juge Rowles cite Leslie Reaume :

« [...]les emprunts au contexte de la Charte dans le cadre législatif sont appropriés pour autant que l’exercice enrichisse l’analyse relative à l’égalité réelle, respecte les limites de l’interprétation des lois et serve l’objectif et le statut quasi constitutionnel de la loi habilitante » (au par. 375; cité dans Ryder, 2012b, p. 12). 

[266] Freitag v. Penetanguishene (Town) [2013] OHRT 893. Dans cette décision du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (2013), l’arbitre, Leslie Reaume, soutient : « [...] La Charte et le Code sont des instruments législatifs distincts et l’établissement de la contravention du par. 2(a) de la Charte ne permet pas de conclure à la discrimination dans la cause portée devant moi en application du Code » (au par. 27). Elle poursuit en indiquant, au par. 42 :

« [D]ans la mesure où l’on reprend dans les analyses relatives au Code des observations faites dans le cadre d’affaires relatives au [paragraphe 2(a) de la Charte], on doit prendre ces observations en compte d’une manière qui est conforme aux principes d’interprétation législative de longue date qui régissent l’analyse de la discrimination menée aux termes du Code. Et bien qu’il existe des liens évidents entre le paragraphe 2(a) de la Charte et le concept de discrimination, les différentes méthodes d’interprétation de la Charte et du Code soulèvent la possibilité que l’on obtienne deux conclusions différentes, même quand les questions et éléments de preuve à l’étude sont de nature semblable. » 

[267] Dans Freitag c.Penetanguishene, l’arbitre du TDPO, Leslie Reaume, établit une autre distinction entre le Code et les protections conférées en matière de discrimination par l’article 15 de la Charte, en indiquant, au par. 41 :

Même dans le cas des affaires faisant intervenir l’article 15, lorsque la question de la discrimination est au cœur de l’analyse, les tribunaux ont établi qu’il existe des différences considérables à la manière dont on interprète la Charte et le Code. Voir Ontario (Disability Support Program) v. Tranchemontagne, 2010 CA ON 593.

[268] Prenons par exemple Canada (Procureur général) c. Commission canadienne des droits de la personne, 2013 CAF 75 (CanLII). S'exprimant au nom de la Cour unanime, le juge Stratas indique ce qui suit, au par. 19  : La jurisprudence en matière d’égalité sous le régime de la Charte nous éclaire sur la teneur de la jurisprudence en matière d’égalité relevant des lois sur les droits de la personne, et réciproquement (voir, par ex. Andrews c. Law Society of British Columbia, 1989 CanLII 2 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 143, aux par. 172-176; Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, au par. 27;[Moore c. Colombie‑Britannique (Éducation), 2012 CSC 61 (CanLII)] au par. 30; [Québec (Procureur général) c. A., 2013 CSC 5 (CanLII)] aux par. 319 et 328) ».

Les droits à l’égalité garantis par l’article 15 de la Charte sont les suivants :

15.(1) La loi ne fait exception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

De plus, le paragraphe 15(2) soulève une préoccupation plus générale en matière d’égalité réelle ayant trait à l’« [amélioration de] la situation d’individus ou de groupes défavorisés ». Il indique :

15.(2) Le paragraphe (1) n’a pas pour effet d’interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.

[269] À ’appui du fait qu’elle qualifie la liberté de religion de « principe de base qui sous-tend le droit à un traitement égal en vertu du Code en matière de croyance » (p.5), la politique de 1996 indique (dans sa note de fin de texte no 7) :

Ce principe est exprimé dans le préambule du Code qui dit de façon expresse que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde [...] [qui vise] à créer un climat de compréhension et de respect mutuel de la dignité et de la valeur de toute personne de façon à ce que chacun se sente partie intégrante de la collectivité et apte à contribuer pleinement à l’avancement et au bien-être de la collectivité et de la province.

[270] Par exemple, Labchuck (2012), dans son appel à l’extension de la définition de la croyance, accorde une importance relative à l’objectif du Code visant à protéger la dignité humaine de la personne. Labchuck décrit de la façon suivante l’esprit, l’intention et la visée des lois relatives aux droits de la personne : « protéger au maximum la dignité humaine ». D’autres participants au dialogue stratégique et à l’atelier juridique de 2012 ont effectué une lecture du Code davantage ancrée dans la dimension sociale, en insistant sur le rôle que jouent les lois relatives aux droits de la personne dans l’élimination progressive des « pratiques sociales d’exclusion ».

[271] Les tribunaux ont démontré un désir profond d’uniformiser la législation canadienne en matière de droits de la personne. Le juge en chef Lamer, s’exprimant pour la majorité de la Cour suprême du Canada dans Université de la Colombie-Britannique c. Berg, en a fait la démonstration en indiquant, au par. 372 :

Si les lois en matière de droits de la personne doivent être interprétées en fonction de
l’objet visé, les différences de formulation entre les provinces ne devraient pas masquer les fins essentiellement semblables de ces dispositions, à moins que la formulation n’indique la poursuite d’une fin différente de la part d’une législature provinciale particulière.

[272] Voir par exemple Labchuck (2012), Chiodo (2012a), McCabe et coll. (2012), Benson (2012b) et Szytbel (2012).

[273] Labchuck (2012) et Chiodo (2012b) citent tous les deux Insurance Corp of British Columbia c. Heerspink, [1982] 2 RCS 145 à cet égard.

[274] Selon Labchuck (2012), la Cour suprême du Canada a approuvé ce concept dans Dickason c. Université de l'Alberta [1992] 2 RCS 1103, au par. 115.

[275] Chiodo (2012a) et Labchuck (2012), entre autres personnes, attirent l’attention sur l’affirmation explicite, dans le Code, du besoin d’interpréter et de promouvoir progressivement les objectifs du Code.

[276] Labchuck (2012).

[277] R.C. v. District School Board of Niagara, supra note 8, au par. 43.

[278] Chiodo, 2012b, p. 19

[279] Charles Taylor s’est abondamment prononcé sur la quête de sens et d’authenticité à l’ère moderne, fondée sur des sources aussi diverses que la religion, la spiritualité et (ou) l’humanisme laïque (Taylor, 1989).

[280] Labchuck (2012).

[281] Chiodo (2012a). Voir Benson (2012).

[282] Parfois, ce besoin de promouvoir les objectifs des droits de la personne peut amener les tribunaux à chercher à y parvenir même là où la lettre de la loi est limitée. À l’appui de ce principe, Labchuck cite la décision Ontario (Commission des droits de la personne) c. Simpsons Sears (O’Malley), [1985] 2 RCS 536, dans laquelle le tribunal a laissé présager une obligation d’accommodement, malgré son absence du Code à l’époque.

[283] Bien que les tribunaux aient donné à la définition de la religion et de la croyance une portée vaste qui inclut de nombreuses croyances et pratiques religieuses non occidentales, on a l’impression de devoir continuer de qualifier celles-ci de « religion », dont le concept, de l’avis de certains, a été élaboré principalement en ayant à l’esprit les traditions religieuses occidentales (p. ex. Voir Huang, supra, note 14).

[284] À cet égard, Kislowicz (2012) s’inspire du travail de la penseuse du milieu juridique américain Winnifred Fallers Sullivan, qui a lancé un appel semblable dans le discours-programme qu’elle a prononcé le 12 janvier 2012 lors du dialogue stratégique de la CODP. David Seljak (2012) a similairement mis en garde contre le fait d’établir une quantité excessive de règles et de définitions, et de rendre les droits relatifs à la croyance trop spécifiques, d’une façon qui empêcherait de donner une interprétation plus vaste et dynamique aux notions de religion et de croyance : « [N]ous ne pouvons pas protéger ce que nous ne pouvons pas voir et la façon dont nous définissons la religion va déterminer ce que nous voyons - et ne voyons pas – comme étant digne de protection et de promotion » (Seljak, 2012, p. 11).

[285] Kislowicz, 2012, p.31.

[286] Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux par. 69-71.

[287] L’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques inclut les dispositions suivantes :

  1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou n’importe quelle conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé, par le culte et l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement.
  2. Nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d'avoir ou d'adopter une religion ou une conviction de son choix.
  3. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui.
  4. Les États parties au présent Pacte s'engagent à respecter la liberté des parents et, le cas échéant, des tuteurs légaux de faire assurer l'éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions.

[288] Voir Déclaration sur l'élimination de toutes les formes d'intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction, 1981 à l’adresse :[www2.ohchr.org/english/law/pdf/religion.pdf].

[289] L’article 7 de la Déclaration sur l'élimination de toutes les formes d'intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction, 1981, stipule : « Les droits et libertés proclamés dans la présente Déclaration sont accordés dans la législation nationale d'une manière telle que chacun soit en mesure de jouir desdits droits et libertés dans la pratique. »

[290] L’Article 28 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) et l’article 50 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) stipulent que les dispositions de ces pactes (y compris l’article 18 du PIDCP) s’appliqueront à toutes les unités constitutives des États fédératifs sans limitation ni exception aucunes. Pour en savoir davantage, consulter le document de recherche de la CODP intitulé Les commissions des droits de la personne et les droits économiques et sociaux (www.ohrc.on.ca/fr/les-commissions-des-droits-de-la-personne-et-les-droits-%C3%A9comomiques-et-sociaux).

[291] Dans son observation no 22 sur le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, qui commente l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Comité affirme ce qui suit :

  • L’article 18 englobe la liberté de pensée dans tous les domaines, les convictions personnelles et l’adhésion à une religion ou une croyance, manifestée individuellement ou en commun.
  • La liberté de pensée et la liberté de conscience sont protégées à égalité avec la liberté de religion et de conviction (au par. 1).
  • L’article 18 protège les convictions théistes, non théistes et athées, y compris le droit de ne professer aucune religion ou conviction.
  • Les termes « conviction » et « religion » doivent être interprétés au sens large.
  • Le droit protégé à l’article 18 ne devrait pas être limité aux religions traditionnelles ni être discriminatoire à l’égard de toute religion ou conviction pour quelque motif que ce soit (y compris le fait qu’elle est nouvellement établie ou associée à des minorités religieuses) (au par. 2).

Le Comité des droits de l’homme est un organe composé de 18 experts indépendants. Les États signataires doivent soumettre des rapports sur la façon dont les droits sont mis à exécution (habituellement tous les quatre ans). Le Comité fait ensuite part de ses commentaires et suggestions. L’article 41 du PIRDCP permet au Comité de traiter les plaintes déposées contre un État partie par un autre État partie. Le Premier protocole facultatif permet au Comité de traiter les plaintes individuelles déposées contre des États signataires. 

Dans un paragraphe traitant des « minorités religieuses et nouveaux mouvements religieux » d’un autre rapport de la Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion ou de conviction (2006) de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies, Asma Jahangir fait remarquer ([A/HRC/4/21], aux par. 43-47), entre autres, que :

  • la croyance en l’existence d’un être suprême, des rituels ou un ensemble de règles morales et sociales, ne sont pas propres aux religions; on trouve aussi ces éléments dans les idéologies politiques
  • l’établissement d’une distinction entre sectes et les nouveaux mouvements religieux est compliqué par le fait qu’aucun instrument international relatif aux droits de la personne ne contient de définition des concepts de religion, de secte ou de nouveau mouvement religieux
  • “les termes « sectes », « religions » et « nouveaux mouvements religieux » doivent tous être clarifiés
  • la définition d’une religion ou d’une croyance est extrêmement complexe.

Ce rapport discute de défis semblables à l’échelle internationale lorsqu’il s’agit de composer avec la diversité de croyance et les définitions connexes. Parmi les autres points mentionnés dans ce rapport relativement à l’interprétation de la Déclaration sur l'élimination de toutes les formes d'intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction, 1981, figure :

  • Rosalyn Higgins (membre du Comité des droits de l’homme lors de la rédaction de l’observation générale no 22) était opposée à l’idée qu’un État partie puisse décider de ce qui constitue et ne constitue pas une croyance religieuse véritable - les fidèles devraient eux-mêmes décider.
  • le Rapporteur spécial Abdelfattah Amor a indiqué ce qui suit : « il n’appartient ni à l’État, ni à un quelconque autre groupe ou communauté de prendre en tutelle la conscience des gens et de favoriser, d’imposer ou de censurer une croyance religieuse ou une conviction » (rapport du Rapporteur spécial sur l’intolérance religieuse [E/CN/4/1997/91], au par. 99).
  • Le Rapporteur spécial Riberiro a indiqué que l’ancienneté d’une religion, son caractère révélé et l’existence d’un texte écrit ont leur importance même s’ils ne sont pas suffisants pour faire une distinction entre religions, sectes et associations (1990).

Un autre rapport d’activité de la Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion ou de conviction de l’Assemblée générale des Nations unies (2009) affirme de façon similaire qu’« [I]l appartient aux fidèles eux-mêmes de définir les contenus d’une religion ou d’une conviction ».

[292] Supra, note 8. Dans cette décision du TDPO (2013), le TDPO s’est fié aux protections conférées

à l’échelle internationale au moment d’interpréter le motif de la croyance aux termes du Code de l’Ontario :

Je me suis également fié au fait que les lois relatives aux droits de la personne incluent des mesures de protection de l’athéisme dans le contexte de la liberté de religion. Comme l’a conclu la Cour suprême dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au par. 70, « les valeurs exprimées dans le droit international des droits de la personne peuvent, toutefois, être prises en compte dans l’approche contextuelle de l’interprétation des lois et en matière de contrôle judiciaire ». L’article 18(1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par le Canada, stipule ce qui suit :

Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou n’importe quelle conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé, par le culte et l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement. [40]

Bien que son libellé parle de « religion ou conviction », l’article 18, à mes yeux, a les mêmes objectifs que la protection de la croyance au sens du Code. L’article 2 de l’observation générale de 1993 rédigée sur cet article par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme, doc. des N.-U. CCPC/C/21/Rev.1/Add/4L, indique clairement que les convictions athées et la non-conviction sont protégées dans ce traité international fondamental relatif aux droits de la personne :

L’article 18 protège les convictions théistes, non théistes et athées, ainsi que le droit de ne professer aucune religion ou conviction. Les termes conviction et religion doivent être interprétés au sens large. L’article 18 n’est pas limité, dans son application, aux religions traditionnelles ou aux religions et croyances comportant des caractéristiques ou des pratiques institutionnelles analogues à celles des religions traditionnelles (aux par. 40 et 41).

[293] Voir Donald (2012).

[294] Voir Labchuck (2012).

[295] Voir Kislowicz (2012) pour en connaître davantage sur les points forts de cette approche analogique.

[296] Voir Kelly v. British Columbia (Public Safety and Solicitor General), supra, note 11.

[297] Re O.P.S.E.U. and Forer (1985), supra, note 12.

[298] Hutterin Brethren, supra, note 160.

[299] Chabot c. Conseil scolaire catholique Franco-Nord, 2010 TDPO 2460 [CanLII), Gilbert v. 2093132 Ontario Inc., 2011 OHRT 672 (CanLII).

[300] Huang, supra, note 14.

[301] Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489.

[302] Dans cette décision arbitrale particulière au sujet d’un grief, l’arbitre du travail n’a pas approfondi pourquoi la participation à la Rocky Mountain Mystery School, un « organisme qui enseigne les pratiques et connaissances anciennes de la lumière et de l’œuvre de la lumière dans le monde » était une croyance. Il s’est plutôt concentré sur la question de savoir si l’employeur était tenu de prendre des mesures d’adaptation pour accorder à l’employée un congé afin qu’elle participe à un pèlerinage (Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada Local 722-M v. Global Communications, [2010] C.L.A.D. No. 298 [QL]). En concluant que l’employeur aurait dû prendre de telles mesures d’adaptation, l’arbitre a implicitement admis que le motif de la croyance était en jeu.

[303] Supra, note 8.

[304] Hendrickson Spring v. United Steelworkers of America, Local 8773 (Kaiser Grievances), [2005] O.L.A.A. No. 382, 142 L.A.C. (4th) 159.

[305] Rand v. Sealy Eastern Ltd. (1982), 3 C.H.R.R. D/938 (comm. d’enquête Ont.), D/942. Il s’agit de l’une des premières décisions portant sur la croyance en Ontario. Le professeur Cumming, qui entendait la plainte d’un homme sikh à qui on avait refusé un emploi parce qu’il portait la barbe et le turban, a décrit la croyance comme étant dérivée du mot latin « credo » qui signifie « je crois ». Il a aussi examiné les définitions suivantes des dictionnaires de langue anglaise Oxford et Webster :

Dans le Oxford : sous « Creed » – « Un système accepté ou professé de croyances religieuses : la foi d’un individu ou d’une collectivité, en particulier de la façon dont elle s’exprime ou est susceptible d’expression dans une formule définie. »

Dans le Webster : sous « Creed » - « Toute formule de confession d’une foi religieuse;
un système de croyances religieuses, en particulier de la façon dont il est exprimé ou exprimable dans un énoncé défini; parfois, un sommaire des principes ou d’un ensemble d’opinions professés ou acceptés en sciences, en politique, ou autres domaines semblables; en tant que croyance d’espoir (hopeful creed) ».

[306] [1997] CanLII 12445 (CA ON), confirmé en 1999 CanLII 3744 (CA ON).

[307] ibidem, par. 39. Dans son mémoire à la CODP (McCabe et coll., 2012), l’Ontario Humanist Society, cite d’autres définitions et étymologies semblables de dictionnaires qui dérivent plus généralement le terme « croyance » du latin « credo », signifiant « je crois », sans aucune implication ou nécessité de fondement religieux.  

[308] ibidem, par. 40.

[309] Décision Jazairi [1999] de la Cour d’appel de l’Ontario (supra, note 306, par. 28). Dans une décision récente, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a rejeté la demande d’un intimé d’annuler une requête relative aux droits de la personne afférente à une poursuite au civil. Le requérant alléguait qu’il avait été licencié pour avoir fait part de ses opinions sur le conflit armé en Syrie, lesquelles étaient inextricablement liées à son identité en tant que musulman et Canadien d’origine syrienne. L’intimé soutenait que la requête reposait sur de la discrimination fondée sur des « opinions politiques », auxquelles le Code ne s’applique pas. La Cour supérieure a cité la décision Jazairi de la Cour d’appel et conclu que le tribunal avait expressément laissé le champ libre à l’inclusion d’autres systèmes de convictions politiques aux croyances reconnues. Compte tenu des éléments de preuve à sa disposition, la Cour supérieure a conclu qu’elle ne pouvait pas (pour les besoins d’une requête en radiation) conclure que les opinions du requérant ne constituaient pas une croyance; voir Al-Dandachi, supra, note 9.

[310] Par exemple, dans Sauve v. Ontario (Training, Colleges and Universities), 2009 OHRT 1415 (CanLII), le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (TDPO) a conclu qu’il n’avait pas à décider si l’Église métaphysique et la lecture du tarot étaient assimilables à une croyance : « je conclus que même si le tarot pouvait être juridiquement compris dans la définition de croyance aux termes du Code, la décision de refuser les prestations pour travailleurs autonomes n’était pas fondée sur la lecture des cartes de tarot. Par conséquent, il n’est pas nécessaire que je détermine si le tarot dans le contexte de cette cause constitue une croyance selon la jurisprudence pertinente [...] » (au par. 39). Voir également Hayes v. Vancouver Police Board and another (No.2), 2010 BCHRT 324 (CanLII) qui porte sur le paganisme. Dans d’autres affaires, les décisionnaires ont accepté, sans discussion ou analyse poussée, qu’un système de convictions ou de croyances constituait bel et bien une croyance et se sont plutôt concentrés sur la question de savoir quelles pratiques étaient protégées. Par exemple, dans une décision arbitrale au sujet d’un grief, l’arbitre du travail n’a pas approfondi pourquoi la participation à la Rocky Mountain Mystery School, un « organisme qui enseigne les pratiques et connaissances anciennes de la lumière et de l’œuvre de la lumière dans le monde » était une croyance. Il s’est plutôt concentré sur la question de savoir si l’employeur était tenu de prendre des mesures d’adaptation pour accorder à l’employée un congé afin qu’elle participe à un pèlerinage (Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada Local 722-M v. Global Communications, [2010] C.L.A.D. No. 298 [QL]). En concluant que l’employeur aurait dû prendre de telles mesures d’adaptation, l’arbitre a implicitement admis que le motif de la croyance était en jeu.

[311] Supra, note 137, au par. 69.

[312] Ibidem.

[313] Chiodo (2012b, p. 19) soutient ce qui suit :

Étant donné que les convictions perdent graduellement leurs caractéristiques d’association pour devenir de plus en plus personnelles, la distinction entre les convictions religieuses et non religieuses devient difficile à justifier. En effet, aux yeux de nombreux observateurs, cette distinction semble arbitraire et laisse entendre que des croyances familières ou privilégiées constituent des convictions véritables, à l’opposé des croyances nouvelles ou différentes, qui ne seraient pas des convictions ou constitueraient uniquement des pseudo-convictions.

[314] Moon, 2012a.

 

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