Page controls
Page content
Publié 26 octobre 2007
The Globe and Mail
444, rue Front Ouest
Toronto (Ontario) M5V 2S9
Page en regard de l'éditorial de
Barbara Hall, B.A, LL.B, Ph.D (hon.)
Commissaire en chef
Commission ontarienne des droits de la personne
Les valeurs consacrées dans les lois protégeant les droits de la personne occupent une place spéciale dans le cœur des Canadiens et Canadiennes, pour lesquels la tolérance, le respect mutuel et la diversité sont des valeurs fondamentales à la nature et au succès de leur pays. Devant le débat qu’a récemment suscité en Ontario la question du financement des écoles religieuses et les consultations continues qui se déroulent au Québec à propos des mesures d’adaptation raisonnables, je pense que le moment est bien choisi pour rappeler ces valeurs. Ce n’est certainement pas le moment de s’en détourner.
La question de la relation entre les droits de la personne et la foi religieuse a suscité un intense débat public. De nombreuses religions proposent des codes de conduite détaillés qui contiennent des règles sur l’alimentation ou l’habillement, notamment. Dans une société aussi diverse que la nôtre, nous serons inévitablement confrontés à des questions profondes, comme par exemple : quel est le rôle de la religion dans la sphère publique? y a-t-il des limites à l’accommodement? comment peut-on concilier les exigences parfois contradictoires de divers groupes?
Malheureusement, je pense qu’une partie du récent débat public a été motivée par des stéréotypes, des attitudes discriminatoires et la crainte de l’inconnu. Les préjudices et les stéréotypes ne devraient jamais former la base d’une réforme des lois sur les droits de la personne. Il ne fait pas de doute que nous faisons face à des enjeux réels et légitimes, mais nous devons garder à l’esprit qu’il est dangereux de réagir hâtivement sous l’impulsion de la crainte et de la peur. N’oublions pas que l’internement en temps de guerre des Canado-japonais et l’établissement des écoles résidentielles pour les Autochtones du Canada étaient perçus comme des mesures nécessaires en leur temps.
Toute solution devrait tenir compte, d’une part, du degré élevé d’oppression et de marginalisation bien réelles que subissent continuellement les femmes et le groupe des gais, lesbiennes, bisexuels et transgenres. Il est très inquiétant de penser que les victoires vers l’égalité durement remportées pourraient être ignorées et que la discrimination contre ces groupes pourrait être rendue légitime. Il est tout aussi important, d’autre part, de reconnaître le parcours éprouvant de certains groupes religieux au Canada, en particulier des groupes musulmans, qui, au lendemain des attaques du 11 septembre, ont fait l’objet d’intenses attaques, plus ou moins ouvertes, motivées par la haine, la peur et la discrimination. Les lois relatives aux droits de la personne existent pour nous protéger tous également de la discrimination fondée sur le sexe, l’orientation sexuelle, la croyance, la race et d’autres motifs, et ces protections doivent demeurer solides.
Certains ont suggéré que la tension entre droits religieux et autres droits pouvait être allégée par la création d’une hiérarchie formelle et légale de droits, les droits religieux restant subordonnés aux autres droits. Ce serait une erreur. Je pense qu’il serait plus judicieux de reconnaître que les droits sont tous d’une importance égale et qu’il peut parfois être nécessaire d’établir un équilibre entre ces droits, selon les circonstances. L’adoption d’une hiérarchie des droits représenterait sans aucun doute un éloignement radical par rapport aux principes fondamentaux internationaux de protection des droits de la personne, qui ont reconnu le caractère indivisible et interdépendant des droits individuels.
Traiter chacun de la même façon ne signifie pas nécessairement que ce traitement est égal. Par exemple, les règles prohibant les couvres-chef religieux au nom de la promotion de l’égalité des sexes pourraient permettre à des employeurs et à des prestataires de services de refuser des débouchés à des musulmanes, ce qui constituerait un pas en arrière sur le front de la promotion de l’égalité des sexes.
Les lois sur les droits de la personne établissent déjà des mécanismes d’équilibre éprouvés pour régler les cas rares de conflit entre des droits. Par exemple, il se peut que certaines personnes se trouvent offensées par la vue d’une mère allaitant son bébé en public, de deux hommes qui s’embrassent ou d’une personne qui porte un turban, une kippa ou un hijab, mais ce n’est pas une excuse pour faire de la discrimination. Ces attitudes ne sont pas une raison valable pour refuser de servir ou d’employer une personne ou de partager un lieu public. Nous devrions tous pouvoir tolérer nos différences, et nous en avons l’obligation, même celles qui nous sont étrangères.
De même, certains principes existants en matière de protection des droits de la personne créent des limites pratiques et raisonnables à l’obligation d’accommodement. Par exemple, des mesures d’adaptation ne sont pas obligatoires si elles représentent un risque excessif à la santé et à la sécurité. Pour cette raison, la Cour suprême du Canada a refusé d’ordonner une exception au port obligatoire du casque pour les travailleurs du bâtiment qui s’appliquerait à un Sikh dont la foi l’oblige de porter un turban. En revanche, le souci d’uniformité de l’apparence n’est pas un motif suffisant pour refuser d’accommoder les personnes portant un couvre-chef religieux. En effet, pendant de nombreuses années, la GRC a autorisé ses membres Sikh à porter leur turban avec leur uniforme.
Des compromis pourraient s’avérer nécessaires de la part des acteurs intéressés. La controverse qu’a suscitée le mariage de conjoints de même sexe a fini par aboutir à une solution permettant aux personnes croyantes de respecter les exigences de leur foi pour leurs propres cérémonies, alors que les gais et lesbiennes se voyaient octroyer l’accès illimité aux procédures de mariage civil.
Les solutions dont nous avons besoin ne sont pas des solutions radicales, unilatérales, mais au contraire un dialogue respectueux et intelligent, qui respecte les principes fondamentaux des droits de la personne. Nous devons tous, y compris les défenseurs des droits de la personne, améliorer les efforts de promotion des droits de la personne et des responsabilités qui en découlent, et intensifier la sensibilisation à cet égard. Nous devons intervenir proactivement face à des situations de discrimination individuelle ou systémique. Depuis 1948, la Déclaration universelle des droits de l’homme ébauche une société fondée sur la compréhension et le respect mutuel à l’égard de la dignité et de la valeur de chacun, de façon à ce que chacun se sente faire partie intégrante de la société et contribuer pleinement au développement et au bien-être de la société. Nous avons encore un long chemin à parcourir avant d’atteindre cette destination et nous devons le faire ensemble.
Barbara Hall,
Commissioner en chef