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La ville de Timmins doit s’attaquer aux problèmes posés par ses relations avec les Autochtones

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Mars 28, 2018

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POINT DE VUE : Selon les commissaires de la Commission ontarienne des droits de la personne, comprendre ce qu’est le racisme nécessite de sortir de sa zone de confort

Par: Renu Mandhane and Maurice Switzer

TIMMINS — En février, Joey Knapaysweet, 21 ans, et Agnes Sutherland, 62 ans, tous deux de la Première Nation de Fort Albany, ont trouvé la mort lors de deux incidents distincts impliquant le Service de police de Timmins. Ces drames font l’objet d’une enquête de la part de l’Unité des enquêtes spéciales. Les décès ont électrisé une communauté à laquelle le maire Steve Black a déclaré qu’aucun coup de feu n’avait été tiré par un policier dans l’exercice de ses fonctions au cours de ces 34 dernières années.

Très rapidement, Alvin Fiddler, grand chef de la Nishnawbe Aski Nation, Jonathan Solomon, grand chef du Conseil Mushkegowuk, et Andrew Solomon, chef de la Première Nation de Fort Albany, ont exprimé dans un communiqué leur consternation et leurs interrogations quant au rôle d'un « racisme systémique » dans ces tragédies. Ils ont déploré le fait que les membres de leurs peuples doivent régulièrement quitter leurs familles et leurs communautés et se déplacer dans des villes pour accéder à des services qui ne sont pas disponibles chez eux. Fort Albany se situe à quelque 400 kilomètres au nord de Timmins.

Un mois plus tard, respectant notre engagement en faveur de la réconciliation, nous avons dépêché une délégation de la Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) à Timmins et dans les environs. Au cours des deux dernières années, nous nous sommes déplacés à Thunder Bay, North Bay, Kenora, Sioux Lookout, Fort Francis et enfin, Dryden.

Bien que ce voyage ait été organisé avant les évènements, nous savions, en quittant Toronto, que nous aurions à user de notre pouvoir légal nous permettant d’enquêter à propos d’incidents et de conflits. Nous voulions étudier les obstacles de nature systémique qui obligent les personnes à se déplacer loin de leur domicile pour pouvoir accéder à certains services, déterminer si une discrimination systémique entravait la prestation de services et comprendre les expériences de racisme individuelles. La « discrimination systémique » désigne les schémas de comportements, de politiques ou de pratiques existant au sein des structures sociales ou administratives d’un organisme, qui placent ou maintiennent les groupes reconnus par le Code des droits de la personne de l’Ontario dans une position défavorisée.

En 2016, un peu plus de 11 p. 100 de la population de Timmins se définissaient comme autochtone, soit plus du double de la moyenne nationale. Timmins constitue un centre de services pour les peuples des Nations Premières, y compris pour les communautés côtières cries installées sur la baie James. Les personnes viennent à Timmins pour accéder aux soins de santé, aux services sociaux ainsi qu’à l’enseignement supérieur dispensé par le Collège Northern.

Nous avons discuté avec des communautés et des organismes autochtones locaux ainsi qu’avec différentes personnes à Moosonee et à Moose Factory. Plusieurs exemples actuels de discrimination systémique ont été évoqués, dont des insuffisances dans les secteurs suivants : l’administration de la justice, les soins de santé (en particulier les soins de santé adaptés culturellement et se trouvant à proximité des communautés), les soins de santé mentale, l’éducation et le bien-être de l’enfance.

Des préoccupations à l’échelle locale nous ont également été rapportées. Des témoignages indiquent que dans la circonscription sanitaire de Porcupine, l’application trop zélée des règlements de santé publique empêche souvent que des plats traditionnels autochtones soient servis lors de rassemblements. Il nous a été signalé que seules les personnes venant de l’extérieur de la ville bénéficiaient de traducteurs en langue crie lors de leur admission à l’hôpital local. Nous avons appris que certains enfants autochtones placés en famille d’accueil avaient été envoyés jusqu’à Sarnia (ville située à près de 1 000 kilomètres de là), les familles d’accueil autochtones agréées venant à manquer, compte tenu des règles obligeant chaque enfant placé dans une famille d’accueil à disposer de sa propre chambre.

Des personnes nous ont également fait part de leurs expériences de racisme. À la question de savoir si ces faits étaient habituels, elles nous ont répondu « bien sûr » ou « cela fait partie de la vie normale en ville ». Elles ont constaté que les personnes perçues comme autochtones en raison des stéréotypes sur l’apparence, les vêtements ou le patronyme subissaient fréquemment des traitements défavorables. De même, la discrimination en matière de logement est jugée omniprésente. Des cas de profilage ethnique dans les centres commerciaux et dans les magasins ont été mentionnés, par exemple la surveillance par des agents de sécurité ou le harcèlement sur présentation des cartes de statut. Une personne nous a raconté qu’elle avait entendu des commentaires racistes à l’encontre des participants lors de la coupe Mushkegowuk, un petit tournoi annuel de hockey organisé pour les enfants et les jeunes cris.

La méfiance des personnes rencontrées envers la police est générale et constante. Les raisons évoquées pointent vers l’héritage des pensionnats, les incidents très médiatisés impliquant le Service de police de Thunder Bay ainsi que l’impression que les jeunes autochtones sont exagérément ciblés par la police.

Nous avions ces discussions à l’esprit lorsque nous avons affirmé que les personnes autochtones subissaient un racisme omniprésent et banalisé à Timmins.

Notre délégation a également rencontré des responsables dans les domaines de l’éducation, du bien-être de l’enfance, de la santé, du maintien de l’ordre ainsi que des services sociaux. Nous avons transmis les préoccupations dont on nous avait parlé, mais à l’évocation du racisme, les personnes ont semblé mal à l’aise ou sur la défensive.

Nous avons interrogé les institutions quant à leur engagement en faveur de la réconciliation. Nous avons cité d’une part, des extraits du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation, lequel incite tous les ordres de gouvernement à sensibiliser et à former les fonctionnaires sur l’histoire et l’héritage des pensionnats, la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones, les relations entre les Autochtones et la Couronne, les compétences interculturelles, la résolution des conflits, les droits de la personne et la lutte contre le racisme.

Certaines institutions ont mentionné que leurs plans stratégiques prévoyaient des engagements en faveur de la « diversité », d’autres qu’un comité se réunissait rarement. Peu d’institutions ont été en mesure de démontrer qu’elles avaient mis en place une quelconque action d’importance. En visitant l’Hôpital de Timmins et du district, nous nous sommes rendus à la salle de guérison autochtone traditionnelle, appelée également « Lieu sacré ». La salle était magnifique. Elle était décorée d’ouvrages d’artistes autochtones, mais des frites et des ordures en recouvraient le sol. Lorsque nous avons demandé que l’endroit soit purifié, les employés ont eu du mal à trouver de la sauge et des allumettes.

Nous avons aussi visité une chapelle qui elle était bien entretenue.

À l’exception notable de la directrice du conseil scolaire public local, personne ne semblait estimer urgent d’étudier ou de comprendre les problèmes concernant les peuples autochtones, ni même d’agir pour les résoudre.

Seul le maire Steve Black paraissait s’intéresser à la réconciliation. Il a fait référence à un engagement de la ville qui est inclus dans le plan stratégique 2020. Il s’est montré bouleversé par les incidents récents et par la question du racisme. Il a affirmé que de bonnes relations avec les peuples autochtones étaient essentielles à la prospérité à long terme de la ville. Le maire et le conseil municipal pourraient en faire davantage et nous exhortons la ville de Timmins à mettre les ressources adéquates à disposition ainsi qu’à prendre d’ici un an les mesures suivantes :

Premièrement, répondre aux appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation.

Deuxièmement, créer, en partenariat avec les dirigeants autochtones, un conseil permanent pour faciliter un dialogue sincère et respectueux sur des préoccupations communes.

Troisièmement, recruter une équipe municipale pour mener les actions et les initiatives contre le racisme engageant l’ensemble de la communauté (autochtone et non autochtone), et rendre compte publiquement de la situation à l’égard des droits de la personne.

Le 27 mars, le conseil municipal examinera les propositions du maire Steve Black, notamment : la création d’un comité consultatif des Premières Nations; des séances de formation et de sensibilisation sur les réalités culturelles; la mise en place d’un forum de leadership permettant aux responsables municipaux et à ceux des Premières Nations de se réunir régulièrement; enfin, le hissage permanent de trois drapeaux à l’hôtel de ville en l’honneur de la Première Nation de Mattagami, de la Nishnawbe Aski Nation et de la Métis Nation of Ontario.

Lors de notre rencontre avec le Service de police de Timmins, nous avons interrogé celui-ci sur ses efforts en faveur de la réconciliation. Nous avons appris que leur comité consultatif autochtone, dirigé par un agent à la retraite et non autochtone de la Police provinciale de l’Ontario, se réunissait quatre fois par an. Le chef adjoint ne pouvait apporter de précisions sur le mandat du comité ni à qui ce dernier rendait compte. On nous a dit qu’aucune réunion spécifique visant à répondre aux préoccupations de la communauté n’avait été organisée suite aux récents décès. Lorsque nous avons demandé comment les agents avaient réagi face aux inquiétudes des responsables autochtones par rapport à un racisme systémique, on nous a répondu qu’un membre du haut commandement s’était senti « insulté ». Sur le conseil de leur directrice des communications, les agents ont refusé de citer les noms de Joey Knapaysweet et d’Agnes Sutherland. Un courriel en date du 21 mars indique que John Gauthier, directeur de la Police de Timmins, serait intéressé par une future formation dispensée par la CODP.

Un résident de la localité a écrit récemment au journal Timmins Press pour dire qu’il s’estimait « persécuté » par les soupçons de la CODP selon lesquels un racisme banalisé était partout présent à Timmins. Un autre lecteur a écrit qu’il avait « été le témoin de plus d’insultes discriminantes et racistes en 8 ans [à Timmins] que durant les 25 années qu’il avait passées à Yellowknife ». Il a ajouté : « Les gens ne s’en cachent même pas ».

Bien évidemment, toutes les personnes habitant à Timmins ne sont pas racistes. L’enjeu est de quitter sa zone de confort pour comprendre ce qu’est le racisme ordinaire dans la vie quotidienne de certains membres de la communauté et pour reconnaître que ce sont eux les victimes. 

Les lettres envoyées au journal Timmins Press illustrent deux types de réactions divergentes face au racisme auquel les Autochtones sont confrontés. Le chemin vers la réconciliation aura progressé lorsque les personnes qui partagent l’un ou l’autre de ces points de vue auront commencé à se parler et lorsque la ville de Timmins les y aura aidés. Finalement, ce que requiert une réconciliation véritable, c’est un dialogue noué à la fois sur le plan personnel et à l’échelle institutionnelle. En ce qui nous concerne, la CODP serait heureuse d’apporter son soutien à ce processus fondamental.

Renu Mandhane est la commissaire en chef de la Commission ontarienne des droits de la personne et Maurice Switzer est commissaire à temps partiel de ce même organisme.

Article publié à l’origine le 27 mars 2018, sur les Ontario Hubs de TVO.org (an anglais).