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Saskatchewan Human Rights Commission v. Whatcott

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Dossier de la Cour 33676
DEVANT LA COUR SUPRÊME DU CANADA
(EN APPEL DE LA COUR D'APPEL DE LA SASKATCHEWAN)

ENTRE :
LA SASKATCHEWAN HUMAN RIGHTS COMMISSION
APPELANTE
(Intimée à la Cour d'appel de la Saskatchewan)
-et-

WILLIAM WHATCOTT
INTIMÉ
(Appelant à la Cour d'appel de la Saskatchewan)
-et-

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ALBERTA et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE LA SASKATCHEWAN
INTERVENANTS
-et-
L’ALBERTA HUMAN RIGHTS COMMISSION, ÉGALE CANADA INC., LA COMMISSION ONTARIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE,
LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE, L'ÉGLISE UNIE DU CANADA, LA UNITARIAN CONGREGATION OF SASKATOON ET LE CONSEIL UNITARIEN DU CANADA, LE FONDS D'ACTION ET D'ÉDUCATION JURIDIQUES POUR LES FEMMES, JOURNALISTES CANADIENS POUR LA LIBERTE D'EXPRESSION, L’ASSOCIATION DU BARREAU CANADIEN, LA TERRITORIES HUMAN RIGHTS COMMISSION et LA YUKON HUMAN RIGHTS COMMISION, CHRISTIAN LEGAL FELLOWSHIP, LA LIGUE DES DROITS DE LA PERSONNE DE B’NAI BRITH CANADA, L’ALLIANCE EVANGELIQUE DU CANADA, L’ASSOCIATION CANADIENNE DES LIBERTES CIVILES, CANADIAN CONSTITUTION FOUNDATION, L’ASSEMBLEE DES PREMIERES NATIONS, LA FEDERATION OF SASKATCHEWAN INDIAN NATIONS et LA METIS NATION-SASKATACHEWAN, LA LIGUE CATHOLIQUE DES DROITS DE L'HOMME et LA FAITH AND FREEDOM ALLIANCE, L’AFRICAN CANADIAN LEGAL CLINIC, LE CONGRES JUIF CANADIEN

INTERVENANTS
 


MÉMOIRE DE L’INTERVENANTE,
LA COMMISSION ONTARIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE 



COMMISSION ONTARIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE
180 Dundas Street West, 9th Floor
Toronto (Ontario) M7A 2R9

Tony Griffin
Tél. : 613 326-7250
Téléc. : 613 536-7255

Reema Khawja
Tél. : 416 326-9870
Téléc. : 416 326-9867

Avocal de l’intervenante
GOWLING LAFLEUR HENDERSON LLP
2600-160, rue Elgin
C.P. 466, Succursale « D »
OTTAWA (Ontario) K1P 1C3

Correspondant de l’intervenante

PARTIE I - EXPOSÉ DES FAITS

1. L’intervenant, soit la Commission ontarienne des droits de la personne (« CODP »), s’appuie sur l’exposé des faits tel que présenté dans le mémoire de l’appelant. La CODP ne prend pas position concernant un désaccord entre les parties sur des questions de fait.

PARTIE II - QUESTIONS LITIGIEUSES

2. Dans cet appel, les questions fondamentales portent sur la constitutionnalité de l’alinéa 14(1) b) du Saskatchewan Human Rights Code et, si celui-ci est jugé constitutionnel, sur la question de savoir si les actes du défendeur, William Whatcott, contreviennent à l’article du Code. L’examen des deux questions nécessite la reconnaissance des droits contradictoires, voire peut-être leur conciliation. Les soumissions de la CODP établissent un processus fondé sur la jurisprudence existante pour analyser et concilier les droits contradictoires. Ce processus général peut s’appliquer, avec les modifications appropriées, à toute plainte de droits contradictoires, qu’elle soit déposée en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), de la législation relative aux droits de la personne ou d’une autre loi.

PARTIE III - EXPOSÉ DES ARGUMENTS

A. Raison du processus de conciliation pour des plaintes relatives à des droits contradictoires

3. Comme la société continue de se diversifier, les situations où les droits des particuliers ou des groupes semblent en contradiction deviennent plus fréquentes, certaines menant même, en vertu de la Charte, à des contestations d’une action officielle ou d’une loi. Toutefois, la plupart des plaintes courantes relatives à des droits contradictoires ne découlent pas d’une contestation en vertu de la Charte, mais des dispositions relatives à la non-discrimination dans les lois sur les droits de la personne dans des domaines tels que l’emploi, les biens, les services et équipements, le logement ou les contrats. Ainsi, une enseignante qui utilise un chien guide et son élève qui est allergique aux animaux ont tous les deux droit au même traitement et ne doivent pas faire l'objet de discrimination en raison d’un handicap. On peut cependant arguer que chacun d’eux est susceptible dans l’exercice de son droit d’empiéter sur celui de l’autre. Un organisme spécialisé dans les droits de la personne statuera au sujet des plaintes de cette nature.

4. Malgré la multiplication et la complexité croissante de ce genre de situations, la jurisprudence traitant de situations où une personne estime que la plainte des droits d’une autre porte atteinte aux siens est limitée. Jusqu’à présent, les décisions prises ont établi des principes clés, mais quasiment aucune démarche analytique concrète pour tenir compte des droits donnant lieu à des tensions. De la même façon que cet honorable tribunal a élaboré un processus et a précisé les facteurs à prendre en considération lors de l’analyse des problèmes (p.ex., obligation de prendre des mesures d'adaptation[1] ou interdictions de publication[2] ), l'établissement d'un processus clair permettra aux décideurs d’appliquer la méthode voulue pour traiter efficacement de telles situations.

5. Un cadre global et compréhensif, conforme à la jurisprudence existante, permettra d’éviter de nombreux conflits de droits apparents.

6. Un processus clair pour concilier les droits atténuera aussi le risque mis au jour par la juge B. McLachlin (en dissidence) dans l’affaire Taylor, à savoir que l’application d’une disposition conférant un droit pourrait « aller trop loin » et porter atteinte à un autre droit de façon constitutionnellement inadmissible[3]. Il est impossible de totalement éviter que, dans certains cas, les décideurs administratifs soient appelés à prendre des décisions qui se répercuteront sur les droits d’une personne garantis par la Charte. Cependant, un cadre analytique encourageant la prise en considération de droits contradictoires réduira la probabilité de voir la constitutionnalité de la disposition législative remise en question. Comme l’a reconnue la Cour d’appel de l’Ontario, une approche appropriée pour concilier les droits combinée à la capacité de faire des compromis constructifs en vue de minimiser le risque d’atteinte aux droits des deux parties permet de mieux assurer que les deux ensembles de valeurs soient dûment protégés et respectés[4].

B. Survol du processus de conciliation pour des plaintes relatives à des droits contradictoires

7. Lorsqu’il traite de plaintes relatives à des droits contradictoires, cet honorable tribunal doit appliquer le processus suivant :

i. comprendre le contexte juridique et factuel applicable, y compris les valeurs sous-jacentes de la reconnaissance mutuelle ou des droits et la responsabilité commune de chercher des solutions, et l’objectif consistant à encadrer les décideurs en matière de droits de la personne;

ii. déterminer les droits revendiqués et ceux auxquels il a été réellement portés atteinte, ce qui suppose de déterminer si ces droits sont correctement définis et légalement valides;

iii. déterminer si, dans le contexte en question, les mesures de protection recherchées tombent effectivement dans la sphère du droit, ce qui suppose de définir les limites des droits concernés. Déterminer s’il est possible de délimiter correctement les droits ou de les rajuster de manière raisonnable pour éviter tout conflit entre eux. Dans l’affirmative, cela met effectivement un terme à l’analyse;

iv. évaluer s’il existe une atteinte réelle aux droits en question au-delà des arguments futiles et infondés. Si tel est le cas, les droits restent conflictuels et une conciliation en vertu de l’article premier de la Charte s’impose alors;

v. concilier les droits en vertu de l’article premier de la Charte, ce qui pourrait exiger que le tribunal ait à restreindre un droit au profit d’un autre ou à établir un compromis entre les deux. Dans le cas d’une plainte ne découlant pas de la Charte, la conciliation a toujours lieu en tenant compte des principes généraux formulés dans l’analyse de l’article premier ainsi que des dispositions limitatives que contiennent les lois sur les droits de la personne. C'est notamment le cas lorsque l’examen d’un droit contradictoire est une exigence explicite de la loi.

8. Toutes les étapes ne s’appliqueront pas à chaque plainte relative à des droits contradictoires. Une certaine souplesse peut être de mise, compte tenu des circonstances.

C. Base juridique du processus de conciliation proposé

9. Lors de l’examen de deux droits en apparence opposés, l’objectif du tribunal doit être de résoudre le conflit entre les droits égaux et garantis par la Constitution de deux personnes ou groupes. Les principes de la Charte exigent une « conciliation » qui respecte pleinement l’importance des deux ensembles de droits concernés.

10. Le terme « concilier », qui sous-entend « faire aller ensemble, rendre harmonieux ce qui est très différent ou contraire », est généralement préférable à « peser », qui suggère qu’en fin de compte un droit l’emporte sur un autre. Comme l’a fait remarquer cet honorable tribunal, il existe une distinction juridique entre « concilier » et « peser » des droits garantis par la Charte :

La première question est de savoir si les droits présumés en conflit peuvent être conciliés : Trinity Western University c. British Columbia College of Teachers, [2001] 1 R.C.S.772, 2001 CSC 31, para. 29. Lorsqu’une conciliation n’est pas possible, il y a effectivement conflit. Dans de tels cas, le tribunal trouvera une limite à la liberté religieuse et poursuivra de façon à peser les intérêts en jeu, aux termes de l’article premier de la Charte : Ross c. Conseil scolaire n° 15 du Nouveau-Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825, para. 73-74. Dans ces deux mesures, le tribunal doit agir en se fondant sur le fait que la Charte ne crée pas une hiérarchie des droits....[5]

11. Cet honorable tribunal a dit que la Charte ne crée pas une hiérarchie des droits. Tous les droits ont le même statut, aucun droit n’étant plus important qu’un autre[6].

12. Cette affaire donne aussi l’occasion de confirmer qu’il n’existe pas, en vertu des lois sur les droits de la personne ou de l’article 15 de la Charte, de hiérarchie entre les motifs énumérés ou les motifs analogues. Si le contexte social se prêtant à une analyse des droits contradictoires peut varier selon le motif particulier en jeu, la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle n’est pas moins préjudiciable que la discrimination fondée sur la race ou la croyance, entre autres. Comme il l’est précisé dans Vriend, si les droits à l'égalité d’un groupe « énuméré ou analogue » sont niés, ceux de tout autre groupe minoritaire est menacée[7]. Il paraît impossible de suggérer que la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle n’est pas aussi grave ou condamnable que d’autres formes de discrimination[8]. Ce genre de situation avilit les gais et les lesbiennes et perpétue l'idée voulant qu’ils et elles sont moins dignes de protection dans la société canadienne[9]. Il en va de même pour la discrimination fondée sur la croyance.

13. Alors même qu’il n’existe pas de hiérarchie des droits, aucun droit garanti par la Charte n’est absolu. Chaque droit est intrinsèquement limité par les droits et la liberté des autres. Chaque droit soulevé dans ledit appel a été circonscrit lorsqu’il s’est avéré qu’il nuisait aux droits d’autrui ou empiétait sur eux. La libre expression de convictions religieuses a été jugée plus importante que la capacité d’agir selon elles lorsque celle-ci peut faire du tort à d'autres[10] ; le droit à la liberté d’expression a été restreint dans les cas où il compromet l'équité d’un procès ou porte préjudice à des membres vulnérables de notre société[11] et le droit d'être à l'abri de la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle peut avoir à céder le pas aux droits religieux lorsque des croyances religieuses fondamentales sont concernées[12].

14. Si les droits de deux personnes sont conflictuels, les principes de la Charte exigent une « conciliation » respectant pleinement l’importance des deux droits concernés, de façon que l’un et l’autre soient entièrement applicables et en vigueur dans un contexte donné, ce dans toute la mesure du possible[13].

15. La conciliation entre des droits contradictoires ne peut s’effectuer dans l’abstrait. Comme l’indiquait le juge Iacobucci dans son article intitulé « Reconciling Rights: the Supreme Court of Canada’s Approach to Competing Charter Rights », les droits garantis par la Charte n’existent pas dans le vide et leur sens et leur contenu dépendent du contexte. Ces droits doivent être examinés de manière contextuelle afin de régler le conflit qui les oppose. Le contexte détermine où il faut situer la frontière entre des droits contradictoires dans une cause particulière. Lorsqu’il y a conciliation entre des droits contradictoires, un tribunal doit fondamentalement comprendre la matrice factuelle qui a fait naître le différend et les autres valeurs sociétales et constitutionnelles en jeu[14].

16. Compte tenu de l'importance du contexte, la première étape du processus de conciliation proposé par la CODP consiste à comprendre le contexte social et factuel particulier dans lequel le conflit entre des droits surgit. Comme l’a indiqué la Cour d’appel de l’Ontario, avant de se tourner vers les concepts et analyses constitutionnels, il est important de comprendre ce qui est en jeu sur le plan humain[15].

17. Il est essentiel de bien définir le contexte. Dans le cadre d’une affaire de propagande haineuse présumée et de droits de la personne, l’appelant a mis en lumière un certain nombre d'éléments à prendre en considération lors de l’évaluation de l’ensemble du contexte factuel. Il est important par exemple de se rendre parfaitement compte du traitement défavorable subi historiquement par les gais et les lesbiennes pour éclairer l’analyse de cette affaire. Comme il est reconnu dans Egan, l’intolérance de la société à l’égard de l’homosexualité a non seulement suscité des actes de discrimination à l'encontre des gais et des lesbiennes dans tous les domaines, mais elle a aussi exposé ces derniers au harcèlement public, à des injures verbales, voire à des actes de violence. Cette situation a eu entre autres pour effet de forcer les gais et les lesbiennes à dissimuler, au prix d'un grand sacrifice personnel, leur orientation sexuelle et d’augmenter chez les jeunes le nombre des tentatives de suicide et des suicides accomplis. En outre, un examen du contexte ne peut se faire sans avoir conscience du fait que l’orientation sexuelle englobe des aspects du « statut » et de la « conduite », tous deux bénéficiant de la même protection contre la discrimination[16]. De la même façon, il est important de comprendre l’importance que revêt la foi dans la vie de nombreux Canadiens.

18. Quand vient le temps de déterminer comment concilier des droits, mêmes de légères variations dans le contexte peuvent être cruciales : « La conciliation de valeurs contradictoires consacrées dans la Charte se fonde nécessairement sur des faits précis. Le contexte est à la fois primordial et changeant[17]. » Ainsi, dans une situation considérant le droit à la liberté d’expression par rapport aux conséquences de cette dernière sur un groupe vulnérable, le ton, le contenu et le mode de diffusion particuliers du message contesté ont tous une incidence importante pour évaluer son effet et le degré de protection constitutionnelle à lui accorder. Comme l’a fait remarquer la juge Abella (en dissidence) dans l’affaire Bou Malhab « Crier « au feu » dans une salle de théâtre bondée et crier « théâtre » dans un poste d’incendie bondé sont deux choses différentes[18]. »

19. Dans ce cas, le ton, le contenu et le genre du mode de diffusion des dépliants du défendeur sont importants. Il faut les évaluer avec objectivité, et pas seulement du point de vue ou de l’objectif de l’auteur. On pourrait ainsi dire que le fait que certaines parties des propos tenus forment un discours raisonné ne justifie pas la présence d’autres parties dans lesquelles les propos vont trop loin et forment un discours haineux et discriminatoire[19].

20. Un tribunal doit ensuite déterminer, dans l'affaire dont il est saisi, les droits qui sont revendiqués et réellement concernés dans le contexte social et factuel. Dans certains cas, le droit concerné va de soi, alors que dans d’autres, cela est moins certain. Dans ce genre de situations, il peut être nécessaire de mener un complément d’enquête et d’entendre des témoignages pour établir que la plainte tombe dans la sphère du droit, selon la définition des tribunaux. Cela a notamment été le cas dans R. c. N.S., où le droit de l’accusé de bénéficier d'une défense pleine et entière et d’un jugement équitable était de toute évidence engagé, alors que le droit de la témoin à exercer sa liberté de religion, soit porter un niqab lors de son témoignage devant un tribunal, ne naissait pas forcément de sa participation au processus de justice pénale[20].

21. S’il faut établir les fondements de tous les cas de contestation en vertu de la Charte, il est particulièrement important, quand le droit revendiqué est la liberté de religion (comme précisé dans Amselem) et compte tenu du caractère subjectif et personnel d’un argument fondé sur ce genre de liberté, de détenir des preuves concrètes pour en établir le lien avec des convictions religieuses sincères[21].

22. Les tribunaux sont tout à fait en droit de conduire des enquêtes légitimes et effectives pour s’assurer qu’une croyance ou une pratique religieuse est liée à la religion, est invoquée de bonne foi, n’est ni fictive ni arbitraire et ne constitue pas un artifice[22].

23. Pour démontrer qu’une ingérence dans un droit religieux va au-delà d’un argument futile et infondé, la personne qui revendique des droits devra prouver que ses croyances ou un comportement d’ordre religieux sont véritablement menacés[23].

24. Dans ce cas, afin d’établir que le paragraphe 14(1) du Saskatchewan Human Rights Code constitue une violation de ses droits religieux, le défendeur doit prouver que sa capacité à distribuer du matériel qui est en contravention avec ledit paragraphe du Code relève de convictions ou de pratiques religieuses sincères. Il doit également démontrer que le fait d’être empêché d’exprimer ses opinions religieuses, à l'encontre des dispositions dudit paragraphe, est une atteinte non futile à son droit. Autrement dit, il doit démontrer que l’interdiction qui lui est faite de distribuer les dépliants en question nuit considérablement à sa capacité de pratiquer sa religion[24].

25. On peut éviter de nombreux conflits de droits apparents en se demandant s’ils tombent effectivement dans la sphère du droit, ce qui suppose de définir les limites des droits concernés. En délimitant correctement les droits ou en les rajustant de manière raisonnable, il est possible d’éviter tout conflit entre eux et, ce faisant, de mettre effectivement un terme à l’analyse. Par exemple, une fois l’étendue des droits correctement évaluée, il se peut qu’un droit n’en entrave pas vraiment un autre.

26. Quand l’exercice d'évaluation ne permet pas de résoudre le différend, il faut déterminer l’étendue de l’ingérence dans le droit en question. Si une ingérence dans un droit est mineure ou futile, il est peu probable que ce droit fasse l’objet d’une protection. Pour qu’il y ait conflit, il faut que l’ingérence dans un droit ou l’entrave à un droit soit suffisante. Lorsque la répercussion sur un droit est minime ou insignifiante en nature, ce droit doit céder le pas à l’autre et il n’est pas nécessaire de poursuivre l’analyse[25]. Si la jouissance d’un droit n’entraîne pas véritablement un fardeau pour l’autre droit ou n’a pas d’incidence sur ce dernier, les droits ne sont pas réellement conflictuels et ils font l’objet d’une conciliation. C’est ce qu’a conclu cet honorable tribunal dans Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, Supra et Trinity Western[26].

27. S’il a été réellement porté atteinte aux droits en question, le tribunal doit alors s’orienter vers un exercice de conciliation. Dans une affaire relevant de la Charte, il le fait en vertu de l’article premier. Dans une affaire où la contestation ne relève pas de la Charte, cet exercice d’équilibre peut également se produire, en tenant compte de la démarche générale et des principes énoncés en vertu de l’article premier. Dans ce cas, le paragraphe 14(2) du Saskatchewan Human Rights Code requiert spécifiquement que le décideur tienne compte de la liberté d’expression.

28. Dans R. c. Oakes, c’est-à-dire dans une situation où les droits sont contradictoires, le critère doit être la souplesse, ce pour trouver un équilibre entre le droit auquel il a été porté atteinte et le droit que l’État cherche à encourager pour légitimer la violation. Encore une fois, il convient de prêter fortement attention au contexte global des circonstances particulières de l’affaire devant le tribunal.

29. Comme l’a fait remarquer cet honorable tribunal dans Oakes et à d’autres reprises dans des décisions portant sur l’égalité, la propagande haineuse et la religion, les tribunaux doivent garder à l’esprit les valeurs sous-jacentes de la Charte lorsqu’ils effectuent l’analyse de l’article premier. Ces valeurs sont entre autres le respect dû à la dignité inhérente à l'être humain, l’engagement en faveur de la justice sociale et de l'égalité, l’adaptation à un vaste éventail de croyances, le respect de l'identité culturelle et de celle du groupe et la confiance dans les institutions sociales et politiques qui accroissent la participation des particuliers et des groupes à la société[27].

30. Une référence à la protection internationale des droits de l'homme, un examen des droits à l’égalité garantis en vertu de l’article 15 de la Charte et la nature de l’association entre l'expression en cause dans l’appel et les logiques sous-jacentes de l’alinéa 2 b) seront en outre essentiels pour déterminer si les efforts déployés par le pouvoir législatif en vue d’éliminer la propagande haineuse constitue une limitation se justifiant dans une société libre et démocratique[28].

31. De plus, au lieu d’opposer spécifiquement la liberté d'expression et la liberté de religion ( en cas de violation des droits religieux) aux droits à l’égalité dans la justification en vertu de l’article premier, un tribunal doit tenir compte d’une série de facteurs contextuels pour déterminer si les droits sont limités à juste titre dans ce genre de cas. C’est l’approche qui a été adoptée dans Keegstra et Ross.

32. Dans le cadre d’une analyse contextuelle visant à concilier les intérêts en vertu de l’article premier, il faut donc aussi se demander jusqu’à quel point l’aspect essentiel ou fondamental d’un droit est touché. Lorsqu’un comportement se situe en « périphérie » d’un droit, il semble plus probable qu’il doive supplanter un droit dont les valeurs fondamentales sont concernées[29]. Dans cette affaire en particulier, « une analyse contextuelle aux fins de l’article premier exige plutôt qu'on évalue, compte tenu des faits de l'espèce, dans quelle mesure une restriction à l'activité visée affaiblit ou compromet les principes sous-jacents à la large garantie de la liberté d'expression[30]. » Depuis la décision prise il y a 20 ans dans l’affaire Taylor et Keegstra, rien n’a changé qui suggérerait que du matériel pouvant être de la propagande haineuse ne devrait plus être considéré comme faisant parti d’une catégorie particulière d'expression qui s'écarte beaucoup de l'esprit même de l'alinéa 2 b).

33. Une autre considération qui doit éclairer l'analyse contextuelle fondée sur l'article premier est le rôle des tribunaux des droits de la personne dans l’interprétation et l’application du droit en matière de discrimination dans tout le pays. Comme indiqué dans Ross, cet honorable tribunal devrait «sous le régime de l'article premier, reconnaître que les tribunaux des droits de la personne sont sensibilisés à ces questions et tenir compte de cette reconnaissance pour déterminer ce qui constitue une violation justifiable de la Charte[31]. » En Ontario, la CODP et le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario ont mis à profit leur savoir sur les droits de la personne pour interpréter l’article 13 du Code des droits de la personne de l’Ontario et trouver un juste équilibre entre certaines publications discriminatoires et la liberté d’expression[32].

34. Enfin, dans les cas de droits conflictuels à concilier en vertu de l’article premier, il faut rechercher un « compromis constructif ». Il n’est pas toujours possible d’exprimer pleinement les divers intérêts en jeu. Toutefois, un processus de conciliation qui reconnaît les droits et en tient compte comme voulu est moins nuisible qu’une situation dans laquelle des droits contradictoires ne font pas l’objet d’une analyse :

Si les raisons avancées par [le juge] font montre d’une appréciation totale et pointue des divers intérêts en jeu, celles-ci deviennent partie intégrante de la conciliation des intérêts en apparence concurrentiels. Si une personne a toute latitude de présenter sa position et qu’il lui est donnée une explication motivée de l’attitude définitive à adopter, la reconnaissance des droits de cette personne dans le cadre de ce processus tend à valider sa demande, même si la décision finale ne lui accorde pas tout ce qu’elle souhaitait[33].

PARTIE IV – DEMANDES CONCERNANT LES COÛTS

35. La CODP ne fait aucune demande concernant les coûts.

PARTIE V – ORDONNANCE DEMANDÉE

36. a CODP cherche à présenter oralement, pendant une période n'excédant pas dix minutes, des arguments à l’audition de l’appel.

LE TOUT RESPECTUEUSEMENT PRÉSENTÉ à Toronto, le 4 août 2011.

_________________________________
Reema Khawja
Avocat principal
Commission ontarienne des droits de la personne

__________________________________
Anthony D. Griffin
Avocate
Commission ontarienne des droits de la personne

PARTIE VI – SOURCES JURISPRUDENTIELLES

Jurisprudence

Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 para. 4

Dagenais c. Société Radio Canada, [1994] 3 R.C.S. 836 para. 4, 11, 13, 14

Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892 para. 6, 30, 32

R. c. N.S., 2010 ONCA 670 para. 6, 15, 16, 18, 20, 21, 34

Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, [2004] 3 R.C.S. 698 para. 10, 13, 15, 26

R. c. Mills, [1999] 3 R.C.S. 668 para. 11, 14, 15

Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493 para. 12

R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295 para. 13

R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452 para. 13

R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 445 para. 13

R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697 para. 13

Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau-Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825 para. 13, 29, 33

L’honorable juge Frank Iacobucci « Reconciling Rights: the Supreme Court of Canada’s Approach
to Competing Charter Rights
» (2003) 20 S.C.L.R. (2d) 137 para. 15

Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513 para. 17

Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR Inc., [2011] 1 R.C.S. 214 para. 18

Kempling c. British Columbia College of Teachers, 2005 BCCA 327 (CanLII) para. 19, 21, 24

Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551 para. 21, 22, 26

Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, [2006] 1 R.C.S. 256 para. 22

Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, [2009] 2 R.C.S. 567 para. 23

Trinity Western University c. British Columbia College of Teachers, 1 R.C.S.772, 2001 para. 25

Bruker c. Marcovitz, [2007] 3 R.C.S. 607 para. 26

Brockie c. Brillinger (No 2) (2002), 43 C.H.R.R. D/90 (Cour de justice de l'Ontario) para. 32

Whiteley c. Osprey Media Publishing Inc. and Sun Media Corporation, 2010 HRTO 2152 (CanLII) para. 33

PARTIE VII – LEGISLATION

Code des droits de la personne (Ontario)
L.R.O. 1990, CHAPITRE H.19

Intention publique de porter atteinte à un droit
13. (1) Constitue une atteinte à un droit reconnu dans la partie I le fait de publier ou d’exposer ou de faire publier ou exposer en public un avis, un écriteau, un symbole, un emblème ou une autre représentation analogue qui indique l’intention de porter atteinte à un tel droit ou qui a pour objet d’inciter à une telle atteinte. L.R.O. 1990, chap. H.19, par. 13 (1).

Opinion
(2) Le paragraphe (1) n’entrave pas la libre expression d’opinions. L.R.O. 1990, chap. H.19, par. 13 (2).


[1] Par exemple, Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3.
[2] Par exemple, Dagenais c. Société Radio-Canada., [1994] 3 R.C.S. 836.
[3] Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892.
[4] R. c. N.S., 2010 ONCA 670, aux paragraphes 83 et 84.
[5] Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, [2004] 3 R.C.S. 698, au paragraphe 50.
[6] Dagenais, supra note 2, à la p. 877; R. c. Mills, [1999] 3 R.C.S. 668, au paragraphe 61.
[7] Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493, au paragraphe 69.
[8] Ibid., au paragraphe 100.
[9] Ibid., aux paragraphes 101 et 102.
[10] R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295.
[11] Dagenais, supra note 2; R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452; R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 445; R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697; Ross c. New Brunswick School District No. 15, [1996] 1 R.C.S. 825, Taylor, supra note 3.
[12] Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, supra note 5, aux paragraphes 56-60.
[13] R. c. Mills, supra note 6; Dagenais, supra note 2.
[14] Mills, supra note 6 aux paragraphes 17, 21 et 61; Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, supra note 5, aux paragraphes 50 et 52; L’honorable juge Frank Iacobucci « Reconciling Rights: the Supreme Court of Canada’s Approach to Competing Charter Rights » (2003) 20 S.C.L.R. (2d) 137, pages 140, 141 et 159; R. c. N.S., supra note 4, au paragraphe 48.
[15] R. c. N.S, ibid., au paragraphe 45.
[16] Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513, pages 600-602.
[17] R. c. N.S., supra note 4, au paragraphe 97.
[18] Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR Inc., [2011] 1 R.C.S. 214, au paragraphe 96.
[19] Kempling c. British Columbia College of Teachers, 2005 BCCA 327 (CanLII), la demande d’autorisation d’appel est rejetée [2005] S.C.C.A. no 381(QL).
[20] R. c. N.S., supra note 4, au paragraphe 65.
[21] R. c. N.S., supra note 4, au paragraphe 66; Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551; Kempling, supra note 19, aux paragraphes 51-52.
[22] Amselem, ibid., aux paragraphes 51-54; Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, [2006] 1 R.C.S. 256.
[23] Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, [2009] 2 R.C.S. 56, au paragraphe 32.
[24] Kempling, supra note 19, au paragraphe 52.
[25] Amselem, supra note 21, au paragraphe 84; Bruker c. Marcovitz, [2007] 3 R.C.S. 607.
[26] Trinity Western University c. British Columbia College of Teachers, [2001] 1 R.C.S. 772.
[27] Ross, supra note 11, au paragraphe 77.
[28] Taylor, supra note 3.
[29] Brockie c. Brillinger (N. 2) (2002), 43 C.H.R.R. D/90 (Cour de justice de l'Ontario), au paragraphe 51.
[30] Taylor, supra note 3, à la p. 918.
[31] Ross, supra note 11, au paragraphe 87.
[32] Whiteley c. Osprey Media, 2010 HRTO 2152 (CanLII).
[33] R. c. N.S., supra note 4, au paragraphe 83.