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Annexe 2 — Le profilage racial et le service de police de Toronto : Preuves, conséquences et options stratégiques

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Scot Wortley

Centre de criminologie et d’études sociolégales
Université de Toronto

ISBN : 978-1-4868-5400-4 (Imprimé),  978-1-4868-5401-1 (PDF), © 2021, Gouvernement de l’Ontario

 


 

Introduction

Le Canada est l’un des pays les plus ouverts à l’immigration au monde, et ses politiques officielles en matière de multiculturalisme et d’inclusion raciale ont été vantées à l’échelle internationale. On pourrait affirmer que la réputation de tolérance raciale du Canada est bien méritée, surtout lorsqu’on compare les relations interraciales au Canada à celles des États-Unis et de certaines régions européennes. Toutefois, un examen plus approfondi des faits historiques révèle que les préjugés raciaux et la discrimination donnent lieu à de graves problèmes dans la société canadienne, particulièrement en ce qui concerne le fonctionnement du système de justice pénale. En effet, un certain nombre d’études ont démontré que des allégations de préjugés raciaux concernant la création de lois, les services de police, les tribunaux criminels et les services correctionnels existaient déjà au Canada avant la Confédération (voir par exemple Perry, 2011; Walker, 2010; Henry et Tator, 2005; Chan et Mirchandi, 2001; Mosher, 1998). Depuis au moins 60 ans, les comportements liés aux interpellations, aux questionnements et aux fouilles de la police, ainsi que la documentation officielle de ces interactions au moyen de fichage ou de contrôles de routine, ont été particulièrement controversés en matière de préjugés raciaux. Les communautés noires, autochtones et musulmanes du Canada ont fait entendre leurs voix haut et fort en ce qui a trait au « profilage racial » ou aux « préjugés raciaux dans le secteur du maintien de l’ordre ».

Par le passé, les allégations de préjugés raciaux ont été niées — souvent vigoureusement — par les principaux services de police et associations policières du Canada (voir Tanovich, 2006; Tator et Henry, 2006; Wortley et Owusu-Bempah, 2011a). En fin de compte, certaines têtes dirigeantes de la police, y compris l’ancien chef du service de police de Toronto, Bill Blair, ont admis publiquement que les pratiques de maintien de l’ordre biaisées sur le plan racial peuvent constituer un problème isolé pour certaines collectivités ou pour certain(e)s agent(e)s. Cependant, les dirigeant(e)s du service de police se sont rarement prononcés sur conséquences sur les communautés racialisées des pratiques policières systémiques et biaisées sur le plan racial. De plus, jusqu’à tout récemment, peu de services de police se sont engagés à étudier ce phénomène à long terme (voir James, 2005).

Mais cela est appelé à changer. Par exemple, en décembre 2018, à la suite d’allégations de racisme envers les personnes noires dans le cadre de l’exécution de la loi, l’ancien chef du SPT, Mark Saunders, a reconnu que le racisme envers les personnes noires constitue une « réalité » et a qualifié les critiques du public comme étant « totalement justifiées » (CBC News, 2018). De même, en août 2020, le chef intérimaire du SPT, Jim Ramer, a reconnu que les préjugés raciaux constituaient un problème et a déclaré que l’une de ses principales priorités consisterait à repérer et à éliminer le racisme systémique et les préjugés raciaux à l’endroit des personnes noires au sein du service de police de Toronto (Goodfield, 2020). Enfin, la Commission des services policiers de Toronto a récemment adopté une politique qui permettra de récolter des données fondées sur la race dans le cadre des interactions entre la police et la population civile. Comme l’a déclaré le chef Saunders à l’époque : « Au bout du compte, une fois nos objectifs atteints, nous serons en mesure de cerner et de surveiller le racisme systémique potentiel » (Doucette, 2019).

Le présent rapport vise à examiner la recherche empirique sur le profilage racial à l’endroit des personnes noires impliquant le service de police de Toronto. Le service de police de Toronto se trouve au cœur du débat canadien sur le profilage racial (Commission sur le racisme systémique dans le système de justice pénale en Ontario, 1994). Le rapport débute par l’examen de divers problèmes de définition liés au concept, y compris le concept de « fichage » tel qu’il a été décrit par le juge Michael Tulloch dans son récent rapport (Tulloch, 2019). L’analyse des divers problèmes de définition est suivie d’une analyse théorique des causes possibles des pratiques policières biaisées sur le plan racial. Cette section aborde diverses explications de la présence de profilage racial dans les pratiques d’interpellation et de fouille policières, y compris les préjugés explicites (conscients) et implicites (inconscients), les stéréotypes raciaux, la discrimination actuarielle ou statistique et les pratiques institutionnelles ou systémiques. Il y est fait mention de documents de recherche laissant fortement croire à l’existence de pratiques policières biaisées sur le plan racial en l’absence de racisme individualisé et manifeste ou d’animosité raciale. Nul besoin de prouver que la force policière est explicitement ou ouvertement raciste pour prouver l’existence du profilage racial.

La section suivante du rapport examine les recherches menées au cours des 25 dernières années, qui ont servi à documenter l’existence du profilage racial impliquant le service de police de Toronto et la mesure dans laquelle les pratiques policières biaisées ont une incidence sur les communautés racialisées de Toronto. Le rapport explore les diverses méthodes de recherche qui ont été utilisées pour documenter le profilage racial à Toronto, y compris les entrevues qualitatives, les sondages menés auprès de la population générale et les données officielles générées par la police (y compris les données sur le fichage ou les contrôles de routine). Cette section fait état des données de recherche démontrant que le profilage racial a existé — et qu’il continue d’exister — à Toronto, et que les pratiques du SPT en matière d’interpellation, de questionnement et de fouille (IQS) ont entraîné des répercussions grandement disproportionnées sur la population noire de Toronto[1].

Le rapport présente ensuite une analyse des possibles avantages des « contrôles de routine » et des pratiques d’« interpellation, de questionnement et de fouille » (IQF) de la police. J’examine d’abord les arguments de la police selon lesquels les contrôles de routine, les pratiques d’IQF et d’autres mesures de maintien de l’ordre public constituent de précieux outils d’application de la loi qui permettent de diminuer la criminalité. Cette section démontre que les données empiriques à l’appui de cette thèse sont fortement contestées. Dans l’ensemble, bien que des recherches donnent à penser que les pratiques d’interpellation, de questionnement et de fouille de la police peuvent permettre dans certains contextes de repérer les délinquant(e)s et de diminuer la criminalité, les données probantes indiquent également que les effets de la diminution de la criminalité sont plutôt faibles, incohérents, et limités dans le temps et à certains quartiers ou certaines collectivités. En général, la plupart de ces recherches concluent que les pratiques d’IQF constituent une tactique policière hautement inefficace.

La section suivante du rapport passe en revue les recherches qui ont documenté les répercussions des pratiques policières biaisées sur le plan racial — y compris les contrôles de routine — à l’endroit des personnes et des communautés racialisées. Ces répercussions comprennent : 1) les problèmes de santé mentale; 2) le manque de confiance à l’égard de la police et du système de justice pénale en général; 3) les disparités raciales au sein du système de justice pénale; et 4) les possibilités d’éducation et d’emploi limitées. Cette section du rapport traite également de la question de la conservation des données. Il est soutenu que la conservation des données de fichage ou de contrôles de routine peut avoir une incidence négative sur les personnes figurant dans les bases de données de la police. De plus, étant donné que les personnes noires sont largement surreprésentées dans les données sur les contrôles de routine, la conservation des données aura probablement des répercussions disproportionnées sur les membres de la population noire. En conclusion, grâce aux données recueillies, le rapport permet d’indiquer que les contrôles de routine présentent définitivement plus d’inconvénients que d’avantages potentiels.

La dernière section du rapport présente une brève analyse des répercussions sur les politiques. Il est soutenu qu’un large éventail de stratégies — y compris l’amélioration du processus de vérification des antécédents des recrues de la police, le recrutement et le maintien en poste d’agent(e)s racialisé(e)s, la formation contre les préjugés, l’amélioration de la réglementation et des lignes directrices relatives aux interpellations de la police, ainsi que l’amélioration de la supervision et de la surveillance des agent(e)s de première ligne — est nécessaire pour réduire les disparités raciales dans les pratiques d’interpellation, de questionnement et de fouille de la police, ainsi que l’impact négatif des pratiques de maintien de l’ordre biaisées sur le plan racial à l’endroit des communautés racialisées. Il est mentionné que l’amélioration de la collecte de données fondées sur la race est nécessaire pour évaluer l’incidence des initiatives de lutte contre les préjugés, et que l’amélioration de la collecte et de la diffusion des données permettra également d’accroître la transparence, d’améliorer la responsabilisation des forces policières et de contribuer à renforcer la confiance du public à l’égard de la police et du système de justice en général.

 

Problèmes de définitions

Au cours des trois dernières décennies, l’expression « profilage racial » est devenue partie intégrante du lexique populaire. Ce terme est souvent apparu dans tous les domaines, qu’il s’agisse de publications universitaires ou de rapports gouvernementaux, ou encore, de couverture médiatique, de musique populaire, ou d’œuvres cinématographiques ou télévisuelles. Le terme « profilage racial » a également été utilisé pour décrire divers phénomènes, y compris le comportement des agent(e)s des douanes et de l’immigration, des juges, des avocat(e)s, du personnel de sécurité privé, des enseignant(e)s, des professionnel(le)s de la santé, des fonctionnaires et des membres de la société en général.

La Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) définit le profilage racial comme suit : « Toute action ou inaction de la part de personnes ou d’organisations en position d’autorité qui est liée à des motifs réels ou allégués de sécurité ou de protection des citoyens et soumet une personne à un examen plus attentif ou moins attentif, ou à un autre traitement négatif en raison de sa race, de sa couleur, de son origine ethnique, de son ascendance, de sa religion, de son lieu d’origine ou de stéréotypes connexes » (CODP 2019, p. 17). La définition révisée du profilage racial s’appuie sur la définition de 2003 de la CODP. La nouvelle définition peut être segmentée suivant ses éléments constitutifs : (CODP 2019, pp. 17 et 18) :

  • Action ou inaction : Ajout de la notion d’« inaction » pour tenir compte des cas où les figures d’autorité n’exercent pas de diligence raisonnable en raison de stéréotypes raciaux envers certaines catégories de plaignants ou de victimes
  • Motifs réels ou allégués : Ajout de la notion d’« allégation » en reconnaissance du fait que les figures d’autorité n’agissent pas toujours sur la base de préoccupations objectives en matière de sécurité et de protection du public
  • Sécurité et protection du public : Reconnaissance du fait que le profilage racial touche tout particulièrement les activités relatives à la sécurité et à la protection du public, en contexte de maintien de l’ordre ou autres, comme l’éducation, les transports, la santé, l’emploi et la sécurité aux frontières
  • De la part de personnes ou d’organisations : Référence aux personnes et organisations afin de reconnaître que le profilage racial peut constituer une conduite isolée ou systémique
  • En position d’autorité : Reconnaissance du fait que le profilage racial est surtout associé aux actions de figures d’autorité
  • Soumet une personne à un examen plus attentif ou moins attentif, ou à un autre traitement négatif : Reconnaissance du fait que le profilage racial peut prendre la forme d’un examen plus attentif ou moins attentif (ou victimisation), ou d’un autre traitement préjudiciable qui n’est pas exclusivement lié à de la surveillance
  • En raison de sa race, de sa couleur, de son origine ethnique, de son ascendance, de sa religion, de son lieu d’origine ou de stéréotypes connexes : Inclusion des actions fondées sur des motifs du Code liés à l’origine ethnique et à des stéréotypes connexes, en reconnaissance du fait que l’existence de profilage racial peut être établie en l’absence de stéréotypage flagrant

Tout en reconnaissant l’utilité de la définition générale de la CODP, il est important de noter que, dans la documentation issue de la recherche, le terme « profilage racial » est le plus souvent utilisé en référence aux activités d’interpellation, de questionnement et de fouille de la police (voir Rice et White, 2010). De nombreux chercheur(-euse)s font une distinction conceptuelle entre le profilage racial et d’autres formes de pratiques de maintien de l’ordre biaisées sur le plan racial. L’expression « pratiques de maintien de l’ordre biaisées sur le plan racial » est un terme général qui renvoie à la discrimination raciale possible en ce qui a trait à une vaste gamme de comportements discrétionnaires de la part d’agent(e)s de police, y compris les pratiques d’interpellation et de fouille, mais qui comprend également les décisions d’interpellation, les pratiques de mise en accusation, les décisions relatives à la détention provisoire, les recommandations relatives à la détermination de la peine et le recours à la force. Le profilage racial, du moins aux fins du présent rapport, met l’accent sur la surveillance policière et les contrôles de routine.

Il est possible d’affirmer qu’il y a présence de profilage racial lorsque les membres d’un certain groupe racial ou ethnique font l’objet d’un niveau de surveillance policière plus élevé que d’autres. Par conséquent, le profilage racial fait référence aux disparités raciales en ce qui concerne les activités d’interpellation et de fouille par la police (on parle parfois de contrôles de routine ou de fichage), l’augmentation des patrouilles policières dans les quartiers racialisés et les opérations d’infiltration ou coups montés qui ciblent de façon sélective des groupes raciaux ou ethniques particuliers. De plus, il y a profilage racial si la présence de différences ou de disparités raciales dans les activités de surveillance policière ne peut s’expliquer par des différences raciales dans les activités criminelles, les infractions aux règlements de la circulation, les appels de service de la population ou d’autres facteurs pertinents sur le plan juridique (voir Wortley et Tanner, 2005; Wortley et Tanner, 2003). Cette définition quelque peu étroite est tout à fait conforme aux définitions formulées par les chercheur(-euse)s américain(e)s. Par exemple, Ramirez et Hoopes définissent le profilage racial comme « l’utilisation inappropriée de la race, de l’origine ethnique ou de la nationalité plutôt que d’un comportement ou d’un soupçon particulier pour justifier le fait de pousser plus loin l’investigation sur une personne en particulier » (Ramirez et Hoopes, 2003, p. 1196). De même, Warren et Tomanskovic-Devey (2009, p. 344) affirment que le profilage racial « est un terme utilisé pour décrire la pratique consistant à cibler ou à interpeller une personne en fonction principalement de sa race ou de son origine ethnique, plutôt que d’un soupçon individualisé ou d’une cause probable » .

Comme l’ont souligné Paulhamus et ses collègues (2010), une distinction a également été formulée dans la littérature universitaire entre ce qu’on appelle le « profilage racial pur » (hard racial profiling) (cas dans lesquels la police arrête un[e] civil[e] uniquement en raison de son origine raciale) et le « profilage racial modéré » (soft racial profiling) (qui consiste à justifier l’interpellation d’un[e] civil[e] par des facteurs comme la race ou l’origine ethnique parmi d’autres). Les tenant(e)s des définitions du « profilage modéré » soutiennent qu’il y a présence de préjugés raciaux dans le secteur du maintien de l’ordre si la race influence la prise de décision de la police en matière d’interpellation, de questionnement et de fouille. Par exemple, les données peuvent indiquer que les agent(e)s de police sont plus susceptibles d’interpeller et de fouiller des civil(e)s de sexe masculin tard le soir dans des collectivités pauvres présentant un haut taux de criminalité. Cependant, si les hommes noirs qui circulent dans ces mêmes collectivités à la même heure sont beaucoup plus susceptibles d’être interpellés que les hommes blancs, cela constitue une preuve de profilage racial.

On peut affirmer qu’il y a présence de profilage, car le processus décisionnel de la police est encore influencé par la race, en plus de l’heure de la journée, le type de collectivité et le sexe. En revanche, les tenant(e)s des définitions du « profilage pur » soutiendraient probablement que ce scénario ne comporte pas de préjugés raciaux, car l’origine ethnique ne constituait qu’un facteur parmi tant d’autres — y compris le sexe, le niveau de criminalité dans la collectivité et l’heure de la journée — ayant influencé les décisions des agent(e)s d’interpeller et de détenir des personnes. Ils (elles) soutiendraient probablement que ces données reflètent un modèle de profilage « criminel » plutôt que « racial » (Satzewich et Shaffir, 2009).

Certain(e)s partisan(e)s du « profilage pur » ont fait valoir qu’il est impossible d’affirmer qu’il y a présence de préjugés raciaux s’il est légal ou légitime d’interpeller les civil(e)s en question. Je conteste cet argument. Prenons, par exemple, la situation hypothétique suivante. Supposons qu’un agent de police soit affecté à la patrouille d’un tronçon de route en particulier. Supposons également que cet agent n’interpelle jamais d’automobilistes, sauf en cas d’excès de vitesse. Autrement dit, toutes les interpellations auxquelles il procède sont tout à fait « légitimes ». Cependant, supposons également que pendant sa patrouille, ce même agent interpelle huit individus racialisés en excès de vitesse sur dix (80 %), mais qu’il n’interpelle qu’un(e) automobiliste blanc(he) sur cinq (20 %). Autrement dit, cet agent est quatre fois plus susceptible d’interpeller les automobilistes racialisé(e)s que les automobilistes blanc(he)s qui dépassent la limite de vitesse. À mon avis, cet agent de police pourrait se voir accuser d’entretenir des préjugés raciaux, même si toutes ses interpellations sont légitimes d’un point de vue légal.

Un exemple semblable pourrait s’appliquer à la consommation de stupéfiants. Supposons cette fois qu’une agente arrête et fouille tous les individus racialisés qu’il voit en train fumer de la marijuana en public. Supposons également que cette même agente décide d’ignorer la plupart des individus blancs qu’elle voit se livrer à la même activité. Bien qu’on puisse soutenir que l’agente a, d’un point de vue légal, une raison légitime d’interpeller et de fouiller les individus racialisés qui consomment des stupéfiants, le fait qu’elle s’abstienne d’interpeller et de fouiller les individus blancs qui font de même constitue une preuve de profilage racial.

En bref, bien que le terme « profilage racial » ait été utilisé dans une grande variété de contextes criminologiques et sociologiques, le présent rapport se concentre exclusivement sur les préjugés raciaux potentiels lors des contrôles de routine, ou des activités d’interpellation, de questionnement et de fouille (IQF) de la police. Pour déterminer s’il existe ou non un profilage racial systémique, les chercheur(-euse)s ont d’abord établi que certains groupes raciaux ou ethniques sont plus susceptibles d’être interpellés, interrogés ou fouillés par la police que d’autres. Si l’on n’observe pas de fortes disparités raciales, il est très peu probable que le profilage racial constitue un problème. La tâche suivante consiste à explorer les raisons possibles de toute disparité raciale observée dans le cadre d’une interaction involontaire avec la police. En d’autres termes, les disparités raciales en contexte d’activités d’interpellation et de fouille par la police peuvent-elles s’expliquer par d’autres facteurs pertinents sur le plan juridique? Le rapport fait écho à cette question, tout en mettant l’accent sur le service de police de Toronto, et ce, après avoir discuté des causes ou des raisons possibles du profilage racial.

 

Remarque au sujet de la définition du « fichage » proposée par le juge Tulloch

Les discussions publiques sur le profilage racial en Ontario ont été entravées par une variété de définitions. Par exemple, dans son rapport de 2018, l’honorable Michael Tulloch établit une distinction très nette entre les « contrôles de routine » et ce qu’il appelle le « fichage ». Le juge Tulloch définit le fichage par la police comme suit : « Situations au cours desquelles un[e] agent[e] de police demande aléatoirement à un particulier de fournir des renseignements identificatoires alors qu’il n’y a aucune activité objectivement suspecte, que la personne n’est soupçonnée d’aucune infraction et qu’il n’y a aucun motif de croire qu’elle détient des informations sur une infraction. Ces renseignements sont ensuite consignés et stockés dans une base de données de renseignement policier » (Tulloch, 2018 : xii-xiii). Dans une section ultérieure du rapport, le juge Tulloch explique la distinction entre les contrôles de routine « légitimes » et le fichage :

La plupart des problèmes liés au fichage et aux contrôles de routine découlent d’une mauvaise compréhension de ces deux termes. Un contrôle de routine consiste en l’obtention, par un(e) agent(e) de police, de renseignements concernant une personne, en dehors d’un poste de police, et à l’extérieur du cadre d’une enquête. Il s’agit d’une catégorie très large de collecte de renseignements par la police, dont une grande partie constitue une collecte légitime de renseignements possiblement utiles. Le fichage, tel que mentionné dans le présent rapport, est une forme de contrôle de routine au cours duquel un(e) agent(e) de police demande à une personne au hasard de fournir des renseignements identificatoires, sans que cette personne soit soupçonnée d’un crime et sans que l’agent(e) ait un motif de croire qu’elle possède des renseignements sur un crime. Ces renseignements sont ensuite consignés dans une base de données de la police (Tulloch, 2018 : p. 4).

Le juge Tulloch fait valoir que les contrôles de routine reflètent souvent une activité légitime de collecte de renseignements de la part de la police. En revanche, en raison de leur caractère aléatoire, les pratiques de fichage constituent un procédé illégitime qu’il convient d’éliminer[2].

À mon avis, les définitions de « contrôles de routine » et de « fichage » fournies par le juge Tulloch sont incomplètes lorsqu’il s’agit d’étudier le phénomène du profilage racial. Tout d’abord, par définition, le profilage racial n’est pas aléatoire ou arbitraire. Le profilage racial naît des préjugés raciaux (voir l’analyse ci-dessous) et est donc fortement associé à la race des civil(e)s ou à la composition raciale des quartiers assujettis à l’activité de la police. De plus, bien avant la nouvelle réglementation ontarienne sur les contrôles de routine et le rapport du juge Tulloch, la Charte des droits et libertés interdisait les détentions arbitraires par la police. La proposition du juge Tulloch en faveur de l’élimination du « fichage » n’a donc rien de nouveau.

Une autre faiblesse de la définition du « fichage » formulée par le juge Tulloch est qu’elle ne reconnaît pas le concept de l’interpellation invoquant de faux motifs; un concept central dans la littérature sur le profilage racial. Les contrôles d’interpellation invoquant de faux motifs concernent les situations dans lesquelles des infractions mineures (p. ex., infractions au Code de la circulation, traversées illégales, infractions aux règlements, etc.) servent de justification, d’excuse ou de prétexte pour enquêter sur des activités criminelles plus graves (p. ex., stupéfiants, armes à feu illégales, etc.). Des recherches américaines suggèrent que la population noire est beaucoup plus susceptible de faire l’objet de contrôles d’interpellation invoquant de faux motifs que les personnes d’autres origines raciales (voir Rushin et Edwards, 2021; Gizzi, 2011; Harris, 2002; Harris, 1997). Des telles recherches et un suivi semblable sont nécessaires, tant à Toronto que dans d’autres juridictions canadiennes (voir l’analyse ci-dessous).

L’utilisation de la définition du « fichage » donnée par le juge Tulloch pourrait se révéler problématique, car elle semble signifier que le profilage racial ne peut exister si les agent(e)s ont un motif « légitime » ou « justifiable sur le plan juridique » pour interpeller ou détenir une personne. Je suis en désaccord. Comme mentionné précédemment, il y a toujours présence de profilage racial si les agent(e)s accordent plus d’attention aux violations de la loi commises par des personnes noires et d’autres civil(e)s racialisé(e)s qu’aux violations de la loi commises par des personnes blanches. Par conséquent, l’analyse présentée dans ce rapport se concentre sur les disparités raciales en ce qui concerne les activités d’interpellation, de questionnement et de fouille (IQF) de la police. Elle ne se limite pas aux activités policières que le juge Tulloch qualifierait explicitement de « fichage » ou de « contrôles de routine »[3].

De plus, le fait de mettre l’accent sur les activités de la police en matière d’IQF permet de mieux refléter les préoccupations des communautés noires et des autres communautés racialisées. Par exemple, des recherches antérieures indiquent que lorsqu’il s’agit de s’attaquer aux enjeux liés au profilage racial, la police et la communauté entretiennent des conceptions très différentes de ce que représente un contrôle de routine. Alors que la police considère le contrôle de routine comme un outil de renseignement précis, les communautés racialisées l’interprètent comme le fait d’être interpellé(e), questionné(e) ou « contrôlé(e) » par la police dans la rue. Il s’agit là d’une conception plus littérale (voir Wortley, p. 219).

 

Les causes du profilage racial

Quelle pourrait être la cause ou la source possible du profilage racial ou des pratiques de maintien de l’ordre biaisées sur le plan racial? Bien que les chercheur(-euse)s aient déployé beaucoup de temps et d’efforts pour tenter de définir et de mesurer ce phénomène, une moins grande attention a été portée à l’élaboration d’un volet théorique, qui pourrait contribuer à expliquer l’existence du profilage racial au sein de la police. Dans la même lignée que les travaux de Tomaskovic-Devey, Mason et Zinraff (2004), je propose cinq modèles théoriques différents qui pourraient contribuer à expliquer le profilage racial : 1) le modèle de l’animosité raciale; 2) le modèle statistique de la discrimination et des stéréotypes criminels; 3) le modèle des préjugés implicites; 4) le modèle institutionnel; et 5) le modèle de déploiement des forces de l’ordre. Il convient de souligner que les trois premiers modèles mettent l’accent sur l’intention et les activités de chaque agent(e) de police, tandis que les deux derniers modèles mettent l’accent sur les mécanismes organisationnels. Il est important de noter que les deux modèles organisationnels, bien qu’ils entraîneront des pratiques policières biaisées sur le plan racial et auront une incidence disproportionnée sur les membres des communautés racialisées, n’exigent aucun préjugé racial de la part de l’agent(e) ou de l’organisation (voir Tomaskovic-Devey et coll., 2004, p. 3).

 

Le modèle de l’animosité raciale

Le modèle de l’animosité raciale soutient que, dans une société donnée, certaines personnes ont une aversion ou un préjugé conscient à l’égard des membres d’autres groupes raciaux. Dans la mesure où les services de police reflètent la population desservie, il est probable que certain(e)s agent(e)s de police entretiendront aussi des croyances ouvertement racistes qui pourraient promouvoir ou cautionner le mauvais traitement des groupes racialisés. Heureusement, les recherches menées en Amérique du Nord suggèrent que les croyances ou les préjugés ouvertement racistes ont considérablement diminué au cours des 50 dernières années (voir Schuman et coll.,1997; Henry et Tator, 2005)[4]. Il est donc probable que seul un nombre relativement restreint d’agent(e)s de police entretienne une animosité raciale manifeste ou explicite. Néanmoins, ces quelques agent(e)s racistes contribuent à l’augmentation considérable du taux d’interpellation et de fouille de groupes racialisés ciblés et, par conséquent, nuisent aux relations entre la police et la collectivité (Tomoskovic-Devey et coll., 2004, p. 9).

Le modèle de l’animosité raciale suggère qu’il suffirait que les services de police identifient et éliminent ces « pommes pourries » pour enrayer la problématique du profilage racial. Cependant, comme la plupart des services de police modernes interdisent formellement l’adoption d’attitudes et de comportements racistes, déceler le racisme manifeste au sein du corps policier ne représente pas une mince tâche. En effet, la manifestation de croyances racistes par le corps policier, surtout en ce qui concerne le traitement de la population civile racialisée, est probablement plus rare que l’incidence des préjugés raciaux chez les agent(e)s de police (voir Tomoskovic-Devey et coll., 2009, p. 9).

Certains services de police comptent possiblement au sein de leurs rangs plus de « pommes pourries » que d’autres. Par exemple, dans les cas où les procédures de recrutement du service de police ne permettent pas de déceler efficacement l’animosité raciale ou si des processus informels de formation sur le terrain encouragent l’expression de croyances racistes. L’animosité raciale est également plus susceptible de se perpétuer dans les organisations policières au sein desquelles les interdictions concernant les comportements racistes ne sont pas convenablement appliquées (voir Tomoskovic-Devey et coll., 2009).

Il convient de souligner que l’explication de l’animosité raciale ou des « pommes pourries » en lien avec le profilage racial est assez populaire chez certain(e)s dirigeant(e)s de la police, étant donné qu’elle soutient que le profilage racial est un problème isolé, plutôt qu’un problème systémique, qui concerne seulement quelques agent(e)s de police corrompu(e)s (voir Tator et Henry, 2006). D’autre part, de nombreux(-ses) agent(e)s de police et dirigeant(e)s syndicaux des services de police en sont venu(e)s à associer le terme « profilage racial » à des accusations de racisme manifeste. Par conséquent, lorsque leur service de police est confronté à des allégations de profilage racial, plusieurs membres du corps policier croient qu’ils sont individuellement accusé(e)s d’entretenir des croyances ouvertement racistes et qu’ils (elles) tentent délibérément de nuire aux communautés racialisées. Évidemment, plusieurs agent(e)s de police trouvent ces accusations offensantes (voir Paulhamus et coll., 2010; Satzewich et Shaffir, 2009; Ioimo et coll., 2007)[5].

En somme, bien qu’on ne puisse pas l’écarter complètement, le modèle de l’animosité raciale ne fournit qu’une explication théorique limitée du profilage racial. D’autres explications soutiennent que le profilage racial n’est pas enraciné dans le racisme manifeste des agent(e)s de police. Ainsi, les pratiques de profilage découleraient plutôt de la culture policière en général et de pratiques organisationnelles particulières.

 

Le modèle statistique de la discrimination et des stéréotypes criminels

Le profilage racial peut également être causé par les stéréotypes raciaux liés au comportement criminel. Autrement dit, les agent(e)s de police peuvent développer des croyances et des stéréotypes, ou cerner les profils types des personnes prenant part de près ou de loin à des activités criminelles. Ces stéréotypes pourraient découler du processus de socialisation dans la sous-culture de la police, de l’expérience de travail personnelle, de l’accès aux statistiques de la criminalité ou de l’exposition à des représentations médiatiques et à des stéréotypes courants concernant la criminalité et la violence. Par exemple, les superviseur(e)s de police et les agent(e)s de première ligne peuvent être exposé(e)s à des statistiques sur la criminalité démontrant qu’une grande proportion des meurtres commis avec une arme à feu et des accusations de possession d’une arme à feu impliquent des délinquants noirs. Cette tendance peut être renforcée par la couverture médiatique racialisée de la criminalité et les expériences de patrouille. L’exposition à ces renseignements peut les mener à croire qu’il est plus rationnel pour les agent(e)s de police de porter une attention particulière aux hommes noirs qu’aux autres civil(e)s, voire de les suspecter. L’entretien conscient de tels stéréotypes pourrait contribuer de façon directe au profilage racial. Loin de constituer un « phénomène isolé », les stéréotypes raciaux peuvent devenir un phénomène informel et institutionnel.

La conception mentale du « délinquant type » a souvent été qualifiée de « profilage criminel », et comprend souvent la race ou l’origine ethnique ainsi que d’autres caractéristiques personnelles, notamment l’âge, le sexe, la classe sociale et l’apparence personnelle (voir Satzewich et Shaffir, 2009). Les stéréotypes peuvent jouer un rôle important dans les pratiques policières proactives[6]. Les superviseur(e)s de la police, tout comme le grand public, exercent des pressions sur les agent(e)s de police pour qu’ils (elles) soient en mesure d’identifier les criminel(le)s et d’assurer la sécurité publique. Le fait de démontrer une capacité à identifier et à arrêter des criminel(le)s peut parfois aussi être directement lié à des possibilités de promotion et de carrière futures. Par conséquent, plusieurs agent(e)s peuvent juger utile ou essentiel de catégoriser les personnes rencontrées dans la rue en fonction de leur probabilité à prendre part à des activités criminelles. Par conséquent, les agent(e)s pourraient avoir l’impression qu’il serait plus efficace ou rationnel, d’un point de vue de lutte contre la criminalité, de concentrer leurs activités de surveillance sur les jeunes hommes racialisés que, par exemple, sur les femmes blanches plus âgées.

Dans une analyse observationnelle classique des pratiques de patrouille policière, Skolnick (1966) a observé qu’aux États-Unis, la police a tendance à percevoir les jeunes hommes noirs comme des « agresseurs symboliques » et à recourir à des pratiques d’interpellation et de questionnement dans la rue comme un moyen efficace de « prévenir la criminalité ». Anderson (1990) a d’ailleurs expliqué cette tendance dans le cadre de son étude ethnographique d’une communauté multiraciale d’une grande ville américaine. En documentant la tendance générale de la police à interpeller, fouiller et harceler les jeunes personnes noires dans le cadre d’activités de patrouille de routine, M. Anderson fait remarquer que :

 « Dans la rue, la classification par couleurs vise à confondre la race, l’âge, la classe, le sexe, la grossièreté et la criminalité des individus, et elle est représentée de façon plus concrète dans la personne de l’homme noir quelconque. Dans le cadre de leur travail, les policier(-ière)s deviennent souvent disposé(e)s à adopter cette classification par couleurs au sein de l’environnement public selon laquelle un jeune homme noir est un suspect jusqu’à preuve du contraire » (Anderson, 1990, pp. 190-191).

En effectuant des rondes de surveillance dans les rues, la police peut adopter le même type d’évaluation actuarielle des risques — et de discrimination statistique subséquente — que celles des compagnies d’assurance (voir Feeley et Simon, 1992). Par exemple, il est bien connu que les compagnies d’assurance majorent de façon importante le prix des primes des jeunes automobilistes de sexe masculin, comparativement à celle des automobilistes présentant d’autres caractéristiques démographiques. Ces prix plus élevés sont justifiés par le fait que, d’un point de vue statistique, les jeunes hommes sont plus susceptibles d’adopter des comportements de conduite à risque (excès de vitesse, conduite avec facultés affaiblies, etc.) et d’être impliqués dans de graves accidents de la route. Dans la rue, la police peut recourir à la même logique de probabilité statistique. Selon les expériences individuelles et collectives de la police, les jeunes hommes racialisés peuvent être identifiés comme étant les plus susceptibles d’être impliqués dans des crimes graves et des actes de violence. Ainsi, tout comme tous les jeunes hommes paient des primes d’assurance plus élevées, tous les jeunes hommes racialisés, quel que soit leur comportement, reçoivent davantage d’attention négative de la police.

Même si la majorité des jeunes hommes ont un bon dossier de conduite, ils doivent payer des primes d’assurance plus élevées en raison des actions d’un nombre relativement restreint de membres de leur groupe démographique. De façon similaire, même si la majorité des jeunes hommes racialisés respectent les lois, ils doivent « payer » davantage en matière de justice pénale, ce qui se traduit par une exposition beaucoup plus grande aux activités d’interpellation, de questionnement et de fouille de la police. Frank Zimring, un professeur américain sacré champion de l’utilisation de tactiques d’interpellation et de questionnement, admet que, en raison de la discrimination statistique, les hommes noirs et les autres hommes racialisés sont soumis de façon disproportionnée aux interpellations policières. Il concède en outre que cela équivaut à une « taxe spéciale pour les hommes issus de minorités » (Bergner, 2014). Tomaskovic-Devey et ses collègues ont d’ailleurs approfondi ce thème (2004, p. 12) et ont déclaré que :

 « Le recours au profilage dans le cadre de l’application de la loi est censé accroître l’efficacité des agent(e)s de police et, par conséquent, de l’organisation policière dans son ensemble. Malheureusement, les profils criminels sont souvent fondés sur des stéréotypes liés aux caractéristiques de différents groupes. Par conséquent, l’appartenance à un groupe sert d’indicateur approximatif de la criminalité présumée. Un résultat évident de ces généralisations de groupe au sein des services de police est que de nombreuses minorités non criminelles se retrouvent sous les projecteurs de la police alors que les personnes blanches — criminelles ou non — échappent à cette surveillance. Le statut criminel ne représente plus une caractéristique individuelle, mais est façonné par le statut racial du groupe » .

Il est important de souligner que ce processus de stéréotype racial ne comporte pas nécessairement d’animosité ou de haine raciale. Au lieu de cela, les stéréotypes entretenus par les policier(-ière)s au sujet du (de la) « criminel(le) probable » peuvent être enracinés dans un désir professionnel de faire preuve d’efficacité et d’efficience lorsque les ressources d’application de la loi à leur disposition sont limitées. Néanmoins, de tels stéréotypes raciaux, même s’ils sont fondés sur des statistiques et entretenus au nom de la sécurité publique, peuvent avoir une incidence négative profonde sur les communautés racialisées (voir l’analyse ci-dessous).

 

Le modèle des préjugés implicites

L’analyse ci-dessus fait référence à des processus de profilage criminel explicite ou de stéréotypes criminels qui peuvent consciemment avoir une incidence sur les actions des agent(e)s de police. Cependant, d’autres ont soutenu que des biais cognitifs implicites peuvent également exister au niveau subconscient (pour des analyses approfondies de la psychologie qui sous-tend le développement de préjugés cognitifs implicites, voir Fridell, 2017; White et Fradella, 2016; Tomaskovic-Devey et coll., 2004). La thèse principale se résume ainsi : lorsqu’ils doivent gérer un excès d’information, les gens ont tendance à catégoriser. La catégorisation procure une efficacité cognitive, parce qu’elle permet aux gens d’organiser l’information et de prendre des décisions plus rapidement.

Les études démontrent que les gens ont tendance à se catégoriser et à catégoriser les autres en groupes, et ce, de façon automatique et inconsciente. En l’absence de renseignements détaillés sur certaines personnes en particulier, les gens catégorisent les autres en fonction de caractéristiques très visibles et facilement attribuables, comme la race, le sexe et l’âge. Ce processus de catégorisation a donc une incidence presque instantanée sur la façon dont nous percevons les étranger(-ère)s et, souvent, sur la façon dont nous nous comportons à leur égard. Il existe également une tendance générale à comparer les gens en fonction de leur appartenance ou non à un groupe, et à faire du favoritisme au sein de ce groupe. Les préjugés liés à l’appartenance à un groupe, dont les perceptions négatives, peuvent avoir une incidence subconsciente sur la prise de décisions de la police. Comme Tomaskovic-Devey et ses collègues (2004, pp. 15-17) l’ont déclaré,

« Cette tendance générale à comparer les individus en fonction de leur appartenance à un groupe a des répercussions sur les préjugés raciaux entretenus par la police lors des interpellations. Comme il existe une tendance innée à faire preuve de favoritisme à l’intérieur d’un groupe — en faisant des distinctions entre les individus appartenant ou non à un certain groupe —, les agent(e)s peuvent traiter l’information concernant la dangerosité d’un(e) automobiliste en fonction de leur propre appartenance raciale ainsi que de celle de l’automobiliste. Lorsqu’il est question de pratiques policières proactives comme la patrouille d’un quartier ou d’une autoroute, les agent(e)s doivent traiter de grandes quantités d’information en peu de temps, et disposent de peu de renseignements sur les individus en question. Ils (elles) observent beaucoup de gens faire un grand nombre de choses en pleine action. Ils (elles) tentent donc de réaliser une « économie cognitive » et de traiter l’information de manière à pouvoir évaluer de manière efficace tout ce qui se trouve dans leur environnement. Catégoriser l’information constitue le principal moyen d’y parvenir. Ces catégories renforcent les stéréotypes qui contribuent à déterminer ce qui semble suspect ou inapproprié. Habituellement, la police porte son attention sur le type de renseignements généralement associés à la criminalité et à la sécurité publique. On peut s’attendre à ce que les agent(e)s se concentrent davantage sur les comportements, la langue, les caractéristiques du véhicule, l’apparence (c.-à-d. les vêtements, les bijoux) et les contextes qui évoquent des images de criminalité ou de menaces à la sécurité publique. Si le choix des individus à interpeller et à citer dépend de l’agent(e), ce type de biais cognitif peut faire en sorte que la conduite des personnes issues de minorités apparaisse comme légèrement plus dangereuse » .

L’idée que les préjugés raciaux inconscients ou implicites peuvent avoir une incidence sur la prise de décisions de la police semble avoir été adoptée par un certain nombre d’organismes canadiens de maintien de l’ordre, y compris le Durham Regional Police Service, le Peel Regional Police Services, le service de police d’Ottawa et le service de police de Toronto. Ces services ont tous commandé la prestation d’un programme de formation appelé « Fair and Impartial Policing » (services de police équitables et impartiaux) (fipolicing.com). Ce programme, élaboré par la criminologue Lorie Fridell, vise à sensibiliser les agent(e)s de police à leurs propres préjugés implicites ou inconscients et à comment ces préjugés peuvent teinter leur façon de traiter les personnes issues de divers milieux ainsi que l’attitude qu’ils (elles) adoptent en leur présence. Malheureusement, au moment de la rédaction du présent rapport, l’équipe de recherche n’avait trouvé aucun article publié évaluant la formation sur les préjugés implicites dans le contexte canadien. Par conséquent, il est impossible de déterminer si la formation sur les préjugés implicites a réellement permis de réduire les pratiques policières biaisées sur le plan racial au sein des services de police canadiens.

Dans l’ensemble, la documentation issue de la recherche indique que les stéréotypes conscients et inconscients des agent(e)s de police peuvent contribuer à exacerber les différences raciales lors des activités d’interpellation et de fouille de la police. Cependant, pour bien comprendre le phénomène du profilage racial, il faut tenir compte des facteurs organisationnels et individuels.

 

Le modèle institutionnel

Dans les sections précédentes du rapport, nous expliquons comment le profilage racial peut être le résultat de stéréotypes raciaux conscients — souvent justifiés par le profilage criminel — ou de préjugés implicites qui échappent à la conscience des agent(e)s de police. Bien que les stéréotypes conscients ou les « profils » criminels puissent être largement répandus dans la sous-culture policière, et qu’ils sont possiblement transmis par des processus informels de socialisation au sein des organisations policières, les préjugés implicites, quant à eux, résultent d’un fonctionnement cognitif normal et sont donc courants chez les personnes issues de tout milieu professionnel et social. Cependant, il faut aussi garder en tête la possibilité que certains services de police adoptent des pratiques de profilage officiellement approuvées par les têtes dirigeantes de l’organisation. Aux États-Unis, le recours systématique au profilage racial remonte à la fin des années 1970, moment auquel le gouvernement fédéral a élaboré le profil des transporteur(-se)s de drogue dans le but d’appréhender les trafiquant(e)s de stupéfiant dans les aéroports américains. L’utilisation de cette pratique s’est ensuite répandue jusque sur les routes, avant d’être adoptée à grande échelle au début des années 1990, après qu’une formation sur la lutte antidrogue ait été offerte par la Drug Enforcement Agency (DEA) des États-Unis aux agent(e)s de patrouille locaux et de l’État.

Au cours de cette période, la race a été présentée à la fois comme une caractéristique légitime et normale des profils de transporteur(-se)s de drogue, et les services de police ont utilisé ces profils pour prendre des décisions en matière d’interpellation et de fouille. Un programme de lutte antidrogue sur le réseau routier appelé Operation Pipeline a permis de former plus de 27 000 agent(e)s de 48 États sur la façon d’utiliser ces profils (Harris, 2002; Warren et Tomaskovic-Devey, 2009). Des données probantes laissent également entendre que certains services de police canadiens pourraient avoir reçu une formation de la DEA conforme aux principes d’Operation Pipeline (voir l’analyse dans Tanovich, 2006). De plus, de nouvelles preuves indiquent que les profils criminels officiels fondés sur la race ont été élargis pour aider la police à identifier les membres de gangs de rue et les trafiquant(e)s de drogue (voir Zatz et Krecker, 2003; Barrows et Huff, 2009).

En résumé, il importe de souligner que ce qui motive les comportements de profilage racial ne peut pas toujours être associé aux croyances, aux stéréotypes ou aux préjugés inconscients des agent(e)s de police ni aux stéréotypes raciaux qui sont véhiculés au sein de la sous-culture informelle de la police. Parfois, ce sont les politiques officielles et les procédures de formation des organisations policières qui sont à l’origine des activités d’interpellation et de fouille biaisées sur le plan racial. Autrement dit, même les agent(e)s qui n’entretiennent pas de croyances racistes peuvent s’adonner au profilage racial en suivant les ordres ou les instructions formelles des personnes chargées de la supervision et de la formation.

 Par ailleurs, bien que l’établissement de profils criminels officiels fondés sur la race soit souvent justifié par un désir d’améliorer l’efficacité des services de police et la sécurité publique, ces derniers servent également à stigmatiser des communautés racialisées entières et à soumettre tous les membres des groupes identifiés à un traitement différent de la part de la police.

 

Le modèle de déploiement des forces de l’ordre

Les recherches indiquent que les policier(-ière)s sont rarement déployé(e)s de façon uniforme dans toutes les régions d’une collectivité ou d’une région urbaine. Par exemple, les quartiers à forte incidence de crimes violents (homicides, fusillades, voies de fait, vols qualifiés, activités de gangs de rue, etc.) font généralement l’objet de davantage de patrouilles que les quartiers présentant un faible taux de crimes violents. En effet, les pratiques de gestion de la police modernes et axées sur des données impliquent que les « points chauds », les lieux où les taux de crimes violents sont plus élevés que la moyenne, devraient être surveillés très attentivement par la police. La recherche indique également que, en plus du déploiement inégal des patrouilles policières dans les quartiers, le style des pratiques policières peut varier d’une collectivité à l’autre. Par exemple, plusieurs études ont démontré que les pratiques policières sont souvent plus proactives ou agressives dans les régions présentant un taux de criminalité élevé. En revanche, les pratiques policières ont tendance à être plus réactives et moins agressives dans les régions présentant un taux de criminalité plus faible (Tomankovic-Devey et coll., 2004; Nobles, 2010; Parker et coll., 2010).

La recherche montre également que les nouveaux(-elles) immigrant(e)s et certains groupes racialisés sont surreprésentés dans les collectivités économiquement défavorisées et à forte criminalité, tandis que les personnes blanches sont surreprésentées dans les collectivités nanties et à faible criminalité. Par défaut, les minorités raciales sont donc plus susceptibles de faire l’objet d’une surveillance policière accrue — y compris d’activités agressives d’interpellation et de fouille — en raison de leur lieu de résidence[7]. Les critiques ont fait valoir que la présence policière accrue dans les communautés racialisées, combinée à des pratiques policières agressives ou proactives, représente une forme de préjugé systémique qui a pour effet d’exposer la population civile racialisée à de mauvais traitements de la part de la police. Autrement dit, selon le modèle de déploiement des forces de l’ordre, le profilage racial n’est pas nécessairement le produit de stéréotypes raciaux ou d’animosité raciale. En fait, cela pourrait en partie s’expliquer par l’endroit où la police est déployée et la façon dont elle exerce son pouvoir dans différentes collectivités[8].

Cela constitue une autre mise en garde concernant la prétendue « objectivité » des pratiques de déploiement des forces de l’ordre qui sont fondées sur l’analyse statistique des données sur la criminalité des quartiers. Comme nous le verrons plus loin, les pratiques policières biaisées peuvent produire des données policières biaisées. Par exemple, les pratiques policières biaisées peuvent être à l’origine, du moins en partie, des taux élevés de criminalité associés aux collectivités ou aux quartiers isolés. Quant à elles, les données biaisées peuvent être utilisées pour justifier les pratiques policières biaisées. La relation entre les taux de criminalité et les pratiques policières agressives et proactives peut ainsi être qualifiée d’effet Pygmalion.

 

Synthèse

Cette section vise à examiner les possibles explications du profilage racial. Une investigation plus poussée sera nécessaire pour déterminer laquelle des explications ci-dessus est la plus valable, ou si les cinq cadres théoriques se produisent simultanément et représentent donc une certaine proportion du phénomène de profilage racial. Certain(e)s chercheur(-se)s croient que, puisque l’animosité raciale a diminué considérablement au sein de la société, le racisme manifeste n’explique qu’en partie le profilage racial. De même, en raison des pressions politiques, il est probable qu’à l’avenir, de moins de moins de lignes directrices organisationnelles ciblent certains groupes raciaux en particulier. Cependant, les stéréotypes raciaux, les préjugés cognitifs et les pratiques de déploiement des forces de l’ordre biaisées sur le plan racial persisteront probablement, et doivent donc inévitablement être considérés par ceux (celles) qui entreprennent des recherches et élaborent des politiques. Il est également important de noter que certains des modèles théoriques mentionnés ci-dessus se prêtent mieux aux politiques que d’autres. Il est possible d’éliminer les profils criminels officiels fondés sur la race. Les services de police peuvent détecter l’animosité raciale chez les nouvelles recrues, et imposer des mesures disciplinaires ou congédier les agent(e)s assermenté(e)s qui adoptent des attitudes ou des comportements ouvertement racistes. Les interventions policières dans les quartiers à forte criminalité peuvent également être limitées à une réponse rapide aux appels de service plutôt qu’à des pratiques policières proactives qui exposent souvent la population respectueuse des lois à des contrôles de routine agressifs. Cependant, comme l’ont fait remarquer Tomaskovic-Devey, Mason et Zingraff (2004, p. 25), les préjugés implicites et les stéréotypes entretenus par les individus peuvent être plus difficiles à cerner et à contrôler.

 

Preuves de profilage racial au sein du service de police de Toronto

Un examen de la littérature publiée à l’international révèle que cinq stratégies méthodologiques différentes ont été utilisées par les chercheur(-se)s pour explorer les disparités raciales dans les activités d’interpellation, de questionnement et de fouille. Ces cinq méthodes de recherche comprennent 1) des méthodes qualitatives, 2) des méthodes d’enquête par sondage, 3) des méthodes d’observation, 4) des statistiques officielles sur les interpellations de la police et 5) des données officielles sur les contrôles de routine ou de fichage. Dans cette section du rapport, nous examinons des précédentes études qui se sont attardées à la question du profilage racial à Toronto. Un examen de la documentation révèle que, en ce qui concerne le service de police de Toronto, le profilage racial n’a été examiné qu’à l’aide de trois des cinq méthodes de recherche décrites ci-dessus, soit les méthodes qualitatives, les méthodes d’enquête par sondage et les statistiques officielles sur les contrôles de routine (aussi appelées fiches de contact, rapports de collecte d’informations sur le terrain et interactions réglementées). Nous n’avons trouvé aucune étude d’observation du profilage racial ayant été menée dans la région de Toronto. De plus, malgré la demande du public et les recommandations du rapport, le SPT n’a jamais mené d’étude visant à examiner les disparités raciales en ce qui concerne les contrôles routiers et les interpellations de piéton(ne)s[9].

L’examen des données de recherche commence par une revue des études qualitatives et se poursuit avec une analyse de la recherche par sondage réalisée avant la mise en œuvre du nouveau Règlement de l’Ontario sur les contrôles de routine en 2017. Après un examen des données officielles relatives aux contrôles de routine du SPT et une description de la diminution spectaculaire du nombre de contrôles de routine documentés après l’entrée en vigueur de la réglementation, le rapport passe en revue les nouvelles recherches effectuées depuis 2017. Les résultats de ces récents sondages remettent en question l’argument selon lequel le Règlement de l’Ontario sur les contrôles de routine a eu pour effet de réduire le profilage racial et soulignent la nécessité de recueillir des données fondées sur la race en lien avec les activités d’interpellation, de questionnement et de fouille menées par le SPT.

 

Recherche qualitative

Les premiers travaux sur le profilage racial aux États-Unis et en Grande-Bretagne ont principalement consisté en des entrevues individuelles ou des groupes de discussion avec des jeunes racialisés (Jones-Brown, 2000; Brunson, 2007). Au Canada, James (1998) a mené des entrevues intensives avec plus de 50 jeunes personnes noires originaires de six villes ontariennes, dont Toronto. Bon nombre de ces jeunes ont affirmé se faire souvent interpeller par la police. Presque tous ces jeunes ont dit croire que la police portait davantage son attention sur la couleur de la peau, et non sur le style vestimentaire. Comme un répondant noir l’a fait remarquer : « Ils passent en voiture. Ce ne sont pas vos vêtements qu’ils remarquent, mais votre couleur. C’est la première chose qu’ils voient. S’ils s’attardent tant que ça aux vêtements, pourquoi ne vont-ils pas arrêter ces garçons blancs qui sont habillés comme nous? Selon moi, si vous êtes Noir et portez un costume, ils vont penser que vous avez fait quelque chose d’illégal pour l’obtenir » (James, 1998, p. 166).

James conclut que le caractère antagoniste de ces interpellations par la police contribue fortement à l’hostilité et aux attitudes négatives entretenues par les jeunes personnes noires à l’égard de la police (James, 1998 : p. 173). Les entrevues informelles de Neugebauer (2000) avec 63 jeunes personnes noires et blanches de Toronto ont produit des résultats très semblables. Bien que l’auteure ait constaté que les jeunes de toutes origines raciales affirment souvent être harcelé(e)s par la police, tant les jeunes personnes blanches que noires s’entendent pour dire qu’à Toronto, les jeunes hommes noirs sont beaucoup plus susceptibles d’être interpellés, questionnés et fouillés par la police que les adolescent(e)s d’autres origines raciales.

Au cours d’une série de consultations publiques menées à Toronto dans le cadre de l’enquête Examen des causes de la violence chez les jeunes du gouvernement de l’Ontario, les enquêteur(-trice)s principaux(-ales) ont entendu des histoires extrêmement semblables. En effet, les jeunes personnes noires et autochtones de Toronto ont répété à maintes reprises se sentir ciblé(e)s par la police — souvent dans le cadre de pratiques agressives d’interpellation et de fouille — et que ce ciblage avait miné leur confiance dans la police et dans l’ensemble du système de justice pénale (McMurtry et Curling, 2008a; McMurtry et Curling, 2008b).

Dans le cadre d’une autre étude qualitative, la Commission ontarienne des droits de la personne (CODP) a recueilli des témoignages détaillés d’un échantillon non aléatoire de plus de 800 personnes en Ontario — la plupart étant des personnes noires de Toronto — qui estimaient avoir été victimes de profilage racial (Commission ontarienne des droits de la personne, 2003). Le projet de la CODP a non seulement permis de décrire de façon frappante des incidents précis de profilage racial, mais il a également fourni des renseignements détaillés sur les répercussions négatives de ces incidents sur les personnes et les collectivités racialisées (Williams, 2006). La CODP a mené une deuxième grande enquête sur le profilage racial en 2015. Cette enquête a donné lieu à des consultations auprès d’un échantillon non aléatoire de plus de 1 600 personnes et organismes. Une fois de plus, la Commission a constaté que le profilage racial est un problème majeur à Toronto (Commission ontarienne des droits de la personne, 2017).

Il importe de souligner qu’après la publication des deux premières enquêtes de la CODP, les représentant(e)s du SPT et de la CSPT ont reconnu l’existence d’un racisme systémique au sein de la police (voir Commission ontarienne des droits de la personne, 2017; Aguilar, 2020; Fox, 2020; Goodfield, 2020; Commission des services policiers de Toronto, 2020; CBC News, 2018; Doolittle, 2009).

Enfin, depuis 2018, dans le cadre de son enquête actuelle concernant les pratiques policières biaisées sur le plan racial, la CODP a mené une série d’entrevues et organisé des groupes de discussion avec des membres des communautés noires de Toronto de même que des membres du SPT. Comme lors d’enquêtes antérieures, la CODP a reçu des plaintes concernant le profilage racial et les pratiques injustes du SPT en matière d’interpellation et de fouille. Des témoignages d’agent(e)s de police sont également venus appuyer les allégations formulées par des civil(e)s. En résumé, l’idée générale qui se dégage de deux décennies de recherche qualitative de la part de la CODP est que le profilage racial au sein du SPT constitue toujours un problème.

L’argument selon lequel peu de choses ont changé en matière de profilage racial à Toronto est renforcé par un certain nombre d’études qualitatives récentes et à plus petite échelle. Ces études, menées depuis 2017 à la suite de l’imposition du règlement sur les contrôles de routine de l’Ontario, portent sur les jeunes personnes noires issues des collectivités défavorisées de Toronto. Toutes ces études documentent des interactions négatives entre les jeunes personnes noires et le SPT, y compris des allégations de pratiques racistes en matière d’interpellation et de fouille. Ces études documentent la façon dont les activités d’interpellation et de fouille du SPT alimentent la méfiance de la communauté envers la police, réduisent la probabilité que les jeunes signalent des crimes et augmentent le recours à des stratégies d’auto-assistance conçues pour assurer la sécurité personnelle des individus (voir Haag, 2021; Samuels-Wortley, 2021; Samuels-Wortley, 2020; Nichols, 2018).

Les résultats des enquêtes gouvernementales et des études universitaires susmentionnées ont été renforcés par le projet de recherche intitulé Community Assessment of Police Practices (évaluation communautaire des pratiques policières — CAPP). Au cours de l’été 2014, l’équipe de recherche, financée par la Commission de services policiers de Toronto, a mené une ambitieuse enquête communautaire qui comprenait des entrevues auprès d’un échantillon non aléatoire de 404 résident(e)s de la 31e division — l’un des secteurs les plus diversifiés sur le plan racial et les plus défavorisés sur le plan socioéconomique de Toronto. Environ la moitié des personnes composant l’échantillon se sont identifiées comme des personnes noires, 12,1 % comme des personnes blanches, et 30,4 % comme des personnes issues d’un autre groupe racialisé. Les résultats de l’étude indiquent que les répondant(e)s avaient peu confiance en la police. De plus, peu importe leur origine raciale, la majorité des personnes composant l’échantillon étaient d’avis que la police de Toronto pratique le profilage racial. Conformément à cette croyance, les personnes noires de l’échantillon étaient beaucoup plus susceptibles que les jeunes d’autres origines raciales de déclarer avoir récemment été interpellées, fouillées et « fichées » par la police. Comparativement à leurs homologues blanches, les jeunes personnes noires étaient également plus susceptibles de déclarer s’être fait intimider et traiter avec hostilité et manque de respect lors d’interactions avec la police (voir Price, 2014).

Tel que mentionné précédemment, des méthodologies qualitatives ont également été utilisées pour étudier les perceptions des agent(e)s de police sur la question du profilage racial. Par exemple, à la suite d’une série d’articles parus dans les journaux sur les pratiques de maintien de l’ordre biaisées sur le plan racial, l’ancien chef du service de police de Toronto, Julian Fantino, a demandé à plusieurs cadres supérieur(e)s noir(e)s, dont le chef de police adjoint Keith Forde, d’enquêter sur la façon dont les allégations de profilage racial étaient perçues par les membres noir(e)s des forces de l’ordre. En réponse à cette demande, 36 agent(e)s noir(e)s du SPT se sont réuni(e)s en octobre 2003 pour discuter de la question du profilage racial. Un groupe de discussion a été organisé. Tou(te)s les agent(e)s du SPT qui y ont participé ont convenu que le profilage racial représentait un problème, et que les stéréotypes criminels à l’égard de la population noire étaient répandus au sein du service de police de Toronto. La majorité des personnes répondantes ont également déclaré qu’elles avaient elles-mêmes été victimes de profilage racial. En fait, trois agent(e)s ont déclaré s’être fait interpeller et interroger par la police à plus d’une occasion au cours de la même semaine, et six agent(e)s ont déclaré s’être fait interpeller à plus de 12 reprises au cours de la même année. Dans une présentation ultérieure de ces conclusions à leurs collègues, les cadres supérieur(e)s noir(e)s chargé(e)s de l’enquête ont d’abord déclaré ce qui suit : « Nous sommes conscient[e]s que le profilage racial existe » (voir Tanovich, 2006, pp. 35-36).

Akwasi Owusu-Bempah (département de sociologie de l’Université de Toronto) a récemment mené des recherches semblables sur les perceptions et les expériences des agents de police noirs. M. Owusu-Bempah (2015) a mené des entrevues approfondies auprès d’un échantillon non aléatoire de 50 agents de police noirs de sexe masculin, dont plusieurs étaient employés par le SPT. Il soutient que cet échantillon d’agent(e)s de police offre un aperçu unique de la réalité du racisme en matière d’application de la loi, en raison de la double identité des répondants en tant qu’hommes noirs au sein de la société canadienne et agents de police, et des expériences qui y sont rattachées.

Presque tous les policiers noirs ayant participé à cette étude ont déclaré avoir été témoin, dans le cadre de leur travail, de profilage racial ainsi que d’autres formes de pratiques policières biaisées sur le plan racial. La plupart d’entre eux ont admis avoir travaillé avec d’autres agent(e)s qui se livraient ouvertement au profilage racial et qui approuvaient cette pratique. En effet, la majorité ont indiqué avoir eux-mêmes fait l’objet de profilage racial à de multiples occasions, et ce, même après avoir rejoint les forces de l’ordre.

Tous s’entendaient pour dire que ces préjugés raciaux ont eu un effet négatif sur la communauté noire de Toronto et ont fait naître une méfiance entre la police et la population noire de Toronto. Plusieurs agents ont soutenu que les pratiques policières biaisées sur le plan racial sont causées par des stéréotypes raciaux qui associent la population noire à la fois à la criminalité et à la dangerosité (Owusu-Bempah, 2015).

 

Synthèse

En conclusion, la recherche qualitative à laquelle ont participé des membres de la population torontoise et des agent(e)s de police de Toronto a rendu des conclusions qui sont tout à fait conformes à l’argument selon lequel la police de Toronto fait du profilage racial. La nature de ces résultats qualitatifs demeure inchangée depuis les trente dernières années. Les partisan(e)s soutiennent que les méthodes de recherche qualitative peuvent aider les chercheur(-se)s à comprendre les statistiques sur les interpellations et les fouilles policières, ainsi qu’à mieux saisir comment les activités de surveillance policière influent sur la vie des personnes racialisées. Comme le souligne Brunson (2010, p. 221), bien que les statistiques nous aident à cerner les différences raciales dans l’exposition globale aux activités de surveillance policière, « elles n’ont pas permis d’obtenir le type de renseignements qui permettraient aux chercheur[-se]s d’acquérir une compréhension plus approfondie des significations pour les participant[e]s à l’étude. D’autre part, les méthodes de recherche qualitative offrent une occasion unique d’examiner et de mieux comprendre la gamme d’expériences qui peuvent influencer les attitudes des personnes à l’égard de la police » . Stewart (2007, p. 124) ajoute : « Une méthode de recherche qualitative permet aux chercheur[-se]s de mesurer les diverses sources d’expériences policières négatives directes et par personne interposée, et de comprendre la signification que l’on attache à ces expériences » .

Bien que les études qualitatives permettent habituellement de récolter de nombreux renseignements sur les interactions avec la police et sur le « vécu » des minorités raciales, elles ont souvent été critiquées parce qu’elles étaient fondées sur de petits échantillons non aléatoires, habituellement provenant de collectivités économiquement défavorisées. Autrement dit, il est souvent difficile d’appliquer les résultats d’une recherche qualitative à l’ensemble de la population. De plus, la plupart des études qualitatives portent sur les expériences isolées de personnes racialisées. En d’autres termes, elles ne comparent pas directement les expériences des minorités raciales à celles des personnes blanches. À eux seuls, ces faits ont donné lieu à des accusations selon lesquelles les données de recherche qualitative qui documentent le profilage racial sont « sélectives » ou « anecdotiques » et ne sont donc pas vraiment représentatives du comportement de la police (voir Wilbanks, 1987; Melchers, 2006). Il convient toutefois de souligner que les dénégations de profilage racial par la police sont tout aussi « anecdotiques » et ont donc été largement rejetées par les organisations de minorités raciales et les spécialistes de la lutte contre le racisme (voir Tator et Henry, 2006). En somme, bien que les méthodes de recherche qualitative aient une valeur considérable lorsqu’il s’agit de documenter et de comprendre les relations entre la police et les minorités raciales, les chercheur(-se)s s’entendent généralement pour dire que, dans la mesure du possible, il faudrait plutôt adopter une approche quantitative.

 

Méthodes d’enquête par sondage

Contrairement aux stratégies de recherche qualitative, les méthodes d’enquête par sondage explorent souvent les opinions et les expériences de la population à l’aide d’échantillons aléatoires de grande taille. Par conséquent, contrairement aux résultats qualitatifs, les résultats de l’enquête par sondage peuvent être plus facilement généralisés à l’ensemble de la population à l’étude. En ce qui concerne les pratiques policières biaisées sur le plan racial, des méthodes d’enquête par sondage ont été utilisées pour documenter le fait que le profilage racial est considéré comme un problème grave par une grande proportion de la population canadienne. Ainsi, un sondage mené en 2007 auprès de la population de Toronto comprenait entre autres les questions suivantes : Il y a présence de profilage racial lorsque des personnes sont interpellées, questionnées ou fouillées par la police en raison de leurs caractéristiques raciales, et non en raison de leur comportement ou de leurs actes. À votre avis, le profilage racial représente-t-il un problème au Canada? Les résultats indiquent que la population canadienne noire est beaucoup plus susceptible de percevoir le profilage racial comme un problème social important que les populations chinoise et blanche. En effet, six répondant(e)s noir(e)s sur dix (57 %) considèrent le profilage racial au Canada comme un « problème important », comparativement à seulement 21 % des personnes blanches et à 14 % des membres de la communauté chinoise[10].

On a ensuite demandé aux répondant(e)s : Imaginons que, dans un quartier donné, la plupart des personnes arrêtées pour trafic de stupéfiants, violence armée et activité de gang de rue sont issues d’un groupe racial particulier. Pour lutter contre la criminalité dans ce quartier, pensez-vous qu’il serait acceptable ou légitime que la police interpelle et fouille au hasard des gens qui appartiennent à ce groupe racial davantage que ceux issus d’autres groupes raciaux? Selon les réponses à cette question, quatre personnes blanches sur dix (39 %) et un tiers des personnes chinoises (34 %) estiment que le profilage racial représente une stratégie légitime de lutte contre la criminalité, comparativement à seulement 23 % de leurs homologues noires. Ces divergences d’opinions en fonction de l’origine ethnique sont significatives sur le plan statistique (voir Wortley et Owusu-Bempah, 2011b; Wortley et Owusu-Bempah, 2009).

Il est important de noter qu’en plus de mesurer l’opinion publique au sujet du profilage racial, les méthodes d’enquête par sondage permettent également de mesurer les expériences réelles concernant les interpellations et les fouilles réalisées par la police à Toronto. Le fait que l’enquête par sondage puisse mesurer les données relatives à l’origine ethnique — ainsi que d’autres variables qui permettent théoriquement de prédire les interactions avec la police — constitue un progrès méthodologique important qui aborde partiellement l’élément crucial de l’« analyse comparative » (voir l’analyse détaillée dans Wortley, 2019a; Wortley, 2019b). En d’autres termes, les méthodes d’enquête par sondage nous permettent d’estimer si la race a une incidence sur les interpellations et les fouilles réalisées par la police après contrôle statistique d’autres facteurs pertinents.

À ce jour, six grandes enquêtes canadiennes par sondage ont porté sur le profilage racial. Cinq de ces études ont été menées dans la région de Toronto, tandis que la sixième portait sur un échantillon national comprenant plusieurs membres de la communauté noire de Toronto. Les six études avaient pour but de documenter si les minorités raciales sont plus susceptibles d’être interpellées et questionnées par la police que les personnes blanches, après contrôle statistique d’autres facteurs qui pourraient augmenter ou diminuer la probabilité d’attirer l’attention de la police (voir les examens dans Wortley, 2016; Owusu-Bempah et Wortley, 2014).

D’abord, un sondage mené en 1994 auprès de plus de 1 200 membres de la population noire, chinoise et blanche de Toronto (au moins 400 personnes issues de chaque groupe racial), mené par l’Institute for Social Research de l’Université York, a révélé que les personnes noires — en particulier les hommes noirs — sont beaucoup plus susceptibles de signaler des interactions involontaires avec la police que les personnes blanches ou asiatiques. Par exemple, près de la moitié (44 %) des hommes noirs de l’échantillon ont déclaré avoir été interpellés et questionnés par la police au moins une fois au cours des deux dernières années. En fait, un tiers (30 %) des hommes noirs ont déclaré avoir été interpellés à deux reprises ou plus. En revanche, seulement 12 % des hommes blancs et 7 % des hommes asiatiques ont déclaré s’être fait interpeller plusieurs fois par la police.

Les analyses multivariées de ces données révèlent que les différences raciales relevées dans les interactions avec la police ne peuvent être expliquées par les différences raciales en lien avec la classe sociale, l’éducation ou d’autres variables démographiques. En fait, l’âge et la classe sociale sont deux facteurs qui semblent permettre aux hommes blancs d’éviter les interactions avec la police, ce qui n’est pas le cas pour les hommes noirs. Les personnes blanches qui ont un revenu élevé et un haut niveau de scolarité, par exemple, sont beaucoup moins susceptibles d’être interpellées par la police que les personnes blanches au bas de l’échelle sociale. En revanche, les personnes noires qui ont un revenu élevé et une éducation de haut niveau sont plus susceptibles d’être interpellées que les personnes noires de classe sociale inférieure. En fait, les personnes noires issues du milieu professionnel expliquent souvent l’attention reçue de la police par leur aisance relative. Comme l’a déclaré un(e) répondant(e) noir(e) : « Si vous êtes une personne noire et que vous conduisez une belle voiture, la police va vous interpeller et vous questionner en lien avec la drogue » (voir Wortley et Tanner, 2003; Wortley et Kellough, 2004).

Dans le cadre d’une deuxième étude menée en 2000, environ 3 400 élèves fréquentant les écoles secondaires de Toronto ont été interrogé(e)s au sujet de leurs expériences récentes avec la police (Wortley et Tanner, 2005; Hayle, Wortley et Tanner, 2016). Les résultats de cette étude suggèrent en outre que les jeunes personnes noires sont beaucoup plus susceptibles que les personnes d’autres origines raciales d’être soumises à des interrogatoires dans la rue. Par exemple, plus de 50 % des élèves noir(e)s ont déclaré avoir été interpellé(e)s et questionné(e)s par la police à deux reprises ou plus au cours des deux dernières années, comparativement à seulement 23 % des élèves blanc(he)s, 11 % des élèves asiatiques et 8 % des élèves sud-asiatiques. De même, plus de 40 % des étudiants noir(e)s affirment avoir été fouillé(e)s par la police au cours des deux dernières années, comparativement à seulement 17 % des élèves blanc(he)s et à 11 % des élèves asiatiques.

Cependant, les données indiquent également que les étudiants qui se livrent à diverses formes de criminalité et de déviance sont beaucoup plus susceptibles d’attirer l’attention de la police que les élèves qui n’enfreignent pas la loi. Par exemple, 81 % des trafiquant(e)s de stupéfiant de cet échantillon (c’est-à-dire les personnes qui ont vendu de la drogue à 10 reprises ou plus au cours de la dernière année) déclarent avoir été fouillé(e)s par la police, comparativement à seulement 16 % des élèves qui ne vendent pas de drogue. Cette conclusion concorde avec l’argument selon lequel la police se concentre davantage sur la population civile qui se livre à des activités illégales.

Les données révèlent en outre que les élèves qui passent la majeure partie de leur temps libre dans des lieux publics (p. ex., centres commerciaux, parcs publics, boîtes de nuit, etc.) sont beaucoup plus susceptibles d’être interpellé(e)s par la police que les étudiants qui passent leur temps dans des lieux privés ou en compagnie de leurs parents. Cela nous mène à la grande question : Est-ce que les élèves noir(e)s de cette étude reçoivent plus d’attention de la police parce qu’ils (elles) s’impliquent davantage dans des activités criminelles et sont plus susceptibles de participer à des activités récréatives qui se déroulent dans des lieux publics?

Bien que les données du sondage révèlent que les étudiants blanc(he)s déclarent des taux beaucoup plus élevés de consommation d’alcool et de drogues illicites, les élèves noir(e)s signalent des taux plus élevés de crimes mineurs contre les biens, de violence et d’appartenance à un gang. De plus, les élèves noir(e)s et blanc(he)s déclarent des taux plus élevés de participation aux activités publiques de loisirs que les élèves de toutes les autres origines raciales. Toutefois, ces disparités raciales sont loin d’expliquer pourquoi les jeunes personnes noires sont beaucoup plus ciblées par les interactions de la police.

L’analyse multivariée révèle qu’après un contrôle statistique de l’activité criminelle, de la consommation de drogues, de l’appartenance à un gang et des activités de loisirs, la relation entre la race et les activités d’interpellation et de questionnement du SPT devient encore plus évidente. Pourquoi? Une analyse plus approfondie indique que les différences raciales dans les pratiques d’interpellation et de fouille du SPT sont en fait plus marquées chez les élèves dont le niveau de comportement criminel est faible. Par exemple, 34 % des étudiants noir(e)s qui n’ont participé à aucun type d’activité criminelle déclarent tout de même avoir été interpellé(e)s par la police à deux reprises ou plus au cours des deux dernières années, comparativement à seulement 4 % des élèves blanc(he)s de la même catégorie de comportements. De même, 23 % des élèves noir(e)s ne présentant aucun comportement déviant déclarent s’être fait fouiller par la police, comparativement à seulement 5 % des élèves blanc(he)s ne présentant aucune déviance (Wortley et Tanner, 2005). Ainsi, bien que le premier sondage dont il est question ci-dessus révèle que l’âge et la classe sociale ne permettent pas aux personnes noires d’éviter les interpellations et les fouilles policières, cette étude suggère que même si la population civile noire adopte un bon comportement, elle n’est pas non plus à l’abri de l’attention non désirée de la police.

Cette enquête menée dans les écoles secondaires a également permis de démontrer que, parce qu’elles sont soumises à des niveaux plus élevés de surveillance policière, les jeunes personnes noires de Toronto sont également plus susceptibles de se faire prendre si elles contreviennent à la loi que les jeunes personnes blanches qui se livrent exactement aux mêmes formes d’activités criminelles. Prenons l’exemple des élèves qui font le trafic de drogue. Comme nous l’avons mentionné plus tôt, nous définissons un(e) trafiquant(e) comme tout(e) répondant(e) qui a vendu des drogues illicites au moins 10 fois au cours de la dernière année. Nous constatons en outre que 65 % des trafiquant(e)s de drogue de race noire ont été interpellé(e)s à un moment ou à un autre de leur vie, comparativement à seulement 35 % des trafiquant(e)s de drogue de race blanche. Cette constatation reflète probablement le fait que les étudiants noir(e)s sont beaucoup plus susceptibles d’être interpellé(e)s et fouillé(e)s par la police (Wortley et Tanner, 2005; Hayle, Wortley et Tanner, 2016)[11].

Ces résultats ont également été reproduits à l’aide d’un échantillon national de jeunes Canadien(ne)s (âgé[e]s de 12 à 17 ans). Fitzgerald et Carrington ont utilisé les données de l’Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes de 2000-2001 (total de l’échantillon = 4 164 répondant[e]s) pour déterminer si les jeunes des minorités visibles « à risque élevé » (répondant[e]s noir[e]s, autochtones et arabes) étaient plus susceptibles que les jeunes blanc(he)s ou les jeunes des minorités « à faible risque » (Asiatiques du Sud et Asiatiques) d’être interpellé(e)s et questionné(e)s par la police. Il est important de noter qu’une forte proportion des personnes noires ayant répondu à ce sondage national provenaient de Toronto.

Conformément aux résultats de l’enquête sur les écoles secondaires de Toronto susmentionnée, Fitzgerald et Carrington (2011) ont constaté que les jeunes personnes noires, autochtones et arabes en provenance de Toronto et d’autres régions canadiennes étaient beaucoup plus susceptibles d’avoir été interpellées et questionnées par la police au cours de la dernière année que les jeunes personnes blanches, asiatiques ou sud-asiatiques. De plus, des analyses multivariées révèlent que l’incidence de la race sur les interpellations de la police demeure significative sur le plan statistique après prise en compte d’autres variables pertinentes sur le plan théorique, y compris la situation socioéconomique, les antécédents familiaux, la surveillance parentale, les activités de loisirs, la sécurité du quartier et la participation individuelle à des crimes violents et non violents. Autrement dit, même si les jeunes racialisé(e)s à risque élevé ont déclaré des niveaux plus élevés de criminalité que les jeunes blanc(he)s, cela n’explique pas pourquoi les jeunes racialisé(e)s étaient plus susceptibles d’être interpellé(e)s et questionné(e)s par la police.

En effet, conformément aux conclusions de Wortley et Tanner (2005), les résultats des travaux de Fitzgerald et de Carrington (2011) indiquent que les différences raciales dans les interactions avec la police sont plus marquées chez les jeunes présentant de faibles niveaux de participation à des activités criminelles. Encore une fois, les résultats obtenus au Canada laissent entendre qu’un « bon comportement » ne protège pas les personnes noires et les autres minorités contre les interactions indésirables avec la police au même titre qu’il protège les personnes blanches. Les auteur(e)s concluent que leurs découvertes concordent avec les allégations de profilage racial.

Dans le cadre d’une quatrième enquête canadienne menée en 2007, des entrevues ont été réalisées auprès d’un échantillon aléatoire de 1 500 membres de la population torontoise d’origine blanche, noire et chinoise, âgé(e)s de 18 ans et plus. Plus de 500 répondant(e)s ont été sélectionné(e)s pour chacun des groupes raciaux ciblés (Wortley et Owusu-Bempah, 2011b). On leur a demandé combien de fois, au cours des deux dernières années, ils (elles) avaient été interpellé(e)s et questionné(e)s par la police tandis qu’ils (elles) étaient au volant d’une voiture, marchaient ou traînaient dans un lieu public. Les résultats suggèrent qu’un tiers des répondant(e)s noir(e)s (34 %) ont été interpellé(e)s par la police au cours des deux dernières années, comparativement à 28 % des répondant(e)s blanc(he)s et 22 % des répondant(e)s chinois(es).

Il existe des différences raciales en matière de contrôle routier ainsi que d’interpellation de piéton(ne)s. Les personnes noires sont particulièrement susceptibles de faire l’objet de multiples interpellations policières. En effet, 14 % des répondant(e)s noir(e)s indiquent avoir été interpellé(e)s par la police à trois reprises ou plus au cours des deux dernières années, comparativement à seulement 5 % des répondant(e)s blanc(he)s et à 3 % des répondant(e)s chinois(es). En moyenne, les répondant(e)s noir(e)s se sont fait interpeller 1,6 fois au cours des deux dernières années, comparativement à 0,5 fois pour les personnes blanches et 0,3 fois pour les personnes chinoises.

L’analyse de données multivariées de l’enquête de 2007 révèle que les hommes noirs de Toronto sont particulièrement vulnérables aux interpellations policières. En effet, un répondant noir sur quatre (23 %) a indiqué avoir été interpellé par la police à trois reprises ou plus au cours des deux dernières années, comparativement à seulement 8 % des hommes blancs et à 6 % des hommes chinois. En moyenne, les hommes noirs se sont fait interpeller par la police 3,4 fois au cours des deux dernières années, comparativement à 0,7 fois pour les hommes blancs et à 0,5 fois pour les hommes chinois. Bien que les femmes noires soient moins susceptibles d’être interpellées et questionnées par la police que les hommes noirs, elles déclarent beaucoup plus d’interpellations de la police que les femmes blanches ou chinoises. En fait, les femmes noires (9 %) sont plus susceptibles de déclarer avoir été interpellées trois fois ou plus que les hommes blancs (8 %) ou chinois (6 %). En moyenne, les femmes noires ont déclaré s’être fait interpeller par la police 0,7 fois au cours des deux dernières années, comparativement à 0,4 fois pour les femmes blanches et à 0,2 fois pour les femmes chinoises (Wortley et Owusu-Bempah, 2011).

On a aussi demandé aux personnes ayant répondu au sondage si elles avaient été fouillées par la police au cours des deux dernières années. Encore une fois, les données révèlent que les personnes noires — en particulier les hommes noirs — sont davantage ciblées par les fouilles policières que les répondant(e)s d’autres origines raciales. Dans l’ensemble, 12 % des répondant(e)s noir(e)s ont déclaré avoir été fouillé(e)s par la police au cours des deux dernières années, comparativement à seulement 3 % des hommes blancs et chinois. Les femmes noires sont aussi plus susceptibles de déclarer avoir été fouillées par la police (3 %) que les femmes blanches ou chinoises (1 %).

Les données de cette enquête menée auprès de la population de Toronto indiquent clairement que les répondant(e)s noir(e)s sont plus susceptibles d’être interpellé(e)s et fouillé(e)s par la police que les répondant(e)s blanc(he)s ou chinois(es). Cependant, comme mentionné plus haut, certains facteurs, outre la race, peuvent expliquer la surreprésentation des personnes noires dans les interactions avec la police. Par exemple, la population noire de Toronto a tendance à être plus jeune et moins bien nantie que la population blanche ou chinoise. Ainsi, c’est peut-être la jeunesse ou la pauvreté — et non les préjugés raciaux — qui explique pourquoi les personnes noires sont plus susceptibles d’être interpellées et fouillées. De même, les personnes noires peuvent être plus susceptibles d’être interpellées parce qu’elles sont plus nombreuses à résider dans des quartiers à forte criminalité où des stratégies de patrouille policière agressives sont monnaie courante. De plus, les différences raciales dans les comportements, et non la race elle-même, pourraient expliquer pourquoi les personnes noires font l’objet d’une plus grande attention de la police. Par exemple, comparativement aux personnes d’autres origines raciales, les personnes noires peuvent être plus susceptibles de se faire interpeller par la police parce qu’elles passent plus de temps à conduire ou à traîner dans les lieux publics. Enfin, les personnes noires peuvent être plus susceptibles d’attirer l’attention légitime de la police parce qu’elles sont impliquées en plus grand nombre dans des infractions aux règlements de la circulation ou dans diverses formes d’activités criminelles.

Afin de répondre à ces hypothèses concurrentes, les auteur(e)s ont produit une série de régressions logistiques qui permettent de prédire les activités d’interpellation et de fouille de la police. En plus de la race, ces régressions sont statistiquement contrôlées pour une série de variables démographiques, notamment l’âge, le sexe, le niveau de scolarité, le revenu du ménage et le lieu de naissance. Notre analyse tenait également compte du niveau de criminalité dans le quartier des répondant(e)s, de la fréquence de la conduite d’un véhicule, du niveau de participation aux activités de loisirs publiques, de la consommation d’alcool, de la consommation de marijuana et des antécédents criminels.

Les résultats des analyses multivariées indiquent que, chez la population de Toronto, les antécédents raciaux des personnes noires constituent un bon indicateur pour prédire les activités d’interpellation et de fouille après contrôle statistique d’autres variables pertinentes sur le plan théorique. Par contre, chez les personnes chinoises, aucun lien ne peut être établi entre les antécédents raciaux et la probabilité d’être interpellées et fouillées par la police. En outre, les résultats suggèrent que plus la mesure des interpellations par la police est rigoureuse, plus la relation avec les antécédents raciaux des personnes noires est forte. Par exemple, un examen des rapports de cotes indique que les personnes noires sont 1,9 fois plus susceptibles que les personnes blanches de s’être fait interpeller une ou plusieurs fois au cours des deux dernières années, 2,3 fois plus susceptibles de s’être fait interpeller deux ou plus et 3,4 fois plus susceptibles de s’être fait interpeller trois fois ou plus. De plus, les résultats suggèrent que les personnes noires sont 3,3 fois plus susceptibles que les personnes blanches d’avoir été fouillées par le SPT au cours des deux dernières années (Wortley et Owusu-Bempah, 2011b).

L’ensemble des personnes répondantes qui ont déclaré avoir été interpellées et interrogées par le SPT au cours des deux dernières années (N = 423) ont par la suite dû répondre à une série de questions au sujet de leur plus récente interaction avec la police. Les résultats indiquent clairement que la population noire de Toronto a tendance à interpréter les interpellations de la police de façon plus négative que la population chinoise et blanche. D’abord, on a demandé aux personnes répondantes si elles croyaient que leur dernière interpellation était justifiée ou non. Près de la moitié des répondant(e)s noir(e)s (47 %) estimaient que leur dernière interpellation par la police était injustifiée, comparativement à seulement 17 % des répondant(e)s chinois(es) et 12 % des répondant(e)s blanc(he)s. Comparativement aux répondant(e)s blanc(he)s et chinois(es), les répondant(e)s noir(e)s étaient également moins susceptibles de déclarer que la police avait fourni une explication adéquate concernant la raison de l’interpellation et plus susceptibles de rapporter une attitude irrespectueuse de la police à leur endroit.

 Les répondant(e)s ont également dû répondre à la question ouverte suivante : La dernière fois que vous avez été interpellé(e) par la police, quel était selon vous le motif de l’interpellation? Un(e) répondant(e) noir(e) sur quatre (25 %) a déclaré expressément avoir été interpellé(e) en raison de son origine ethnique. En revanche, seules deux personnes répondantes d’origine chinoise et deux personnes répondantes blanches ont mentionné la race comme raison de l’interpellation. Fait intéressant : ces deux personnes répondantes blanches ont affirmé avoir été arrêtées par la police parce qu’elles se trouvaient à bord d’une voiture avec des personnes noires. Compte tenu de ces résultats, il n’est pas surprenant de constater que les répondant(e)s noir(e)s étaient beaucoup plus susceptibles que les répondant(e)s chinois(es) ou blanc(he)s de se déclarer « très contrarié(e)s » par leur dernière interaction avec la police (Wortley, 2011b). Ces résultats concordent très bien avec la recherche réalisée aux États-Uns qui suggère également que les personnes noires sont plus susceptibles d’avoir l’impression d’avoir été traitées injustement ou de se voir manquer de respect durant les interpellations par la police (voir Warren, 2011)[12].

La question des interactions involontaires avec la police a également été examinée dans le cadre d’un sondage mené par le Black Experience Project (Environics Institute, 2017). Réalisé en 2015, ce sondage a permis d’examiner les opinions et les expériences de 1 504 personnes noires de la région du Grand Toronto âgées de 16 ans et plus. Ma nouvelle analyse de ces données, obtenues par la CODP, confirme que les interactions négatives avec la police sont très courantes chez la population noire de la région du Grand Toronto, en particulier chez les hommes noirs. Par exemple, 71 % des personnes répondantes noires ont déclaré avoir été interpellées et questionnées par la police dans un lieu public, 53 % ont déclaré s’être fait harceler ou traiter de façon grossière par la police, 23 % ont dit s’être fait interpeller par la police à un moment donné de leur vie, et 17,5 % ont déclaré avoir fait l’objet d’un recours à la force par la police (voir la figure 1)[13].

Les données révèlent en outre que les interactions policières négatives sont légèrement plus courantes chez la population torontoise noire que chez les répondant(e)s qui vivent ailleurs dans la RGT (voir la figure 2). Par exemple, la population noire de Toronto est plus susceptible de rapporter un recours à la force, une arrestation, du harcèlement ou un traitement grossier de la part de la police.

Cependant, les autres résident(e)s de la RGT sont légèrement plus susceptibles de déclarer s’être fait interpeller et questionner par la police en public. Malheureusement, les données ne permettent pas de déterminer l’endroit où les interpellations policières ont eu lieu. Il est donc tout à fait possible que certain(e)s répondant(e)s qui vivent à l’extérieur de Toronto aient été interpellé(e)s par la police de Toronto lorsqu’ils (elles) traversaient la ville pour se rendre à leur lieu de travail ou de loisir. Toutes les différences régionales sont significatives sur le plan statistique à p > 0,05.

Dans le passé, des critiques ont soutenu que c’est la pauvreté ou le fait d’être issu(e) d’une classe inférieure, et non le racisme, qui expose la population noire à des interactions négatives avec la police. Toutefois, comme dans le cas d’études précédentes, les résultats obtenus par le Black Experience Project révèlent que l’appartenance à une classe sociale supérieure ne permet pas à la population noire d’éviter les interactions indésirables avec la police (voir les figures 3 et 4). Par exemple, les personnes noires détenant un diplôme universitaire de premier cycle sont plus susceptibles de déclarer s’être fait interpeller et questionner par la police (56,4 %) que les personnes détenant un diplôme d’études secondaires ou un niveau de scolarité inférieur (45,2 %). De même, les répondant(e)s qui gagnent un salaire annuel de 100 000 $ ou plus sont plus susceptibles de déclarer s’être fait interpeller et questionner par la police (60,3 %) que ceux (celles) dont le revenu annuel est de moins de 20 000 $ (46,7 %). Ces différences sont significatives sur le plan statistique. Ces constatations renforcent l’argument selon lequel c’est la race à elle seule qui attire l’attention de la police, et non la classe sociale ou le fait d’habiter un quartier pauvre[14].

 

Synthèse

En ce qui concerne l’étude du profilage racial, la méthode d’enquête par sondage présente trois avantages distincts par rapport aux données qualitatives. Tout d’abord, comme les sondages s’appuient sur de grands échantillons aléatoires, ils facilitent la généralisation des résultats obtenus à l’ensemble de la population. Ensuite, les sondages permettent de comparer directement les personnes qui déclarent avoir été interpellées et fouillées par la police et celles qui n’ont pas été interpellées. Ainsi, cela nous permet de déterminer si les personnes qui sont fréquemment interpellées et fouillées par la police sont différentes — en ce qui concerne la race ou d’autres facteurs pertinents sur le plan théorique — de celles qui n’ont que peu ou pas d’interactions avec la police. Enfin, en plus de documenter des expériences précises avec la police, les sondages peuvent aussi servir à enquêter sur les répercussions psychologiques des incidents de profilage racial perçu sur les populations ciblées.

Cependant, la méthode d’enquête par sondage comporte aussi des limites, y compris la possibilité d’erreurs d’échantillonnage et de problèmes concernant la structure du questionnaire, les souvenirs des répondant(e)s, l’honnêteté des répondant(e)s et l’exclusion de l’échantillon (voir Lichenberg, 2007; Lundman, 2003). Cependant, la comparaison des résultats tirés des sondages avec ceux issus d’autres méthodes de recherche qualitatives et quantitatives peut contribuer à en vérifier la validité et, donc, à accroître la fiabilité des résultats. Il est donc important de noter que les résultats des sondages menés dans la région de Toronto et abordés ci-dessus concordent très bien avec les résultats des études qualitatives (voir l’analyse ci-dessus) et des études qui examinent les statistiques officielles du service de police de Toronto. Dans la section suivante, nous procédons à l’analyse des données officielles des « contrôles de routine » du SPT.

 

Statistiques officielles de la police : contrôles de routine

Une quatrième stratégie pour mesurer les activités de fouille et d’interpellation de la police consiste à utiliser des dossiers de police officiels pour documenter les interactions discrétionnaires entre la police et la population civile. Aux États-Unis et en Grande-Bretagne, les données officielles déclarées par la police constituent sans doute la source d’information la plus courante sur les pratiques de la police en matière d’interpellation et de fouille (Miller, 2010; Paulhamus et coll., 2010; Tillyer et coll., 2010; Batton et Kadleck, 2004). Cela n’est pas surprenant étant donné que les statistiques policières peuvent être obtenues rapidement et à peu de frais, comparativement à celles provenant des sondages à grande échelle, de l’observation sociale systématique, des entrevues, de l’ethnographie et d’autres méthodes qualitatives. Souvent, les données sont déjà disponibles, et les nouvelles stratégies de collecte de données nécessitent des changements minimes aux pratiques actuelles de collecte de données en matière d’interpellation et de fouille. Il est également possible d’obtenir une grande quantité de données policières en un temps relativement court, et ce, à un coût minime pour l’organisation. La collecte de données officielles présente également l’avantage de conserver des niveaux élevés de pouvoir discrétionnaire dans les pratiques policières, tout en permettant de répondre aux préoccupations de la collectivité au sujet du profilage racial (Data Collection Resource Centre, 2011). Enfin, les données sur les interpellations recueillies par la police permettent de tenir compte de variables juridiques et contextuelles qui peuvent ne pas figurer dans les récits de la population au sujet des interpellations de la police, comme le motif de l’interpellation, le contexte officiel de l’interpellation, la perception des agent(e)s quant à la race des civil(e)s, ainsi que la date, l’heure et le lieu exacts de l’interpellation.

Malheureusement, contrairement à ceux de l’Angleterre et de nombreuses régions des États-Unis, les services de police du Canada ne sont pas tenus de consigner la race ou l’origine ethnique des civil(e)s lors d’une interpellation ou d’une fouille. De plus, à l’exception des études spéciales menées à Kingston (Marshall, 2017; Wortley et Owusu-Bempah, 2016) et à Ottawa (Foster, Jacobs et Siu, 2016), aucun service de police canadien ne recueille et ne diffuse volontairement des données sur les contrôles routiers ou piétonniers. Par conséquent, au Canada, les statistiques officielles de la police ne peuvent généralement pas servir à enquêter sur les différences raciales dans les activités d’interpellation et de fouille policières.

Fait important : une autre source de données officielles canadiennes peut être utilisée pour évaluer les différences raciales dans les niveaux d’interactions avec la police. Ces données portent sur un éventail d’activités policières, y compris les contrôles de routine, les fiches de contact, les interactions de la police avec le public, les rapports de collecte d’informations sur le terrain et les interactions réglementées. Bien que la terminologie exacte utilisée pour identifier ces interactions entre la police et les civil(e)s varie d’un service de police à l’autre, elle tend à faire référence au même phénomène. Aux fins du présent rapport, le terme « contrôles de routine » sera utilisé pour désigner les pratiques qui comprennent les fiches de contact, les interactions de la police avec le public, les rapports de collecte d’informations sur le terrain et les interactions réglementées. Il convient de souligner que les contrôles de routine ne sont pas systématiques à chaque interpellation de la police. Avant la mise en œuvre du Règlement de l’Ontario 58/16 en 2017 (voir l’analyse ci-dessous), les contrôles de routine n’étaient effectués que lorsque des agent(e)s de police souhaitaient consigner les détails d’une interaction avec un(e) civil(e) en particulier. Il est à noter que, dans la grande majorité des cas, les contrôles de routine ne sont pas effectués lors d’interactions policières qui se terminent par des arrestations ou à la suite desquelles des accusations criminelles sont portées. Dans de tels cas, un rapport d’arrestation ou un rapport d’incident criminel est utilisé pour consigner les renseignements pertinents. Par contre, les contrôles de routine sont habituellement effectués dans les cas où aucune accusation criminelle n’est portée, mais où l’agent(e) de police veut tout de même consigner — aux fins de renseignement — des informations personnelles sur le (la) civil(e) interpellé(e) et des détails sur l’interaction. Au cours de la dernière décennie, des données sur les contrôles de routine ont été publiées par de nombreux services de police. Ces données ont toujours démontré qu’au fil du temps et sur les territoires desservis par la police, les personnes noires sont largement surreprésentées dans les statistiques sur les contrôles de routine par la police. Cependant, l’attention du public et du débat était en grande partie concentrée sur les contrôles de routine effectués par le service de police de Toronto (SPT).

 

L’étude de cas de Toronto

Bien que depuis 1970, la police de l’Ontario ait recueilli des renseignements sur les contrôles de routine sous diverses formes, ceux-ci n’ont jamais été rendus publics. Cependant, à la suite d’une demande d’accès à l’information vivement contestée, qui s’est terminée à la Cour d’appel de l’Ontario, le Toronto Star a fini par mettre la main sur des renseignements concernant plus de 1,7 million de contrôles de routine effectués par la police de Toronto entre 2003 et 2008. Les requêtes de données subséquentes formulées par le Star ont permis de recueillir des renseignements sur plus de deux millions de contrôles de routine effectués entre 2008 et novembre 2013. Dans l’ensemble, les données indiquent que le service de police de Toronto a effectué près de trois millions de contrôles de routine au cours de la décennie allant de 2003 à 2013, soit environ 300 000 par année (voir Rankin, 2010a; Rankin, 2010b; Rankin et Winsa, 2012; Rankin et Winsa, 2014).

Les données provenant des fiches de contact ou des contrôles de routine obtenus par le Star contiennent divers éléments d’information, y compris le nom du (de la) civil(e), l’adresse de son domicile, le motif de l’interpellation ainsi que l’endroit et l’heure de l’interaction. Ces fiches comprennent également des renseignements démographiques de base, notamment l’âge, le sexe et la couleur de la peau. Les fiches contiennent souvent des renseignements sur les personnes associées au (à la) civil(e) (c.-à-d. la ou les personnes qui l’accompagnaient au moment de l’interpellation) et des observations ou des commentaires précis sur l’interaction jugés pertinents par le (la) ou les agent(e)s concerné(e)s. La police soutient que ces renseignements permettent d’assurer le suivi de la présence des individus dans les rues, à différents moments et à différents endroits, et qu’ils peuvent l’aider à identifier des suspect(e)s potentiel(le)s, des victimes et des témoins potentiel(le)s.

Les critiques soutiennent que ces fiches de contact donnent un aperçu des pratiques de surveillance de la police et illustrent en grande partie les catégories de quartiers et de civil(e)s qui font l’objet d’une surveillance policière accrue. Les données sur les fiches de contact reçues par le Star présentent un possible avantage sur le plan de la méthodologie : lors de la première requête de données, la police ne savait pas que les renseignements de la fiche de contact seraient rendus disponibles pour examen public. En d’autres termes, les actions de la police documentées par les données tirées des fiches de contact de Toronto n’ont pas été influencées par leur connaissance d’un projet de recherche en cours (pour connaître les répercussions possibles de ce qu’on appelle maintenant l’effet Hawthorne, voir Barnes, 2010).

Les résultats qui suivent découlent d’une nouvelle analyse des données sur les contrôles de routine du SPT compilées entre 2008 à 2013, effectuée aux fins du présent rapport. En plus de comporter plusieurs améliorations, les résultats sont tout à fait conformes aux conclusions publiées précédemment dans le Toronto Star. D’abord, seuls les cas où la race du (de la) civil(e) fiché(e) a été enregistrée par l’agent(e) sont inclus dans l’analyse actuelle (total de l’échantillon = 1 846 930)[15].

Les données indiquent que 25 % des contrôles de routine effectués par le SPT entre 2008 et novembre 2013 concernaient des personnes décrites comme étant « noires ». Les projections du recensement laissent toutefois entendre qu’à l’époque, seulement 8,08 % de la population de Toronto s’est déclarée noire[16]. Autrement dit, les personnes noires ont une probabilité de figurer dans les statistiques sur les contrôles de routine qui est 3,09 fois supérieure à ce que supposerait leur représentation dans l’ensemble de la population de Toronto (voir le tableau 1).

Une analyse plus approfondie indique que pendant cette période, le taux de contrôles de routine pour les personnes noires était de 2 123,0 pour 1 000. En d’autres termes, le SPT a effectué 2 123,0 contrôles de routine pour chaque tranche de 1 000 personnes noires de la population de Toronto, soit environ 2,1 contrôles pour chaque personne noire de la ville. En revanche, le taux de contrôles de routine pour les personnes blanches n’était que de 653,7 pour 1 000, soit nettement moins d’un contrôle pour chaque personne blanche de la population générale. Dans l’ensemble, le taux de contrôles de routine des personnes noires est 3,25 fois plus élevé que celui des personnes blanches. Cela indique qu’entre 2008 et 2013, les personnes noires de Toronto étaient 3,25 fois plus susceptibles de subir un contrôle de routine du SPT que les personnes blanches (voir le tableau 1)[17].

 

 

Tableau 1 : Données sur les contrôles de routine réalisés par le service de police de Toronto, par race, de 2008 à 2013

Groupes raciaux

Taille de la population

% de la population

Nombre total de contrôles de routine

% de contrôles de routine

Rapport de cotes

Taux de contrôles de routine (pour 1 000)

Personnes blanches

1 454 030

54,09

950 457

51,46

0,95

653,7

Personnes noires

217 360

8,08

461 468

25,00

3,09

2 123,0

Personnes à la peau brune

337 512

12,55

308 809

16,72

1,33

914,9

Autres groupes racialisés

679 840

25,28

126 196

6,83

0,27

185,6

Total

2 668 742

100,00

1 846 930

100,00

1,00

692,1

 

Cependant, plusieurs critiques ont fait valoir que de nombreux contrôles de routine effectués par la police de Toronto impliquent probablement des civil(e)s qui habitent à l’extérieur de la ville. Si tel est le cas, cela rendrait instables les taux de contrôles de routine et les disparités raciales, présentés au tableau 1. Heureusement, l’ensemble de données 2008-2013 sur les contrôles de routine indique si les personnes résident dans la ville de Toronto ou sur un autre territoire. Une analyse plus approfondie révèle qu’au cours de cette période, 708 706 incidents de fichage — soit environ 38 % de tous les cas de fichage — impliquaient des personnes qui ne résidaient pas à Toronto. Par conséquent, le tableau 2 présente un nouveau calcul des statistiques sur les contrôles de routine basé uniquement sur les cas qui concernent les résident(e)s de Toronto et incluant la race des civil(e)s fiché(e)s (taille de l’échantillon = 1 138 224). Les résultats suggèrent que même si le retrait des non-résident(e)s a pour effet de réduire le taux global de fichage ou de contrôles de routine, l’ampleur des disparités raciales ne diminue pas pour autant. En fait, les disparités raciales s’accentuent. En limitant l’analyse à la population résidant à Toronto, le taux de contrôles de routine passe de 2 123,0 à 1 362,0 pour les personnes noires et de 653,7 à 392,6 pour les personnes blanches. Toutefois, les données indiquent également qu’entre 2008 et 2013, les résident(e)s noir(e)s de Toronto ont une probabilité d’être fiché(e)s qui est 3,22 fois supérieure à ce que supposerait leur représentation dans l’ensemble de la population de Toronto. De plus, les données indiquent que les résident(e)s noir(e)s de Toronto sont 3,47 fois plus susceptibles d’être soumis(es) à un contrôle de routine du SPT que leurs homologues blanc(he)s.

 

 

Tableau 2 : Données sur les contrôles de routine réalisés par le service de police de Toronto, par race, résident(e)s de Toronto seulement, 2008 à 2013

Groupes raciaux

Taille de la population

% de la population

Nombre total
de contrôles de routine

% de contrôles de routine

Rapport de cotes

Taux de contrôles de routine (pour 1 000)

Personnes blanches

1 454 030

54,09

570 897

50,16

0,93

392,6

Personnes noires

217 360

8,08

296 051

26,01

3,22

1 362,0

Personnes à la peau brune

337 512

12,55

195 787

17,20

1,37

580,1

Autres groupes racialisés

679 840

25,28

75 489

6,63

0,26

111,0

Total

2 668 742

100,00

1 138 224

100,00

1,00

426,5

 

L’analyse comparative typique du recensement présente une autre faiblesse potentielle, soit le fait qu’elle ne tient pas compte des civil(e)s qui ont fait l’objet de multiples contrôles de routine. En effet, les personnes qui font l’objet de contrôles de routine à de multiples reprises peuvent faire grimper les taux de contrôles de routine pour l’ensemble d’un groupe racial. Par conséquent, le tableau 3 recalcule les rapports de cotes et les taux de contrôles de routine en tenant compte des personnes ayant été interpellées à plusieurs reprises. Les données présentées dans le tableau 3 éliminent l’influence des valeurs aberrantes en tenant compte de chaque civil(e) une seule fois.

Les données indiquent qu’entre 2008 et 2013, 629 556 résident(e)s uniques de Toronto ont fait l’objet de 1 138 224 contrôles de routine distincts (environ 1,8 contrôle de routine par personne pour l’ensemble de données). En moyenne, les personnes noires figurant dans les données totales relatives aux contrôles de routine ont participé à 2,23 contrôles de routine au cours de cette période, comparativement à 1,89 pour les personnes à la peau brune, 1,70 pour les personnes blanches et 1,29 pour les personnes issues d’autres groupes racialisés.

Lorsque l’on compte les personnes une seule fois, les disparités raciales diminuent sensiblement. Par exemple, le pourcentage de personnes noires figurant dans les données relatives aux contrôles de routine passe de 26,01 % à 21,06 %, et le rapport de cotes de 3,22 à 2,61. Cependant, même en comptant des individus uniques une fois, les personnes noires ont une probabilité de subir un contrôle de routine du SPT 2,6 fois supérieure à ce que supposerait leur représentation dans l’ensemble de la population de Toronto. De plus, même si l’on compte les personnes une seule fois, le taux de contrôles de routine des personnes noires (610,1 pour 1 000) reste 2,65 fois plus élevé que celui des personnes blanches (230,3 pour 1 000). Autrement dit, les données suggèrent qu’entre 2008 et 2013, le SPT a effectué des contrôles de routine auprès d’environ 61 % de la population noire de Toronto, comparativement à seulement 23 % de la population blanche de Toronto.

 

 

Tableau 3 : Données sur les contrôles de routine réalisés par le service de police de Toronto, 2008 à 2013, par race résident(e)s de Toronto seulement — individus uniques comptés une fois

Groupe racial

Chiffre de population

% de la population

Nombre de contrôles de routine

% de contrôles de routine

Rapport de cotes

Taux de contrôles de routine (pour 1 000)

Personnes blanches

1 454 030

54,09

334 811

53,18

0,98

230,3

Personnes noires

217 360

8,08

132 621

21,06

2,61

610,1

Personnes à la peau brune

337 512

12,55

103 365

16,42

1,31

306,3

Autres groupes racialisés

679 840

25,28

58 759

9,33

0,37

86,4

Total

2 668 742

100,0

629 556

100,0

1,00

235,9

 

Les résident(e)s de la communauté soutiennent depuis longtemps que les jeunes hommes noirs sont particulièrement exposés aux contrôles de routine et aux autres activités de surveillance policière. Cette affirmation est également étayée par des recherches antérieures (voir l’analyse ci-dessus). Le tableau 4 fournit une analyse plus approfondie de cette hypothèse en examinant les différences raciales dans les pratiques de fichage de la police de Toronto entre 2008 et 2013 pour les jeunes hommes résidant à Toronto. Il convient de souligner que tous les contrôles de routine consignés dans ce tableau concernent des résidents confirmés de Toronto et non des personnes qui habitent à l’extérieur des limites de la ville.

Le premier élément à souligner concernant le fait que les jeunes hommes, quelle que soit leur origine raciale, ont tendance à être largement surreprésentés dans les incidents de fichage. Par exemple, bien que les hommes âgés de 15 à 24 ans ne représentent que 6,3 % de la population torontoise, ils représentent 30 % de tous les incidents de fichage impliquant des résident(e)s de Toronto. Dans l’ensemble, les jeunes hommes de ce groupe d’âge ont une probabilité d’être fichés qui est 4,8 fois supérieure à ce que supposerait leur représentation dans l’ensemble de la population. Cependant, les données révèlent également que les jeunes hommes noirs étaient particulièrement exposés aux contrôles de routine au cours de cette période. Bien que les estimations du recensement indiquent que les hommes noirs âgés de 15 à 24 ans ne représentent que 0,5 % de la population de Toronto, ceux-ci représentaient 10,3 % de tous les contrôles de routine effectués par le service de police de Toronto entre 2008 et 2013. En d’autres termes, les jeunes hommes noirs de cette catégorie d’âge avaient une probabilité d’être fichés 20,6 fois supérieure à ce que supposerait leur représentation dans la population générale. En revanche, les jeunes hommes blancs de la même catégorie d’âge avaient une probabilité d’être fichés seulement 3,3 fois supérieure à ce que supposerait leur représentation dans la population générale de Toronto.

Les données indiquent en outre que le taux de fichage ou de contrôle de routine pour les jeunes hommes noirs (8 709,7 pour 1 000) est 4,3 fois plus élevé que la moyenne de la ville pour les hommes de ce groupe d’âge (2 044,8 pour 1 000) et 6,2 fois plus élevé que le taux de fichage pour les jeunes hommes blancs (1 415,6 pour 1 000). Afin de mettre en contexte ces constatations, les données suggèrent qu’entre 2008 et 2013, le SPT a effectué environ 8,7 interpellations pour chaque jeune homme noir résident de la ville, comparativement à seulement 1,4 interpellation pour chaque homme blanc de la même catégorie d’âge qui habitait à Toronto.

 Ces différences raciales ne peuvent être rejetées du revers de la main.

 

 

Tableau 4 : Données sur le fichage par le service de police de Toronto, 2008 à 2013, incidents de fichage impliquant de jeunes hommes résidents de Toronto (âgés de 15 à 24 ans)

Groupes raciaux

Nombre de résidents de Toronto (âgés de 15 à 24 ans)

Pourcentage de la population de Toronto de sexe masculin (15 à 24 ans)

Nombre de contrôles de routine impliquant des résidents de Toronto
 (âgés de 15 à 24 ans)

% de tous les contrôles de routine impliquant des résidents de Toronto
 (âgés de 15 à 24 ans)

Rapport de cotes

Taux de contrôle de routine
 (pour 1 000)

Personnes blanches

90 333

3,4

127 877

11,2

3,3

1 415,6

Personnes noires

13 503

0,5

117 607

10,3

20,6

8 709,7

Personnes à la peau brune

20 968

0,8

77 188

6,8

8,5

3 681,2

Autres groupes racialisés

42 234

1,6

18 884

1,7

1,1

447,1

Total

167 035

6,3

341 556

30,0

4,8

2 044,8

 

Une analyse plus approfondie des données sur le fichage par le SPT indique qu’un nombre disproportionné de fiches de contact concernait des personnes noires de tous les quartiers de Toronto, et ce, peu importe le taux de criminalité local ou la composition raciale. En effet, les résultats révèlent que, même si les personnes noires étaient surreprésentées dans les fiches de contact recueillies dans les quartiers à forte criminalité, cette surreprésentation était encore plus grande dans les fiches de contact provenant des quartiers à faible criminalité, principalement blancs (Meng, 2017; Rankin, 2010a; Rankin, 2010b; Rankin et Winsa, 2012). Cette constatation semble contredire l’argument selon lequel les personnes noires sont davantage interpellées que les personnes blanches uniquement parce qu’elles sont plus susceptibles de vivre ou de passer du temps dans des collectivités à forte criminalité. En fait, les données révèlent que les résident(e)s noir(e)s de Toronto sont plus susceptibles que les autres groupes raciaux d’être fiché(e)s dans les zones de patrouille où ils (elles) vivent de même que lorsqu’ils (elles) se déplacent à l’extérieur de leur voisinage immédiat.

Une analyse supplémentaire de l’ensemble de données provenant des fiches de contact du SPT indique que de nombreux contrôles de routine de la police ont été effectués pour des motifs d’« enquête générale ». En d’autres termes, ces contacts n’étaient pas liés à une infraction aux règlements de la circulation, une enquête criminelle ou une description de suspect spécifique. Par exemple, en 2008, le SPT a rempli 289 413 fiches de contact : 158 685 de ces contacts (55 %) ont été effectués pour des motifs d’« enquête générale »[18]. Conformément aux constatations générales, 24 % de ces interpellations dans le cadre d’une « enquête générale » concernaient des personnes noires (un taux trois fois plus élevé que celui de la représentation des personnes noires dans la population générale de Toronto). En revanche, moins de 1 % de toutes les interpellations enregistrées ont été effectuées pour des raisons de non-respect présumé de conditions de mise en liberté sous caution, d’activité présumée de gangs de rue, d’activité présumée impliquant une arme à feu, de vol qualifié présumé ou d’introduction par effraction présumée (Rankin, 2010b). On pourrait donc faire valoir que ces conclusions sont tout à fait compatibles avec les allégations de profilage racial et le fait que la couleur de la peau rend les personnes noires plus vulnérables aux enquêtes policières générales qui ne portent pas sur un motif précis ou un soupçon particulier. À tout le moins, elles servent à souligner le grand besoin de recherches et de suivis supplémentaires en la matière[19].

 

 

Données de 2014 sur les contrôles de routine à Toronto

Selon les nouvelles données du SPT obtenues par la CODP au sujet des contrôles de routine, le nombre de contrôles de routine effectués par le SPT a considérablement diminué, passant de 403 462 en 2012 à seulement 24 364 en 2014. Cette baisse spectaculaire est probablement attribuable aux préoccupations accrues du public au sujet des pratiques policières biaisées sur le plan racial et aux allégations de profilage racial par la communauté. Cette diminution concorde également avec la publication du rapport PACER du SPT (PACER, 2014). Ce rapport recommandait de cesser d’évaluer le rendement des agent(e)s de première ligne en fonction du nombre de contrôles de routine effectués pendant chaque quart de travail. Enfin, en 2012, la Commission de services policiers de Toronto a créé un sous-comité des contrôles de routine. Le sous-comité a finalement demandé au SPT de mettre en place un processus provisoire en lien avec l’émission d’un récépissé lors des contrôles de routine à compter du 1er juillet 2013. La mise en œuvre de ce processus de récépissé, qui exigeait que les agent(e)s du SPT remettent un récépissé à toutes les personnes faisant l’objet d’un contrôle de routine, a probablement contribué à la forte baisse du nombre de contrôles de routine entre 2012 et 2014. . Cependant, malgré la baisse spectaculaire du nombre total de contrôles de routine, l’analyse suivante révèle que les disparités raciales ont persisté en 2014.

Le tableau 5 présente des données relatives aux contrôles de routine effectués et documentés en 2014 par le service de police de Toronto. Les estimations de la population sont fondées sur le Recensement canadien de 2016. Il convient de souligner qu’en 2014, le SPT a ajouté deux catégories raciales à sa stratégie de classification en lien avec les contrôles de routine, soit Autochtones et Asiatiques. Il a toutefois continué d’utiliser une catégorie pour la couleur de peau « brune ». Aux fins de la présente analyse, les catégories raciales suivantes du recensement ont été regroupées dans la catégorie « personnes à la peau brune » : Asiatiques du Sud, Asiatiques de l’Ouest ou Arabes et Latino-Américain(e)s.

Encore une fois, les données suggèrent que la population noire est nettement représentée dans les contrôles de routine documentés par le service de police de Toronto en 2014. Par exemple, bien que les personnes noires ne représentent que 8,9 % de la population de Toronto (donnée mesurée par le Recensement de 2016), elles sont impliquées dans 26,5 % de tous les contrôles de routine que le SPT a réalisé en 2014. Cela signifie que les personnes noires ont une probabilité de figurer dans les données sur les contrôles de routine qui est 3,0 fois supérieure à ce que supposerait leur représentation dans l’ensemble de la population. Les données indiquent également

que les personnes autochtones sont surreprésentées dans les contrôles de routine à Toronto. Ainsi, proportionnellement à leur représentation dans la population, elles sont 2,9 fois plus susceptibles de figurer dans les statistiques sur les contrôles de routine. Tous les autres groupes raciaux sont sous-représentés dans les données de 2014 sur les contrôles de routine du SPT. Par contre, les personnes blanches apparaissent dans les données sur les contrôles de routine à un niveau correspondant à leur représentation au sein de la population générale.

Selon les données présentées au tableau 5, les personnes autochtones et noires ont de loin les taux de contrôles de routine les plus élevés. Les personnes autochtones présentent le taux le plus élevé (27,4 pour 1 000), suivies de près par les personnes noires (26,9 pour 1 000). Pour tous les autres groupes raciaux, les taux de contrôles de routine sont inférieurs à 10 pour 1 000. Ainsi, à Toronto en 2014, les taux de contrôles de routine pour les personnes autochtones (27,4) et les personnes noires (26,9) sont plus de trois fois plus élevés que celui des personnes blanches (8,6 pour 1 000).

Dans les données de 2014 fournies par le SPT, 1 204 contrôles de routine ne permettent pas de connaître la race des civil(e)s (soit 4,9 % de l’échantillon total). Ces données manquantes pourraient contribuer à la sous-estimation des disparités raciales. Ainsi, dans le tableau 6, nous éliminons les cas présentant des données manquantes et recalculons les rapports de cotes. Après exclusion des données manquantes, le pourcentage de contrôles de routine impliquant des civil(e)s noir(e)s passe de 26,5 % à 27,9 % et le rapport de cotes augmente de 3,0 à 3,1. En d’autres termes, après l’élimination des données manquantes, nous constatons que les personnes noires présentent une probabilité de figurer dans les données de 2014 sur les contrôles de routine du SPT 3,1 fois supérieure à ce que supposerait leur présence dans l’ensemble de la population.

De même, après exclusion des données manquantes, le pourcentage de contrôles de routine impliquant des civil(e)s autochtones passe de 2,6 % à 2,7 % et le rapport de cotes des personnes autochtones passe de 2,9 à 3,0. En d’autres termes, l’élimination des données manquantes permet de constater que les personnes autochtones présentent une probabilité de figurer au sein des données de 2014 sur les contrôles de routine à Toronto qui est 3,0 fois supérieure à ce que supposerait leur représentation dans l’ensemble de la population.

Les techniques d’analyse comparative du recensement présentent une faiblesse potentielle, soit qu’elles ne tiennent pas compte des contrôles de routine impliquant des non-résident(e)s du territoire à l’étude. L’argument avancé est que les personnes qui visitent la ville peuvent faire accroître le nombre de contrôles de routine de certains groupes raciaux. Heureusement, les données de 2014 sur les contrôles de routine à Toronto permettent de faire la distinction entre les résident(e)s et les non-résident(e)s. Le tableau 7 présente un nouveau calcul des rapports de cotes et des taux de contrôles de routine après que les données sur les contrôles de routine effectués à Toronto auprès de non-résident(e)s aient été retirées. Dans l’ensemble, les disparités raciales augmentent avec le retrait des non-résident(e)s des calculs. Par exemple, le rapport de cotes pour la population civile noire passe de 3,1 à 3,2 après la suppression des données concernant les non-résident(e)s. En d’autres termes,

les résident(e)s noir(e)s de Toronto ont une probabilité de figurer dans les données sur les contrôles de routine 3,2 fois supérieure à ce que supposerait leur représentation dans l’ensemble de la population. De plus, le taux de contrôles de routine des résident(e)s noir(e)s de Toronto (18,6 pour 1 000) est 3,3 fois plus élevé que celui des résident(e)s blanc(he)s (5,7 pour 1 000).

L’analyse comparative du recensement présente une autre faiblesse potentielle, soit le fait qu’elle ne tient pas compte des civil(e)s qui ont fait l’objet de multiples contrôles de routine. En effet, les personnes qui font l’objet de contrôles de routine à de multiples reprises pourraient faire grimper les taux de contrôles de routine pour tout un groupe racial. Le tableau 8 présente donc un nouveau calcul des rapports de cotes et des taux de contrôles de routine, en tenant compte des personnes qui ont été interpellées à plusieurs reprises. Les données présentées dans le tableau 8 éliminent l’influence des valeurs aberrantes en tenant compte de chaque civil(e) une seule fois.

Les données indiquent que 12 882 résident(e)s uniques de Toronto ont fait l’objet de 15 697 contrôles de routine distincts (environ 1,20 contrôle de routine par résident[e] de Toronto pour l’ensemble de données). Près de neuf personnes sur dix (88,2 %) ne figurent qu’une fois dans les données de 2014 sur les contrôles de routine du SPT. Seulement 11,8 % ont fait l’objet de deux contrôles de routine ou plus. Parmi l’ensemble de données, les personnes autochtones ont fait l’objet en moyenne de 1,39 contrôle de routine, suivies des personnes noires (moyenne de 1,26), des personnes asiatiques (moyenne de 1,24), des personnes blanches (moyenne de 1,17) et des personnes à la peau brune (moyenne de 1,13).

En ce qui a trait aux données de Toronto pour 2014, lorsque les résident(e)s ne sont dénombré(e)s qu’une seule fois, les disparités raciales demeurent inchangées. Par exemple, lorsque les personnes sont dénombrées une fois, les personnes noires sont toujours 3,1 fois plus susceptibles de figurer dans l’ensemble de données sur les contrôles de routine à Toronto que ce que le laisserait présager leur représentation dans l’ensemble de la population. De même, le taux de contrôles de routine pour les personnes noires (14,8 pour 1 000) demeure 3,1 fois plus élevé que celui des personnes blanches (4,8 pour 1 000).

Les données de Toronto de 2014 décrivent également la raison ou la justification du contrôle de routine (voir le tableau 9). Il convient également de noter qu’entre 2013 et 2014, des changements radicaux ont été apportés aux catégories de motifs des contrôles de routine. Les données suggèrent qu’en 2014, plus de la moitié des contrôles de routine de la police de Toronto (58,2 %) ont été classés comme des « enquêtes ». Aucun autre détail n’est fourni. De plus, 11,9 % des contrôles étaient liés à des « activités suspectes » et 10,9 % à des « véhicules ». Encore une fois, très peu de contrôles de routine portent explicitement sur des enquêtes criminelles précises. Par exemple, en 2014, seulement 1,9 % des contrôles de routine portaient sur des activités soupçonnées de gangs de rue (voir le tableau 10).

Le tableau 10 révèle qu’il existe des disparités raciales dans la plupart des types de contrôles de routine. En effet, à l’exception des contrôles de routine liés aux gangs de motards, les civil(e)s noir(e)s sont largement surreprésenté(e)s dans toutes les catégories de contrôles de routine. En revanche, les personnes autochtones sont principalement surreprésentées dans les contrôles ciblant des personnes vulnérables. De plus, d’autres groupes raciaux sont sous-représentés dans chaque catégorie de contrôles de routine. Fait intéressant, la population blanche est surreprésentée en ce qui a trait aux contrôles de routine liés aux gangs de motards et aux personnes vulnérables. Bien que la population civile noire ne représente que 8,9 % de la population, elle est ciblée par 63,1 % des contrôles de routine liés aux gangs de rue, 27,2 % des contrôles de routine liés aux stupéfiants et 25,86 % des « enquêtes générales » (voir le tableau 10).

 

 

Tableau 5 : Total des contrôles de routine réalisés par le service de police de Toronto en 2014, par groupe racial, estimation de la population basée sur le Recensement de 2016

Groupe racial

Estimation de la population (Recensement de 2016)

% de la population (Recensement de 2016)

Nombre de contrôles de routine

% de contrôles de routine

Rapport de cotes

Taux de contrôles de routine (pour 1 000)

Personnes autochtones

23 065

0,9

631

2,6

2,9

27,4

Personnes asiatiques

548 870

20,4

1 519

6,2

0,3

2,8

Personnes noires

239 850

8,9

6 455

26,5

3,0

26,9

Personnes à la peau brune

597 130

22,2

3 471

14,2

0,6

5,8

Données manquantes

----

----

1 204

4,9

----

----

Total

2 691 665

100

24 364

100,0

1,0

9,1

 

« Personne à la peau brune » comprend « Asiatique du Sud »,
« Latino-Américain(e) », « Arabe » et « Autre »

 

 

Tableau 6 : Total des contrôles de routine réalisés par le service de police de Toronto, 2014 par groupe racial (excluant les cas où les données sur la race sont manquantes), estimation de la population basée sur le Recensement de 2016

Groupe racial

Estimation de la population (Recensement de 2016)

% de la population (Recensement de 2016)

Nombre de contrôles de routine

% de contrôles de routine

Rapport de cotes

Taux de contrôles de routine (pour 1 000)

Personnes blanches

1 282 750

47,7

11 084

47,9

1,0

8,6

Personnes autochtones

23 065

0,9

631

2,7

3,0

27,4

Personnes asiatiques

548 870

20,4

1 519

6,6

0,3

2,8

Personnes noires

239 850

8,9

6 455

27,9

3,1

26,9

Personnes à la peau brune

597 130

22,2

3 471

15,0

0,7

5,8

Total

2 691 665

100

23 160

100,0

1,0

8,6

 

« Personne à la peau brune » comprend « Asiatique du Sud »,
« Latino-Américain(e) », « Arabe » et « Autre »

 

 

Tableau 7 : Total des contrôles de routine réalisés par le service de police de Toronto, 2014, par groupe racial, résident(e)s de la ville de Toronto seulement, estimation de la population basée sur le Recensement canadien de 2016

Groupe racial

Estimation de la population (Recensement de 2016)

% de la population (Recensement de 2016)

Nombre de contrôles de routine

% de contrôles de routine

Rapport de cotes

Taux de contrôles de routine (pour 1 000)

Personnes blanches

1 282 750

47,7

7 373

47,0

1,0

5,7

Personnes autochtones

23 065

0,9

363

2,3

2,6

15,7

Personnes asiatiques

548 870

20,4

1 078

6,9

0,3

2,0

Personnes noires

239 850

8,9

4 463

28,4

3,2

18,6

Personnes à la peau brune

597 130

22,2

2 420

15,4

0,7

4,1

Total

2 691 665

100

15 697

100,0

1,0

5,8

 

« Personne à la peau brune » comprend « Asiatique du Sud »,
« Latino-Américain(e) », « Arabe » et « Autre »

 

Tableau 8 : Nombre total de contrôles de routine réalisés par le service de police de Toronto, 2014, par groupe racial (résident[e]s de la ville de Toronto seulement — personnes uniques comptées une seule fois), estimations de la population basée sur le Recensement canadien de 2016

Groupe racial

Estimation de la population (Recensement de 2016)

% de la population (Recensement de 2016)

Nombre de contrôles de routine

% de contrôles de routine

Rapport de cotes

Taux de contrôles de routine (pour 1 000)

Personnes blanches

1 282 750

47,7

6 123

47,5

1,0

4,8

Personnes autochtones

23 065

0,9

303

2,4

2,7

13,1

Personnes asiatiques

548 870

20,4

886

6,9

0,3

1,6

Personnes noires

239 850

8,9

3 552

27,6

3,1

14,8

Personnes à la peau brune

597 130

22,2

2 018

15,7

0,7

3,4

Total

2 691 665

100

12 882

100,0

1,0

4,8

 

« Personne à la peau brune » comprend « Asiatique du Sud »,
« Latino-Américain(e) », « Arabe » et « Autre »

 

 

Tableau 9 : Motifs ou justifications des contrôles de routine effectués par le service de police de Toronto, 2014

Motifs du contrôle de routine

#

%

Drogue

2 319

9,5

Gang de motards ou crime organisé

204

0,8

Gang de rue ou armes à feu

464

1,9

Enquête

14 179

58,2

Activité suspecte

2 893

11,9

Véhicule

2 620

10,8

Contrôle ciblant des personnes vulnérables

1 685

6,9

Total

24 364

100,0

 

 

 

Tableau 10 : Pourcentage de civil(e)s ayant fait l’objet d’un contrôle de routine par le service de police de Toronto pour des raisons précises, par origine raciale, 2014

Motifs du contrôle de routine

Personnes blanches

Personnes autochtones

Personnes asiatiques

Personnes noires

Personnes à la peau brune

Données manquantes

Total de l’échantillon

Drogue

48,4

1,6

4,3

27,2

13,1

5,5

2 319

Gang de motards ou crime organisé

66,2

1,5

2,5

5,4

3,9

20,6

204

Gang de rue ou armes à feu

16,4

0,9

6,5

63,1

6,0

7,1

464

Enquête

45,9

3,1

6,6

25,8

14,3

4,3

14 179

Activité suspecte

45,3

2,3

5,6

25,9

16,6

4,3

2 893

Véhicule

35,7

0,9

5,6

32,7

17,6

7,5

2 620

Contrôle ciblant des personnes vulnérables

58,9

3,5

8,3

15,4

9,8

4,0

1 685

% de la population

47,7

0,9

20,4

8,9

22,2

 

-----

 

« Personne à la peau brune » comprend « Asiatique du Sud »,
« Latino-Américain(e) », « Arabe » et « Autre »

 

 

Contrôles de routine à Toronto dans le contexte canadien

Toronto n’est certainement pas la seule ville canadienne à afficher des disparités raciales considérables lorsqu’il est question des statistiques sur les contrôles de routine de la police. Par exemple, Charest (2009) a examiné 163 630 contrôles de routine ou d’identité réalisés par la police montréalaise (SPVM) entre 2001 et 2007. Les données montrent une augmentation marquée du nombre de contrôles d’identité de la population noire de Montréal au cours de la période d’étude. En 2006-2007, la population noire était quatre fois plus susceptible d’être interpellée et questionnée par la police que ce que supposerait sa représentation au sein de la population. En fait, 30 % de tous les contrôles d’identité effectués par la police montréalaise concernaient des personnes noires, même si celles-ci ne représentaient que 7 % de la population montréalaise (Charest, 2009, p. 3 [version originale en français]). Comme l’ont résumé Eid et coll., 2011, p. 26 :

Le rapport Charest a souligné « certaines des conséquences néfastes de la lutte contre les gangs de rue et les répercussions d’escouades comme Avance et Éclipse sur le volume et la qualité des contrôles d’identités des membres de groupes ethniques ». Il souligne qu’entre 2001 et 2007, la fréquence des contrôles d’identité a augmenté de façon significative à Montréal (60 % à Montréal, 125 % à Montréal-Nord et 91 % à Saint-Michel). De plus, il s’avère que ces augmentations sont principalement attribuables à l’interpellation des personnes d’« ascendance noire ».

De même, une enquête menée récemment par la Commission des droits de la personne de la Nouvelle-Écosse a révélé que, dans la région de Halifax, les personnes noires sont largement surreprésentées dans les statistiques sur les contrôles de routine. Bien qu’elles ne représentent que 3,7 % de la population, les personnes noires ont été impliquées dans 18,4 % des contrôles de routine effectués par la police locale entre 2006 et 2017. Cela signifie que les personnes noires ont une probabilité d’être impliquées dans les contrôles de routine cinq fois supérieure à ce que supposerait leur représentation dans l’ensemble de la population de Halifax. D’autres conclusions de l’enquête menée en Nouvelle-Écosse révèlent que :

  • Entre 2006 et 2017, le taux annuel moyen de contrôle de routine de la population noire de Halifax (156 pour 1000) était au moins six fois plus élevé que le taux de contrôles de routine de la population blanche (25 pour 1 000).
  • Bien que le nombre de contrôles de routine variait d’une année à l’autre, le niveau de surreprésentation des personnes noires est demeuré constant tout au long de la période d’étude.
  • Les hommes noirs sont particulièrement surreprésentés dans les statistiques sur les contrôles de routine. Le taux annuel moyen de contrôles de routine des hommes noirs (276 pour 1000) était 6,9 fois plus élevé que chez les hommes blancs (40 pour 1 000) et 22 fois plus élevé que chez les femmes blanches (23 pour 1 000).
  • De plus, bien que la population noire de Halifax soit plus jeune que la population blanche, les disparités raciales ne peuvent s’expliquer par des différences d’âge entre les deux groupes. En fait, les personnes noires font l’objet d’une surreprésentation considérable au sein des données relatives aux contrôles de routine, et ce, dans toutes les catégories d’âge.
  • Les différences raciales observées dans les contrôles de routine ne peuvent s’expliquer par les antécédents criminels ou par des individus uniques (valeurs aberrantes) ayant fait l’objet de multiples contrôles de routine.
  • Le lieu de résidence ne réduit pas les disparités raciales dans les statistiques sur les contrôles de routine par la police. Il existe des disparités raciales dans tous les secteurs de recensement de Halifax. En fait, le taux de contrôles de routine des personnes noires était plus élevé dans les collectivités à taux de criminalité faible à prédominance blanche que celles à taux de criminalité élevé à prédominance noire.
  • Les contrôles de routine ne semblent pas liés à la criminalité. Les augmentations et les diminutions des contrôles de routine ne sont pas liées aux variations des taux de criminalité de la collectivité au fil du temps (pour en savoir plus, voir Wortley, 2019).

Fait important, ces constatations concordent avec l’argument selon lequel des taux plus élevés de surveillance policière contribuent à la criminalisation de la communauté noire de la Nouvelle-Écosse. En effet, selon les dossiers de la police, environ le tiers des hommes noirs résidant à Halifax (30,9 %) ont été accusés d’au moins une infraction criminelle entre 2006 et 2017, comparativement à seulement 6,8 % des hommes blancs (Wortley, 2019).

Au cours des dernières années, de plus en plus de services de police canadiens ont rendu publiques des données sur les contrôles de routine. Lorsque les données raciales y figurent, les résultats (voir CODP, 2016; Aide juridique Ontario, 2016; Hoffman et coll., 2015) révèlent toujours que, peu importe la municipalité, les civil(e)s noir(e)s et les autres civil(e)s racialisé(e)s sont beaucoup plus susceptibles d’être soumis(es) à des contrôles de routine que les membres de la majorité blanche :

  • Entre 2011 et 2014, la police d’Ottawa a comptabilisé 23 403 contrôles de routine. Les résultats indiquent que les civil(e)s noir(e)s avaient une probabilité d’être soumis(es) à un contrôle de routine plus de trois fois supérieure à ce que supposerait leur représentation dans l’ensemble de la population. La population du Moyen-Orient avait quant à elle une probabilité d’être soumise à des contrôles de routine deux fois supérieure, tandis que les personnes blanches étaient sous-représentées (Yogaretham, 2015).
  • Entre 2010 et 2015, la police de Hamilton a effectué plus de 18 500 contrôles de routine. Les personnes noires présentaient une probabilité d’être soumises à un contrôle de routine quatre fois supérieure à ce que supposerait leur représentation dans l’ensemble de la population (CBC, 2015).
  • En 2014, la police de London a effectué 8 400 contrôles de routine. Les personnes noires et autochtones présentaient une probabilité de figurer parmi les données sur les contrôles de routine qui était plus de trois fois supérieure à ce que supposerait leur représentation dans l’ensemble de la population de London (O’Brien, 2016).
  • La police régionale de Peel a effectué 159 303 contrôles de routine entre 2009 et 2014. L’analyse des données relatives aux contrôles de routine révèle que la population noire avait une probabilité de figurer dans l’ensemble de données sur les contrôles de routine trois fois supérieure à son homologue blanche (Grewel, 2015).

De toute évidence, le service de police de Toronto n’est pas le seul service de police canadien en milieu urbain à procéder à des contrôles de routine ou au fichage. De plus, comme à Toronto, les données provenant d’autres villes canadiennes indiquent que la population noire est particulièrement vulnérable à cette forme proactive d’activité de surveillance policière. Toutefois, le service de police de Toronto se distingue des autres services de police par son taux élevé de recours à cette tactique, surtout entre 2008 et 2013. Le tableau 11 compile les données issues de diverses publications sur les contrôles de routine, ainsi que les estimations démographiques du Recensement de 2016, afin de produire des taux de contrôles de routine par tranche de 1 000 pour diverses villes canadiennes.

En raison de la croissance de la population, les projections de 2016 permettent une estimation plus prudente des contrôles de routine que les projections des années précises pendant lesquelles les données relatives aux contrôles de routine ont été recueillies. Néanmoins, les données révèlent qu’à Toronto, entre 2008 et 2013, le taux moyen de contrôles de routine était de 125,6 pour 1000. Ce taux est beaucoup plus élevé que celui de tous les autres services de police canadiens. Au cours de cette période, le taux de routine à Toronto (125,6 pour 1 000) était 4,3 fois plus élevé que celui de Halifax (29,4 pour 1000) — la province canadienne affichant le deuxième taux de contrôles de routine le plus élevé. Le taux de Toronto est également 5,7 fois plus élevé que celui de Calgary (21,9 pour 1000), six fois plus élevé que celui des services de police régionaux d’Edmonton et de Peel, 20 fois plus élevé que celui du service de police d’Ottawa, et 30 fois plus élevé que celui du service de police de Hamilton. Ces données indiquent clairement que la population de Toronto en général, et la population noire de Toronto en particulier, a toujours été plus susceptible d’être exposée aux pratiques policières de fichage ou de contrôles de routine que la population de tout autre centre urbain canadien.

 

 

Tableau 11 : Taux de contrôles de routine pour 1 000 dans diverses municipalités canadiennes

Ville

Taille de la population

Période de collecte de données sur les contrôles de routine

Nombre de contrôles de routine effectués

Nombre moyen de contrôles de routine effectués chaque année

Taux annuel moyen de contrôles de routine pour 1 000

Toronto

2 688 742

2008-2013

2 026 258

337 710

125,6

Calgary

1 230 915

2015

27 000

27 000

21,9

Edmonton

899 447

2009-2014

105 306

17 551

19,5

Région de Peel

1 381 739

2009-2014

159 303

26 550

19,2

London

494 069

2014

8 400

8 400

17,0

Halifax

403 390

2006-2017

142 456

11 871

29,4

Montréal

1 753 034

2001-2007

163 630

23 376

13,3

Ottawa

934 243

2011-2014

23 403

5 850

6,3

Hamilton

747 545

2010-2015

18 500

3 083

4,1

Vancouver

603 502

2008-2017

97 281

9 728

16,1

 

Le tableau 12 présente les rapports de cotes par race pour certains services de police de l’Ontario. Comme il a été mentionné précédemment, un rapport de cotes supérieur à 1,00 indique que les membres d’un groupe racial particulier sont surreprésentés dans les données relatives aux contrôles de routine d’un secteur de compétence. Un rapport de cotes inférieur à 1,00 indique que le groupe est sous-représenté. Aux fins du présent rapport, nous considérons qu’un rapport de cotes de 1,50 ou plus indique qu’un groupe est considérablement surreprésenté dans les données sur les contrôles de routine de la police. Un rapport de cotes de 1,50 indique qu’un groupe est 50 % plus susceptible de figurer au sein des données relatives aux contrôles de routine que ne le supposerait sa représentation dans l’ensemble de la population. Les données révèlent que les personnes noires sont considérablement surreprésentées dans les données relatives aux contrôles de routine pour huit des neuf secteurs de compétence de la police pour lesquels des données pourraient être obtenues. La Police provinciale de l’Ontario (OPP) constitue la seule exception. En effet, à Toronto, à Peel, à Ottawa, à London, à Kingston et à Hamilton, les personnes noires ont une probabilité de figurer dans les données sur les contrôles de routine qui est trois fois supérieure à ce que supposerait leur représentation dans l’ensemble de la population. Dans la région de York et dans la région de Waterloo, les personnes noires présentent une probabilité de figurer dans les données relatives aux contrôles de routine environ 4,5 fois supérieure à la population générale.

Les personnes autochtones font l’objet d’une surreprésentation au sein des données sur les contrôles de routine de London, Toronto (2014), Hamilton et de l’OPP. Dans d’autres secteurs de compétence, la représentation des personnes autochtones dans les données en lien avec les contrôles de routine est équivalente à leur représentation au sein de la population générale. Les résultats indiquent que les personnes d’ascendance moyen-orientale sont largement surreprésentées dans les données relatives aux contrôles de routine d’Ottawa, et des régions de York et de Peel, tandis qu’elles sont sous-représentées dans tous les autres territoires de compétence de la police. Les données indiquent en outre que les personnes d’origine « latino-américaine » sont considérablement surreprésentées dans les données portant sur les contrôles de routine du Peel Regional Police Service. Il est intéressant de noter que les données indiquent que les personnes d’origine asiatique et sud-asiatique sont considérablement sous-représentées dans les données relatives aux contrôles de routine pour tous les services de police concernés par la présente étude (c.-à-d. des rapports de cotes de 0,5 ou moins). Enfin, dans la plupart des cas, la représentation des personnes blanches dans les données sur les contrôles de routine correspond approximativement à leur représentation dans l’ensemble de la population (voir le tableau 12).

Le tableau 13 présente les taux annuels moyens de contrôles de routine, par race, pour chaque secteur de compétence de la police. Les données indiquent que, pour tous les secteurs de compétence de la police, le taux annuel de contrôles de routine des personnes noires est de 3,0 à 4,6 fois plus élevé que le taux de contrôles de routine des personnes blanches. La seule exception à cette règle concerne l’OPP. Il est important de noter que les données démontrent également que Toronto constitue aussi une exception, en particulier entre 2008 et 2013. Au cours de cette période, le taux annuel de contrôles de routine de la population noire de Toronto (352,6 pour 1 000) était environ cinq fois plus élevé que ceux des populations noires de tout autre secteur de l’Ontario. Autrement dit, en plus d’être assujetties à des taux de contrôles de routine plus élevés dans toutes les régions de l’Ontario, les personnes noires étaient particulièrement exposées aux contrôles de routine à Toronto (surtout entre 2008 et 2013). Il convient également de noter que, pour chaque groupe racial, les taux de contrôles de routine étaient beaucoup plus élevés à Toronto entre 2008 et 2013 que dans tout autre secteur. En fait, au cours de cette période, le taux annuel de contrôles de routine pour la population blanche de Toronto (122,6 pour 1 000) était beaucoup plus élevé que celui pour la population noire de tous les autres services de police de l’Ontario (voir le tableau 13).

 

 

Tableau 12 : Données relatives aux contrôles de routine de certains services de police de l’Ontario, rapports de cotes selon la race (les rapports de cotes supérieurs à 1,5 indiquent une surreprésentation importante dans les données relatives aux contrôles de routine)

Service de police

Période

Nombre total de contrôles de routine

Personnes blanches

Person-nes noires

Personnes autochtones

Personnes originaires du Moyen-Orient

Person-nes originai-res de l’Asie du Sud

Personnes asiatiques

Personnes latino-américaines

Personnes à la peau brune

Autre groupe racialisé

Ottawa

2006–2016

140 750

0,8

3,2

1,1

2,8

0,2

0,3

1,3

---

---

London

2013–2016

36 775

1,0

3,0

2,3

0,7

0,2

0,2

0,3

---

---

York

2013–2016

19 945

1,1

4,6

1,2

2,0

0,8

0,4

1,2

---

---

Waterloo

2006–2016

43 716

1,0

4,7

1,1

0,7

0,3

0,3

1,1

---

---

Kingston

2006–2016

31 668

1,0

3,1

0,9

0,3

0,4

0,2

1,0

---

---

Peel

2006–2007

29 770

0,9

3,3

0,8

2,0

0,6

0,4

1,8

---

---

Peel

2008–2016

173 725

1,0

3,0

1,0

1,3

0,6

0,4

2,0

---

---

Toronto

2008–2013

1 846 930

1,0

2,9

---

---

---

---

---

0,9

0,3

Toronto

2014

23 160

1,0

3,1

3,0

---

---

0,3

---

0,7

---

Hamilton

2006–2016

12 565

0,9

3,2

2,2

0,7

0,3

0,4

1,0

---

---

 

 

 

Tableau 13 : Taux annuels moyens de contrôles de routine (pour 1 000) pour certains services de police de l’Ontario, par race

Service de police

Période

Nombre total de contrôles de routine

Taux des personnes blanches

Taux des personnes noires

Taux des personnes autochtones

Taux des personnes originaires du Moyen-Orient

Taux des personnes originaires de l’Asie du Sud

Taux des personnes asiatiques

Taux des personnes latino-américaines

Taux des personnes à la peau brune

Taux des autres groupes racialisés

Ottawa

2006–2016

140 750

12,3

48,4

16,6

41,4

3,6

4,5

18,1

---

---

London

2013–2016

36 775

24,9

72,3

57,6

16,9

4,0

4,9

6,5

---

---

York

2013–2016

19 945

5,1

20,7

5,5

9,3

3,6

1,9

5,3

---

---

Waterloo

2006–2016

43 716

7,9

36,2

9,3

5,7

2,5

2,2

8,3

---

---

Kingston

2006–2016

31 668

25,2

75,1

22,5

8,0

10,6

4,0

25,7

---

---

Peel

2006–2007

29 770

11,8

42,8

10,6

26,8

7,8

4,7

23,7

---

---

Peel

2008–2016

173 725

12,9

48,2

18,6

24,9

11,1

5,4

33,3

---

---

Toronto

2008–2013

1 846 930

122,6

352,6

---

---

---

---

---

105,7

36,33

Toronto

2014

23 160

8,6

26,9

27,4

---

---

2,8

---

5,8

---

Hamilton

2006–2016

12 565

2,1

7,1

4,8

1,6

0,6

0,8

2,1

---

---

 

 

Synthèse

L’analyse ci-dessus présentant des données sur les contrôles de routine enregistrés officiellement par le SPT est tout à fait conforme aux résultats des entrevues qualitatives et des enquêtes menées auprès de la population générale. Les trois méthodes révèlent que les personnes noires sont largement surreprésentées lors des activités d’interpellations, de questionnement et de fouille réalisées par la police. De plus, à Toronto, entre 2008 et 2013, le taux de contrôles de routine était beaucoup plus élevé que celui de tous les autres territoires desservis par la police au Canada. Cette constatation indique que la population noire de Toronto, comparativement aux personnes noires qui résident dans d’autres juridictions canadiennes, est particulièrement ciblée par le profilage racial de la police.

 

Incidence du Règlement de l’Ontario sur les contrôles de routine

Le 1er janvier 2017, le gouvernement de l’Ontario a mis en œuvre un nouveau règlement visant à régir le déroulement des contrôles de routine (Règlement de l’Ontario 58/16). Il semble que la mise en œuvre de ce règlement ait permis d’abolir pour ainsi dire les pratiques policières traditionnelles en matière de contrôle de routine dans toute la province, y compris celles du service de police de Toronto (Tulloch, 2019). La figure 5 présente le nombre de contrôles de routine officiellement documentés par le SPT entre 2008 et 2019. Le nombre annuel de contrôles de routine du SPT a augmenté progressivement, passant de 323 041 en 2008 à 403 662 en 2012.

En 2012, la question des contrôles de routine était devenue une question d’intérêt public et le SPT faisait face à des allégations de profilage racial. À la suite d’un examen interne des pratiques en matière de contrôle de routine et de l’adoption d’une nouvelle politique relative aux contrôles de routine, le nombre de contrôles de routine documentés par le SPT a chuté pour atteindre 189 536 en 2013, puis 24 364 en 2014 (PACER, 2014). Il semblerait qu’un moratoire sur les contrôles de routine ait été imposé en 2015 et 2016. Aucun contrôle de routine n’a été officiellement enregistré par le SPT au cours de cette période de deux ans. Le Règlement de l’Ontario sur les contrôles de routine est entré en vigueur en 2017. Depuis, les statistiques officielles indiquent que le SPT n’a effectué que 28 contrôles de routine : 25 en 2017, deux en 2018 et un seul en 2019. Selon les statistiques officielles de la police, les contrôles de routine ne sont plus d’actualité.

La disparition des contrôles de routine des statistiques policières officielles mène à une nouvelle question de recherche : l’élimination des contrôles de routine a-t-elle réglé le problème du profilage racial au sein des services policiers? Des recherches antérieures laissent fortement entendre que la définition de « contrôle de routine » préconisée par les membres de la collectivité diffère grandement de celle adoptée par les agent(e)s de police. Pour les membres de la collectivité, faire l’objet d’un contrôle de routine signifie se faire interpeller, questionner et fouiller par la police, tandis que pour les agent(e)s de police, cela fait référence à un éventail beaucoup plus restreint d’activités techniques associées à la collecte de renseignements (voir Wortley, 2019a). Il est également évident que les contrôles de routine sont beaucoup moins fréquents que les contrôles aux fins d’enquête réalisés par la police. Par exemple, entre 2013 et 2014, le service de police d’Ottawa a effectué plus de 81 000 contrôles routiers, comparativement à seulement 20 000 contrôles de routine (Foster et coll., 2016). Par conséquent, même si les contrôles de routine ne semblent plus exister, il convient de creuser davantage à savoir si des disparités raciales subsistent au sein des pratiques policières d’interpellation, de questionnement et de fouille (IQF). De nouvelles données tirées de trois études récentes laissent entendre que, malgré les règlements portant sur les contrôles de routine, il existe encore des différences raciales alarmantes en ce qui a trait aux pratiques d’IQF de la police.

Le Guns and Youth Violence Project de Toronto comprend des entrevues approfondies auprès de 492 jeunes âgé(e)s de 16 à 24 ans, vivant dans des collectivités économiquement défavorisées à forte criminalité de la ville de Toronto. Toutes les entrevues ont été menées en 2018 ou en 2019, soit une année complète après l’entrée en vigueur du Règlement de l’Ontario sur les contrôles de routine. Près des trois quarts des personnes composant l’échantillon (74,2 %) se sont identifiées comme des personnes noires. Un tiers (32,1 %) ont indiqué s’être fait arrêter au moins une fois au cours de leur vie. On a demandé à l’ensemble des répondant(e)s s’ils (si elles) s’étaient fait interpeller ou questionner par la police au cours de la dernière année. Au total, 197 répondant(e)s (40,0 % de l’échantillon) ont déclaré s’être fait interpeller par la police au moins une fois au cours de la dernière année, et 19 % ont déclaré avoir fait l’objet d’une fouille. Il convient de noter que le nombre d’interpellations par la police dont ce petit échantillon de 197 personnes a fait mention est 64 fois plus élevé que le nombre total de contrôles de routine officiels enregistrés par le service de police de Toronto au cours de la même période (trois).

Les données de ce projet ont également révélé que les personnes noires composant l’échantillon (44,6 %) étaient beaucoup plus susceptibles de déclarer avoir été interpellées par la police au cours de la dernière année que les répondant(e)s d’autres origines raciales (28 %). En effet, près d’un tiers des répondant(e)s noir(e)s (31,9 %) ont indiqué avoir été interpellé(e)s par la police à de multiples reprises au cours de la dernière année, comparativement à seulement 16,8 % des répondant(e)s d’autres origines raciales. De plus, 27,9 % des personnes noires composant l’échantillon ont indiqué avoir été fouillées physiquement par la police au cours de la dernière année, comparativement à seulement 14,6 % des répondant(e)s autre que noir(e)s. Ces différences raciales sont significatives sur le plan statistique (voir Wortley et coll., 2019).

Une étude intitulée Perceptions of the Toronto Police and the Impact of Rule Changes Under Regulation 58/16: A Community Survey (perceptions du service de police de Toronto et incidence des modifications de la réglementation en vertu du Règlement 58/16 : une enquête communautaire) a présenté des conclusions similaires (Fearon et Farrell, 2019). Cette étude a été menée par les professeurs Gervan Fearon (Université Brock) et Carlyle Farrell (Université Ryerson) pour le compte du comité PACER du service de police de Toronto et de la Commission de services policiers de Toronto (CSPT). Entre novembre et décembre 2017, un questionnaire structuré a été distribué à un échantillon aléatoire de 1 517 personnes habitant à Toronto. Une personne répondante sur quatre (24,4 %) s’est identifiée comme étant une personne noire, 23,3 % une personne blanche, 11,7 % une personne originaire de l’Asie du Sud, 8,3 % une personne originaire de l’Asie de l’Est, et 32,3 % comme appartenant à un autre groupe racial (Fearon et Farrell, 2019 : p. 9). L’enquête s’est intéressée à trois grands volets : 1) les perceptions du service de police de Toronto; 2) les opinions et les expériences relatives aux contrôles de routine; 3) la connaissance des membres de la collectivité des nouveaux règlements de l’Ontario sur les contrôles de routine qui sont entrés en vigueur le 1er janvier 2017.

La question suivante au sujet des contrôles de routine a été posée à l’ensemble des répondant(e)s :

Le fichage ou le contrôle de routine fait référence à une situation lors de laquelle un(e) agent(e) de police vous interpelle et vous pose une série de questions (p. ex., votre nom, votre âge, votre taille, votre poids, le nom de vos ami[e]s, etc.) pour ensuite inscrire ces renseignements sur une fiche de contact. Ces renseignements sont ensuite consignés dans une base de données pour être utilisés dans le cadre de futures enquêtes criminelles. Avez-vous déjà fait l’objet d’un fichage par la police de Toronto?

Les données indiquent que 170 répondant(e)s, soit 11,3 % de l’échantillon, ont déclaré avoir fait l’objet d’un fichage ou d’un contrôle de routine par la police de Toronto. Cependant, ma nouvelle analyse des données indique que les expériences en matière de contrôle de routine ne sont pas réparties de façon uniforme entre les groupes raciaux. En effet, 19,1 % des personnes répondantes noires déclarent avoir fait l’objet d’un contrôle de routine par le SPT, suivies de 10,3 % des personnes répondantes originaires de l’Asie du Sud, 5,5 % des personnes répondantes blanches et 4,1 % des personnes répondantes originaires de l’Asie de l’Est. Autrement dit, les répondant(e)s noir(e)s ont une probabilité de faire l’objet d’un contrôle de routine par la police qui est 3,5 fois supérieure à leurs homologues blanc(he)s. Au niveau bidimensionnel, cette différence raciale est significative sur le plan statistique. De plus, les auteur(e)s ont mené une analyse de régressions logistiques multivariée qui révèle que l’origine raciale des personnes noires demeure un indicateur important et significatif sur le plan statistique lorsqu’il est question de prédire les contrôles de routine par la police, même après la prise en compte d’autres facteurs pertinents sur le plan théorique. En effet, après contrôle d’autres variables comme le sexe, l’âge, la scolarité, le revenu et le taux de criminalité du quartier, les répondant(e)s noir(e)s étaient toujours 2,2 fois plus susceptibles de faire l’objet d’un contrôle de routine que les répondant(e)s blanc(he)s (Fearon et Farrell, 2019, pp. 66–67).

On a demandé à l’ensemble des personnes répondantes ayant déclaré avoir fait l’objet d’un contrôle de routine à quel moment elles avaient été fichées pour la dernière fois. Fait intéressant : 21 % ont indiqué avoir fait l’objet d’un contrôle de routine en 2017, soit l’année de l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation. Il est également intéressant de noter que, bien que ce petit sondage auprès de 1 500 personnes ait permis de documenter 34 contrôles de routine en 2017, le service de police de Toronto n’a officiellement enregistré que 25 contrôles de routine cette année-là, et ce, pour les 2,7 millions de personnes formant la population de Toronto. Cette conclusion renforce l’argument selon lequel, même si les contrôles de routine officiels ont effectivement été abolis, la police peut quand même interpeller et questionner les gens d’une manière qui correspond à du profilage racial. Comme le font remarquer Fearon et Farrell :

Il est également intéressant de noter que 21 % des répondant(e)s ont déclaré s’être fait ficher au cours de l’année civile 2017 (soit l’année de l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation), comparativement à 19 % des répondant(e)s qui ont déclaré s’être fait ficher au cours de l’année précédente, lorsque la nouvelle réglementation n’était pas encore en vigueur (tableau 48). Par conséquent, on peut conclure que l’imposition de cette nouvelle réglementation n’a pas fait diminuer le taux de fichage de la population de Toronto (Fearon et Farrell, 2019, p. 56).

Le dernier sondage à prendre en compte est une reproduction partielle d’une enquête initialement menée en 1994 à l’intention de la Commission sur le racisme systémique dans le système de justice pénale de l’Ontario. Le sondage initial (dont il est question ci-dessus), mené par l’Institute for Social Research de l’Université York, a porté sur un échantillon aléatoire de plus de 1 200 personnes résidant à Toronto et s’identifiant comme étant blanches, noires ou chinoises (plus de 400 répondant[e]s de chaque groupe racial). Cette enquête — la première du genre au Canada — interrogeait les répondant(e)s de façon détaillée sur leurs expériences et leurs perceptions du système de justice pénale canadien. Il est important de noter que l’enquête de 1994 a été reproduite en 2007 par le Hitachi Survey Research Centre de l’Université de Toronto. Les enquêtes de 1994 et de 2007 ont donné lieu à plusieurs rapports et publications dans des revues spécialisées (voir Commission sur le racisme systémique,1995; Wortley, 1996; Wortley et coll., 1997; Wortley et Tanner, 2003; Wortley et Tanner, 2005; Wortley et Owusu-Bempah, 2009; Wortley et Owusu-Bempah, 2011; Owusu-Bempah et Wortley, 2013; Wortley et Owusu-Bempah, 2016).

Le sondage le plus récent a été mené en ligne par Environics Research, au nom de la Canadian Association of Black Lawyers et d’Aide juridique Ontario (voir https://cabl.ca/race-and-criminal-injustice-new-report-from-cabl-ryerson...
and-the-university-of-toronto-confirms-significant-racial-differences-in-perceptions-and-experiences-with-the-ontari/). Environics a interrogé 1 450 personnes de 18 ans et plus, habitant dans la région du Grand Toronto (RGT). Des quotas ont été établis pour veiller à ce que l’échantillon final soit composé d’au moins 450 répondant(e)s provenant de chacun des trois groupes raciaux : 450 répondant(e)s se sont identifiés comme étant noir(e)s, 450 comme étant asiatiques (y compris les personnes d’origine chinoise, coréenne, japonaise) et 550 comme étant blanc(he)s ou d’origine caucasienne. Le sondage a été mené entre le 16 mai et le 29 juillet 2019, soit plus de deux ans après la mise en œuvre du Règlement de l’Ontario sur les contrôles de routine.

Bon nombre des questions du sondage de 2019 étaient identiques à celles du sondage de 1994 et de 2007. Cette particularité permet une analyse des tendances ou une comparaison des réponses des personnes noires, blanches et asiatiques aux questions posées au sujet de la police et des tribunaux criminels au cours des 25 dernières années (Wortley et Owusu-Bempah, 2020)[20].

Comme pour les versions précédentes du sondage, on a demandé à l’ensemble des personnes ayant répondu au sondage de 2019 si elles se sont fait interpeller et questionner par la police, alors qu’elles étaient à pied ou au volant d’un véhicule, au cours des deux dernières années. Les résultats confirment que les personnes noires sont beaucoup plus susceptibles de faire l’objet d’une surveillance policière que les personnes d’autres groupes raciaux. Encore une fois, ces résultats sont tout à fait conformes aux allégations de profilage racial. Dans l’ensemble, 40,4 % des répondant(e)s noir(e)s ont déclaré s’être fait interpeller par la police au moins une fois au cours des deux dernières années, comparativement à seulement 24,7 % des répondant(e)s blanc(he)s et 24,9 % des répondant(e)s asiatiques. Cependant, les résultats révèlent en outre que les répondant(e)s noir(e)s sont particulièrement susceptibles de faire l’objet de plusieurs interpellations par la police. En effet, un quart des personnes répondantes noires (26,2 %) ont déclaré avoir été arrêtées deux fois ou plus au cours des deux dernières années, comparativement à seulement 11,8 % des répondant(e)s asiatiques et 9,8 % des répondant(e)s blanc(he)s. Ces différences raciales sont très significatives sur le plan statistique (voir le tableau 14).

Une analyse supplémentaire révèle que les hommes noirs sont particulièrement susceptibles de faire l’objet d’interpellations policières. Dans l’ensemble, la moitié des hommes noirs (49,2 %) déclarent s’être fait interpeller par la police au moins une fois au cours des deux dernières années, comparativement à seulement 25,9 % des hommes blancs et 29,8 % des hommes asiatiques. Les hommes noirs sont également plus nombreux à déclarer avoir fait l’objet de plusieurs interpellations policières. Un tiers des hommes noirs (34,2 %) ont rapporté s’être fait interpeller par la police deux fois ou plus au cours des deux dernières années, comparativement à seulement 15,6 % des hommes asiatiques et 9,1 % des hommes blancs. À titre d’autre exemple, 21 répondants de l’échantillon ont indiqué avoir été la cible de 10 interpellations policières ou plus au cours des deux dernières années. Parmi ces 21 répondants, 15 (71,4 %) étaient des hommes noirs, bien que les hommes noirs ne représentent que 13,3 % de l’échantillon total. Ces différences raciales sont très significatives sur le plan statistique (voir le tableau 15).

Même si les hommes sont beaucoup plus susceptibles que les femmes d’être interpellés par la police, il existe également des différences raciales dans l’exposition des femmes aux interpellations policières (voir le tableau 16). En général, les femmes noires se font davantage interpeller par la police que les femmes blanches ou asiatiques. Par exemple, 33,8 % des répondantes noires ont déclaré s’être fait interpeller par la police au moins une fois au cours des deux dernières années, comparativement à seulement 23,4 % des femmes blanches et à 20,6 % des femmes asiatiques. Ces différences raciales sont significatives sur le plan statistique. Il est également important de noter que les femmes noires (20,2 %) sont plus susceptibles de déclarer plusieurs interpellations policières que les hommes blancs (9,1 %) ou asiatiques (15,6 %).

Fait important, l’analyse statistique multivariée révèle que les antécédents raciaux des personnes noires demeurent un bon indicateur lorsqu’il est question de prédire les interpellations policières, après prise en compte d’autres variables pertinentes sur le plan théorique, y compris l’âge, le niveau de scolarité, le revenu, le statut d’immigration, le fréquence de conduite d’un véhicule, la participation à des activités de loisirs en soirée, le niveau de criminalité et de désordre de la collectivité, la victimisation avec violence, la consommation de stupéfiants et les antécédents criminels. Après prise en compte des autres variables, les données indiquent que les personnes noires ont une probabilité 1,9 fois plus élevée de déclarer une ou plusieurs interpellations policières, 2,8 fois plus élevée de déclarer deux interpellations ou plus, 7,3 fois plus élevée de déclarer trois interpellations ou plus, et 9,0 fois plus élevée de déclarer quatre interpellations ou plus. Une analyse supplémentaire révèle qu’une fois que d’autres variables ont été prises en compte dans les statistiques, les personnes noires présentent une probabilité 6,1 fois plus élevée d’être fouillées par la police lors d’une interpellation (Wortley et Owusu-Bempah, 2020).

 

 

Tableau 14 : Pourcentage de personnes répondantes qui déclarent avoir été interpellées et questionnées par la police au cours des deux dernières années (contrôles routiers et piétonniers combinés), par race (sondage de 2019 de la CABL)

Nombre d’interpellations

Personnes noires

Personnes blanches

Personnes asiatiques

Aucune interpellation

59,6

75,3

75,1

Une interpellation

14,2

14,9

13,1

Deux interpellations ou plus

26,2

9,8

11,8

Total de l’échantillon

450

550

450

 

x2= 60,168, df = 4, p > .001

 

 

Tableau 15 : Pourcentage de personnes répondantes qui déclarent avoir été interpellées et questionnées par la police au cours des deux dernières années (contrôles routiers et piétonniers combinés), par race (sondage de 2019 de la CABL)

Nombre d’interpellations

Personnes noires

Personnes blanches

Personnes asiatiques

Aucune interpellation

50,8

74,0

70,3

Une interpellation

15,0

16,8

14,2

Deux interpellations ou plus

34,2

9,1

15,6

Total de l’échantillon

193

285

212

 

x2= 51,723, df = 4, p > .001

 

 

Tableau 16 : Pourcentage de personnes répondantes qui déclarent avoir été interpellées et questionnées par la police au cours des deux dernières années (contrôles routiers et piétonniers combinés), par race (sondage de 2019 de la CABL)

Nombre d’interpellations

Personnes noires

Personnes blanches

Personnes asiatiques

Aucune interpellation

66,1

76,6

79,4

Une interpellation

13,6

12,8

12,2

Deux interpellations ou plus

20,2

10,6

8,4

Total de l’échantillon

257

265

238

 

x2= 18,747, df = 4, p > .001

 

Les tableaux 17 et 18 présentent une comparaison des interpellations policières par territoire desservi par la police. Les résultats suggèrent que les différences raciales au sein des interpellations policières déclarées dans la RGT sont significatives sur le plan statistique. Cependant, elles sont beaucoup plus prononcées chez les personnes répondantes qui habitent dans la ville de Toronto que chez celles qui habitent ailleurs dans la RGT (c.-à-d. dans les régions de Peel, Durham, York et Halton). La population noire de Toronto semble particulièrement vulnérable aux interpellations policières multiples. Par exemple, 32,8 % de la population torontoise déclare avoir été interpellée par la police à plusieurs reprises au cours des deux dernières années, comparativement à seulement 18,7 % de la population noire qui réside ailleurs dans la RGT. Cette conclusion concorde parfaitement avec les données officielles dont il a été question ci-dessus et qui indiquent que le taux historique de contrôles de routine du SPT est beaucoup plus élevé que celui des autres services de police canadiens.

 

 

Tableau 17 : Pourcentage des personnes répondantes qui déclarent avoir été interpellées et questionnées par la police au cours des deux dernières années, par race (résident[e]s de Peel, Durham, York et Halton) (sondage de 2019 de la CABL)

Nombre d’interpellations

Personnes noires

Personnes blanches

Personnes asiatiques

Aucune interpellation

64,6

72,8

69,9

Une interpellation

16,7

17,9

16,9

Deux interpellations ou plus

18,7

9,3

13,2

Total de l’échantillon

209

302

219

 

x2= 9,610, df = 4, p > .048

 

 

Tableau 18 : Pourcentage des personnes répondantes qui déclarent avoir été interpellées et questionnées par la police au cours des deux dernières années, par race (résident[e]s de la ville de Toronto seulement) (sondage de 2019 de la CABL)

Nombre d’interpellations

Personnes noires

Personnes blanches

Personnes asiatiques

Aucune interpellation

55,2

78,2

80,1

Une interpellation

12,0

11,3

9,5

Deux interpellations ou plus

32,8

10,5

10,4

Total de l’échantillon

241

248

231

 

x2= 58,357, df = 4, p > .001

 

Comme nous l’avons vu précédemment, le sondage de 2019 est une reproduction d’enquêtes semblables menées en 1994 et en 2007. Le tableau 19 et la figure 6 présentent le pourcentage des personnes répondantes qui ont déclaré s’être fait interpeller au cours des deux dernières années, pour chaque année où l’enquête a été menée. Deux conclusions importantes se dégagent. Premièrement, les résultats de toutes les enquêtes indiquent que les répondant(e)s noir(e)s déclarent avoir des interactions involontaires avec la police à une fréquence beaucoup plus élevée que les répondant(e)s issu(e)s d’autres groupes raciaux. Deuxièmement, la fréquence des interpellations policières a augmenté considérablement entre 1994 et 2019. Par exemple, en 1994, seulement 16,8 % des répondant(e)s noir(e)s ont déclaré s’être fait interpeller par la police à deux reprises ou plus au cours des deux années précédentes. Ce chiffre grimpe à 21,0 % en 2007, et à 26,2 % en 2019. De même, en 1994, seulement 4,7 % des répondant(e)s asiatiques ont déclaré s’être fait interpeller par la police à deux reprises ou plus, comparativement à 12,5 % en 2007 et à 11,8 % en 2020. En revanche, le taux d’interpellations des personnes blanches est demeuré relativement stable. Autrement dit, les résultats de l’enquête révèlent que les disparités raciales observées dans les activités d’interpellations de la police sont devenues encore plus prononcées au cours de cette période de 25 ans.

 

Synthèse

Ces constatations revêtent une importance particulière à la lumière du nouveau Règlement de l’Ontario sur les contrôles de routine (Règl. de l’Ont. 58/16). Bien que les statistiques officielles suggèrent que les contrôles de routine ont été abolis après la mise en œuvre de ce règlement, les résultats de cette enquête de 2019, réalisée plus de deux ans après la mise en œuvre du règlement sur les contrôles de routine, indiquent que la police de la région de Toronto interpelle et questionne toujours les civil(e)s en grand nombre. De plus, les personnes noires continuent d’être interpellées et questionnées par la police à un taux beaucoup plus élevé que les membres d’autres groupes raciaux. Ainsi, même si le Règlement de l’Ontario sur les contrôles de routine a mené à l’abolition de la documentation officielle sur les contrôles de routine, il n’a pas permis de réduire les disparités raciales dans les activités d’interpellation et de questionnement de la police. L’élimination de la trace documentaire n’a pas fait disparaître toutes les preuves de profilage racial. Cette conclusion appuie également l’argument selon lequel la police devrait être tenue de recueillir des renseignements lors de toutes les interpellations policières, et pas seulement lors de celles qui donnent lieu à un contrôle de routine officiel. Cette question sera abordée dans la dernière section du présent rapport.

 

 

Tableau 19 : Pourcentage des personnes répondantes qui déclarent avoir été interpellées par la police au cours des deux dernières années, par race et par année du sondage (sondage de 2019 de la CABL)

Nombre d’interpellations

Personnes noires

Personnes blanches

Personnes asiatiques

1994

2007

2019

1994

2007

2019

1994

2007

2019

Aucune

71,9

66,1

59,6

81,8

78,8

75,3

85,4

71,9

75,1

Une

11,3

12,9

14,2

10,2

13,9

14,9

9,9

15,6

13,1

Deux ou plus

16,8

21,0

26,2

8,0

7,3

9,8

4,7

12,5

11,8

 

 

Résumé des données de recherche

Comme indiqué ci-dessus, les résultats d’études qualitatives, d’enquêtes par sondage et d’une analyse des données officielles sur les contrôles de routine du SPT mènent à une seule conclusion : la population noire de Toronto est soumise à des taux de surveillance policière beaucoup plus élevés que la majorité blanche ou les membres d’autres groupes raciaux minoritaires. À mon avis, cela constitue une preuve solide que le service de police de Toronto s’est adonné au profilage racial. De plus, des recherches menées au cours des deux dernières années laissent fortement entendre que le SPT continue de recourir à des tactiques d’interpellation, de questionnement et de fouille biaisées sur le plan racial, et ce, malgré les efforts déployés par le gouvernement de l’Ontario pour réglementer les contrôles de routine. Dans la section suivante du rapport, nous examinons l’argument selon lequel les contrôles de routine et les interpellations policières à des fins d’enquête constituent une stratégie efficace de prévention du crime. Les sections suivantes présentent les diverses conséquences associées au profilage racial. L’analyse révèle que les pratiques policières biaisées sur le plan racial présentent indéniablement plus d’inconvénients que d’avantages potentiels pour la sécurité publique[21].

 

Avantages perçus des interpellations policières

Au cours des dernières années, les agent(e)s de police nord-américain(e)s ont clamé de plus en plus que les tactiques de contrôle avec fouille et les contrôles de routine étaient des stratégies efficaces de prévention de la criminalité (Zimring, 2012). Ils (elles) soutiennent que ces tactiques sont particulièrement efficaces pour lutter contre les gangs de rue et réduire la violence armée. Les arguments en faveur des interpellations et du fichage comprennent les points suivants :

  • Les activités d’interpellation, de questionnement et de fouille (IQF) par la police peuvent entraîner la détection et la confiscation d’armes de poing illégales et de stupéfiants. En retirant les drogues, les armes à feu et les délinquant(e)s de la rue, on réduit les crimes violents en plus de sauver des vies.
  • Même lorsqu’elles sont infructueuses, les interpellations policières ont un effet dissuasif. En interpellant et fouillant les civil(e)s, particulièrement les membres de collectivités à forte criminalité, la police envoie le message que la violence et les crimes liés à la drogue sont pris au sérieux. Les délinquant(e)s finiront par prendre conscience de la grande assurance de la police en matière de détection et de punition, ce qui les dissuadera de transporter des drogues ou des armes en public. Cet effet dissuasif réduira les risques de crimes violents impliquant des armes à feu et rendra les collectivités plus sécuritaires.
  • Les tactiques d’interpellation, de questionnement et de fouille visent à responsabiliser les délinquant(e)s. Le fait d’interpeller des civil(e)s et d’exiger des pièces d’identité aidera les agent(e)s de police à repérer les délinquant(e)s qui font l’objet d’un mandat d’arrestation. Cette tactique aidera également la police à identifier les délinquant(e)s qui contreviennent à leurs conditions de libération conditionnelle ou de probation, ou à d’autres conditions imposées par le tribunal (y compris les conditions de mise en liberté avant le procès). En levant le voile sur le non-respect des conditions, les tactiques d’interpellation et de fouille permettent de mieux contrôler les délinquant(e)s qui omettent de se conformer aux sanctions communautaires. Ce contrôle accru aura pour effet de prévenir des formes plus graves de délinquance.
  • Habituellement, les membres de gangs et les trafiquant(e)s de drogue ne résident pas dans les collectivités auxquelles ils (elles) font subir un « régime de terreur ». Les tactiques de contrôles avec fouille peuvent aider à repérer les personnes qui ne sont pas autorisées à s’y trouver et à les tenir à l’écart des parcs de logements sociaux. De telles pratiques réduiront la criminalité et la peur de la criminalité dans les collectivités touchées.
  • L’interpellation des civil(e)s et la collecte de renseignements les concernant (fichage) peuvent améliorer le renseignement de la police. Par exemple, ces pratiques policières peuvent permettre la récolte de renseignements sur la population d’un quartier en particulier ou sur l’identité des personnes qui fréquentent des lieux précis à criminalité élevée. Le fichage peut également contribuer à l’identification des « personnes associées » aux criminel(le)s et à l’établissement d’un lien entre les délinquant(e)s et les témoins, les victimes et les complices potentiel(le)s. Ces renseignements peuvent aider la police à résoudre des crimes ou à décider quels individus ou groupes devraient être ciblés pour une enquête plus approfondie.

Malheureusement, ces arguments servis par la police tiennent rarement compte de la légitimité de ces tactiques d’interpellation, de questionnement et de fouille d’un point de vue légal. Même si ces tactiques sont efficaces, beaucoup ont soutenu qu’elles ne peuvent être tolérées parce qu’elles violent de toute évidence les droits civils fondamentaux (Tanovich, 2006). C’est précisément cette logique qu’a appliquée la juge Shira Scheindlin de la Cour de district des États-Unis pour le district Sud de New York lorsqu’elle a statué que la politique sur l’interpellation, le questionnement et la fouille (IQF) du NYPD était anticonstitutionnelle (Bergner, 2014). Après tout, on pourrait également soutenir que l’abolition de tous les droits civils et de toutes les règles de justice procédurale faciliterait la lutte contre le crime. Il serait plus simple pour la police de repérer les activités illégales et d’arrêter les contrevenant(e)s si elle ne pouvait interpeller, détenir, questionner et fouiller n’importe qui, n’importe quand, pour quelque raison que ce soit. Elle pourrait aussi lutter plus efficacement contre la criminalité si elle avait le pouvoir de perquisitionner sur-le-champ et sans mandat des maisons et des véhicules sans avoir à expliquer ou à justifier ses actes. Même si ces tactiques étaient très efficaces pour détecter les activités criminelles, appréhender les criminel(le)s et dissuader les délinquant(e)s de commettre d’autres crimes, elles violeraient les principes généraux de la démocratie et la règle de droit.

Outre les arguments philosophiques, les données de recherche sur l’efficacité réelle des activités d’interpellation, de questionnement et de fouille par la police sont peu nombreuses. Il n’existe pratiquement aucune donnée au Canada. Cependant, certaines études américaines laissent entendre que des stratégies policières ciblées et s’appuyant sur la théorie de la vitre cassée — y compris les pratiques policières dans les zones à risque et les tactiques de contrôle avec fouille — sont à l’origine d’une baisse importante de la criminalité dans des villes comme New York, La Nouvelle-Orléans et Los Angeles (voir Land, 2015; Braga, 2015; Braga, 2012; Durlauf et Nagin, 2011). Cependant, les sceptiques soutiennent que la plupart des études ne sont pas concluantes et ne tiennent pas compte d’autres facteurs qui pourraient expliquer les récentes diminutions de la criminalité, y compris les initiatives communautaires de prévention de la criminalité et les mouvements de lutte contre la violence qui ont émergé dans les communautés pauvres et racialisées. Les sceptiques soutiennent également qu’au cours des vingt dernières années, les crimes violents ont également diminué dans de nombreux centres urbains dans lesquels les tactiques agressives d’interpellation, de questionnement et de contrôle avec fouille sont rarement utilisées (voir Doob et Gartner, 2017; White et Fradella, 2016; Apel, 2015; Meares, 2014; Tonry, 2011).

Aux États-Unis, l’analyse récente des données sur la criminalité révèle également que les propriétés préventives en matière de criminalité des pratiques policières d’interpellation, de questionnement et de contrôle avec fouille sont plutôt limitées. Par exemple, Rosenfeld et Fornago (2012) ont examiné l’incidence des pratiques d’IQF sur les taux de vols qualifiés et de vols avec effraction à New York entre 2003 et 2010. Leur analyse multivariée a tenu compte d’un certain nombre d’autres facteurs, y compris la position désavantageuse et la stabilité du quartier, le pourcentage de personnes noires dans la collectivité et les tendances globales en matière de criminalité. Les résultats suggèrent que les pratiques d’IQF n’ont eu aucune incidence sur les taux de vols avec effraction et n’ont eu qu’une incidence faible et irrégulière sur les taux de vols qualifiés. D’après les résultats de l’étude, les auteurs affirment qu’on ne peut conclure que les pratiques d’interpellation, de questionnement et de fouille (IQF) sont sans conséquence.

Cependant :

[...] si répercussions il y a, celles-ci sont si localisées et se dissipent si rapidement qu’elles ne sont pas prises en compte dans les taux de criminalité annuels du poste de police, et encore moins dans la réduction de la criminalité à l’échelle de la ville depuis une décennie, que les fonctionnaires attribuent aux politiques. Si les pratiques d’IQF sont efficaces, mais que leurs répercussions sont très ciblées et éphémères, les élaborateur(-trice)s de politiques doivent décider si le renforcement d’une politique qui mène déjà à 700 000 interpellations policières par année est justifié, particulièrement compte tenu de la controverse qui persiste au sujet de l’incidence disproportionnée des pratiques d’IQF sur les minorités raciales et ethniques et de la possibilité qu’elles remettent en cause la légitimité du service de police, ce qui pourrait miner l’effet de ces pratiques sur la réduction de la criminalité à long terme (Rosenfeld et Fornago, 2012, pp. 117-118).

Dans une autre étude récente réalisée à New York, Weisburd et coll. (2015) ont constaté que, si l’on tient compte d’une variété d’autres facteurs à l’échelle de la collectivité, les quelque 700 000 interactions liées aux activités d’interpellation, de questionnement et de fouille menées chaque année par le NYPD contribuent à réduire la criminalité de seulement 2 %. Les auteur(e)s font remarquer que même le fait d’attribuer cette petite réduction de la criminalité aux pratiques d’IQF est problématique, parce qu’il est impossible de distinguer l’incidence des interpellations policières de leur simple présence dans la collectivité. En d’autres termes, l’incidence des pratiques d’IQF sur les taux de criminalité réels est probablement beaucoup plus faible que ce que prétendent leurs défenseur(-euse)s. Les auteur(e)s concluent qu’en dépit du fait que les pratiques policières de contrôle avec fouille peuvent avoir pour effet de diminuer légèrement la criminalité :

L’utilisation agressive des pratiques d’IQF pourrait dissuader la population de signaler les crimes à la police ou de collaborer aux enquêtes et à la collecte de renseignements de la police […]. La question est de savoir si cette approche (IQF) est la meilleure pour prévenir la criminalité dans les zones à risque, et si ses avantages sont plus importants que ses répercussions négatives possibles sur l’évaluation de la légitimité de la police par la population (Weisburd et coll., 2015, p. 50).

Il est intéressant de noter que, malgré des mises en garde importantes, la nouvelle réglementation et le déclin spectaculaire des activités d’interpellations avec fouille dans la ville de New York n’ont pas entraîné de hausse considérable des infractions avec violence ou des crimes contre les biens. En fait, les taux de criminalité ont continué de diminuer pour atteindre des creux historiques (voir Chaun et coll., 2015; Wegman, 2015; Bostock et Fessenden, 2014). Par exemple, en 2003, le NYPD a mené environ 160 000 enquêtes relatives aux interpellations, aux questionnements et aux fouilles. Il y a eu 597 homicides cette année-là. En 2011, le NYPD a eu recours aux pratiques d’IQF 685 000 fois, et le nombre d’homicides a chuté à 515. Après que les pratiques d’IQF ont été déclarées inconstitutionnelles, leur nombre a chuté à seulement 47 000 en 2013. Cependant, le nombre d’homicides a continué de diminuer, et seulement 333 homicides ont été enregistrés cette année-là (Weisburd et coll., 2015).

Une situation semblable semble se dessiner à Toronto. En raison des pressions exercées par le public et de la mise en œuvre d’une nouvelle politique, le nombre de fiches de contact remplies par le service de police de Toronto a diminué de plus de 75 % entre 2012 et 2014 (voir Rankin et Winsa, 2014). Toutefois, le taux de crimes violents à Toronto a continué de chuter au cours de cette période de deux ans. En 2015, le taux de crimes violents avait atteint son plus bas niveau depuis le milieu des années 1960 (voir Boyce, 2015).

Bien que les données canadiennes ne soient pas disponibles, les recherches américaines et britanniques nous indiquent que les pratiques policières d’interpellation, de questionnement et de fouille révèlent rarement des preuves directes d’activités criminelles. On a parfois comparé cela à chercher une aiguille dans une botte de foin. Par exemple, entre 2004 et 2012, le NYPD a mené environ 4 135 000 enquêtes sur les interpellations, les questionnements et les fouilles[22]. Seulement 46 000 de ces interpellations, soit un faible 1,1 %, ont mené à la perquisition de produits de contrebande, et seulement une interpellation sur 1 000 (0,01 %) a mené à la perquisition d’une arme à feu illégale (voir Torres, 2015). L’Angleterre connaît une situation semblable. Comme l’ont documenté Bowling et Phillips (2007), en Angleterre et au pays de Galles, le taux d’interpellations policières par habitant des personnes noires est environ 6,5 fois plus élevé que celui des personnes blanches. Cependant, les données concernant les personnes noires et les personnes blanches sont presque identiques : chez les deux groupes, environ 1 % des interpellations permettent de détecter une activité illégale. Le fait que ces taux ne varient pas selon la race pourrait être interprété comme une absence de préjugés raciaux. Cependant, les données sur les résultats, combinées au taux d’interpellation et de fouille par habitant, mettent en lumière une autre réalité : chaque année, en Angleterre et au pays de Galles, les personnes noires innocentes sont 6,5 fois plus susceptibles que les personnes blanches innocentes de faire l’objet d’une interpellation et d’une fouille non nécessaires de la part de la police. Ce fait pourrait miner la confiance du public à l’égard de la police — un sujet abordé plus en détail dans la prochaine section.

À Toronto, on a récemment fait valoir que l’élimination des contrôles de routine a contribué de façon importante à l’augmentation des crimes violents, y compris les fusillades et les homicides. Par exemple, en 2012, le SPT a effectué 403 662 contrôles de routine. En revanche, en 2018, il n’a effectué que deux contrôles de routine (une baisse de 403 660 contrôles de routine sur une période de six ans). Au cours de la même période, le nombre d’homicides commis à Toronto est passé de 57 en 2012 à 96 en 2018, soit une différence de 39 homicides (une augmentation de 68 %). Toutefois, même si nous reconnaissons l’argument selon lequel le fait de recourir fréquemment aux contrôles de routine aurait permis d’éviter les 39 homicides supplémentaires, les contrôles de routine continuent d’être perçus comme une méthode de prévention de la criminalité hautement inefficace. En effet, selon ces chiffres, à Toronto, 10 350 contrôles de routine seraient nécessaires pour prévenir un homicide.

De même, selon les statistiques du SPT, à Toronto, le nombre de fusillades est passé de 213 en 2012 à 424 en 2018, soit une différence de 211 fusillades (une augmentation de 99 %). Même si nous croyons que cette augmentation du nombre de fusillades aurait pu être évitée par des contrôles de routine, les données laissent entendre qu’il faudrait 1 913 contrôles de routine pour empêcher une seule fusillade. Ainsi, lorsqu’on considère l’impact négatif que les contrôles de routine ont eu sur la communauté noire, il faut remettre en question leur valeur en tant que moyen de prévenir la criminalité[23].

Toutefois, il ne faut pas totalement lier les mains de la police. Il ne faut pas oublier que les collectivités racialisées subissent parfois les répercussions négatives des niveaux élevés de violence et que, comme toute collectivité, elles souhaitent obtenir la protection de la police au besoin. Néanmoins, même les défenseur(-euse)s des pratiques d’interpellation, de questionnement et de fouille soutiennent maintenant que les interventions policières agressives et arbitraires de tous les civil(e)s « disponibles » doivent être considérablement réduites (Zimring 2012). De plus, le recours aux rapports d’interpellations policières pour évaluer le rendement des agent(e)s n’a pas su faire ses preuves. Dans des villes comme New York et Toronto, de telles politiques ont mené à l’augmentation considérable du nombre d’interpellations effectuées, ont réduit l’utilité de ces interactions et ont grandement nui aux relations entre la police et la collectivité (White et Fradella, 2015). Il faut adopter une approche plus ciblée et axée sur la collectivité.

La mise en œuvre de stratégies de dissuasion ciblées pourrait constituer une solution. Les défenseur(-euse)s de ces stratégies soutiennent qu’elles contribuent à réduire la violence grave tout en améliorant les relations souvent tendues entre la population et la police. Pour commencer, la dissuasion ciblée rassemble directement les leaders des communautés, les fournisseurs de services sociaux et les citoyen(ne)s ordinaires autour de la planification et la mise en œuvre d’initiatives de prévention de la violence. Les partenariats entre la police et la collectivité améliorent la transparence des activités de maintien de l’ordre et donnent à la population locale la chance de se prononcer et de jouer un rôle quant au travail de prévention de la criminalité. Grâce à divers outils d’analyse, y compris les intervenant(e)s de la collectivité, permettant d’identifier les individus, les groupes et les gangs au cœur des problèmes de criminalité locale, ces initiatives sont fortement axées sur les personnes à très haut risque. Autrement dit, elles évitent aux personnes qui respectent la loi d’être la cible de mesures de surveillance et d’enquêtes policières arbitraires.

La police déploie également des efforts concertés pour communiquer avec les personnes ciblées et les informer des conséquences d’un comportement criminel continu, ainsi que pour les renseigner sur les programmes et services communautaires qui les aideront à abandonner leur mode de vie criminel. Les membres de la collectivité ont tendance à apprécier la notion de justice derrière le fait d’offrir aux jeunes contrevenant(e)s une occasion de changer leur comportement plutôt que de simplement recourir aux arrestations et aux poursuites.

Enfin, la dissuasion ciblée est axée sur les questions de justice procédurale et de légitimité. Les délinquant(e)s ciblé(e)s sont traité(e)s avec dignité et respect. Les résultats préliminaires de l’évaluation indiquent que la stratégie de dissuasion ciblée a permis de réduire les taux de criminalité et d’améliorer la confiance de la collectivité dans les opérations policières (Goff et coll., 2015; Corsaro et Engel, 2015; Brunson, 2015; Land, 2015). De tels programmes pourraient représenter l’équilibre entre les préoccupations en matière de sécurité publique et le respect des droits civils que mérite la population canadienne.

 

Les conséquences du profilage racial

Les conséquences sociales et psychologiques du profilage racial et des pratiques policières d’interpellation, de questionnement et de fouille ont été amplement documentées (voir White et Fradella, 2016; Doob et Gartner, 2017; Glaser, 2015; Harris, 2002; Hart et coll., 2008; Tanovich, 2006; Commission des droits de la personne de l’Ontario, 2003; Tator et Henry, 2006; Bowling, 2011). En somme, les personnes qui ont la perception d’avoir été victimes de profilage racial se sentent souvent humiliées, effrayées, en colère, déprimées, frustrées et impuissantes.

Des recherches antérieures suggèrent en outre que le profilage racial — comme c’est le cas pour d’autres formes de racisme — est un problème qui affecte la qualité de vie des personnes et que l’exposition fréquente à des activités d’interpellation et de fouille par la police peut avoir une incidence négative sur la santé physique et mentale (voir White et Fradella, 2016; Glaser, 2015; Paradies et coll., 2015; Watts, 2014; Freeman, 2012; Pieterse et coll., 2012). La présente section du rapport vise toutefois à documenter de façon claire les conséquences du profilage racial sur le système de justice pénale.

Tout d’abord, la logique veut qu’il y ait un lien direct entre le degré de surveillance d’une personne par la police et la probabilité que celle-ci se fasse appréhender pour avoir enfreint la loi. Autrement dit, si les minorités raciales sont systématiquement interpellées et fouillées par la police plus souvent que les personnes blanches, elles sont également plus susceptibles d’être appréhendées, puis arrêtées pour avoir enfreint la loi que les personnes blanches qui adoptent exactement le même comportement. Ainsi, dans le cadre des activités d’interpellation et de fouille de la police, les différences raciales contribuent directement et de façon importante à la surreprésentation de certains groupes raciaux — en particulier les populations noires et autochtones du Canada — dans le système de justice pénale canadien (Wortley et Owusu-Bempah, 2016; Owus-Bempah et Wortley, 2014; Wortley et Owusu-Bempah, 2011a).

Aux États-Unis, de nombreux universitaires ont démontré que les pratiques policières d’interpellation et de fouille biaisées sur le plan racial, instaurées dans le cadre de la lutte contre la drogue, ont directement contribué à l’augmentation spectaculaire de la surreprésentation des personnes noires et d’origine hispanique dans le système correctionnel américain (Gabbidon et Greene, 2005; Walker et coll., 2004; Mauer, 1999; Cole, 1999; Tonry, 1995; Mann, 1993). Les critiques soutiennent en outre que les différentes pratiques de maintien d’ordre contribuent à expliquer pourquoi la majorité des personnes reconnues coupables de crimes liés à la drogue aux États-Unis sont noires et d’origine hispanique, même si la grande majorité des consommateur(-trice)s et des trafiquant(e)s de drogue sont blanc(he)s (Harris, 2002; Tonry, 1995).

Les données hypothétiques présentées au tableau 20 illustrent simplement comment le profilage racial peut influer sur la surreprésentation des minorités raciales dans le système de justice. Supposons qu’une communauté en particulier compte 2 000 résident(e)s âgé(e)s de 18 à 24 ans. Supposons également que de ce nombre, 1 000 jeunes sont noir(e)s et 1 000 jeunes sont blanc(he)s. Le taux de possession de stupéfiants pour usage personnel est exactement le même pour chaque groupe racial, soit 20 %. Autrement dit, la collectivité compte 200 jeunes noir(e)s et 200 jeunes blanc(he)s qui consomment des stupéfiants. Cependant, en raison des pratiques informelles de profilage racial de la police locale, 50 % des jeunes noir(e)s du quartier seront arrêté(e)s et fouillé(e)s par la police au cours de l’année, comparativement à seulement 10 % des jeunes blanc(he)s. Par conséquent, 100 des 200 jeunes noir(e)s qui consomment des stupéfiants seront repéré(e)s et accusé(e)s de possession de stupéfiants par la police, comparativement à seulement 20 des 200 jeunes blanc(e)s qui en consomment. Ainsi, le profilage de la population noire fera en sorte que les jeunes noir(e)s seront plus susceptibles d’être appréhendé(e)s pour avoir enfreint la loi que leurs homologues blanc(he)s. Ce processus finira par mener à la surreprésentation des jeunes noir(e)s dans le système de justice pénale. De plus, à la fin de l’année, au moment d’examiner ses statistiques sur les arrestations en lien avec la drogue, la police pourrait noter que 100 des 120 arrestations (83 %) effectuées dans ce quartier au cours de la dernière année impliquaient des jeunes noir(e)s. Cette statistique servira à renforcer davantage les pratiques de profilage racial. Autrement dit, le profilage racial peut devenir une prophétie autoréalisatrice.

 

 

Tableau 20 : Répartition hypothétique des jeunes dans une communauté fictive

Caractéristiques et résultats

Jeunes noir(e)s

Jeunes blanc(he)s

Nombre dans la communauté

1 000

1 000

Nombre consommant des stupéfiants

200

200

Pourcentage consommant des stupéfiants

20 %

20 %

Nombre ayant subi une fouille par la police au cours de la dernière année

500

100

Nombre étant en possession de drogue et accusé(e)s

100

20

Pourcentage de tou(te)s les consommateur(-trice)s de drogues repéré(e)s par la police

50 %

10 %

Bien sûr, cet exemple est peut-être trop simpliste, mais il démontre comment le profilage racial peut contribuer à la surreprésentation des minorités raciales dans le système de justice pénale. En effet, une enquête récente menée par la CODP indique que la population noire de Toronto est nettement surreprésentée dans un large éventail d’infractions discrétionnaires, y compris la possession de stupéfiants. Les auteur(e)s soutiennent que cette surreprésentation est directement liée au profilage racial et à la surveillance excessive des communautés noires par le SPT (Wortley et Jung, 2020). Il est également probable que le profilage racial et les pratiques de surveillance policière biaisées contribuent directement à la surreprésentation considérable des personnes noires dans les incidents impliquant un recours à la force par le SPT. Plus la personne est exposée aux interactions avec la police, plus la probabilité d’un recours à la force augmente. De plus, les résultats de l’enquête de la CODP révèlent que, comparativement à ceux impliquant des personnes blanches, les cas de recours à la force impliquant des personnes noires sont plus susceptibles de découler de pratiques policières proactives (c.-à-d. des interpellations) que d’appels de service (voir Wortley et Laniyonu, 2020).

Bien que le profilage racial contribue à la surreprésentation des personnes racialisées au sein du système de justice, cette surreprésentation nuit grandement aux communautés et aux familles racialisées sur les plans sociaux et économiques. Les chercheur(-euse)s parlent souvent de dommages collatéraux. Les dommages collatéraux associés à l’incarcération disproportionnée des minorités raciales, par exemple, peuvent comprendre des difficultés économiques, une stigmatisation sociale, des traumatismes et un sous-développement chez les enfants, une dissolution de la famille et une mauvaise santé physique et mentale (voir Pinard, 2010; Western et Wildeman, 2009; Foster et Hagan, 2009; Pager, 2009).

Une deuxième conséquence importante du profilage racial est que les expériences négatives d’interpellation et de fouille par la police peuvent miner la légitimité de la police et du système de justice pénale en général. En effet, un volume croissant de chercheur(-euse)s américain(e)s (White et Fradella, 2016; Glaser, 2015; Zhao et coll., 2015; Coraso et coll., 2015; Gau, 2012; Unnever et coll., 2011; Gabbidon et coll., 2011; Mbuba, 2010; Higgins et coll., 2010; Gibson et coll., 2010; Slocum et coll., 2010; Gabbidon et Higgins, 2009; Lurigio et coll., 2009; Higgins et coll., 2008; MacDonald et coll., 2007; Weitzer et Tuch, 2006; Reitzel et Piquero, 2006; Skogan, 2006; Skogan, 2005; Engel, 2005; Hagan et coll., 2005; Weitzer et Tuch, 2005; Tyler, 2005; Rosenbaum et coll., 2005; Brown et Benedict, 2002; Weitzer et Tuch, 2002), britanniques (Bradford, 2011; Bradford et coll., 2009; Bowling et Phillips, 2002) et canadien(ne)s (Sprott et Doob, 2014; Cao, 2011; Wortley et Owusu-Bempah, 2011a; Wortley et Owusu-Bempah, 2011b; Wortley et Owusu-Bempah, 2009; O’Connor, 2008; Wortley et coll., 1997; Wortley, 1996) ont établi de façon claire que certains groupes de minorités raciales, y compris les personnes noires, autochtones et d’origine hispanique, entretiennent des opinions beaucoup plus négatives au sujet de la police et du système de justice en général que les personnes blanches.

En outre, des recherches supplémentaires suggèrent qu’une grande partie de la disparité raciale dans les perceptions du système de justice pénale peut s’expliquer par une exposition disproportionnée aux activités d’interpellation et de fouille de la police. En effet, un certain nombre d’études ont maintenant établi que les personnes qui sont fréquemment interpellées et fouillées par la police ont moins confiance dans le système de justice et sont plus susceptibles de considérer les institutions de justice pénale comme étant biaisées. La recherche indique également que l’exposition indirecte au profilage racial (par l’entremise des expériences des membres de la famille et des ami[e]s) peut également avoir une incidence négative sur la perception à l’égard des forces de l’ordre, des tribunaux de juridiction criminelle et des services correctionnels (Zhao et coll., 2015; Bradford, 2011; Gabbidon et coll., 2011; Wortley et Owusu-Bempah, 2011b; Gibson et coll., 2010; Rosenbaum et coll., 2005; Bradford et coll., 2009; Wortley et Owusu-Bempah, 2009; Weitzer et coll., 2008; Skogan, 2006; Weitzer et Tuch, 2005; Tyler et Wakslak, 2004; Fagan et Davies, 2000; Wortley et coll., 1997; Wortley, 1996).

Il est à noter que ces mêmes études laissent entendre que les groupes raciaux qui présentent le plus haut niveau d’interaction involontaire avec la police ont tendance à avoir les opinions les plus négatives à l’égard des services policiers et la plus faible confiance dans le système de justice (voir Wortley et Owusu-Bempah, 2009). Par exemple, l’enquête de 2019 de Fearon et Farrell auprès des résident(e)s de Toronto a révélé que, conformément aux statistiques officielles de la police, les personnes noires étaient plus susceptibles de faire l’objet d’un contrôle de routine par la police que les personnes d’autres origines raciales. Les chercheurs ont également constaté que les personnes qui avaient fait l’objet d’un contrôle de routine faisaient moins confiance à la police que celles qui n’avaient pas été la cible de telles pratiques policières. Il n’est donc pas surprenant que, dans le cadre de cette enquête, les personnes noires aient exprimé beaucoup moins de confiance envers la police que les répondant(e)s d’autres origines raciales (Fearon et Farrell, 2019).

Le sondage de 2019 de la CABL auprès des résident(e)s de Toronto, dont il a été question ci-dessus, a produit des résultats comparables. En général, l’enquête a révélé que, comparativement à leurs homologues blanc(he)s et asiatiques, les personnes noires ont beaucoup moins confiance en la police et sont beaucoup plus susceptibles de considérer que la police fait preuve de préjugés raciaux. Une analyse multivariée révèle que la méfiance des personnes noires à l’égard des services de maintien de l’ordre peut s’expliquer en partie par leurs taux plus élevés d’expériences directes et indirectes des pratiques de la police en matière d’interpellation et de fouille (Wortley et Owusu-Bempah, 2020).

Dans l’ensemble, les éléments de preuve indiquent que le profilage racial auquel se livre la police contribue à expliquer pourquoi la population noire canadienne la considère comme ayant davantage un parti pris racial que tout autre secteur d’activité de la société canadienne. Par exemple, dans le cadre du sondage de 2015 du Black Experience Project, les répondant(e)s se sont vu poser la question suivante :

Dans quelle mesure pensez-vous que la population noire de la RGT subit un traitement injuste dans les situations suivantes en raison de la couleur de sa peau? Diriez-vous que cela arrive fréquemment, occasionnellement, rarement ou jamais?

Les résultats révèlent que 86,3 % des répondant(e)s estiment que les personnes noires sont fréquemment soumises à un traitement injuste de la part de la police. En revanche, seulement 66,9 % des répondant(e)s estiment que les personnes noires sont fréquemment traitées injustement dans le secteur de l’emploi, et seulement 40,8 % croient qu’elles sont fréquemment traitées injustement dans le système d’éducation (voir figure 7).

Les perceptions négatives à l’égard du système de justice ou le manque de confiance envers la police ont des conséquences profondes sur le fonctionnement du système de justice. Par exemple, plusieurs recherches ont conclu que les personnes qui entretiennent une mauvaise perception du système de justice sont moins susceptibles de collaborer aux enquêtes policières et de témoigner devant les tribunaux (Gibson et coll., 2010; Slocum et coll., 2010; Tyler et Fagan, 2008; Hart et coll., 2008; Brunson, 2007; Stewart, 2007; Tyler, 2006; Brown et Benedict, 2002). De plus, un certain nombre de points de vue théoriques, y compris la théorie de Tyler sur la légitimité et la conformité (Tyler, 2006) et la théorie de Sherman sur le fait de défier l’autorité (Sherman, 1993) soutiennent que les personnes qui ont une mauvaise perception de la police et du système de justice en général sont moins susceptibles d’obéir à la loi que celles qui conçoivent le système comme étant légitime. En effet, de plus en plus d’études empiriques fournissent des preuves empiriques solides à l’appui de cette hypothèse, à savoir que les personnes qui estiment qu’il y a présence d’un niveau élevé de préjugés raciaux ou de discrimination dans la société sont plus susceptibles d’adopter un comportement criminel que les autres (voir Burt, 2015; Coroso et coll., 2015; James et Warner, 2015; Augustyn et Ward, 2015; Penner et coll., 2014; Intravia et coll., 2014; Martin et coll., 2010; Bouffard et Piquera, 2010; Wortley et Tanner, 2008; Stewart, 2007; Kane, 2005; Caldwell et coll., 2004; Tyler et Wakslak, 2004).

Autrement dit, les personnes qui estiment que le système de justice — et la société en soi — est fondamentalement injuste ou partial ont plus de facilité à justifier leurs actes criminels et à neutraliser la culpabilité qu’elles pourraient ressentir. De plus, en raison de leur mauvaise relation avec la police et de leur perception négative à son égard, certaines personnes racialisées estiment qu’elles doivent assumer la responsabilité de leur propre sécurité et recourir à la justice de rue, ce qui accroît davantage le niveau de violence dans les communautés composées de minorités raciales défavorisées (voir Coroso et coll., 2015; Intravia et coll., 2014; Stewart, 2007). En somme, les différences raciales dans les activités d’interpellation et de fouille contribuent aux perceptions négatives des civil(e)s racialisé(e)s à l’égard de la police et du système de justice. Ces perceptions négatives, quant à elles, entraînent un manque de collaboration avec la police et les tribunaux et, en définitive, contribuent à la participation des minorités raciales à la criminalité et à la violence.

En résumé, la documentation issue de recherche démontre de façon claire que les contrôles de routine — aussi appelés tactiques d’interpellation, de questionnement et de fouille par la police — ne sont pas inoffensifs et ne devraient donc pas être tolérés au nom de la sécurité publique ou de la prévention de la criminalité. Les données empiriques suggèrent fortement qu’ils génèrent plus de coûts que d’avantages. En effet, en ce qui concerne les activités de surveillance policière, les préjugés raciaux peuvent avoir des répercussions extrêmement néfastes sur les personnes, les collectivités et le fonctionnement du système de justice pénale. Après avoir examiné de nombreux ouvrages universitaires au sujet des interpellations policières, Tony Doob et Rosemary Gartner, d’éminent(e)s criminologues canadien(ne)s, en sont arrivé(e)s à la même conclusion :

La police a plusieurs rôles importants à jouer dans la sécurité publique et le fonctionnement du système de justice pénale. Les conclusions que nous citons ici, et qui laissent entendre que certaines approches à l’égard de la criminalité et de la protection de la population ne fonctionnent pas ou ont, en général, des répercussions négatives, devraient être replacées dans ce contexte plus large. Peut-être que la conclusion à tirer — et possiblement la moins controversée — concernerait la nécessité de surveiller et d’évaluer les politiques policières liées aux contrôles de routine pour veiller à ce que les avantages l’emportent sur les préjudices susceptibles de découler de telles interventions .

Cette même conclusion pourrait aussi bien s’appliquer aux interventions médicales ou éducatives qu’aux interventions policières.

Il est important de se rappeler qu’on ne peut pas conclure qu’une mesure est efficace, simplement parce qu’on affirme qu’elle l’est. Ce sont les données qui importent. Et parfois, les résultats sont complexes. Certains types de pratiques policières peuvent avoir des effets très positifs si la collectivité est mobilisée de façon appropriée. Mais si l’on revient à notre problématique initiale, c’est-à-dire les personnes n’ayant apparemment pas commis d’infraction qui font l’objet d’un contrôle de routine par la police, nous sommes d’avis qu’il est facile d’exagérer l’utilité de ces contrôles, et difficile de trouver des données qui appuient la pertinence de poursuivre leur utilisation. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut plus encourager la police à continuer de parler aux gens dans la rue. Mais la preuve de l’utilité des pratiques d’interpellation, de questionnement et/ou de fouille ainsi que de la consignation et de la conservation de ces renseignements pour la simple et bonne raison que la police et les citoyen(ne)s « sont là » nous semble largement compensée par des éléments de preuve convaincants relativement aux préjudices causés par de telles pratiques, et ce, non seulement à l’endroit de personne concernée, mais aussi sur la relation à long terme et globale de la police avec la collectivité (Gartner et Doob, 2017, p. A22).

 

Remarque au sujet de la conservation des données provenant du fichage et des contrôles de routine

La conservation des renseignements personnels recueillis lors du fichage ou des contrôles de routine constitue l’un des problèmes associés à de telles interactions entre la police et la population civile. Comme il a été mentionné précédemment, la police soutient que ces renseignements ont une grande valeur en ce qui concerne les futures enquêtes criminelles. Elle soutient que ces données peuvent contribuer à l’identification des victimes, des suspect(e)s et des témoins d’actes criminels. Récemment, on a également fait valoir que la conservation de ce type de données liées au renseignement pourrait aider la police à enquêter et, en fin de compte, à faire la lumière sur des affaires non résolues. Cependant, les critiques ont soutenu que la conservation, à même les données policières, de renseignements sur des personnes « connues de la police » peut entraîner des préjudices graves. De plus, étant donné que les personnes noires et d’autres minorités raciales sont souvent largement surreprésentées dans les ensembles de données provenant du fichage ou des contrôles de routine, ces dernières sont également beaucoup plus susceptibles de subir les impacts négatifs découlant de la conservation de ces renseignements.

Malheureusement, aucune recherche n’a été publiée concernant la façon dont les services de police ont utilisé, par le passé, les données provenant des contrôles de routine et la fréquence à laquelle ils les utilisent, ni concernant l’incidence que ces données ont eue sur les personnes ou les collectivités racialisées. Pour pouvoir procéder à une évaluation systématique de l’incidence des données provenant des contrôles de routine, la police doit accroître considérablement la transparence de ces données et les transmettre aux chercheur(euse)s. Voici des questions importantes auxquelles il ne sera possible de répondre qu’avec un meilleur accès aux données :

  1. Traditionnellement, qui a accès aux données sur les contrôles de routine et à quelle fréquence ces renseignements sont-ils utilisés? Par exemple, dans quelle mesure les agent(e)s de patrouille de première ligne et les enquêteur(-trice)s criminel(le)s peuvent avoir accès aux données sur les contrôles de routine? À quelles fins? Par exemple, est-ce que les agent(e)s accèdent régulièrement à ces données lorsqu’ils (elles) effectuent des contrôles routiers ou répondent à des appels de service? Dans quelle mesure les données des contrôles de routine sont-elles utilisées par les enquêteurs(-trice)s pour identifier des suspect(e)s ou des témoins?
  1. Dans quelle mesure les données sur les contrôles de routine sont-elles communiquées à des services hors services policiers et des organismes de sécurité publique (p. ex., le SCRS, l’Agence canadienne des services frontaliers, des organismes de sécurité américains, etc.)?
  1. Dans quelle mesure les données provenant des contrôles de routine sont-elles communiquées au public dans le cadre de vérification de sécurité en lien avec l’emploi, l’éducation ou le bénévolat? Dans quelle mesure la divulgation de ces renseignements limite-t-elle les possibilités d’emploi, d’éducation et de bénévolat?
  1. Quel type de renseignement est accessible dans les dossiers de contrôle de routine? Entre autres, les notes, les commentaires et les observations rédigés par les agent(e)s à propos des civil(e)s avec lesquel(le)s ils (elles) interagissent dans le cadre d’un contrôle de routine peuvent être importants. Par exemple, est-ce que les agent(e)s formulent des commentaires sur le comportement des civil(e)s, leur niveau de coopération avec la police, les personnes qui leur sont associé(e)s, etc.?
  1. Dans quelle mesure les renseignements consignés lors des contrôles de routine ont-ils une incidence sur la prise de décisions subséquente de la police? L’information consignée lors des contrôles de routine a-t-elle une incidence sur la sévérité ou la clémence avec laquelle les civil(e)s sont traité(e)s lors d’interactions futures avec la police?

Bien que les données pertinentes à grande échelle sur l’utilisation — et la possible mauvaise utilisation — des renseignements sur les contrôles de routine n’aient pas été rendues accessibles au public et aux chercheur(-euse)s, certaines préoccupations ont été soulevées. Les exemples suivants illustrent comment la conservation des données relatives aux contrôles de routine peut avoir un impact négatif sur la population civile :

  • En avril 2012, Andrew Tysowski, un étudiant de l’Université Carleton, a été interpellé par un(e) agent(e) de police d’Ottawa pour avoir brûlé un feu rouge. Lorsque l’agent(e) lui a posé la question, M. Tysowski a affirmé ne jamais avoir eu de problèmes avec la police auparavant. Cependant, après avoir effectué une vérification dans l’ordinateur de sa voiture de patrouille, l’agent(e) serait revenu vers M. Tysowski et lui aurait remis une contravention. Selon M. Tysowski, l’agent(e) l’a traité de menteur et lui a dit : « La prochaine fois, ne fais pas le con. N’importe qui d’autre aurait reçu un avertissement, mais à cause de ton casier qui date de 2006, je te donne une contravention » .

    Préoccupé par cette interaction et l’idée qu’il pourrait avoir un casier judiciaire, M. Tysowski a fini par déposer une plainte auprès du Bureau du directeur indépendant de l’examen de la police de l’Ontario (BDIEP). Lorsque le BDIEP a publié son rapport sur la plainte, M. Tysowski a appris que son « casier » découlait d’un incident survenu en 2006, alors que des agent(e)s l’avaient interpellé à bord d’un autobus et l’avaient interrogé au sujet d’un vol qualifié. Bien que M. Tysowski ait été blanchi de tout soupçon, les agent(e)s qui ont effectué un contrôle de routine ont indiqué prendre note de l’attitude négative de M. Tysowski à l’égard de la police, au cas où il présenterait sa candidature au Service de police d’Ottawa.

    M. Tysowski a déclaré qu’il voulait que son dossier de contrôle de routine soit radié parce qu’il pourrait « apparaître n’importe où » et avoir une incidence négative sur ses futures possibilités d’emploi et ses interactions avec la police. Cette affaire reflète bien les cas dans lesquels des renseignements subjectifs négatifs provenant d’un contrôle de routine antérieur ont apparemment été utilisés pour justifier un traitement policier plus sévère lors d’un contrôle routier. Il est également clair que les renseignements recueillis lors du contrôle de routine auraient pu nuire aux possibilités d’emploi subséquentes de M. Tysowski (Adam, 2012; Davies, 2015).

  • En février 2012, un(e) agent(e) du service de police de Kitchener-Waterloo a interpellé Andre McGann à bord d’un véhicule lui appartenant (Her Majesty the Queen v McGann). L’agent(e) a détenu M. McGann dans le but de le questionner, a vérifié dans l’ordinateur son dossier de conduite et l’existence d’un casier judiciaire, a fait une demande de renseignements à savoir si des personnes connues de la police étaient associées à l’adresse mentionnée par M. McGann comme étant sa destination, et a appelé des collègues pour obtenir du renfort. L’agent(e) a ensuite demandé à M. McGann de sortir de son véhicule pour le soumettre à une fouille. Lorsqu’on lui a demandé de raconter l’interpellation, la détention et la fouille de M. McGann, l’agent(e) a déclaré que ses soupçons à l’égard de ce dernier étaient en partie fondés sur le fait qu’il s’était fait interpeller et ficher par le service de police de Toronto à trois reprises au cours de la dernière année. Ce cas illustre le fait que les renseignements sur les contrôles de routine sont parfois partagés entre différents services de police. Il démontre également comment les renseignements provenant de contrôles de routine antérieurs peuvent avoir une incidence sur les soupçons et les comportements subséquents de la police.
  • Dans le cadre de son programme de droit criminel à la faculté de droit Osgoode Hall de l’Université York, George « Knia » Singh a présenté une demande au service de police de Toronto pour accompagner des agent(e)s de police lors d’une patrouille. Sa demande a été rejetée et lui et ses collègues de classe n’ont pas pu prendre part aux patrouilles policières. Bien qu’il n’ait pas de casier judiciaire, M. Singh prétend avoir été informé par la police que sa demande d’accompagnement avait été refusée parce que son dossier de « mobilisation communautaire » ou de « contrôle de routine » indiquait une association antérieure avec des personnes ayant commis des actes criminels graves.

    M. Singh a longtemps fait du bénévolat auprès de jeunes à risque dans des secteurs de la ville à forte criminalité et démunis sur le plan social, et il croit que c’est ainsi que son association à des personnes « criminelles » a été établie. Un(e) porte-parole de la police a par la suite confirmé que les dossiers en lien avec les contrôles de routine sont souvent examinés avant d’approuver une demande d’accompagnement lors de patrouilles policières et que l’association antérieure à des personnes criminelles peut avoir une incidence négative sur le processus d’approbation. Cet exemple fournit des éléments de preuve quant à la façon dont les contrôles de routine — effectués au nom du renseignement policier — peuvent être utilisés dans les vérifications de sécurité et, en fin de compte, nuire aux possibilités des civil(e)s (Rankin, 2016).

  • Les renseignements disponibles donnent également à penser que les dossiers en lien avec le fichage ou les contrôles de routine étaient, auparavant, régulièrement divulgués par la police dans le cadre de vérifications de sécurité liées à un emploi ou au travail auprès de personnes vulnérables. Les renseignements provenant des contrôles de routine ont également été utilisés à l’interne pour évaluer les recrues de la police (voir Crib, 2014; Price, 2014; PACER, 2012). On s’inquiète donc beaucoup de l’exactitude de ces rapports et on craint que la divulgation de renseignements qu’ils contiennent puisse nuire aux perspectives d’emploi et aux possibilités de bénévolat de personnes qui n’ont jamais été reconnues coupables d’un crime. De tels renseignements pourraient également entacher la réputation de la population civile respectueuse des lois. Par exemple, comment un(e) employeur(-euse) ou une école locale pourrait réagir en recevant des renseignements provenant d’un contrôle de routine indiquant qu’un(e) candidat(e) à l’emploi est associé(e) à des personnes ayant commis des actes criminels, a été vu(e) dans un quartier « à criminalité élevée » ou a eu une attitude irrespectueuse envers la police?

Les exemples ci-dessus, bien que limités, illustrent des préoccupations réelles au sujet de la conservation, de l’utilisation et de la transmission de données personnelles provenant des contrôles de routine. Ils démontrent que l’utilisation de renseignements sur les contrôles de routine s’étend souvent au-delà de l’enquête sur des incidents criminels précis. En fait, les renseignements recueillis lors d’un contrôle de routine peuvent accroître les soupçons de la police à l’égard de personnes ayant déjà fait l’objet d’un fichage et pourraient être utilisés pour justifier un traitement plus sévère. Les données sur les contrôles de routine peuvent également être utilisées comme solution de rechange, à l’image d’un casier judiciaire sans condamnation, qui pourrait avoir une incidence négative sur les perspectives d’emploi, de bénévolat et d’éducation.

Étant donné que les communautés noires sont largement surreprésentées dans les ensembles de données sur les contrôles de routine, les répercussions négatives de la conservation des données seront probablement plus importantes pour les personnes noires que pour celles appartenant à d’autres groupes raciaux. Heureusement, en 2017, le gouvernement de l’Ontario a adopté de nouvelles réglementations ayant permis de réduire considérablement à la fois le nombre de contrôles de routine réalisés par la police et l’accès de la police aux données personnelles provenant des contrôles de routine. De plus, au cours des cinq dernières années, le service de police de Toronto et la Commission de services policiers de Toronto visant à restreindre davantage l’accès aux données historiques relatives aux contrôles de routine et aux renseignements provenant des interactions réglementées (voir service de police de Toronto, 2016; Commission de services policiers de Toronto, 2016). J’estime que ces politiques permettront probablement de limiter les préjudices futurs causés par la conservation de ce type de renseignements. Toutefois, ces politiques n’abordent pas les préjudices que l’utilisation passée des données provenant des contrôles de routine a déjà causés aux communautés noires. Ces politiques n’apaisent pas non plus les craintes de la communauté selon lesquelles les données historiques relatives aux contrôles de routine, ainsi que les renseignements du SPT sur d’autres situations n’ayant pas abouti à des condamnations, pourraient encore avoir des conséquences négatives pour les membres des communautés noires.

 

Conclusion

Ce qui est peut-être le plus remarquable dans la recherche sur le profilage racial, c’est que, quelle que soit la stratégie de recherche utilisée, nous obtenons la même étendue de résultats. En général, les recherches réalisées à Toronto et dans d’autres administrations indiquent que :

  • Les pratiques policières biaisées sur le plan racial sont causées par divers facteurs, notamment les préjugés explicites (conscients), les préjugés implicites (inconscients), la discrimination statistique et les facteurs systémiques ou institutionnels;
  • Quelle que soit la méthodologie de recherche utilisée, les études menées à Toronto révèlent constamment que la population civile noire est plus susceptible d’être interpellée, questionnée et fouillée (lors d’un contrôle de routine) par le SPT que son homologue blanche. Les données probantes révèlent que le SPT se livre au profilage racial ou à des pratiques policières biaisées;
  • Les différences raciales sont plus importantes lors des fouilles policières que lors des interpellations policières de la part du SPT;
  • Les différences raciales dans les activités liées aux interpellations, au questionnement et aux fouilles du SPT demeurent une fois que d’autres facteurs pertinents sur le plan juridique ont été pris en compte dans les statistiques;
  • De nombreuses interpellations du SPT sont effectuées à des fins d’« enquête générale » plutôt qu’en raison d’un « soupçon particulier ». Le fait que les personnes noires soient plus vulnérables à ces « enquêtes générales » est conforme aux allégations de profilage racial par le SPT;
  • Les « résultats » ou le « taux de réussite » des interpellations policières aléatoires est uniformément faible. La police repère rarement les activités criminelles lors de telles interactions. Les résultats pour les personnes noires sont habituellement les mêmes — ou plus faibles — que pour les personnes blanches. Ces résultats indiquent que le profilage criminel fondé sur la race n’est pas plus efficace que les contrôles policiers aléatoires;
  • Le fait que les personnes noires sont beaucoup plus susceptibles d’être arrêtées et fouillées par la police — mais que ces pratiques ne donnent pas de meilleurs résultats que celles à l’endroit des personnes blanches — indique que les civil(e)s noir(e)s innocent(e)s sont beaucoup plus susceptibles d’être soumis(es) à des enquêtes policières arbitraires que les personnes blanches innocentes;
  • La recherche indique que les activités d’interpellation, de questionnement et de fouille biaisées sur le plan racial ont des conséquences sociales importantes pour les communautés noires et les autres minorités raciales. Ces répercussions comprennent : 1) l’atteinte à la santé physique et mentale; 2) la surreprésentation considérable des minorités raciales dans le système de justice pénale; 3) la diminution de la légitimité perçue de la police et l’adoption d’attitudes généralement négatives à l’égard de la police et du système de justice pénale en général; 4) la réticence à signaler les activités criminelles et le manque de coopération dans les enquêtes policières; 5) les perceptions d’injustice et le manque de confiance dans les institutions sociales; 6) les taux plus élevés de délinquance au sein des minorités raciales;
  • Les avantages en matière de prévention de la criminalité des pratiques d’interpellation, de questionnement, de fouille et de production de documents par la police sont contestés. Selon les meilleures estimations, les effets globaux de ces pratiques sur la réduction de la criminalité sont minimes — bien inférieurs à ce que prétendent les partisan(e)s. Les universitaires s’entendent de plus en plus pour dire que les coûts associés à l’utilisation généralisée et arbitraire de tactiques agressives d’interpellation, de questionnement et de fouille par la police l’emportent de loin sur les avantages potentiels.

Un grand nombre d’initiatives stratégiques ont été identitifiées comme pouvant réduire le recours à des pratiques policières biaisées sur le plan racial et l’incidence négative des pratiques d’interpellation, de questionnement et de fouille disproportionnées sur le plan racial. Ces initiatives comprennent : 1) l’amélioration de l’évaluation des préjugés raciaux et des compétences culturelles chez les recrues de la police (Nicholson-Crotty et coll., 2019; Miles-Johnson, 2019; Conti and Doreian, 2014; Zimny, 2015); 2) l’amélioration du recrutement d’agent(e)s racialisé(e)s afin que la police incarne la diversité des communautés qu’elle sert (Benton, 2020; Donahue, 2019); 3) l’amélioration de la formation sur les relations raciales, les préjugés implicites et la compétence culturelle (Miller et coll., 2020; Davis, 2015; Moon et coll., 2018); 4) la formation portant sur des façons moins agressives et plus respectueuses d’interagir avec les civil(e)s lors des interpellations policières (Rosenbaum et Lawrence, 2017); 5) l’amélioration des services de police communautaires et des stratégies de dissuasion ciblées (Braga et coll., 2020; Thomas et Burns, 2019); 6) l’élaboration de réglementation et de politiques qui orientent le pouvoir discrétionnaire des agent(e)s en ce qui a trait aux interpellations et aux fouilles (Tulloch, 2019); 7) le renforcement des mécanismes de surveillance civile et de responsabilisation de la police (Kwon et Wortley, 2020; Nolan, 2019; Walsh et Conway, 2011). Plusieurs membres de la collectivité et chercheur(-euse)s ont également demandé une plus grande transparence de la part de la police en ce qui a trait à la collecte et à la diffusion de données — y compris des données fondées sur la race — qui permettront de perfectionner la recherche sur les activités policières, d’améliorer l’évaluation des efforts de lutte contre le racisme et d’accroître la responsabilisation de la police.

 

Les arguments pour et contre la collecte de données policières

Au Canada, depuis les 20 dernières années, un débat houleux entoure la collecte et la diffusion de données officielles sur les activités d’interpellation et de fouille policières. D’une part, de nombreux organismes communautaires et groupes de défense des droits civiques ont réclamé la collecte systémique de données sur les interpellations et les fouilles. Ils ont également soutenu que ces données devraient être rendues publiques sur une base annuelle. D’autre part, de nombreuses organisations et associations policières ont résisté farouchement aux demandes de collecte obligatoire de données sur les activités policières d’interpellation, de questionnement et de fouille. Cette section du rapport passe brièvement en revue les principaux arguments pour et contre la collecte de données. Il importe de revisiter ces arguments historiques afin de souligner les progrès récents en ce qui a trait aux politiques du STP en matière de collecte de données fondées sur la race.

 

Les arguments pour la collecte de données
  1. La collecte de données permet de véritablement diminuer le profilage racial et d’autres formes de pratiques policières biaisées sur le plan racial. La collecte de données ne constitue pas un simple exercice de recherche. Il s’agit d’une forme de surveillance policière et de responsabilisation. Les agent(e)s qui pratiquent le profilage racial — motivé(e)s par une animosité raciale, des stéréotypes raciaux ou toute autre raison — seront moins susceptibles de se livrer à des activités de fouille et d’interpellation biaisées, sachant que leurs superviseur(e)s évalueront nécessairement leurs actions. La collecte de données permet de rendre plus « visible » le côté « invisible » des services de police. L’analyse comparative interne aidera également les gestionnaires de la police à repérer les agent(e)s qui pourraient avoir un parti pris et à les cibler en vue d’un recyclage ou de mesures disciplinaires.

    La question est la suivante : sans surveillance, comment les superviseur(e)s de la police peuvent-ils (elles) savoir ce que font leurs agent(e)s une fois dans la rue? Cet argument est également conforme aux résultats obtenus dans le cadre d’autres pratiques de surveillance policière. Par exemple, aux États-Unis, il est bien connu que les disparités raciales dans le recours à la force par la police ont diminué considérablement après que les agent(e)s ont été tenu(e)s de remplir des formulaires de « recours à la force » chaque fois qu’ils (elles) dégainaient leur arme ou utilisaient la force contre un(e) civil(e) (voir l’examen dans Wortley, 2006). Bien que limitées, les recherches menées en Angleterre (Miller, 2010) et aux États-Unis (Warren et coll.,2009) laissent également entendre que la collecte de données pourrait avoir contribué à une diminution des pratiques policières biaisées sur le plan racial dans de nombreux secteurs de compétence. En somme, sans surveillance adéquate, il est plus facile pour les agent(e)s de police de cacher ou de dissimuler des pratiques de profilage racial.

  1. La collecte de données peut améliorer les relations entre la police et les communautés racialisées. Comme nous l’avons expliqué en détail ci-dessus, la population canadienne noire et les autres groupes issus de minorités raciales font beaucoup moins confiance à la police que les personnes blanches. La surveillance des données sur les activités d’interpellation et de fouille de la police pourrait améliorer ces perceptions de plusieurs façons. Tout d’abord, la surveillance pourrait permettre de diminuer le nombre d’agent(e)s entretenant des préjugés raciaux. Deuxièmement, la surveillance des données assure la transparence. Cela démontre que la police n’a rien à cacher et qu’elle est prête à partager ses actions avec le public. En revanche, le refus de recueillir et de divulguer des données pourrait être perçu comme une preuve que la police « est sur la défensive » et tente d’empêcher la divulgation de renseignements qui pourraient nuire à son image. Enfin, la volonté de recueillir et de diffuser des données sur les activités d’interpellation et de fouille peut convaincre le public que la police prend au sérieux la question des pratiques policières biaisées sur le plan racial et qu’elle tente de réduire l’incidence du profilage sur les communautés racialisées. À ce jour, très peu de recherches ont exploré l’incidence de la collecte de données policières sur les attitudes du public. Cependant, des chercheur(-euse)s britanniques ont démontré que, depuis que la collecte de données sur les interpellations et les fouilles est devenue obligatoire en Angleterre et au pays de Galles, la confiance des groupes issus de minorités raciales à l’égard de la police s’est considérablement améliorée (voir Bradford, 2011; Myhill et Beak, 2008).

  1. La collecte de données contribuera à l’évaluation des programmes de lutte contre le racisme et le profilage racial. Au cours des 20 dernières années, les services de police canadiens ont lancé une vaste gamme d’initiatives de lutte contre le racisme visant à réduire les pratiques policières biaisées sur le plan racial et à améliorer les relations de la police avec les communautés racialisées. Ces initiatives comprennent une formation sur la lutte contre le racisme et la sensibilisation aux différences culturelles, des programmes visant à accroître le recrutement d’agent(e)s racialisé(e)s et l’établissement de comités consultatifs dirigés conjointement par la police et des membres de la communauté. Plusieurs services de police, dont le Service de police d’Ottawa, ont récemment élaboré des politiques claires visant à abolir le profilage racial. Malheureusement, comme le souligne Stenning (2003), aucune de ces initiatives de lutte contre le racisme n’a fait l’objet d’une évaluation de grande qualité[24]. La question qui se pose est donc la suivante : sans la collecte de données sur les activités d’interpellation et de fouille de la police, comment savoir si les politiques anti-profilage sont efficaces ou non? C’est tout simplement impossible. De plus, sans la collecte de données, il serait également difficile, voire impossible, d’évaluer correctement l’efficacité d’autres stratégies de lutte contre le profilage racial, y compris la formation anti-profilage, les caméras dans les voitures de police, etc.

  1. La surveillance des activités d’interpellation et de fouille de la police constitue un outil de gestion important. L’un des plus grands défis que pose la mise en œuvre de programmes de collecte ou de surveillance des données vient de la perception que l’utilité de tels programmes se limite aux enquêtes sur les préjugés raciaux. Rien n’est plus faux. Les formulaires de collecte de données devraient être conçus pour recueillir des renseignements sur la race du (de la) civil(e), mais également son âge, son sexe et l’adresse de son domicile, s’il s’agissait d’un contrôle piétonnier ou routier, l’heure et le lieu de l’interpellation, le motif de l’interpellation, si une fouille a eu lieu ou non, et la conclusion de l’interpellation (aucune mesure, avertissement, contravention, citation à comparaître, arrestation, etc.).

    Ainsi, en plus de documenter les différences raciales dans l’exposition aux interactions avec la police, ces données peuvent être utilisées à d’autres fins, notamment : 1) mesurer les différences de sexe et d’âge dans l’exposition aux interactions avec la police; 2) documenter les comportements de la police en matière d’interpellation et de fouille dans des quartiers particuliers; 3) évaluer les raisons pour lesquelles les agent(e)s décident d’arrêter les conducteur(-trice)s et les piéton(ne)s; et 4) mesurer l’efficacité des interpellations policières. Autrement dit, un système de collecte de données efficace peut aider les superviseur(e)s de la police à surveiller les activités de leurs agent(e)s sur le terrain et à établir des mesures d’efficacité et de productivité.

    Comme Tillyer et ses collègues (2010, p. 87) le font remarquer, une fois qu’un système de collecte de données a été établi : Les organismes de maintien de l’ordre peuvent maintenant évaluer et

mieux comprendre le processus décisionnel de leurs agent(e)s à l’aide de ces données. La tendance à la collecte de données sur les contrôles    routiers partout au pays offre plusieurs avantages aux services de police. En particulier, ces efforts peuvent aider à communiquer aux organismes les tendances et les modèles en matière de disparités dans les résultats de recherche sur les interpellations et les fouilles pour des groupes raciaux ou ethniques particuliers. En procédant à cette autoévaluation, les organismes démontrent leur engagement à l’égard d’un maintien de l’ordre impartial, particulièrement dans les situations où ils entreprennent volontairement la collecte de données ou transcendent ce qui est exigé par la loi ou les tribunaux. De plus, la compréhension des habitudes relatives aux contrôles routiers et de leurs résultats peut aider les organismes à affecter les ressources de façon plus efficace et efficiente, ce qui représente souvent le principal objectif dans le contexte budgétaire actuel .

De toute évidence, les avantages d’un tel système de collecte de données s’étendraient aux contrôles piétonniers ainsi qu’aux contrôles routiers.

Le dernier argument en faveur de la collecte de données est plus philosophique que pratique. Il concerne la propriété de l’information sur les mesures prises par la police. Il faut se rappeler que, depuis leur création, les services de police ont tendance à se développer en tant qu’organisations paramilitaires. Par conséquent, ils considèrent souvent l’information comme du « renseignement » et essaient de l’utiliser à leur avantage. En effet, en plus des données sur les activités d’interpellation et de fouille, il est aussi très difficile d’accéder à de nombreux types de renseignements sur les opérations policières coercitives, y compris les renseignements en lien avec le recours à la force par la police, les données sur les arrestations locales, les données sur les décisions de la police en matière de détention provisoire, les plaintes contre la police, etc. Souvent, ces renseignements ne sont accessibles que par le biais d’une demande d’accès à l’information.

Il est également important de noter que les organisations policières modernes ont souvent des services de relations publiques ou du personnel spécialisé en relations publiques. Comme pour d’autres entreprises, on pourrait soutenir qu’il incombe au personnel des relations publiques de la police de divulguer de façon sélective des renseignements qui généreront une image positive du service de police, tout en empêchant la divulgation de renseignements qui pourraient nuire à la réputation du service. Des défenseur(-euse)s des services de police ont soutenu qu’une telle gestion de l’image est essentielle au maintien de la confiance du public à l’égard de la police ainsi que du bon fonctionnement du système de maintien de l’ordre. D’autres ont cependant soutenu que la police travaille pour le public, du moins en théorie. À ce titre, la police doit être transparente et à la fois recueillir et divulguer tous les renseignements exigés par le grand public ou par certains groupes du secteur public. Comme le soutient Kane (2007, p. 778), les services de police agissent parfois sans considération, comme si les données figurant dans les dossiers produits par la police leur appartenaient.

Les fonds publics financent les services de police et tous les volets de leurs activités coercitives. Le public détient tous les renseignements liés aux opérations et aux processus de la police. Par conséquent, les services de police devraient être tenus non seulement de recueillir des données sur les résultats et les processus coercitifs, mais aussi de les mettre à la disposition du public (italique dans l’original) .

Comme nous le verrons, il est rare que les agent(e)s de police ou leurs superviseur(e)s partagent ces points de vue.

 

Les arguments contre la collecte de données

Il est également important de souligner que les avantages de la collecte de données policières doivent être soupesés par rapport aux inconvénients ou aux conséquences possibles de telles entreprises. Nous présentons ci-dessous quelques-uns des principaux arguments contre la collecte de données qui ont été avancés par les organisations policières et leurs défenseur(-euse)s.

  1. La collecte de données nuira au moral des policier(-ière)s. Un certain nombre de critiques ont fait valoir que les agent(e)s de police n’appuient pas les efforts visant à surveiller leurs activités et que le fait d’obliger les services de police à recueillir des données sur les activités d’interpellation et de fouille nuira au moral des policier(-ière)s. En atteignant le moral des policier(-ière)s, on risque d’assister à une baisse de leur satisfaction au travail et de leur productivité.

    Malheureusement, nous n’avons pu trouver aucune recherche portant sur cette allégation. Par exemple, nous n’avons trouvé aucune information laissant entendre que les agent(e)s de police de la Grande-Bretagne ou des États-Unis — où la collecte de données est obligatoire — présentent un moral inférieur à celui des agent(e)s à l’emploi de services de police où la collecte de données n’a pas encore été instaurée. Cependant, des éléments de preuve donnent à penser que l’argument du « moral bas » a été utilisé à maintes reprises par les organisations policières et les syndicats des services policiers pour résister à d’autres mesures de responsabilisation publique, y compris les règlements sur le recours à la force par la police, les commissions des plaintes du public, les organismes de surveillance civils, le port de l’insigne avec le nom des agent(e)s et la création de l’Unité des enquêtes spéciales de l’Ontario (voir Sewell, 2010; Morin, 2008; Wortley, 2006).

    En somme, l’incidence potentielle de la collecte de données sur le moral des agent(e)s et leur satisfaction au travail constitue une importante question de recherche qui mérite d’être creusée. Cependant, nous devons aussi envisager la possibilité que, malgré la résistance initiale, les policier(-ière)s acceptent éventuellement d’effectuer des tâches en lien avec la collecte de données dans le cadre de leur description de poste et se conduisent de façon professionnelle. Enfin, il est possible que l’incidence de la collecte de données sur le moral des agent(e)s soit minimisée si la collecte de données est présentée dans le cadre d’un système plus vaste de collecte de renseignements et de surveillance du rendement plutôt que comme un outil de repérage du profilage racial.

  1. La collecte de données compromettra la sécurité publique. On a également fait valoir que le fait de forcer la police à recueillir des données sur les personnes qu’elle interpelle et fouille mènera à un « relâchement de la surveillance policière ». Autrement dit, les policier(-ière)s réduiront délibérément les interpellations et les fouilles effectuées sur des civil(e)s appartenant à une minorité raciale afin d’éviter les allégations de partialité raciale. On soutient qu’un tel relâchement de la surveillance policière aura un effet néfaste sur le taux de criminalité. Cet argument a été avancé par Craig Bromell, alors président de la Toronto Police Association, dans la foulée de la série d’articles sur le profilage racial publiés en 2003 par le Toronto Star. M. Brommel a soutenu que si la collecte de données était imposée au service de police de Toronto, les agent(e)s de police cesseraient tout simplement de recourir à des pratiques policières proactives au sein des communautés de minorités raciales et que cela laisserait le champ libre aux criminel(le)s issu(e)s de minorités raciales.

    D’autres ont fait valoir que la collecte de données privera la police de ressources et d’un temps précieux pour lutter contre la criminalité ainsi que la prévenir, ce qui entraînera son augmentation. Cependant, nous n’avons trouvé aucune preuve empirique à l’appui de cette affirmation. En effet, en Grande-Bretagne et aux États-Unis, depuis que la collecte de données est obligatoire, les taux de criminalité — y compris les taux de crimes violents — ont considérablement diminué (Siegel et coll., 2010). Fait intéressant : les taux de criminalité ont également diminué dans les régions où il n’y a pas de collecte de données, ce qui indique peut-être que les procédures de collecte de données ont peu à voir avec les causes de la criminalité. Enfin, peu d’éléments de preuve laissent croire que la collecte de données a en fait permis de diminuer les activités d’interpellation et de fouille de la police. En effet, le nombre d’interpellations et de fouilles enregistrées par la police en Angleterre et à New York a considérablement augmenté depuis le début de la collecte des données (voir Jones-Brown et coll., 2010; Miller, 2010).

  1. La collecte de données coûte trop cher. Un certain nombre de critiques ont fait valoir que la collecte de données policières est trop coûteuse et qu’elle priverait d’autres fonctions policières importantes de ressources précieuses. En revanche, d’autres personnes ont soutenu qu’après les coûts de démarrage, la collecte de données par la police est relativement efficace et peu coûteuse. En effet, de nombreux services de police ont déjà mis en place des processus de collecte de données qui documentent les interactions entre la police et les civil(e)s (c.-à-d. les fiches de contact ou les rapports électroniques) et seuls des ajustements mineurs sont nécessaires pour passer à la collecte complète des données sur les interpellations[25].

    Il est toutefois vrai que certaines des techniques d’analyse comparative les plus avancées, dont il a été question ci-dessus, peuvent être très coûteuses. Néanmoins, les coûts de l’utilisation de ces approches peuvent être compensés lorsque des partenariats sont conclus entre la police et des chercheur(-euse)s universitaires. Ces partenariats permettent souvent d’obtenir du financement externe, et donc, de réduire au minimum les répercussions sur les budgets de la police. De plus, plusieurs chercheur(-euse)s universitaires seraient disposé(e)s à fournir gratuitement leur expertise méthodologique et leurs compétences analytiques, pourvu qu’ils (elles) et leurs étudiant(e)s au cycle supérieur puissent avoir accès aux données de la police à des fins de publication ou de dissertation. Autrement dit, il est beaucoup moins coûteux de travailler avec des chercheur(-euse)s universitaires qu’avec des expert(e)s-conseils. Enfin, les services de police de l’Angleterre et des États-Unis ont été en mesure de composer avec la charge financière de la collecte de données sans affecter leur service. Il n’existe aucune raison de croire que les services de police canadiens ne peuvent pas faire de même[26].

  1. La collecte de données compromettra la sécurité des agent(e)s : Certaines personnes ont soutenu que la collecte de données exposerait les agent(e)s à un risque plus élevé de blessures graves ou de décès. Cet argument est plutôt difficile à comprendre, d’autant plus que les mêmes critiques soutiennent souvent que la collecte de données réduira également le nombre global d’interactions entre la police et les civil(e)s (un fait qui réduirait le risque global de confrontation violente). Peut-être que ces critiques soutiennent que la collecte de données changera la façon dont la police traite les civil(e)s une fois qu’une interpellation est amorcée. Par exemple, par crainte de se voir accuser de racisme, les policier(-ière)s peuvent démontrer une plus grande réticence à réaliser des fouilles ou des fouilles par palpation sur des suspect(e)s, ou encore à utiliser la force à leur endroit, si ces personnes appartiennent à une minorité raciale et si elles sont susceptibles de porter une arme. Quoi qu’il en soit, nous n’avons trouvé absolument aucune preuve que le nombre de policier(ière)s blessé(e)s ou tué(e)s en service a augmenté sur les territoires où la collecte de données est obligatoire.

    Il est également important de noter que des préoccupations semblables au sujet de la sécurité des agent(e)s ont été exprimées lorsque le nouveau règlement sur le recours à la force a rendu obligatoire la production de formulaires sur le recours à la force chaque fois qu’un(e) agent(e) dégaine son arme à feu ou utilise la force physique contre un(e) civil(e). L’argument invoqué était que les agent(e)s pourraient hésiter à recourir à la force dans des situations dangereuses pour ne pas avoir à remplir plus de paperasse. Aujourd’hui, plusieurs décennies plus tard, nous savons que ces préoccupations n’étaient pas fondées. En effet, des recherches américaines suggèrent que depuis la mise en œuvre de la réglementation sur le recours à la force, le nombre d’agent(e)s gravement blessé(e)s dans l’exercice de leurs fonctions a considérablement diminué, tout comme le nombre de civil(e)s tué(e)s ou blessé(e)s par la police (voir Wortley, 2006).

  1. Les données pourraient être utilisées devant les tribunaux. Certain(e)s détracteur(-trice)s craignent que, si elles sont accessibles, les statistiques agrégées sur les activités d’interpellation et de fouille de la police seront de plus en plus utilisées par les avocat(e)s des tribunaux criminels et civils. Ces personnes craignent que ces données engorgent les tribunaux criminels avec des affaires d’allégation de « profilage racial », et ainsi, ralentissent le processus judiciaire pour ensuite nuire aux taux de condamnation. D’autres craignent que les données de la police fassent augmenter le nombre de poursuites civiles alléguant un comportement raciste de la part de la police, et que de telles allégations aient pour effet d’augmenter les frais juridiques et les paiements des réclamations. Cette possibilité ne peut être écartée. Toutefois, il faut souligner que de tels cas existaient déjà avant l’instauration de la collecte de données, et qu’ils continueront probablement d’exister après. De plus, tous les cas doivent être jugés en fonction de leur propre valeur, et il est peu probable que les données à elles seules prouvent la présence de préjugé racial dans un cas particulier. De plus, si la collecte de données contribue à réduire le profilage racial, comme suggéré ci-dessus, il pourrait donc y avoir moins de cas de profilage racial. Enfin, il est possible que des recherches de grande qualité sur les interpellations et les fouilles policières aident les tribunaux à s’acquitter de leurs fonctions et à prendre des décisions judicieuses qui sont conformes aux principes de justice. La crainte à l’égard des données — et de leur utilisation potentielle devant les tribunaux — ne constitue pas une raison valable pour interdire la collecte de données.
  1. Les données pourraient nuire aux minorités raciales : Fait intéressant : certaines personnes ont fait valoir que les données sur les activités d’interpellation et de fouille de la police pourraient nuire aux minorités raciales. Ces dernières soutiennent que, bien qu’on puisse interpréter la surreprésentation des minorités raciales dans les statistiques officielles sur les interpellations et les fouilles comme une preuve de partialité, d’autres pourraient supposer que ces données « prouvent » que certains groupes raciaux sont plus enclins à commettre des crimes. Autrement dit, les données sur les interpellations et les fouilles pourraient accroître les stéréotypes raciaux au sein de la société canadienne. Cette logique est semblable à la justification en lien avec l’interdiction de toutes les statistiques sur les « crimes de race » au Canada (voir Wortley, 1996).

    Il est intéressant de noter que cette justification paternaliste en lien avec l’interdiction de la collecte de données fondées sur la race sert également à empêcher l’identification efficace des préjugés raciaux dans le système de justice. De plus, l’interdiction actuelle de produire des statistiques sur la criminalité raciale n’a pas empêché l’émergence de stéréotypes raciaux liés à la criminalité au Canada. En effet, les images dépeignant la criminalité racialisée dominent les médias — endroit d’où la grande majorité des citoyen(ne)s puisent leurs renseignements sur les questions liées à la criminalité. En fait, même avec l’interdiction actuelle de produire des statistiques sur la criminalité raciale, la population canadienne a tendance à surestimer considérablement la participation des minorités raciales aux activités criminelles (voir Wortley et Owusu-Bempah, 2011).

Ce ne sont là que quelques-uns des arguments avancés par les personnes qui se montrent réticentes envers la collecte de données policières sur les activités d’interpellation et de fouille, voire contre celle-ci. Nous sommes très loin d’arriver à un consensus sur la question. À bien des égards, le débat est divisé entre des gens qui accordent la priorité aux intérêts des membres d’une minorité raciale et des chercheur(-euse)s qui veulent recueillir des données, et des gens qui sont plus sensibles aux intérêts de la police et des organisations policières. Quoi qu’il en soit, la dernière section du présent rapport sert à présenter une stratégie potentielle comprenant plusieurs méthodes visant à recueillir des données de grande qualité sur la question des pratiques policières biaisées à Toronto.

On pourrait affirmer que de nombreux arguments — voire tous — contre la collecte de données fondées sur la race au sein des forces de l’ordre ont été répondus et ne méritent donc pas de discussions supplémentaires. En effet, au cours des deux dernières années, le SPT et plusieurs autres services de police de l’Ontario semblent avoir reconnu la nécessité de disposer de données fondées sur la race et élaboré des politiques encourageant la collecte et l’analyse de ce type de renseignements. Enfin, un quart de siècle après la recommandation en matière de collecte de données fondées sur la race formulée par la Commission sur le racisme systémique dans le système de justice pénale en Ontario (1994), il semble que les services de police de l’Ontario reconnaissent que la collecte de données peut contribuer à réduire les préjugés raciaux, à améliorer la perception du public à l’égard de la police et à promouvoir l’équité raciale au sein des forces de l’ordre. Je suis d’un optimisme prudent. Au cours des deux dernières années, j’ai observé davantage de changements positifs sur le plan de la collecte de données fondées sur la race qu’au cours des 25 années précédentes. Mais il y a aussi des raisons de se montrer cynique. À mon avis, certains arguments contre la collecte de données peuvent subsister, en particulier parmi les agent(e)s de première ligne. De plus, la réticence face à la collecte de données peut encore entraîner des retards importants en ce qui concerne la collecte et la publication de données fondées sur la race et affecter la qualité de ces données, une fois compilées. 

Comment les agent(e)s de première ligne perçoivent-ils (elles) l’enjeu de la collecte de données fondées sur la race? Estiment-ils (elles) qu’une telle collecte de données est nécessaire? Ont-ils (elles) le sentiment qu’une telle collecte de données pourrait avoir un impact négatif sur leur carrière? Les données fondées sur la race produites par la police seront-elles de bonne ou de mauvaise qualité? Le type de données recueillies permettra-t-il une analyse approfondie de l’enjeu du profilage racial ou au contraire y fera-t-il obstacle? Malheureusement, au moment de l’achèvement du présent rapport (septembre 2021), le SPT n’a encore publié aucune des données fondées sur la race exigées par la Politique sur la collecte, l’analyse et la rédaction de rapports publics sur les données relatives à la race (Commission de services policiers de Toronto, 2019). De plus, comme nous l’expliquons ci-dessous, les projets de collecte de données sur les tactiques d’interpellation, de questionnement et de fouille de la police n’ont pas encore été finalisés. Ainsi, la dernière section du présent rapport sert à présenter une stratégie potentielle comprenant plusieurs méthodes visant à recueillir des données de grande qualité sur la question des pratiques policières biaisées sur le plan racial à Toronto.

 

Recommandations pour la collecte de données sur les activités policières d’interpellation, de questionnement et de fouille

Comme le suggère l’examen ci-dessus, aucune étude n’est parfaite. Le recours à différents types de méthodologies permet de présenter différents types de forces et de faiblesses. Les forces des études qualitatives (détails contextuels, information sur les répercussions émotives, etc.) diffèrent des forces des études quantitatives (échantillon de grande taille, reproductibilité, etc.). Par conséquent, les chercheur(-euse)s recommandent souvent une approche à méthodes multiples pour aborder des questions complexes comme les pratiques policières d’interpellation et de fouille. Cette stratégie est parfois appelée triangulation (voir Hammersley, 2008; Denzin et coll., 2006; Bryman, 2007). L’argument servi est qu’en utilisant plusieurs méthodes de recherche pour aborder un même sujet, nous sommes mieux en mesure de comprendre les réalités sociales.

De plus, si différentes méthodes de recherche ont tendance à produire les mêmes types de résultats, nous pouvons avoir davantage confiance en leur exactitude. Par exemple, les données tirées des sondages ainsi que les statistiques officielles de la police, y compris les données de plusieurs études menées à Toronto, indiquent que les personnes noires sont plus susceptibles d’être interpellées, questionnées et fouillées par la police que les personnes blanches, et ce, même si d’autres facteurs pertinents ont été pris en compte. Le fait que deux méthodes de recherche très différentes aient mené aux mêmes conclusions devrait nous convaincre que ces conclusions reflètent la réalité. De plus, les résultats obtenus à l’aide d’un type de méthode peuvent nous aider à comprendre les résultats d’une étude utilisant une stratégie de recherche totalement différente. Par exemple, les entrevues qualitatives nous aideront à comprendre les répercussions émotives du profilage racial et à expliquer les résultats obtenus dans le cadre des sondages, qui laissent entendre que les minorités raciales ont une opinion moins favorable de la police que les personnes blanches.

De plus, bien que la collecte de données officielles puisse nous aider à mesurer l’ampleur de la disproportion raciale dans les activités d’interpellation et de fouille de la police, les méthodes qualitatives peuvent nous aider à mieux comprendre les processus décisionnels de la police. Comme Tillyer et coll. (2010, p. 87) l’indiquent : 

Les recherches futures devront peut-être aller au-delà de l’analyse quantitative et explorer les études qualitatives pour examiner les motivations sous-jacentes au processus décisionnel des agent[e]s. Cette autre approche ayant pour but d’examiner l’existence et l’étendue des pratiques policières fondées sur les préjugés nécessitera probablement de demander aux agent[e]s de décrire leur processus décisionnel au moyen d’entrevues ou de groupes de discussion .

À la lumière de ces constatations, nous recommandons que tous les services de police canadiens adoptent une approche reposant sur plusieurs méthodes de collecte de données fondées sur la race et de recherche concernant les questions de diversité et les initiatives de lutte contre le racisme. Il convient en outre de noter que la Politique sur la collecte et l’analyse de données relatives à la race, et la production de rapports publics de la CSPT (https://www.tpsb.ca/policies-by-laws/board-policies/177-race-based-data-collection-analysis-and-public-reporting) concorde en grande partie avec bon nombre des recommandations suivantes :

  1. La première étape du processus de recherche devrait comprendre la formation d’un comité de recherche ou d’évaluation. Ce comité serait responsable de l’élaboration et de la mise en œuvre du plan de recherche et d’évaluation. Ce comité devrait être composé de membres du corps policier, de représentant(e)s de la collectivité et de chercheur(-euse)s universitaires. Il est important que les chercheur(-euse)s s’impliquent dans le processus de recherche dès le début étant donné qu’ils (elles) devraient posséder la formation nécessaire pour assurer l’élaboration d’une stratégie méthodologique solide. Comme nous l’avons vu précédemment, le recours aux universitaires formé(e)s en méthodologie des sciences sociales sera probablement beaucoup moins coûteux que le recours à des consultant(e)s privé(e)s. De plus, le fait de faire appel aux chercheur(-euse)s universitaires pourrait contribuer à la perception d’objectivité du projet[27].

    La sélection des chercheur(-euse)s constitue une étape importante. Idéalement, les représentant(e)s de la police et de la collectivité du comité de recherche devraient approuver la sélection des chercheur(-euse)s. S’il est impossible d’obtenir un consensus sur un(e) chercheur(-euse) ou une équipe de recherche, le comité devrait former une équipe de recherche composée à la fois de chercheur(-euse)s qui conviennent à la police et aux membres de la collectivité. La priorité devrait être accordée aux personnes noires et autochtones ainsi qu’aux autres chercheur(-euse)s de couleur possédant un vécu lié aux enjeux pertinents. Il faut faire preuve de prudence à l’égard des chercheur(-euse)s qui entretiennent des relations de longue date avec les organismes policiers. En effet, les critiques ont fait remarquer que certain(e)s chercheur(-euse)s « s’appuyant sur des données probantes », qui sont populaires auprès des représentant(e)s du gouvernement et de la police, entretiennent un préjugé favorable envers la police, car il leur assure l’accès aux données et aux contrats de recherche lucratifs.

  1. Nous recommandons que les services de police établissent un système permanent de collecte de données pour consigner les renseignements sur toutes les interpellations de civil(e)s. Ce système de données devrait permettre de consigner les renseignements sur les contrôles routiers ainsi que les contrôles piétonniers. Les renseignements à recueillir lors de chaque interpellation devraient comprendre la date, l’endroit (coordonnées x-y) et l’heure de l’interpellation, de même que le motif et le résultat de l’interpellation (aucune mesure, avertissement, contravention, citation à comparaître, arrestation, etc.). La documentation des résultats des interpellations est particulièrement importante, car elle peut être utilisée pour calculer le « taux de réussite » relatif à la race (la proportion d’interpellations qui donnent lieu à la détection d’une activité illégale). Ces taux constituent une mesure importante du profilage racial et peuvent être utilisés pour mettre en évidence la proportion de chaque groupe racial qui fait l’objet d’une attention policière inutile. Les stratégies de collecte de données doivent également indiquer si la personne interpellée ou le véhicule contrôlé a fait l’objet d’une fouille avant ou après l’arrestation. L’âge, le sexe et l’origine raciale de la personne arrêtée devraient également être consignés. Idéalement, la procédure de collecte des données permettrait également de consigner le nom complet et l’adresse du domicile des personnes arrêtées. Cela aiderait les chercheur(-se)s à identifier les personnes qui sont interpellées plusieurs fois au cours d’une période donnée, ainsi que les personnes qui résident à l’extérieur du secteur de compétence à l’étude.

    De tels renseignements permettraient aux chercheur(-euse)s de déterminer si les personnes sont plus susceptibles d’être interpellées dans leur propre quartier ou lorsqu’elles se rendent dans d’autres secteurs de la ville. Par exemple, des données antérieures laissent entendre qu’aux États-Unis, les personnes noires sont plus susceptibles d’être interpellées lorsqu’elles se rendent dans des quartiers à prédominance blanche. Cette constatation correspond à l’hypothèse voulant qu’elles sont perçues comme n’étant « pas à leur place » (voir Meehan et Ponder, 2002). Bien sûr, le comité de recherche pourrait cibler d’autres renseignements devant être consignés[28].

  1. Nous recommandons l’élaboration d’un système permanent de collecte de données pour les raisons suivantes :
    1. Un système permanent permettra de comparer les données au fil du temps. Les données sur les tendances pourraient être utilisées pour déterminer les tendances émergentes liées aux activités policières d’interpellation et de fouille et évaluer l’efficacité des politiques de lutte contre le racisme;
    2. Le contrôle des données sur les activités d’interpellation et de fouille peut aider à réduire le profilage racial (comme mentionné ci-dessus). Par conséquent, les avantages du contrôle des données seraient grandement limités si les services de police ne participaient qu’à un projet pilote d’une durée limitée;
    3. Dans le cadre d’un projet pilote d’une durée limitée, la police peut modifier la nature de ses activités afin d’éviter les allégations de préjugés raciaux, puis reprendre le cours normal de ses activités une fois l’étude terminée.
  1. Nous recommandons que le rendement des agent(e)s de première ligne s’appuie sur la qualité et la fiabilité des données fondées sur la race recueillies. Malheureusement, certain(e)s agent(e)s peuvent avoir une attitude négative à l’égard de la collecte de données fondées sur la race et la recherche. D’autres peuvent hésiter à consigner les antécédents raciaux des personnes avec lesquelles ils (elles) interagissent pour éviter les allégations de préjugés raciaux. Par conséquent, si la qualité des données n’est pas intégrée à l’évaluation du rendement des agent(e)s, la probabilité que des données fondées sur la face soient manquantes ou de faible qualité augmente.
  1. Nous recommandons que les services de police effectuent des vérifications périodiques de la fiabilité afin de déterminer la qualité des données fondées sur la race et de repérer les agent(e)s qui ne respectent pas les politiques de collecte de données fondées sur la race. Par exemple, les rapports des agent(e)s sur la race des civil(e)s pourraient être comparés aux photos de permis de conduire, aux images captées par les caméras des auto-patrouilles ou par les caméras corporelles, ou encore aux déclarations des civil(e)s. La fiabilité des données pourrait être déterminée au moyen d’une analyse de la correspondance qui compare les classifications raciales des agent(e)s avec les classifications établies par une tierce partie indépendante ou par les déclarations des civil(e)s quant à leur identité raciale.
  1. En plus de l’analyse comparative du recensement et des données ajustées pour le recensement (qui permettront de saisir les taux d’interpellation par habitant), nous recommandons également le recours à une ou plusieurs techniques d’analyse comparative plus élaborées (voir Wortley, 2019). Le comité de recherche devrait sélectionner les meilleures techniques d’analyse comparative. Cependant, nous recommandons le recours à une analyse comparative basée sur l’observation, car celle-ci permet de mieux saisir d’autres facteurs expliquant la décision de la police d’interpeller et de fouiller des civil(e)s (y compris l’accessibilité dans la rue).

    Vu leur coût élevé, les analyses comparatives basées sur l’observation ne pourraient être menées en continu. Par conséquent, nous recommandons que des études comparatives basées sur l’observation soient menées périodiquement (p. ex., tous les deux à cinq ans) afin de compléter la collecte régulière de données sur les interpellations et les fouilles.

    Il serait également impossible de réaliser des analyses comparatives dans tous les quartiers. Nous suggérons donc qu’une analyse comparative basée sur l’observation soit effectuée sur un échantillon aléatoire issu de quartiers du secteur de compétence à l’étude où les interpellations sont fréquentes.

    Enfin, si possible, nous recommandons que le comité de recherche travaille avec les chercheur(-euse)s universitaires pour obtenir un financement externe dans le cadre de ces études secondaires d’analyse comparative.

  1.  Nous recommandons que les gestionnaires de la police utilisent des techniques d’analyse comparative à l’interne pour identifier les agent(e)s qui pourraient avoir recours à des pratiques d’interpellation et de fouille biaisées sur le plan racial. Une fois identifié(e)s, ces agent(e)s peuvent être appelé(e)s à prendre part à une discussion, à suivre une nouvelle formation, à se voir imposer des mesures disciplinaires ou à être congédié(e)s. Bien que le comité de recherche puisse aider les superviseur(-euse)s de la police à élaborer des techniques d’analyse comparative à l’interne, les noms des agent(e)s n’ont pas à être communiqués au comité de recherche ou au grand public. Le recours à une analyse comparative à l’interne pourrait demeurer une stratégie interne pour cibler les agent(e)s problématiques. Cependant, le comité de recherche voudra peut-être savoir combien d’agent(e)s ont été identifié(e)s comme agissant potentiellement de façon biaisée grâce aux techniques d’analyse comparative à l’interne, et quelles ont été les conséquences pour ces agent(e)s. L’identité des agent(e)s ne serait pas révélée lors de la divulgation de ces chiffres bruts.
  1. La collecte de données officielles de la police devrait être complétée au moyen d’enquêtes périodiques menées auprès du grand public. Les sondages auprès de la population générale devraient recueillir des renseignements sur les interactions autodéclarées avec la police, ainsi que sur les attitudes et les perceptions des répondant(e)s à l’égard de la police et du système de justice pénale en général. Les données du sondage sur les interpellations autodéclarées pourraient ainsi être comparées aux données officielles sur les interpellations afin de déterminer les similitudes ou les différences notables. Les sondages pourraient également servir à effectuer des analyses à plusieurs variables et à déterminer si les différences raciales dans les activités d’interpellation et de fouille peuvent s’expliquer par d’autres facteurs, notamment l’âge, le lieu de résidence, les taux de criminalité locaux, les habitudes de conduite, l’utilisation des espaces publics, la consommation autodéclarée de drogues et d’alcool, et la participation autodéclarée à des activités criminelles. Il importe de souligner que si de tels sondages sont menés périodiquement (tous les deux à cinq ans), les données pourraient être utilisées pour déterminer si les différences raciales dans les activités d’interpellation et de fouille diminuent ou augmentent, et si les attitudes à l’égard de la police s’améliorent ou se détériorent. En d’autres termes, au fil du temps, les données provenant de la recherche par sondage pourraient être utilisées pour évaluer l’efficacité des politiques de lutte contre le racisme et le profilage.
  1. Des sondages devraient également être menés de façon périodique auprès de la police. De tels sondages pourraient être utilisés pour mesurer l’incidence de la collecte de données sur le moral des agent(e)s et leur satisfaction au travail, sur leur attitude à l’égard des programmes ou des politiques de lutte contre le racisme, et sur leur prise de décisions en ce qui concerne les tactiques d’interpellation et de fouille. Ces sondages pourraient être élargis afin de mesurer les préjugés et les stéréotypes, les attitudes à l’égard de certains groupes issus de minorités raciales et la criminalité des minorités raciales, ainsi que les opinions sur l’efficacité de diverses politiques de lutte contre le racisme. Bien entendu, ces sondages pourraient porter sur d’autres sujets d’intérêt pour l’équipe de recherche ou les gestionnaires de la police. Nous recommandons que ces sondages soient menés tous les deux à cinq ans afin de faciliter l’évaluation des initiatives de lutte contre le racisme.
  1. Nous recommandons la mise en œuvre périodique de méthodes de recherche qualitative. Ces méthodes devraient comprendre des entrevues et des groupes de discussion avec des membres de la collectivité et des agent(e)s de police. De telles stratégies pourraient permettre de recueillir des renseignements plus détaillés sur les perceptions du public à l’égard des tactiques d’interpellation et de fouille de la police; sur l’incidence des interpellations de la police sur les personnes et les collectivités; sur les opinions quant à l’efficacité des stratégies policières de lutte contre le trafic de drogue et le racisme; et sur la façon dont les stratégies de lutte contre le racisme pourraient être améliorées.

    De telles stratégies qualitatives pourraient également permettre de mesurer la sensibilisation du public aux efforts de collecte de données et aux résultats de recherche, et d’évaluer l’incidence de la recherche sur l’opinion publique. Comme nous l’avons vu, des méthodes qualitatives pourraient également être utilisées pour examiner l’incidence des politiques de lutte contre le profilage et de la collecte de données sur le moral des agent(e)s, de même que la façon dont ces politiques ont influencé le comportement des policier(-ière)s dans la rue. De plus, les entrevues et les groupes de discussion pourraient être utilisés pour enquêter sur la prise de décisions de la police et sur la façon dont la race et d’autres facteurs influencent — ou n’influencent pas — les mesures prises par la police dans l’exercice de ses fonctions de patrouille.

  1.  Enfin, nous proposons que les rapports documentant les résultats de toutes les activités de collecte de données et de recherche soient rendus publics sur une base annuelle ou semestrielle. Il s’agit de la seule façon d’assurer la transparence. Cependant, nous estimons également que les rapports ne devraient pas être publiés tant que l’équipe de recherche n’aura pas effectué une analyse complète des données. De plus, les rapports ne devraient pas être publiés tant que les agent(e)s de police n’ont pas été pleinement informé(e)s des résultats. Les rapports devraient être publiés au cours d’une conférence de presse au cours de laquelle les données pourront être expliquées en détail. Cela réduira la possibilité que les données soient utilisées de façon inappropriée (bien que cette possibilité ne puisse jamais être entièrement éliminée).
  1. Les ensembles de données anonymisées de la police, qui documentent toutes les activités d’interpellation et de fouille de la police, devraient être diffusés au grand public sur une base annuelle ou semestrielle. Ce processus permettra une meilleure transparence, ainsi qu’une analyse et une interprétation des données par les chercheur(-euse)s et les membres de la collectivité qui ne participent pas au processus de recherche officiel dirigé par la police.

En conclusion, il apparaît clair que la collecte, par le SPT, de données de grande qualité fondées sur la race est nécessaire pour examiner à fond les activités d’interpellation, de questionnement et de fouille menées par la police, et évaluer l’efficacité des politiques de lutte contre le racisme du SPT. Au cours des dernières années, certains services de police se sont inspirés des modèles de grandes entreprises. Ils ont élaboré des « énoncés de mission » et des « plans d’affaires », et ont commencé à considérer le public comme leur clientèle. Il est difficile d’imaginer qu’une grande société élabore une politique importante sans également mettre en œuvre une stratégie pour évaluer l’efficacité de cette politique. Les services de police doivent faire de même. Sans une surveillance et une évaluation appropriées, la politique de lutte contre le racisme peut être perçue comme une simple façade. Ainsi, sans une surveillance adéquate, les relations que la police entretient avec les minorités raciales demeureront les mêmes au cours de la prochaine décennie.

 

Remarque au sujet de la stratégie du SPT pour recueillir des données sur les interpellations

Selon les renseignements fournis par la CODP, le service de police de Toronto devait
commencer à recueillir des données fondées sur la race en lien avec les contrôles routiers et piétonniers à partir du 1er janvier 2021. Toutefois, à ce stade, le SPT prévoit recueillir des données sur les interpellations qui donnent lieu à des avertissements écrits, des contraventions, des arrestations ou des accusations seulement. En d’autres termes, il prévoit recueillir des données uniquement sur les interpellations « réussies » qui mettent clairement en évidence une activité illégale. Si c’est le cas, cette stratégie est hautement inefficace, en plus de se révéler incohérente par rapport aux pratiques exemplaires en matière de recherche sur le profilage racial. Cette stratégie est également incohérente avec l’accent mis par le juge Tulloch sur l’élimination du « fichage ». Rappelons que le juge Tulloch définit le fichage comme des interpellations ou des interactions policières aléatoires ou arbitraires qui donnent lieu à la collecte de renseignements personnels sur des civil(e)s à des fins de renseignement policier. Il est clair que les interpellations policières qui aboutissent à des avertissements formels, des contraventions, des arrestations ou des accusations ne peuvent jamais être considérées comme des incidents de « fichage » parce que la justification de l’interpellation sur le plan juridique est transparente. En d’autres termes, bien que le SPT veuille éliminer le « fichage », il semble mettre au point une stratégie de collecte de données qui ne permettra en aucun cas de documenter les incidents de « fichage ».

Comme mentionné précédemment, un élément important de la recherche sur le profilage racial est la documentation de toutes les interpellations policières et des activités suivant l’interpellation (p. ex., les fouilles de véhicules, les fouilles corporelles, les résultats des affaires, etc.). Au cœur du débat sur le profilage racial se trouvent les affirmations selon lesquelles les personnes noires et les autres personnes racialisées sont plus susceptibles de faire l’objet d’interpellations et de fouilles policières inutiles ou non justifiées : des « recherches à l’aveuglette » fondées sur la race qui ne permettent que rarement de déceler des activités illégales. Des chercheur(-euse)s ont récemment soutenu qu’une stratégie permettant de révéler les préjugés raciaux consiste à analyser les taux de réussite fondés sur la race, soit la proportion de toutes les interpellations qui aboutissent à la détection d’une activité illégale.

Bien que les données canadiennes ne soient pas disponibles, les recherches américaines et britanniques (évoquées précédemment) nous indiquent que les pratiques policières d’interpellation, de questionnement et de fouille révèlent rarement des preuves directes d’activités criminelles. Les résultats de la recherche méritent d’être réitérés. Entre 2004 et 2012, le NYPD a mené environ 4 135 000 enquêtes sur les interpellations, les questionnements et les fouilles[29]. Ainsi, seulement 46 000 de ces interpellations, soit un faible 1,1 %, ont mené à la perquisition de produits de contrebande et seulement une interpellation sur mille (0,01 %) a mené à la perquisition d’une arme à feu illégale (voir Torres, 2015). L’Angleterre connaît une situation semblable. Comme l’ont documenté Bowling et Phillips (2007), en Angleterre et au pays de Galles, le taux d’interpellations policières par habitant des personnes noires est environ 6,5 fois plus élevé que celui des personnes blanches. Cependant, les données concernant les personnes noires et les personnes blanches sont presque identiques : chez les deux groupes, environ 1 % des interpellations permettent de détecter une activité illégale. Le fait que ces taux ne varient pas selon la race pourrait être interprété comme une absence de préjugés raciaux. Cependant, les données sur les résultats, combinées au taux d’interpellation et de fouille par habitant(e), mettent en lumière une autre réalité : chaque année, en Angleterre et au pays de Galles, les personnes noires innocentes sont 6,5 fois plus susceptibles que les personnes blanches innocentes de faire l’objet d’une interpellation et d’une fouille non nécessaires de la part de la police.

À ce stade, le SPT ne recueille pas de données fondées sur la race pour les interpellations policières qui ne donnent pas lieu à une action en justice, ce qui représente sans doute la majorité des interpellations policières. Une telle approche empêcherait la collecte de données sur les incidents de « fichage » et rendrait impossible l’analyse des taux de réussite fondés sur la race. En d’autres termes, les projets du SPT empêcheraient un examen adéquat de la question du profilage racial et ne feraient en fin de compte que semer davantage de confusion, provoquer des dénégations et entraîner des retards.

Comme mentionné précédemment, le SPT a initialement déclaré qu’il commencerait à recueillir des données sur les interpellations policières en janvier 2021. Cependant, dans une correspondance datée du 8 septembre 2021, le SPT indique clairement que la collecte de données sur les interpellations de police n’a toujours pas été lancée. La correspondance révèle que : « Le SPT travaille actuellement à mettre à jour la capacité de ses systèmes et le flux de travail des ressources afin de pouvoir recueillir les données sur les interpellations, y compris les contrôles routiers et piétonniers, ainsi que les recours à la force de
faible intensité. Ces domaines sont centraux pour assurer une collecte durable qui favorise l’obtention de renseignements solides et exploitables » . S’il veut mener une véritable lutte contre le profilage racial, le SPT doit recueillir des renseignements sur toutes les interpellations et les fouilles, en particulier celles qui n’aboutissent pas à la détection d’une activité illégale.

 

 


 

 

 

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Annexe 2 Notes de fin

 

[1] Il convient de souligner que le présent rapport vise les recherches impliquant le service de police de Toronto. Pour un examen d’autres recherches canadiennes et internationales en matière de profilage racial et de maintien de l’ordre biaisé sur le plan racial, veuillez consulter (Wortley, 2019).

[2] De nombreuses appellations ont été attribuées à la pratique policière consistant à consigner, à des fins de renseignement, des informations personnelles sur des civil(e)s recueillies lors d’interactions fondées sur des motifs non criminels. Le terme « fichage » provient de l’utilisation de « fiches de contact » ou « fiches 208 », en lien avec la consignation de renseignements sur les civil(e)s recueillis lors de situations n’ayant pas donné lieu à une arrestation ou à une accusation. Au fil des ans, cette pratique a été renommée « rapports de collecte d’informations sur le terrain », « contrôles de routine » et, plus récemment, « interactions réglementées ». Ainsi, la définition initiale du terme « fichage » est très semblable à celle des rapports de collecte d’informations sur le terrain et des contrôles de routine. Toutefois, le juge Tulloch a redéfini le « fichage » afin qu’il désigne les interactions aléatoires ou arbitraires et non pas toutes les situations au cours desquelles la police recueille des renseignements personnels.

[3] Il est également important de souligner que le profilage racial peut exister, même si les agent(e)s décident de ne pas consigner, à des fins de renseignement, les informations recueillies lors de situations liées aux interpellations, aux questionnements et aux fouilles (IQF). Même lorsqu’ils ne sont pas documentés, les incidents liés aux IQF ont une incidence sur les personnes et les collectivités.

[4] Bien que l’animosité raciale ait diminué en Amérique du Nord, elle est toujours présente. En fait, les recherches indiquent que les personnes qui entretiennent ouvertement des opinions racistes ou des sentiments d’animosité raciale sont beaucoup plus susceptibles d’appuyer des politiques plus sévères en matière de justice pénale (voir Brewer et coll., 2008). D’autres personnes ont fait valoir que le racisme manifeste n’a pas diminué autant que le laissent entendre les résultats de recherche. Ces critiques soutiennent que les personnes racistes sont tout simplement moins susceptibles d’exprimer publiquement leurs opinions en raison du changement de culture (voir Murakawa et Becket, 2010; Henry et Tator, 2005).

[5] En effet, la tendance des agent(e)s de police à considérer les allégations de profilage racial comme une accusation de racisme manifeste a mené certain(e)s chercheur(-euse)s à réclamer une modification du langage utilisé pour présenter la question. Par exemple, certains membres de la communauté scientifique ont proposé de remplacer le terme « profilage racial » par celui d’« interpellations disproportionnées », car ce dernier met davantage l’accent sur les données et l’impact communautaire que sur l’intention des agent(e)s (voir Paulhamus et coll., 2010, p. 249).

[6] Les pratiques policières proactives font référence à la surveillance policière ou aux comportements d’enquête — y compris les activités d’interpellation et de fouille de la police — dans le cadre desquelles les agent(e)s de police cherchent activement à cibler des infractions criminelles, des infractions au code de la circulation, des personnes ou des activités suspectes. En revanche, les interventions policières réactives sont celles qui surviennent en réponse à des appels de service précis.

[7] Les recherches démontrent que la population des collectivités à forte criminalité est plus susceptible d’être interpellée et fouillée que celle des collectivités à faible criminalité. Cependant, une analyse supplémentaire révèle que, dans les collectivités à forte criminalité, la population racialisée est plus susceptible d’être interpellée et fouillée par la police que la population blanche (voir Wortley et Owusu-Bempah, 2011).

[8] Il convient de noter que le modèle de déploiement des forces de l’ordre ne parvient pas à expliquer convenablement les conclusions de la recherche, qui suggèrent que la population civile racialisée est encore plus susceptible d’être interpellée et fouillée par la police si elle réside dans une collectivité à revenu élevé et à faible taux de criminalité — principalement des collectivités blanches — ou si elle se trouve dans ces collectivités (voir Meehan et Ponder, 2002).

[9] Pour un examen détaillé de la recherche sur le profilage racial à l’échelle internationale, voir Wortley, 2019a et 2019b. Cet examen, mené dans le cadre d’une enquête sur les pratiques de maintien de l’ordre biaisées sur le plan racial à Halifax, en Nouvelle-Écosse, porte sur la recherche britannique, américaine et canadienne. Il examine plus en détail les forces et les faiblesses relatives des cinq principales méthodes de recherche qui ont exploré cet enjeu.

[10] Toutes les différences raciales mises en évidence dans cette section du texte sont statistiquement significatives à p > 0,01.

[11] Dans le cadre d’une nouvelle analyse de l’étude menée en 2000, les résultats de l’échantillon de l’école secondaire ont été comparés à ceux d’un échantillon de plus de 300 jeunes de la rue dans la région de Toronto (voir Hayle, Wortley et Tanner, 2016). À nouveau, les résultats révèlent que les élèves noir(e)s du secondaire sont beaucoup plus susceptibles d’être interpellé(e)s et fouillé(e)s par la police que les élèves d’autres origines raciales, et ce, même après contrôle d’autres variables comme la participation à des activités criminelles et l’appartenance à des gangs. Les résultats indiquent en outre que les différences raciales sont plus importantes chez les étudiant(e)s présentant un faible niveau de criminalité, et plus faibles chez les personnes profondément impliquées dans des modes de vie déviants. Il est intéressant de noter que les différences raciales dans l’exposition aux activités de fouille et d’interpellation de la police ne sont pas statistiquement significatives chez les jeunes sans-abri de la rue. Toutefois, cette absence de différence raciale s’explique par le fait que l’ensemble des jeunes de la rue ont déclaré une participation à des niveaux extrêmement élevés de criminalité et beaucoup de temps passé dans des lieux publics. Il est probable que l’adoption de tels modes de vie déviants attire l’attention légitime de la police. Une fois de plus, cependant, les résultats ont confirmé que le profilage racial est plus susceptible de se manifester parmi les populations présentant un faible niveau d’activité criminelle. Il semble que le bon comportement protège les personnes blanches contre les enquêtes de la police plus qu’il ne protège les personnes noires, et que le fait d’avoir la peau noire attire l’attention de la police.

[12] La méthode d’enquête par sondage a également servi à documenter les expériences et les opinions des policier(-ière)s américain(e)s. Par exemple, un récent sondage mené auprès de la police en Virginie a révélé que 26 % des agent(e)s de police croient que les pratiques policières biaisées sur le plan racial sont courantes, et que cette opinion est plus largement partagée par les agent(e) noir(e)s que les agent(e)s blanc(he)s (Ioimo et coll., 2007). De même, la majorité des répondant(e)s d’un échantillon de policier(-ières)s noir(e)s du Wisconsin estimaient avoir été victimes de profilage racial à un moment donné de leur vie (voir Barlow et Barlow, 2002).

[13] Toutes les différences entre les sexes documentées à la figure 1 sont statistiquement significatives à p > 0,01.

[14] Il convient de souligner que le sondage mené par le Black Experience Project comporte certaines limites. Tout d’abord, comme le sondage ne prend en compte que les répondant(e)s qui se sont déclarés membres de la communauté noire, il ne permet pas de comparer les opinions et les expériences des personnes noires avec celles des personnes d’autres origines raciales. De plus, en ce qui concerne les interpellations de la police, le sondage ne portait que sur les expériences uniques. Aucune question n’a été posée sur les interpellations policières réalisées au cours de la dernière année. Par conséquent, il nous est impossible de déterminer dans quelle mesure les jeunes, en particulier les jeunes hommes noirs, font l’objet d’activités de surveillance policière. Néanmoins, les résultats de cette enquête concordent avec ceux d’autres enquêtes qui ont donné lieu à une analyse plus nuancée. En somme, les résultats de cette enquête mettent en évidence la cohérence des constatations issues de différentes sources de données. Les personnes noires sont touchées de façon disproportionnée par les activités d’interpellation, de questionnement et de fouille par la police.

[15] Entre 2008 et novembre 2013, le service de police de Toronto a rempli 2 026 258 fiches de contact ou rapports de collecte d’informations sur le terrain. Cependant, il manquait des renseignements sur la race des civil(e)s dans 179 328 cas (environ 9 % de l’échantillon). Ces cas ont été exclus de la présente analyse.

[16] La présente analyse se base sur les données du Recensement de 2006. Le Recensement de 2011 a été remplacé par une enquête non obligatoire auprès des ménages qui a été critiquée pour avoir produit des estimations inexactes de la population. Toutefois, il convient de souligner que l’utilisation des chiffres du Recensement de 2016 révèle des disparités raciales très semblables.

[17] Il convient de souligner que le nombre de contrôles de routine impliquant des personnes noires pourrait être sous-estimé. Par exemple, des éléments de preuve suggèrent que les personnes à la peau plus claire, qui s’identifient comme étant noires, étaient parfois qualifiées comme ayant la peau brune par les agent(e)s du SPT. La façon de qualifier la couleur de la peau différait également d’un(e) agent(e) à l’autre. Par exemple, au cours d’un contrôle de routine, un(e) agent(e) pourrait identifier une personne comme étant noire. Cependant, lors d’une interaction ultérieure, cette même personne pourrait être identifiée comme ayant la peau brune par un(e) autre agent(e). De plus, notre analyse révèle que la population somalienne, qui s’identifie généralement comme noire, a souvent été qualifiée comme ayant la peau brune par les agent(e)s du SPT.

[18] De toutes les interpellations, 55,5 % étaient pour motif d’enquête générale, 16,4 % étaient en lien avec la circulation, 5,3 % avec un véhicule et 3,7 % avec le flânage. En fait, les enquêtes générales ainsi que les interpellations liées à la circulation, aux véhicules et au flânage concernaient 81 % de toutes les fiches de contact pour l’ensemble de données de 2008. Les autres motifs ne représentaient que 19 % des interpellations enregistrées.

[19] Comme il a été mentionné ci-dessus, les personnes noires représentaient 8 % de la population de Toronto en 2008, mais étaient concernées par 24 % de toutes les interpellations en lien avec une fiche de contact et 24 % de toutes les interpellations effectuées à des fins d’enquête générale. Les personnes noires étaient aussi nettement surreprésentées dans les interpellations liées à la circulation (27 %), au flânage (30 %), à la drogue (26 %), à une intrusion (28 %), à des activités suspectes (25 %), au respect des conditions de mise en liberté sous caution (45,9 %), à des armes à feu (48,7 %), et à d’éventuelles activités de gangs de rue (62,1 %). En revanche, les personnes blanches représentent plus de 90 % des interpellations liées aux gangs de motards. Toutefois, il convient de souligner que seulement 182 des 289 413 interpellations enregistrées dans l’ensemble de données de 2008 (0,06 %) impliquaient des activités de gangs de motards présumées.

[20] Bien que les enquêtes de 1994 et de 2007 aient porté uniquement sur la population de Toronto, l’enquête de 2019 comprenait des résident(e)s de toute la région du Grand Toronto (ville de Toronto, régions de Peel, de Durham, Halton et de York).

[21] Voir Wortley, 2019b pour un examen plus détaillé de la littérature publiée à l’international sur le profilage racial par les forces de l’ordre. Ce document comprend un examen des données sur les contrôles routiers et diverses techniques d’analyse comparative qui ont été utilisées pour documenter les disparités raciales au sein des activités de surveillance policière.

[22] Même si les personnes noires ne représentent que 23 % de la population de la ville de New York, elles ont été la cible de plus de la moitié (52 %) des interpellations effectuées par le NYPD au cours de cette période. En revanche, les personnes blanches représentent 10 % de la population de la ville de New York et sont visées par 10 % des interpellations policières.

[23] Bien sûr, il est absurde de prétendre que l’on peut expliquer toutes les augmentations récentes du nombre d’homicides et de crimes commis avec une arme à feu à Toronto par l’élimination des contrôles de routine. Les criminologues reconnaissent que la criminalité est un phénomène très complexe et que les changements de comportement criminel reflètent une variété de facteurs sociaux et économiques, en plus des pratiques policières. Il convient également de souligner qu’à Toronto, le nombre d’homicides est passé de 96 en 2018 à 65 en 2019, et ce, malgré l’absence continue de contrôles de routine. Les chiffres de 2018 sur les homicides ont également été gonflés par un seul incident, soit l’attaque par fourgonnette sur la rue Yonge qui a fait 10 victimes. Il est très peu probable que cette attaque aurait pu être évitée par un contrôle de routine.

[24] Au moins une évaluation de grande qualité qui a été rendue publique.

[25] Ce fut le cas à Kingston, en Ontario. Bien qu’il s’agisse d’un service de police relativement petit, le service de police de Kingston recueille depuis des années des fiches de contact à des fins de renseignement. Par conséquent, pour mener à bien le projet pilote de Kingston sur les interpellations, seuls de petits changements au système actuel de fiches de contact — y compris l’ajout d’un champ pour indiquer la race — étaient nécessaires. De plus, dans le cadre du projet pilote, les agent(e)s devaient désormais remplir une fiche de contact pour toutes les interpellations et non seulement pour celles jugées importantes à des fins de renseignement.

[26] Nous sommes également tout à fait en désaccord avec l’argument de Melchers (2006) selon lequel les universitaires canadien(ne)s ne possèdent tout simplement pas les compétences quantitatives nécessaires pour analyser adéquatement les données sur les pratiques d’interpellations de la police. Melchers semble fonder ces conclusions sur un rapport de 1998 (rapport très controversé parmi les universitaires). Tout d’abord, depuis ce temps, les universités ont tenté d’accroître la formation quantitative des chercheur(-euse)s en sciences sociales. Ensuite, au cours de la dernière décennie, plusieurs Canadien(ne)s ont reçu leur formation dans des universités américaines qui proposent une approche très quantitative. Bon nombre de ces personnes enseignent maintenant dans des universités canadiennes et américaines. Enfin, de nombreux(-euses) universitaires américain(e)s souscrivant à une approche quantitative seraient tout à fait disposé(e)s à travailler avec des données canadiennes (dans la mesure où elles pourraient être utilisées à des fins de publication).

[27] Malheureusement, certain(e)s membres du public ont l’impression que les opinions des consultant(e)s privé(e)s peuvent être influencées par des considérations financières et les intérêts de leur clientèle.

[28] Une autre option serait de consigner uniquement les renseignements sur les interpellations effectuées dans le cadre d’une enquête ou celles qui impliquent le recours à la force, plutôt que sur tous les contrôles routiers effectués par la police. Par exemple, en Angleterre, et ce, depuis 1984, la police doit consigner les renseignements sur toutes les interpellations nécessitant une fouille. Elle est toutefois en voie d’instaurer un système qui consignera toutes les interpellations (Riley et coll., 2009). Comme mentionné précédemment, un système semblable a été établi à New York, dans lequel seules les interpellations comportant une fouille par palpation, une fouille, un recours à la force ou une détention sont consignées (Jones-Brown, 2010). Comme le fait remarquer Fridell (2004), cette approche présente une lacune en raison du fait qu’elle ne tient pas compte des opérations effectuées en invoquant de faux motifs (p. ex., les contrôles routiers qui visent en fait à enquêter sur d’autres infractions possibles).

[29] Même si les personnes afro-américaines ne représentent que 23 % de la population de la ville de New York, elles ont été la cible de plus de la moitié (52 %) des interpellations effectuées par le NYPD au cours de cette période. En revanche, bien que les personnes blanches représentent 10 % de la population de la ville de New York, elles n’ont été impliquées que dans 10 % des interpellations policières.

 

 

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